PASSATION

*En cours de réécriture*

PIROS - LABORATOIRE

Mon repos n'aura été que de courte durée. Après une sieste rapide, Zorth m'a réveillée en urgence, son visage tendu par l'inquiétude. Il a ordonné à tout l'équipage de retourner immédiatement au vaisseau. Kapu est notre nouvelle destination. En un instant, tout le monde a embarqué, emportant avec nous l'intégralité de la famille royale. Il n'y a plus de Reine Régente sur Zoldello, plus de dirigeant. Je me demande comment ils comptent gérer cela. Mais il semblerait que ce soit le moindre de nos soucis à présent.

— On doit trouver une solution ! s'écrie Sylice, la voix nerveuse.

Je suis affalée sur une table en métal, froide au toucher, avec cette odeur familière d'alcool médical. J'adore cette odeur... Ça sent le propre, l'absence de toute vie microscopique. Ma tête repose sur mes bras croisés, et je les observe sans un mot. Un spectacle divertissant, mais sans grand intérêt pour moi.

La Reine Régente est là, accompagnée de sa mère, la Princesse Tyra. Soudain, cela me frappe : sa fille est Reine, tandis qu'elle, elle, est restée simple Princesse. Cette étrangeté hiérarchique semble figée dans le temps, comme une relique d'autrefois. Leur disparition dans les Askyrs, avec Hyldon, a sans doute joué un rôle dans cette situation. Le fait que Tyra n'ait jamais franchi les quelques marches qui la séparaient du trône l'a laissée à un rang inférieur. Pendant que tout le monde les croyait perdus, leur fille a pris les rênes du pouvoir, les condamnant à leur rôle du passé. Pendant que je m'interroge sur des questions futiles concernant la place de chacun dans ce grand échiquier, les scientifiques se creusent la cervelle.

— On n'a pas vraiment de solution... C'est comme si la bague faisait partie d'elle maintenant, souffle Houda, le visage défait.

Ils s'épuisent à chercher une réponse. L'œil que Tyra porte à son doigt est inerte, mais elle s'est incrustée dans sa peau, formant un relief métallique fusionné à son index. Ça donne presque envie de le toucher, pour voir si c'est aussi froid que ça en a l'air.

— Il doit bien y avoir un moyen de l'enlever... murmure Fyguie, en se grattant la tête d'un geste nerveux.

Je pourrais leur proposer quelque chose, mais je me retiens. Pas envie qu'ils prennent mal ma remarque. De toute façon, ils ne font que la mitrailler de questions.

— Quand l'Œil s'est-il désactivé ? demande Houda.

— Avez-vous ressenti quelque chose au moment où il s'est incrusté dans votre peau ? enchaîne Fyguie.

— Avez-vous déjà tenté de l'enlever depuis ? ajoute Sylice, impassible.

Une véritable rafale de questions. Tyra n'a même pas le temps de répondre qu'une autre lui tombe dessus. Elle finit par exploser.

— Écoutez, je ne sais pas ! Je ne sais rien ! Un jour, la bague s'est éteinte et depuis... Plus rien !

Sylice croise les bras, adossé contre le mur, tandis que Fyguie et Houda échangent des regards de pure incompréhension. En les observant, un détail me frappe : Tyra porte l'Œil à l'index gauche, alors que Lilas le porte à l'annulaire droit. Est-ce que ça a une quelconque importance ? Est-ce que ça pourrait avoir une signification ou est-ce juste le fruit du hasard ?

Je me dis que ça n'a probablement aucune importance. Après tout, ce n'est qu'un détail parmi tant d'autres. Pendant ce temps, Tyra a profité de son passage sur Zoldello pour récupérer des vêtements royaux. Elle est plus élégante que jamais. Ils ont dû refaire leur garde-robe, parce qu'elle est impeccable... Priorités étranges... Typique des nobles, ça. Peut-être qu'ils ne se sentent pas reconnus sans leurs atours.

Cette scène, qui m'amusait au départ, commence sérieusement à m'irriter.

— Vous ne pensez pas qu'il pourrait y avoir quelque chose dans la prophétie qui nous aiderait ?

Tous les regards dans la pièce se tournent instantanément vers moi, comme si j'avais proféré un blasphème.

— Vous croyez vraiment qu'on n'a pas déjà vérifié, Mlle Flokart ? s'agace Sylice.

Je lève les mains en signe de reddition, tout en me redressant de ma chaise.

— Très bien, je vous laisse entre génies.

Alors que je me relève pour m'échapper, je remarque que Saranthia m'a devancée et a également réussi à quitter la pièce, sous le regard soucieux de sa mère.

Je quitte la pièce, m'engouffrant dans les couloirs du vaisseau, sans but précis. On verra bien où ça me mène...

PIROS - CABINE D'HYLDON ET TYRA

Après s'être extirpée de l'effervescence du laboratoire, Saranthia a rejoint calmement sa cousine et son père dans la cabine de ses parents.

Les trois têtes couronnées nouvellement réunies, discutent d'un sujet qui nous obsède tous depuis leur retour : réactiver l'Œil et permettre à Saranthia de le porter à son tour.

— Je ne comprends pas comment cela a pu arriver, regrette Saranthia.

Lilas, confuse, peine à se concentrer. Avec tous les événements récents, cette phrase de sa cousine pourrait faire allusion à tant de choses. Saranthia poursuit, déterminée à éclaircir la situation.

— Cet Œil, comme vous l'appelez tous, pourquoi se serait-il soudainement éteint ?

— Ta mère est persuadée qu'il s'est éteint parce qu'elle ne portait plus la mission elle-même, répond Hyldon.

— Quelle mission ?

Saranthia jette un regard à Lilas, se remémorant leur échange lors du repas dans la Maison des Glaces. À l'époque, elle avait choisi de se protéger en souhaitant ne rien savoir, mais la situation a changé. Elle n'est plus sur Zoldello. Elle veut maintenant comprendre.

— Saranth, la mission Minden concerne l'Œil, un artefact puissant lié à notre famille. Il a été conçu non seulement pour protéger notre royaume, mais aussi pour veiller sur l'univers tout entier. Malheureusement, il s'est éteint pendant la détention de ta mère sur Golton II. Nous devons le réactiver pour que tu puisses le porter, car cela pourrait être la clé pour restaurer l'équilibre. Il est crucial de comprendre pourquoi cela s'est produit et comment le remettre en marche avant qu'il ne soit trop tard. Le temps presse. Nous nous dirigeons vers une planète censée abriter le portail, un portail que nous devons refermer, si nous en croyons les paroles de la Prophétie.

Saranth a du mal à digérer toutes ces informations qui fusent de la bouche de sa cousine. Elle avait aidé à décrypter les pages de cette prophétie trouvées sous le parquet de la chambre de ses parents, mais elle n'avait pas cherché à établir de liens ni à comprendre tout ce que cela impliquait. Elle était restée dans son rôle de Reine, présente uniquement pour son royaume.

Son père, Hyldon, se contente d'acquiescer à tout ce récit. Des milliers de questions affluent dans son esprit : Quel portail ? Quel équilibre ? Quelle prophétie ? Elle ne saurait même pas par où commencer. Pour elle, tout cela n'est que le titre d'un livre mystérieux gisant sous le sol d'une chambre inoccupée depuis des années. Néanmoins, elle s'accroche et tente de démêler tout cela dans le plus grand calme.

— D'accord. C'est beaucoup d'informations... Mais peu importe. Concentrons-nous sur l'essentiel. Nous aurons probablement tout le loisir d'en rediscuter pendant notre voyage. Si je me souviens bien, dans la Prophétie, il était question du Regard. Je suppose que c'est ce que nous cherchons à faire fonctionner ?

— Tout à fait, valide son père.

— Nos deux reliques forment ce Regard, mais seule la mienne est active. Je ne sais pas ce qu'il adviendra lorsque la tienne le sera également, précise Lilas, quelque peu inquiète.

— Que disait la Prophétie à ce propos ?

Lilas fronce les sourcils, cherchant les mots les plus précis possible :

— Au clair des lunes, chaque Œil montrera le chemin.

Saranthia s'assoit sur son lit, toujours étonnée de constater la présence de son père. Parfois, elle a l'impression qu'il s'agit d'un mirage, comme ceux qu'elle a vus durant son enfance. En grandissant aux côtés de Lilas et Gotbryde, elle avait souvent ressenti un vide qu'elle avait maintes fois tenté de combler en multipliant les amourettes sans lendemain. Elle secoue la tête pour se recentrer sur le sujet qui les anime et sa cousine se permet de leur remettre un évènement important en tête.

— Le mien a déjà montré la planète Kapu sur les Askyrs.

Hyldon baisse les yeux, son regard se perd dans les souvenirs du jour où il a rencontré Waldo. C'était un jour froid, où lui et sa femme l'avaient suivi jusque dans les profondeurs de cette planète sombre et stérile, les entraînant directement vers l'oubli.

Il repense à la prophétie, à cette phrase qui était soudainement apparue, les menant directement au Mont D'Opaly. Pourquoi la citation sur l'Œil fait-elle allusion à des lunes ? De quelles lunes parle-t-elle ? Il n'y en a qu'une seule sur Zoldello.

Sa réflexion reste ancrée dans son esprit, qu'il ne partage pas à haute voix. Sa fille remarque son absence. C'est étrange de constater qu'elle n'arrive pas à renouer le lien qu'ils avaient autrefois. Ils sont devenus deux personnes si différentes. Le temps où ils finissaient les phrases l'un de l'autre semble désormais révolu. Saranthia et Hyldon ont fini par devenir des inconnus.

Elle se décide finalement à l'interpeller.

— Papa ? À quoi penses-tu ?

Il relève la tête et la fixe comme s'il la redécouvrait.

— Je me demande si les Askyrs et le Mont D'Opaly sont vraiment le lieu indiqué pour suivre la Prophétie.

— Que veux-tu dire ? s'interroge Lilas.

— Je me demande si Waldo ne nous a pas simplement tendu un piège. Sans rapport avec la prophétie. Le livre fait allusion à deux lunes, et je ne connais qu'un seul endroit qui en possède deux.

Saranthia et Lilas échangent un regard perplexe avant que le prince ne reprenne sa théorie.

— Adhara.

Le silence dans la pièce trahit l'agitation intérieure de chacun. Submergés par leurs doutes et leurs regrets, ils ont du mal à se focaliser sur le problème commun qui devrait pourtant les unir. Chacun lutte contre ses propres démons, mais l'urgence de la situation les oblige à repousser leurs pensées pour se concentrer sur ce qui compte réellement : la survie de tous.

PIROS - LES CUISINES

Alors que le laboratoire s'agite sous la pression, les cuisines bourdonnent d'une tout autre effervescence. La famille Ristoc, occupée à débattre avec insouciance, semble bien loin des urgences du moment.

— On se dirige bien vers Kapu, non ? demande Katany, l'air perplexe.

— C'est ça, répond sa sœur, croquant bruyamment dans une pomme juteuse.

— C'est là que se trouve le portail, pas vrai ? Dozik cherche à s'assurer, sans vraiment prêter attention à la gravité de la question.

— Exactement , répond encore une fois Binny, un peu distraite.

Leur mère, Tamy, les observe du coin de l'œil tout en découpant méthodiquement des légumes. Le bruit de son couteau qui crisse sur la planche métallique est tout sauf agréable, mais il rythme, presque ironiquement, la discussion légère de ses enfants.

— As-tu reconsulté l'Oracle Maman ? s'intéresse Katany.

— Oui, je lui ai parlé du problème concernant l'Œil de la Princesse Tyra.

Ses trois enfants s'immobilisent, attendant une réponse grandiose. Mais rien ne vient, ce qui pousse Binny à insister :

— Et alors ? Il n'a rien dit là-dessus ?

— Lorsque je lui ai mentionné la relique éteinte, il a simplement hoché la tête, l'air songeur. Puis il a dit : C'est qu'il est l'heure de la passation.

— Super... Kybop nous avait bien dit qu'il n'était pas loquace, s'amuse Dozik en ricanant.

Binny lui donne une tape derrière la tête, un geste familier pour rappeler à l'ordre :

— On ne parle pas de L'Oracle comme ça Dozi !

Son frère et sa sœur échangent un regard amusé, mais rapidement il reprend sur un ton plus sérieux, le regard légèrement assombri :

— En revanche... J'ai une vraie question.

Ses sœurs lèvent un sourcil, moqueuses, mais l'expression de Dozik les intrigue.

— Est-ce que quelqu'un sait pourquoi nous avons perdu le Savoir ? Pourquoi la flamme a été éteinte ?

Le crissement du couteau de Tamy s'est brusquement interrompu. Dozik sait bien qu'il vient de poser une question qui change tout. Il se hisse sur un des plans de travail, s'installant aux côtés de ses sœurs, tandis que leur mère les observe, un éclat pensif dans le regard.

— Pour être honnête... J'étais enfant quand c'est arrivé. Je ne me rappelle pas tout, admet-elle en plongeant ses yeux dans le vide.

Katany tente de deviner :

— Les anciens devaient être dans tous leurs états, non ?

Tamy soupire doucement.

— Tu n'imagines même pas. C'était une véritable catastrophe. Adhara était en proie à une panique sans précédent. Ça n'était jamais arrivé avant.

Binny, toujours aussi curieuse, s'accroche à chaque mot :

— Tu te souviens de quoi, exactement ?

Sa mère hésite un instant, comme si elle pesait les fragments de souvenirs.

— L'atmosphère surtout. Il faisait beau ce jour-là, un soleil éclatant... Mais l'ambiance était lourde, oppressante. Partout, les gens s'agitaient, chacun essayant de comprendre, d'interpréter ce qui venait de se passer. Mon père et mon oncle discutaient sur le seuil de la porte, l'air grave, échangeant des regards inquiets. Je me souviens m'être sentie si petite face à tout ça... Mais j'avais compris que c'était grave. Très grave.

— Et ensuite ? s'enquit Binny, comme si elle savait déjà que la réponse serait plus lourde encore.

Tamy se remet doucement à cuisiner, ses gestes un peu plus lents, comme si les souvenirs retenaient ses mains.

— Ensuite ? Eh bien... j'ai grandi dans l'inconnu, soupire-t-elle. Le peuple Adhara est devenu une simple troupe de sauvages aux yeux du reste de la Galaxie. Nous avions perdu ce qui faisait de nous une espèce différente. Sans la flamme, notre savoir, notre fierté, tout s'est envolé. Le semblant de connaissance qui nous élevait au-dessus des autres peuples avait disparu.

Elle hoche la tête, comme pour marquer le poids des années passées à vivre dans cet isolement.

— À partir de là, nous nous sommes plongés dans des préceptes plus sombres. Superstitieux comme nous sommes, vous vous doutez bien que cela a été perçu comme un mauvais présage. Nous avons arrêté de regarder vers les autres mondes. Nous avons cessé de chercher des alliances, des échanges... Nous nous sommes refermés sur nous-mêmes, concentrés uniquement sur la survie de notre planète, son ton se fait plus grave. C'est là que certains anciens ont pris la décision de lancer une mission... celle que votre père, et tant d'autres avant lui, ont tenté d'accomplir.

Dozik, fidèle à lui-même, rompt la gravité du récit avec une de ses remarques légères :

— Bon sang, quelle histoire, maman !

Katany éclate de rire, et sous le regard amusé de sa mère, elle se permet de poser une autre question :

— Sans le savoir, les Adharas ont quand même continué de croire en leurs préceptes archaïques ?

Tamy sourit, un brin nostalgique :

— C'était tout ce qu'il nous restait de cette époque. Donc oui, nous avons continué de croire. Plus que jamais, Tamy marque une pause dans son récit. Nous avions besoin d'une branche à laquelle nous raccrocher, et je dirais même que nos croyances se sont renforcées après la chute de la Flamme. C'était notre seule certitude dans un monde qui avait perdu tout sens.

Binny, plus silencieuse, boit les paroles de sa mère. N'ayant jamais connu cette époque, elle ne peut que l'imaginer à travers ces récits. L'histoire de son peuple la fascine, et chaque mot nourrit sa curiosité.

— En tout cas, l'Oracle reste toujours aussi mystérieux avec ses prophéties, se désole la benjamine Ristoc.

— Oui. Kybop n'a peut-être pas tort à ce sujet, Tamy lance un clin d'œil complice à son fils.

PIROS - DANS UN COULOIR

Alors que je passe devant les cuisines du Piros, j'entends Tamy prononcer mon nom. Je n'ai franchement pas le temps de jouer les espions. De plus, l'instinct des Adhara est bien connu ; je suis certaine qu'ils m'auraient repérée en moins d'une minute. Mieux vaut donc que j'entre et participe à cette conversation qui pourrait me concerner. Et pour être honnête, je n'ai rien d'autre à faire. La porte étant déjà ouverte, je fais mon entrée sans la moindre introduction. Les têtes roses me fixent, comme s'ils savaient déjà que j'allais débarquer. Je ne perçois aucune surprise dans leurs yeux. Je m'installe à côté de Tamy, qui s'attaque à une sorte de julienne de légumes, le coude sur la table, dans une position désinvolte. C'est étrange, contrairement au reste de l'équipage, je me sens à l'aise en leur compagnie. Depuis que j'ai vu Guitry mourir sous mes yeux, tout le monde me traite comme si j'allais m'effondrer, on me parle avec des pincettes, on me parle comme si ma vulnérabilité avait pris le dessus. Mais ici, je n'ai pas ce sentiment. Ma présence n'a rien changé à l'ambiance des cuisines.

— Alors Mlle Flokart, comment allez-vous ?

Tamy me pose cette question sans prendre un ton attristé ou compatissant. J'apprécie.

— Je fais aller.

Sans attendre que je réengage la conversation, Binny poursuit son échange avec sa mère comme si mes états d'âmes n'était qu'un détail.

— Donc, nous n'en savons pas plus... Tu es sûr qu'il ne t'a dit que ça ?

— Oui, il n'a pas ajouté d'autres détails, juste qu'il était venu le temps de la passation.

Je sais que je m'immisce dans une conversation déjà en cours, mais j'aimerais comprendre de quoi on parle.

— La passation ?

— Je ne suis pas certaine de la signification exacte, mais comme je faisais allusion à la Reine Régente et à l'Œil de sa mère, la Princesse Tyra, je suppose qu'il s'agit du transfert de l'anneau. Un peu comme lorsque le porteur de flamme passe le relais à son successeur.

Je me remémore l'histoire des Adhara, de leur planète, de leur quête incessante du Savoir.

— Avez-vous connu de nombreux passages de relais ?

— Oui, bien assez... Les deux premiers, puis celui de mon époux, et enfin celui de Binny.

Je fronce les sourcils, me rappelant le nombre d'années dont dispose chaque porteur pour accomplir sa quête. Puis, je réalise que les Adharas ont une espérance de vie bien plus élevée que celle des autres espèces de l'univers. Ils sont les doyens de l'espace, chacun pouvant vivre entre deux-cent-cinquante et trois-cents ans.

— Le problème, c'est qu'ils s'arrachent les cheveux au labo pour comprendre comment retirer la relique du doigt de la Princesse afin de la remettre à la Reine.

Cela m'amuse de repenser à Fyguie se grattant la tête frénétiquement à la recherche d'une solution. Alors que je souris, je remarque que Katany me fixe avec insistance. Elle ne me connaît que très peu, et, comme Dozik, elle semble curieuse à mon égard.

— Et vous, n'avez-vous pas d'idée sur ce sujet ? demande-t-elle.

Je ricane, comme s'il était évident que je ne pouvais pas résoudre une affaire pareille.

— Moi ? Non... Aucune idée.

— Y avez-vous seulement pensé ? questionne Tamy.

Je la regarde, hésitante, craignant un reproche, mais son ton n'en a pas l'air. Quoi qu'il en soit, sa question me pousse à réfléchir.

— Non... Pas vraiment.

— Vous pensez que cela ne vous concerne pas ?

Je tique une fois de plus. Sous-entend-elle que je manque d'investissement ?

— Disons que j'ai d'autres choses en tête.

Elle finit par esquisser un sourire, celui qu'une maman pourrait adresser à son enfant lorsqu'il avoue enfin quelque chose qu'elle savait déjà.

— Je comprends.

Tamy semble se comporter avec moi comme elle le ferait avec ses propres enfants. Elle essaie de me faire cracher le morceau, de me faire avouer que je suis dépassée par les événements. Mais cela n'a rien d'un reproche. C'est plutôt une manière pour elle de me faire prendre conscience de mon état. Et cela fonctionne.

— Ce qui est certain, c'est que nous sommes en route pour Kapu. Enfin, aux dernières nouvelles, reprend Katany.

L'allusion à la direction que nous prenons provoque une certaine inquiétude dans les yeux de la mère de famille. Puis, elle murmure dans un chuchotement une phrase dans un dialecte inconnu :

— Három rózsaszín fej fogja Adhara nevét vésni Kapu-ra.

— Qu'avez-vous dit ?

Binny prend la parole à la place de sa mère.

— Ce sont les paroles d'un ancien écrit. Cela veut dire : Trois têtes roses graveront sur Kapu le nom d'Adhara.

— Intéressant. Et pourquoi est-ce que je ressens de l'inquiétude ?

Tamy arrête ce qu'elle est en train de faire pour répondre d'un souffle :

— Parce que nous sommes quatre.

Je scrute un à un les membres de la famille Ristoc. Ils accordent un intérêt et une légitimité inébranlables aux récits, légendes, prédictions et écrits saints. Pour eux, rien ne doit être pris à la légère. Cela pourrait aussi bien être une mauvaise interprétation du texte, mais ils demeurent prudents.

— Ce n'est peut-être qu'une erreur, suggéré-je avec hésitation.

— Oui, peut-être. Mais cela démontre encore une fois que nous nous engageons sur une voie incertaine.

Alors que nous discutons, une secousse violente ébranle le Piros, si brusquement que je dois m'agripper au plan de travail pour ne pas tomber.

— C'était quoi ça ? s'inquiète Dozik.

Je n'en ai aucune idée, mais l'alarme du vaisseau retentit. Zorth nous appelle à le rejoindre dans la salle principale. Sans autre indication, nous nous dirigeons d'un pas précipité vers la salle qui nous réunit à chaque crise que traverse l'équipage. Une fois à l'intérieur, je fais un rapide tour d'horizon : personne n'est absent, enfin presque. Une pensée émue pour Guitry m'effleure l'esprit, son image m'étant apparue lors de notre passage sur Zoldello. Lilas me rejoint et s'installe à mes côtés. Nous échangeons un regard et un sourire, puis l'attention se recentre sur Zorth, a qui je pose la question qui se trouve sur toutes les lèvres.

— Que s'est-il passé ?!

Tout le monde semble surpris, s'attendant à ce que le Gudjanien nous en dise plus. Malheureusement, il est totalement dans l'ignorance. La Reine régente fait un pas en avant pour prendre la parole. Elle a encore quelques larmes accrochées à ses joues, mais décide de nous faire part de quelque chose qui vient tout juste de se produire. Elle jette un regard furtif à sa mère, cherchant son approbation, et celle-ci lui répond par un acquiescement assuré.

— J'ai eu une discussion avec ma mère. Enfin... Après une réflexion lourde de sens dans la cabine de mes parents au sujet de l'Œil, j'ai ressenti le besoin de m'aérer l'esprit. Je me suis rendue sur le pont du Piros pour admirer l'espace. Ma mère m'a rejointe peu après.

Tyra se permet d'intervenir.

— J'ai moi aussi eu besoin de prendre l'air, loin du chahut du laboratoire.

Fyguie et le reste de l'équipe scientifique affichent une mine coupable. Ils savent qu'ils y sont peut-être allés un peu fort.

PONT DU PIROS - DIX MINUTES PLUS TÔT

Saranthia repose son front contre la vitre chaude du Piros, fermant les yeux, s'abandonnant complètement à son chagrin. Elle n'est pas là pour admirer le spectacle des étoiles ni pour trouver du réconfort. Elle cherche simplement à fuir, à s'isoler, incapable de continuer à faire semblant, à prétendre que tout est normal. Le retour de ses parents a été un choc qu'elle n'a toujours pas encaissé. On ne lui a pas laissé le temps de digérer la nouvelle ; elle a dû quitter précipitamment son trône, récemment acquis et confié par sa cousine. Être en présence de ses parents, qu'elle a tant pleurés, sans savoir comment interagir avec eux, la plonge dans une détresse plus profonde que jamais. Ce moment de solitude est de courte durée. Pensant être encore seule, Saranthia sursaute légèrement en entendant des pas. Sa mère vient d'arriver sur le pont. Elle s'éloigne rapidement de la vitre, tentant de se redresser. Mais le poids de ses émotions la courbe, et elle a la désagréable sensation qu'elle n'a plus rien d'une reine. Elle se sent vulnérable, écrasée par la tempête intérieure qui l'agite, incapable de retrouver la stature qui l'avait portée sur le trône.

Tyra la regarde avec une tendresse infinie, voyant toujours en Saranthia la petite fille de cinq ans qu'elle a laissée derrière elle il y a si longtemps. Depuis leurs retrouvailles, elles n'ont pas eu une seule vraie conversation, et Tyra sent que le moment est enfin venu. La douleur de sa fille lui transperce le cœur, accentuant la culpabilité qui la ronge.

— Ma chérie... Si tu savais comme je suis désolée.

Saranthia ferme les yeux, ses lèvres tremblantes alors qu'elle tente de contenir un mélange de colère et d'empathie. Elle sait que ses parents ont vécu des années terribles, prisonniers sur Goltons II, mais son cœur d'enfant se brise malgré tout. Comment pouvait-elle leur pardonner d'avoir pris de tels risques ? N'ont-ils pas pensé à elle, quand ils ont entrepris ce voyage dangereux vers les Askyrs, sans rien dire à personne, sans prévenir ?

Tyra avance doucement, ses paroles lourdes de regrets, tout en observant les poings serrés de Saranthia. Elle sait que chaque mot, chaque geste, peut être un déclencheur pour cette tempête d'émotions refoulées. Tyra ne veut pas la brusquer.

— Je comprends que tu sois en colère... Je me doute que notre disparition ne t'a pas rendu la vie facile, dit-elle doucement, presque en murmurant. Si je pouvais revenir en arrière, je ferais les choses différemment.

La tension monte alors que Saranthia fait un pas en arrière, les yeux brûlants de larmes et de colère. Tyra reste figée, les mains tendues, cherchant désespérément une façon de la calmer. Les mots qu'elle tente de prononcer semblent mourir dans sa gorge face à l'intensité du chagrin de sa fille.

— Je... Je suis désolée, murmure Tyra, presque inaudible.

— Désolée ?! explose Saranthia. Ce mot est tellement vide pour moi ! Vous m'avez abandonnée, vous m'avez laissée affronter tout ça seule ! Pendant que vous étiez là-bas... là-bas sur les Askyrs, sans même penser à moi ! Je vous ai pleuré, je vous ai enterrés dans mon cœur, et maintenant, vous êtes là ! Bien vivants !

Sa voix résonne dans l'immensité du pont, chaque mot chargé de reproches et de blessures enfantines. L'Oeil de Tyra commence à scintiller faiblement, captant la lumière, mais ni elle ni sa fille ne semble le remarquer. Tyra s'approche à nouveau, tentant de franchir ce fossé émotionnel qui les sépare.

— Ce n'était pas ce que nous voulions pour toi, ma chérie. Nous avons pris des risques, c'est vrai... mais jamais nous n'avons voulu te faire souffrir comme ça.

Saranthia tremble, sa respiration rapide et irrégulière. Elle tente de reprendre le contrôle, mais ses émotions débordent.

— Vous ne comprenez pas, dit-elle d'une voix brisée. Je suis hantée par cette nuit où Gotbryde est venu m'annoncer votre disparition. Mon esprit et ma raison vous ont pardonné, mais mon cœur, lui, en est incapable.

À cet instant, l'Œil de Tyra s'illumine d'une lumière vive et fulgurante, projetant des éclats scintillants sur tout le pont. La bague pulse, comme si elle réagissait à la vague de colère et de désespoir qui émane de Saranthia. Soudain, une secousse puissante ébranle le Piros, si violente que le sol semble se dérober sous leurs pieds. Tyra, abasourdie, baisse les yeux vers l'anneau, le cœur battant d'inquiétude. L'Œil continue de briller intensément, fermement accroché à son doigt, refusant de se détacher malgré cet éclat soudain. L'instant d'après, la lumière intense de la relique faiblit peu à peu, comme si l'éclat de leurs émotions s'éteignait avec elle. L'obscurité apaisante qui s'installe contraste avec la tension illuminée qui régnait quelques secondes auparavant. Tyra et Saranthia se regardent, figées par la prise de conscience que l'Œil vient de réagir à leur querelle. Soudain, l'alarme du Piros retentit, brisant cette accalmie. Elles échangent un dernier regard avant d'obéir aux ordres de Zorth, se dirigeant ensemble, presque machinalement, vers la Salle Principale.

PIROS - SALLE PRINCIPALE

Cette explication laisse tout le monde dans un silence pesant. Hyldon s'approche pour soutenir sa femme, encore ému par l'échange intense qu'elle a eu avec sa fille. Il lui offre une main douce et rassurante, une geste d'amour et de soutien. De son côté, Saranthia, légèrement à l'écart, retrouve progressivement sa prestance. Alors qu'elle raconte son histoire, elle se redresse, affichant une attitude droite et assurée. Sa tenue de reine accentue cet élan de confiance, une façade d'égo qu'elle refuse d'affaiblir devant le reste du groupe.

Zorth, visiblement rassuré, émet une hypothèse qui rompt le silence.

— Donc l'anneau est connecté à vos émotions. C'est comme s'il était vivant.

La passionnée Binny intervient, complètement ébahie par tout ce qui se trame ici.

— Oui ! C'est comme s'il vous disait quelque chose !

— Et que dit-il ? s'agace Saranthia.

Tout le monde perçoit le ton froid et sec de sa voix, et personne n'ose répondre. Mais Milo prend finalement la parole.

Vous devriez mettre les choses sur le tapis. Jouer carte sur table avec vos émotions. L'anneau a réagi mais est resté fermement accroché au doigt de la Princesse Tyra, votre mère. S'il est vivant et qu'il attend quelque chose, je pense que c'est d'être prêt à être accueilli sur une autre main.

Saranthia ne décolère pas. Elle se sent tenue pour responsable de l'immobilisme de la mission Minden, comme si elle paralysait le reste de l'équipe, et cela ne lui convient pas du tout.

— Comme c'est facile à dire ! Peut-être que vos suppositions sont fausses et que cet anneau de malheur n'est qu'un vulgaire caillou sans vie !

Le regard de Lilas est plein de préoccupation. Elle n'a jamais vu sa cousine dans un tel état. Ressentant le besoin de la protéger, elle la prend par le bras et l'emmène hors de la pièce. Lilas s'excuse auprès de tout le monde avant de l'emmener dans un coin plus calme.

Une fois loin du tumulte des suppositions de leurs amis, Saranthia plonge dans les bras de sa cousine.

— Je suis là, ne t'inquiète pas, murmure Lilas.

— Quel genre de reine suis-je ? Je perds mon sang-froid devant une assemblée de personnes censées être de mon côté...

Ses mots sortent difficilement entre deux sanglots. Lilas la tient fermement pour la rassurer du mieux qu'elle peut.

— Tu n'as pas à te justifier auprès de moi.

Lilas comprend profondément la douleur de Saranthia, mais elle réalise également que Milo a raison. L'anneau réagit aux émotions de Saranthia, à celles de Tyra, et peut-être même à une combinaison des deux. Cette connexion émotionnelle est essentielle ; elle pourrait détenir la clé pour résoudre leur problème. Lilas sait que, pour que Saranthia puisse glisser cette autre bague à son doigt, elle doit agir. En tant que porteuse de l'autre Œil, sa mission devient d'autant plus urgente et importante. Lilas s'engage à tout faire pour aider Saranthia à surmonter ses émotions et à retrouver sa force intérieure, car c'est ainsi qu'elles pourront véritablement faire face à ce qui les attend.

Lilas comprit que pour que l'Œil passe de Tyra à Saranthia, il leur faudrait d'abord trouver ensemble une stabilité émotionnelle qui les unirait à nouveau.

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