MONT D'OPALY
PIROS - PONT
Ça y est, Zoldello est en vue. La princesse Lilas est collée à la vitre du pont pour pouvoir l'admirer. Elle se tient les bras croisés, la tête haute et le regard lointain. Sa posture laisse apparaître une certaine fierté devant ce spectacle verdoyant qu'offre sa planète. Je la rejoins en apposant l'épaule sur la paroi.
— Tous ces allers-retours dans l'espace... Je n'ai jamais autant voyagé.
Elle se tourne pour m'adresser un sourire bienveillant.
— Dans d'autres circonstances, voyager est un plaisir, vous savez...
Son appréhension est palpable. Nous sommes partis si vite la dernière fois. Nous ne savons même pas ce que nous avons laissé derrière nous, tout a été si soudain. Est-ce que quelqu'un en a profité pour prendre les rênes du pouvoir en notre absence ? Je m'interroge... Et cela semble également être le cas de Lilas.
— Le peuple, est-il seulement au courant que mon père, le roi Gotbryde, n'est plus ? Nous avons laissé un royaume sans souverain pendant plusieurs jours... Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe là, en bas...
— Personne ne vous laissera tomber. Vous êtes bien entourée, princesse. Tout le monde est inquiet pour vous dans ce vaisseau.
Elle est touchée par tant de sollicitude.
— Je sais. Je suis chanceuse, laisse-t-elle échapper dans un soupir.
— Zorth, Kylburt et Slikof ne vous lâcheront pas des yeux. Je pense que vous n'avez rien à craindre.
— Ce n'est pas tant le danger qui obscurcit ma pensée. Mais plutôt ma volonté de connaître la vérité. Je veux savoir qui a assassiné mon Père. Je veux savoir où se trouve sa dépouille et pouvoir lui rendre hommage.
Se tournant vers moi, son regard noircit par les ténèbres.
— Promettez-moi de trouver ceux qui ont fait ça.
Elle me tient les mains comme pour sceller un serment. Plongeant son regard dans le mien pour sonder les tréfonds de mon âme.
Moi ?
Pourquoi pas Slikof, Kylburt, Zorth ou tout autre personne originaire de sa planète, une personne proche du roi et de sa famille ?
C'est étrange qu'elle m'investisse d'une telle mission, je ne connaissais même pas son père. Malgré cela, comme une idiote asservie par ses beaux yeux, je cède.
— Promis.
ZOLDELLO - PALAIS D'ULTYA
Nous arrivons au Palais sans heurt. Les gardes sont déjà sur place, ainsi que les Oiseaux de nuit, attendant l'héritière dans leurs habits d'apparat. Ils forment une allée pour protéger notre cortège.
Kydine s'est également paré de son plus beau costume. Arborant des couleurs claires et éclatantes, il se promène dans un élégant costume blanc, rehaussé de filigranes dorés sur le col et les manches. Lilas, elle aussi vêtue de blanc, porte une robe fluide qui se fend à l'avant, laissant entrevoir une partie de ses jambes. Son col montant et ses épaules dénudées lui confèrent une autorité naturelle saisissante. Sa démarche assurée et son regard perçant ne font qu'accentuer cette impression. Lilas, fièrement couronnée d'une pièce d'or sans joyaux, se distingue par un magnifique motif de fleurs de Zoldello entrelacées, symbole d'abondance et de richesse. Il est clair que la discrétion n'est plus de mise ; ils sont là pour briller.
Lilas se penche sur l'épaule de Zorth pour lui susurrer quelque chose entre ses dents serrées.
— Qui les a mis au courant ?
Il lui fait un clin d'œil et hoche du menton en direction de Slikof.
— Et que savent-ils exactement ? s'informe-t-elle non sans inquiétude.
— Pas-grand-chose. Ils ont juste été mis au courant de votre retour. Le peuple attend votre allocution.
Lilas a la gorge serrée, elle pense au Balcon. Le point de départ de bons nombres de révoltes. Faire un discours devant le peuple n'est pas chose aisée, et même si elle est à l'aise avec les mots, les nouvelles qu'elle doit annoncer sont loin d'être bonnes. Nous remontons un couloir gorgé de soleil. Il fait chaud et ses rayons, qui tapent sur ma peau, me font un bien fou. Je ressens d'ailleurs le besoin de ralentir un peu, pour en profiter le plus longtemps possible. La princesse et la Reine Régente suivent Slikoff et Kylburt, qui les guide à travers le Palais, avant d'arriver à une chambre avec un balcon qui surmonte les jardins. Les deux souveraines s'arrêtent avant d'être visible par la populace. Kylburt et Slikof se placent de part et d'autre de la baie vitré grande ouverte, qui laisse entrer une agréable et légère brise. Le reste du groupe reste sagement posté dans la pièce.
Zorth s'approche alors de Lilas et de Saranthia.
— Après tout ça, vous pourrez rendre visite à votre Père, princesse. Il se trouve dans la Chapelle, comme l'exigent les traditions. Ne vous en inquiétez plus et concentrez-vous sur l'instant présent. Celui-ci est important. Il ne faut pas faire de faux pas, ni faire preuve de faiblesse.
Zorth prend une profonde inspiration, puis reprend sur un ton paternel.
— Mes Chères Enfants... Je vous fais confiance. Parlez avec votre cœur et croyez-en ce qui est bon. Tout se passera bien. N'oubliez pas la devise de votre mère planète : la main sur le cœur, le regard vers l'avenir, accompagnant sa devise de la gestuelle habituelle.
Lilas lui sourit alors que Saranthia attrape la main de sa cousine pour lui montrer son soutien.
— Je ne sais pas par où commencer Zorth... bégaie la princesse.
Il pose ses mains sur ses bras pour lui donner du courage.
— Par le début princesse. Par le début...
Elle essaie de se ressaisir en prenant une longue et profonde inspiration. Saranthia lui offre une accolade pour lui glisser quelques mots rassurants à l'oreille.
— Tu as toujours su parler, comme ta mère. Je te rejoindrais sur le Balcon quand il sera temps.
Lilas me cherche du regard, toujours dans les bras de sa cousine. Lorsque ceux-ci se croisent, je laisse éclore un sourire sur mon visage, qu'elle me rend volontiers. Après quelques secondes, la princesse décide qu'il est temps et s'engouffre au travers des rideaux qui virevoltent au gré du vent. Elle pénètre sur la Balcon, droite, fière, ses pieds bien ancrés dans le sol. Inébranlable. Comme si son passage entre l'ombre de la pièce et la lumière du soleil l'avait transformé, tenant son rôle de tête couronnée à la perfection.
Une fois devant la foule, celle-ci se fait silencieuse. Quelques chuchots se propagent çà et là, mais ils sont tous dans l'expectative d'une annonce qui leur serait salutaire.
— Zoldello ! Planète au grand cœur et l'esprit généreux. Je suis ici pour te prévenir.
La princesse s'adresse directement à la planète elle-même. Comme si le peuple et elle faisaient partie d'un grand tout.
— Un tragique événement vient à nouveau ébranler notre famille Royale. Quelqu'un a trahit la couronne par le sang ! De viles entreprises visant à nouveau notre Royaume ! Le roi Gotbryde est mort, assassiné dans le Palais comme un vulgaire nuisible !
Les mots de la Lilas résonnent comme un coup de tonnerre dans le silence accablant de la foule. Un frisson d'horreur parcourt les rangs, provoquant des cris d'effroi et des murmures d'incrédulité. Les visages, marqués par la stupeur, se tournent les uns vers les autres, cherchant des réponses dans les yeux de leurs voisins. Certaines mains se posent instinctivement devant les bouches, des larmes commencent à perler aux coins des yeux. Les cœurs s'emballent, et l'air se charge d'une tension palpable, presque électrique.
La princesse marque une pause, observant l'impact de ses mots. L'émotion, à la fois collective et intime, parcourt son peuple comme une onde de choc, chaque individu semblant lutter pour comprendre la portée de cette nouvelle. Les murmures se transforment en un brouhaha désordonné, et des voix s'élèvent, mêlant chagrin et colère. Une mère étreint son enfant, une vieille femme s'effondre en larmes, et un homme, serrant les poings, lance des appels à la vengeance. L'ombre de la tragédie s'étend sur la foule, se mêlant à la chaleur écrasante du soleil, qui semble ignorer la douleur humaine qui se déploie sous ses rayons impassibles.
— Il est de mon devoir d'accomplir ma mission et de quitter Zoldello.
— Comment ça de quitter Zoldello ? clame un homme, sa voix résonnant au-dessus du murmure de l'attroupement.
À ces mots, une vague d'étonnement et de curiosité déferle dans la foule, les visages se tournant vers la princesse avec une inquiétude palpable. Cet homme a osé exprimer tout haut ce que chacun redoute en silence, et l'atmosphère s'alourdit d'une tension sourde. La nécessité d'une réponse se fait pressante, et Lilas, consciente des regards fixés sur elle, lève la main vers le ciel pour réclamer le silence.
— Mon père, feu le roi Gotbryde, m'a donné une mission. À moi, mais pas seulement. D'autres personnes engagés dans ce sacerdoce. De cet apostolat dépends l'Equilibre, celui-là même qui se trouve chamboulé depuis des siècles, provoquant partout des Éclipses meurtrières. Mais il existe un moyen d'y remédier et le Roi avait mis au point une mission, nommée Minden. Grâce à celle-ci, l'équilibre devrait pouvoir être rétabli, anéantissant le désordre et le Chaos. Mais pour pouvoir accomplir cette destinée, je dois faire preuve d'apostasie, et laisser Zoldello derrière moi.
À mesure qu'elle prononce ces mots, une onde de murmures agités parcourt la foule. Les visages se crispent, le choc de sa déclaration se mêle à la crainte grandissante d'un Royaume sans dirigeant. Des cris de désespoir et des questions s'élèvent, chacun craignant le vide laissé par l'absence de la princesse. Lilas, observant l'angoisse dans les yeux de son peuple, reprend la parole avec un ton qui se veut réconfortant, tentant d'apaiser les craintes tout en réaffirmant sa détermination.
— Peuple de Zoldello, soyez rassuré ! Jamais, je ne partirais sans vous laisser entre des mains dignes de confiance. C'est pourquoi sans doute aucun, je confis le trône à ma cousine, Saranthia D'Ultya.
À l'instant où le nom de Saranthia résonne dans l'air, une vague d'acclamations s'élève de la foule, emplissant l'espace d'une euphorie contagieuse. Des cris de joie et des applaudissements résonnent, et le peuple exhorte Saranthia à se présenter au balcon. Bien que je ne puisse les voir, l'enthousiasme palpable témoigne de la popularité indéniable de la nouvelle Reine. Il n'y a plus de doute : Lilas a pris la meilleure décision qui soit.
Finalement, Saranthia, attirée par le regard chaleureux de sa cousine, fait son entrée. À cet instant précis, un vacarme assourdissant emplit l'atmosphère, une clameur qui surpasse tout ce que je n'ai jamais entendu. Même le grondement des excavateurs de la mine d'Eltanin semble pâlir en comparaison. Alors qu'elle salue Zoldello avec une grâce innée, les cris de soutien et d'admiration fusent de toutes parts. Lilas se tourne vers nous, son sourire rayonnant de satisfaction. Elle sait maintenant qu'elle a offert à sa Maison, à son Royaume, et à sa Galaxie la meilleure des dirigeantes.
AU MEME MOMENT- DANS LA FOULE
Toujours camouflés sous leurs capes ténébreuses, Fiora et ses sbires viennent d'assister au discours de la princesse. Golt peste sous sa cape.
— La mission du roi ?
— Je n'arrive pas à croire que Saranthia est ici, s'étonne Drike.
Fiora remue la tête en guise de désapprobation.
— Ses parents, qu'ils brûlent en enfer, nous ont déjà causé assez de soucis comme ça. Il est hors de question que sa progéniture continue leur travail. Ni la princesse.
— On les tue ? suppose Bogz.
— Bien sûr qu'on les tue. Toutes les deux, et tout ce qui tournera autour. Je ne veux plus de couronne sur cette foutue planète verdâtre !
— On crève sous ses capes, on ne pourrait pas les retirer ? supplie Bogz.
— Bien sûr Bogz ! On pourrait aussi décliner notre identité ! Reproche-t-elle, agrémenté d'une tape derrière la tête.
Plus loin, au plein milieu de ce rassemblement, se trouve deux autres intrus, qui ne comprennent pas leur présence ici. Terre II leur paraît bien loin soudainement.
— C'est le moyen âge par ici... Des Reines, des rois, des trahisons, des Meurtres... moque Krane avec dédain.
— Ça m'a tout l'air d'être un endroit qui aurait besoin de se détendre.
Le sous-entendu d'un trafic sur la planète fait sourire Krane.
— Plus tard ma belle, plus tard... Pour le moment, on trouve la fille à la cicatrice. On récupère notre dû, et on repart sur Terre II. Le plus tôt sera le mieux... J'en peux plus de ces gueux qui sentent le fumier et la moisissure.
PALAIS DE ZOLDELLO - SALLE DU TRONE
Alors que la passation de pouvoir et l'annonce du départ de la princesse se sont déroulés sans encombre, Lilas et Saranthia se retrouvent dans la salle du Trône.
— Il est temps.
La princesse indique d'un geste de la main à sa cousine qu'elle doit aller prendre sa place.
— Tu es sûr ? hésite-t-elle.
— Certaine. Ce discours n'a fait que me convaincre de ta légitimité. Tu es adulée par la populace. Ils t'appellent déjà Saranthia la magnanime. Le trône t'attend.
Saranthia gravit les marches une à une, chaque pas résonnant comme un écho dans son cœur. La distance qui la sépare du trône semble minime, mais le poids de la responsabilité l'écrase déjà. Arrivée au sommet, elle s'assoit, un frisson la parcourant de la nuque jusqu'aux pieds, comme si le pouvoir lui-même pénétrait son être. Ses mains se crispent autour des accoudoirs, ses doigts se refermant dessus avec une tension presque désespérée. Les yeux fermés, elle respire profondément, tentant d'absorber la gravité de sa nouvelle position, de s'en imprégner. Lorsqu'elle les rouvre, c'est comme si un voile s'était levé : tout l'équipage du Piros se tient devant elle, solennel, les mains sur le cœur. Leur dévouement, leur foi en elle, sont aussi lourds que la couronne invisible qui pèse désormais sur ses épaules. Une couronne que ses parents auraient dû porter, si le destin n'en avait pas décidé autrement.
PALAIS ROYAL - LE SECRETOIRE
Une matinée forte en émotion se termine mais Zorth et Slikof sont sur le front. Il faut organiser le départ pour l'Askyr. De Xylis donne les consignes.
— Il faut qu'on parte d'ici la fin d'après-midi si nous voulons espérer y arriver pour la nuit.
— Combien de temps nous faut-il pour s'y rendre ? questionne Binny.
— Si nous prenons un véhicule, il faudra compter trois heures.
— Les routes sont sinueuses mais pas impraticables, précise Zorth en mimant des zig-zags avec sa main.
Slikof le remercie, amusé par cette précision négligeable, puis revient dans le vif du sujet.
— Il faut qu'on forme notre équipe.
— Je viens ! Mon père l'a bien signifié. L'œil doit être là.
De Xylis n'est pas ravi d'emmener la princesse en ces lieux incertains. Mais il n'a pas d'autre choix que de concéder à sa requête et celle du roi. C'est ce qu'il voulait.
— Très bien. Je serais également de la partie.
— Moi, je reste au palais. Saranthia aura besoin d'un conseiller, affirme Zorth, fière de reprendre son rôle au sein du Palais.
Bien évidemment, personne ne s'attendait à ce qu'il se propose pour l'aventure. Cependant, il a raison, son rôle n'aura jamais plus d'importance auprès de la couronne qu'aujourd'hui. La Reine Régente a besoin de son soutien.
— Qui d'autre ? interroge Le Fantôme de Zoldello.
Après un court débat, l'équipe finale est enfin constituée. J'accompagnerai la princesse, Kylburt, Guitry, Lofy et Slikoff jusqu'au Mont D'Opaly, dans les Askyrs.
ZOLDELLO - SUR LE CHEMIN DES ASKYRS
Une fois les décisions prises et les consignes transmises, chacun se prépare pour le départ. Nous entamons alors une épopée incroyable. Du moins, pour moi, ça l'est. Ayant vécu sur un caillou peuplé de quelques herbes solitaires se battant pour leur survie, tout me semble majestueux. Les chemins que nous empruntons sont luxuriants. Tantôt arborés, tantôt ornés de fleurs. D'immenses terrains agricoles multicolores sublime un paysage déjà pittoresque. Mon front collé à la vitre, je me laisse emporter par l'exaltation du moment. Soudain, une main se pose sur mon épaule, me tirant de mes rêveries.
— Vous êtes toujours avec nous ?
C'est Lilas, assise juste à côté de moi.
— Oui. Je rêvassais. Votre planète est magnifique.
Ma réponse semble flatter la Reine qui sommeille en elle. Le soleil rasant rend le spectacle d'autant plus sensationnel. Les reflets de ses rayons ricochent sur les multiples étendues d'eau qui peuplent les montagnes.
Le voyage se poursuit alors que la nuit tombe, et les routes deviennent enneigées, pentues et périlleuses. Praticables , avait dit Zorth. Ça se voit qu'il n'est pas ici... Enfin, nous atteignons le sommet du Mont Opaly, la plus haute montagne de la planète Zoldello, baignée par la lueur claire de la lune, comme l'avait indiqué le roi.
La nuit est claire, la pâleur de l'astre guidant nos pas.
— On va où exactement ? questionne Lofy.
— Au bout du chemin, répond Slikof sans plus de détails.
Guitry ne peut s'empêcher d'en rire ouvertement.
— Super... C'est très précis. Merci l'Oiseau !
Kylburt lâche un petit rire étouffé.
— Qu'est-ce qu'il se trouve au bout ?
La commissaire ne se décourage pas, elle compte bien obtenir une réponse.
— Les stèles.
Tout le monde cogite. Des stèles ? Quelles stèles ? Pourquoi L'Oiseau de nuit ne nous explique rien ?
Lorsque nous arrivons au bout du chemin, tout le monde devine de quoi il était question. Recouvertes de neige, nous nous tenons devant les deux tombes des parents de Saranthia. Lilas s'avancent pour se positionner juste devant, les mains croisés et la tête abaissé, comme un salut respectueux.
— Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas venue...
— Leurs corps sont ici ? enquête Guitry dans la plus grande indiscrétion.
— Non, il n'y a pas de corps. Personne ne les a jamais retrouvés, clarifie Slikof sur un ton désespéré.
Le groupe honore un moment de silence en gage de respect pour la Lilas et sa famille. Slikof, tendu, furète un peu partout, tout autour de nous. Il cherche quelque chose, mais ne sais pas de quoi il faut se méfier, ni d'où la menace pourrait émerger... La princesse, elle, joue avec son bijou entre ses doigts. Certainement soucieuse. Je l'observe avec attention et je remarque que sa bague émet une faible lumière.
Comme le reste du groupe, je reste à l'affût et scrute les environs. Lorsque mon regard se pose sur Guitry, je constate qu'il semble en alerte. Je décide donc de m'approcher de lui pour m'assurer que tout va bien.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— J'ai entendu quelque chose, chuchote-t-il rapidement.
Avant que je puisse répondre, un coup de feu retentit, brutal et perçant, et il s'effondre dans la neige immaculé de blanc.
— GUITRY !
Mon cri déchire le silence des hauteurs des Askyrs, et l'écho amplifie la terreur qui m'envahit, comme un frisson glacé parcourant ma colonne vertébrale. Sans réfléchir, je me jette dans sa direction alors que les tirs fusent de tous les côtés. Slikof, conscient du danger, saisit la princesse pour la mettre à l'abri, ordonnant au reste du groupe de faire de même.
Je m'agenouille près de Guitry, la neige se teintant lentement à certains endroits sous le liquide blanchâtre qui s'échappe de lui, un triste reflet de la violence du drame qui se déroule sous mes yeux. Je tourne doucement sa tête vers moi, mes mains s'imbibant de cette étrange substance, plus translucide que je ne l'avais imaginé.
— Merde... Kyb...
Il crachote son sang, ses yeux rencontrant les miens, pleins de douleur mais aussi de détermination. Je le regarde, impuissante. Malgré la souffrance, Guitry me sourit, ayant pleinement conscience que sa blessure est fatale. Il se vide littéralement sous mes yeux et tente tant bien que mal de faire bonne figure.
—T'inquiètes, ça va le faire, rassure-t-il.
— Tais-toi espèce d'idiot...
Les larmes ruissellent abondamment sur mes joues, mêlant souffrances et désespoir. Avec le peu de force qui lui reste, il m'attrape par le col, ses doigts tremblants mais fermes, et me supplie :
— Dégage de là. C'est fini pour moi. Il est hors de question qu'aucun de nous deux ne sauve pas l'univers !
Faisant non de la tête frénétiquement, je ne veux rien entendre de plus. Je ne peux pas l'accepter. Je ne partirais pas sans lui. C'est impensable ! Inenvisageable !
— Je... Je ne peux pas... Sans toi, ma voix se brise, noyée sous les larmes.
Les mots s'accrochent à ma gorge, l'articulation se fait difficile, à peine audibles. Une balle s'enfonce dans la neige à deux centimètres de mon pied et le trou béant qu'elle laisse derrière elle me montre la puissance des armes utilisées. Lorsque je pose à nouveau mes yeux sur Guitry, les siens sont grands ouverts, en direction de la lune, livides, inexpressifs, sans vie, un léger sourire toujours accrocher à ses lèvres.
Je le relève et serre son corps contre moi, le reniflant de toutes mes forces. Je veux m'imprégner de lui une dernière fois. Un adieu froid et soudain dans un lieu rempli de tombes inoccupées. Comment continuer après ça ?
Une voix tonitruante me hurle dessus au loin.
— KYBOP !
C'est Slikof, qui n'attend plus que moi pour s'échapper de l'embuscade. Je repense au reste du groupe et part en direction de notre dérobade. Je cours dans la neige à travers les balles qui sifflent dans mes oreilles, abandonnant derrière moi la seule famille que je n'aie jamais connue... À mesure que je m'éloigne mon cœur se déchire. C'est insupportable.
Je suis en mode automatique, je ne jette même pas un dernier coup d'œil derrière moi avant de m'engouffrer dans le véhicule dans lequel j'entre avec fracas. Sans même fermer la portière, Slikof met le pied au plancher. Je constate que le groupe a réussi à se soustraire de la menace. Mon regard s'enfonce dans le néant, comme si mon corps était devenu une coquille vide, tanguant au rythme chaotique des imperfections de la route, tel un radeau perdu dans une mer houleuse.
Pendant que nous roulons sur la crête, un rayon de lune pénètre à travers la vitre et celui-ci vient s'échouer contre la bague de la Lilas. L'Œil. Cette rencontre inopinée provoque un rayonnement incroyable dans l'habitacle. Tout le monde observe alors la projection que le bijou vient de produire à travers le ciel. Un spectacle à la fois beau et tragique, rappelant que même dans la douleur, l'espoir peut encore briller.
— C'est... Une carte ! comprend Slikof.
— Comment ça ? Que voulez-vous dire Slikof ? sonde Lilas.
— C'est une carte de l'univers !
Nous roulons assez rapidement, ce qui provoque un peu de chahut. Je comprends que c'est le rayon de la lune qui provoque cette réaction. Toujours en état de fonctionnement machinal, je saisis la main de la princesse sans aucune délicatesse, pour la stabiliser fermement. Elle ne cache pas sa surprise devant ma rudesse, mais se laisse faire et reprend son interrogatoire.
— Et alors ? Il y a quelque chose à voir dessus ? insiste-t-elle.
— Il y a une marque jaune ! De Xylis fronce les sourcils, répétant les paroles de l'Oracle, À travers l'œil s'en vient le chemin , ce sont les paroles de l'Oracle, princesse, souvenez-vous ! Je connais cet endroit. C'est Kapu.
— Jamais entendu parler, ajoute Lilas.
— Cela ne m'étonne pas. C'est très loin... Je crois que nous avons un nouvel objectif.
Personne n'ose se réjouir. Les regards se posent tour à tour sur moi, vérifiant que je ne suis pas en train de m'effondrer totalement. Je n'ai plus prononcé un mot depuis notre fuite. Incapable de me remettre de cette perte aussi brutale que violente. Ma main, toujours agrippée à celle de Lilas, s'est lentement abaissée pour retomber sur ma cuisse. Elle ne l'a pas retirée, resserrant ses doigts sur les miens, mais je ne ressens aucune consolation. Rien ne le pourrait...
Je me remémore cette promesse silencieuse que je m'étais faite : Je protègerai Guitry . Pourquoi ai-je toujours ressenti ce besoin, comme si quelqu'un devait veiller sur lui ? Qui d'autre, sinon moi ?
À cet instant précis, un nouvel engagement éclot de chaque cellule de mon corps.
Je tuerai ceux qui t'ont fait ça, mon frère.
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