LA DYNASTIE IKER (Partie 2)
VAISSEAU DE FIORA - EN APPROCHE D'EBREDES
Golt est contrariée. Elle ne comprend pas vraiment les manœuvres de Zorth et de son groupe.
Pourquoi effectuer un détour si près de leur objectif ?
L'incertitude grandit en elle, s'insinuant dans chaque pensée. L'absence de Drike à ses côtés pèse lourd, tandis que la présence de Lozy Lane et Tiger Stern ne lui inspire guère confiance. Ces deux-là, complétement imprévisibles et violents, ne font qu'ajouter à son malaise et amplifient son stress.
Elle a tenté, à plusieurs reprises, d'entrer en contact avec Drike, mais celui-ci reste sourd à ses appels. Son silence obstiné la rend folle de rage, une colère sourde qui bouillonne sous la surface, menaçant de lui faire perdre son sang froid à tout moment.
Ses deux acolytes par défaut sont revenus dans le cockpit et observent Ebredès depuis la troposphère, le vaisseau maintenu en vol stationnaire.
— On peut savoir ce qu'ils foutent là ? interroge Lozy, la bouche pleine d'une sorte de brioche.
— Comment le saurais-je ? bougonne Fiora, le regard glacial.
Lozy lui adresse un sourire malicieux avant de se tourner vers Tiger.
— On reste là ou on y va ?
— Ils n'ont toujours pas capté qu'on les suit. Ce serait une belle occasion de les prendre par surprise, répond Tiger avec un sourire fier.
Fiora ne prête pas attention à l'échange. Au même moment, son visiocommunicateur vibre : un appel de Drike. Son cœur rate un battement, mais elle masque son émotion en se levant précipitamment. Elle quitte la pièce d'un pas rapide, révélant une certaine urgence dans ses gestes.
Une fois à l'abri des oreilles indiscrètes, elle décroche, non sans impatience. Un sourire de satisfaction éclaire son visage. Elle n'aurait jamais cru que voir ce nom s'afficher à l'écran puisse lui apporter un tel réconfort.
— Drike ! Qu'est-ce que tu fous ? Pourquoi tu ne réponds jamais à mes appels ? reproche-t-elle d'un ton mesuré, mais chargé de tension.
— Je suis toujours sur Zoldello. Au palais, répond-il avec une froideur palpable.
— Et quand comptes-tu me rejoindre ? Je suis seule avec ces deux abrutis !
Un silence pesant s'installe. Le ton agacé de Fiora semble glisser sur Drike, comme si son autorité n'avait plus aucune emprise sur lui. Cette prise de conscience lui serre la poitrine : elle n'impressionne plus.
— Le saviez-vous ? finit-il par lancer, brisant le silence d'une voix lourde de sous-entendus.
Fiora déglutit, prise au dépourvu. Elle sait que Drike n'appréciera pas la vérité. Et elle a bien trop besoin de lui pour risquer d'être franche. Après tout, que pourrait bien changer cette révélation ? Bogz est mort, et cela devrait suffire.
— De quoi parles-tu, Drike ? Tu crois vraiment que j'ai le temps de jouer aux devinettes avec toi ? rétorque-t-elle, la colère montant en elle.
Son ton trahit un mélange de rage et de frustration, mais elle espère que cela suffira à masquer son malaise. De son côté, Drike laisse les secondes s'étirer, remplissant le silence de ses propres réflexions. Il ne semble pas remettre en question la réponse de sa patronne. Finalement, il reprend la conversation comme si de rien n'était.
— Et vous êtes où actuellement ? Je peux vous rejoindre, assure-t-il d'une voix empreinte de détermination.
Fiora ferme les yeux, soufflant discrètement son soulagement pour ne pas se faire entendre.
— On est au-dessus d'Ebrédès. Ils ont fait un détour sur cette planète, que je pensais ne jamais revoir, avoue-t-elle, ses mots teintés de souvenirs lointains.
— Très bien, je pars immédiatement. Je vais demander à Andras de me fournir un vaisseau Tucanien, comme ça j'arriverai plus rapidement.
— Je ne sais pas si tu arriveras à temps, mais peut-être pourras-tu me rejoindre sur Kapu. Grouille-toi ! termine Fiora en raccrochant.
Une fois la communication terminée, Golt laisse enfin la tension dans son dos et ses épaules se relâcher, s'appuyant contre le mur métallique et froid du vaisseau. Se croyant seule, Fiora sursaute violemment lorsqu'une voix familière brise le silence.
— C'était ton toutou ? Il a enfin décroché ? Lozy sourit, son épaule appuyée contre le mur, un air moqueur dans le regard.
Fiora se redresse instantanément, son visage se fermant en une expression froide. Pas question de lui montrer la moindre vulnérabilité. Elle déteste Lozy, profondément. Et le fait qu'elle surgisse ainsi, comme une mouche indésirable, furetant autour d'elle avec une curiosité malveillante, ne fait qu'alimenter la haine viscérale qu'elle ressent envers elle. Fiora n'a pas l'intention de se laisser impressionner aussi facilement et décide de répondre à son jeu malsain. Un sourire condescendant se dessine sur ses lèvres, puis elle s'approche, jusqu'à ce que leur visage soit presque collé. Ses yeux dorés se glissent dans ceux de Lozy, perçant ses prunelles couleur café avec une insidieuse détermination. Sa voix, basse et pleine de défi, résonne alors :
— Que ce soit bien clair entre nous : je ne vous dois aucune explication sur aucun de mes faits et gestes, répète-t-elle lentement, comme pour marteler ses paroles. De plus, vous semblez ne pas avoir compris que vous ne travaillez pas avec moi, mais pour moi, insiste-t-elle en articulant avec une précision mécanique.
Lozy ne se démonte pas et lui offre un ricanement qui sent la provocation.
— Du calme, le demi-dieu. Je ne cherche pas la bagarre, c'est juste une mauvaise habitude, répond-elle avec un amusement malsain. J'aime bien observer ce qu'il se passe autour de moi.
Fiora serre la mâchoire, les poings crispés, mais garde le silence. Un regard glacé échangé avec Lozy, lourd d'animosité, est suffisant pour couper court à toute tentative de discussion. Elle pivote brusquement, et retourne d'un pas vif dans le cockpit. Elle frôle Lozy d'une manière presque provocante, la surplombant sans effort d'une dizaine de centimètres.
Dans la salle de commande, Fiora ne prend même pas la peine de s'asseoir. Elle se plante devant le tableau de contrôle, la voix tranchante, froide comme l'acier.
— Ne perdons pas de temps avec un plan inutile, ordonne-t-elle. Le temps qu'on en parle, ils auront déjà pris la fuite. Saisissons cette occasion avant qu'elle ne disparaisse.
Tiger laisse échapper un sourire, celui d'un prédateur qui sent l'odeur du danger. Ses yeux brillent d'une lueur que l'on peine à qualifier, mais qui ne laisse aucun doute sur son enthousiasme à l'idée de se jeter dans l'inconnu. L'idée d'affronter ce groupe de missionnaires, sans aucune préparation, l'attire comme une proie facile.
EBREDES - PIROS - SALLE PRINCIPALE
Lorsque j'entre dans la salle principale du vaisseau, Zorth se tient debout, le dos droit, encadré par Slikof et Kylburt. Ses deux gardes du corps, immobiles et impassibles, semblent figés, comme des statues, attendant que l'équipage prenne place pour permettre à Zorth de s'exprimer.
Sylice est, bien entendu, la première sur place. Elle n'a même pas quitté le vaisseau, toujours en blouse blanche, un tas de papiers à la main – sûrement des études ou des résultats tirés de ses innombrables recherches sur l'Œil de la princesse Tyra. Installée sur l'un des hauts tabourets du bar, elle reste en retrait, observant tout depuis son perchoir.
Non loin, Milo attire mon attention. Depuis notre arrivée sur Ébrédès, il s'était fait discret, mais le voilà tout pimpant. Rasé de près, les cheveux soigneusement coiffés en arrière – je le soupçonne même d'avoir mis du gel. Sa fleur blanche habituelle orne toujours son veston, comme s'il était encore en service. Debout, les mains croisées devant lui, il arbore une posture presque solennelle, prêt à écouter attentivement ce que Kydine a à nous révéler.
La porte s'ouvre derrière moi, laissant entrer Brizbi. Je lui lance un regard furtif, encore un peu gênée par ce qu'il s'est passé devant le mur. Une vague de souvenirs traverse mon esprit avant que je ne me force à me reconcentrer sur les autres. Elle s'assoit sur le canapé sans m'accorder d'attention particulière.
Puis vient Fyguie, tout sourire, accompagné des enfants de la famille Ristoc. Leur bonne humeur est contagieuse. Ils affichent des visages radieux, comme des enfants qui rentrent d'une sortie pleine de rires et de bons moments. Les têtes roses se dispersent joyeusement dans la pièce, tandis que Fyguie, en m'apercevant, se dépêche de venir s'installer à mes côtés.
— Alors ? Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-il, visiblement impatient.
— Je n'en sais rien. Il attend que tout le monde soit là, je suppose, dis-je en lui ébouriffant les cheveux.
Un glissement de porte attire notre attention. D'autres membres de l'équipage arrivent. Derrière la carrure imposante du Capitaine, qui entre en fanfare comme à son habitude, apparaît Tamy. Les bras chargés de sachets d'aliments lyophilisés, elle traverse la pièce pour les déposer derrière le comptoir du bar. Une fois sa tâche accomplie, elle s'installe à côté de Sylice, qui reste plongée dans ses papiers, totalement absorbée par ses recherches.
Dogast, toujours rapide et efficace, prend place autour de la table centrale, quelques chaises plus loin que la mienne. Puis, l'ambiance change subtilement avec l'entrée de la famille royale. Hyldon, Tyra et Lilas apparaissent ensemble, leur prestance attirant immédiatement tous les regards.
Je détourne les yeux dès que je vois Lilas. Pas question de croiser son regard, pas maintenant. Le goût amer de la trahison me serre encore la gorge, et je refuse de lui accorder ne serait-ce qu'une seconde de mon attention. Pourtant, malgré mes efforts pour l'éviter, elle s'assoit à ma droite, sa proximité m'électrisant d'un mélange de colère et de malaise.
Fyguie, assis à ma gauche, me donne un coup de pied léger sous la table pour capter mon attention et m'indiquer la présence de Lilas à mes côtés. Comme si j'avais pu ignorer sa présence. Je lui lance un regard noir, espérant qu'il comprenne le message : un peu plus de discrétion ne ferait pas de mal.
Il ne manque plus qu'Houda et Saranthia, qui font une entrée fracassante. Dès qu'elles franchissent la porte, un silence s'installe dans la salle. Tous les regards se tournent vers elles, et personne ne peut ignorer les dégâts.
Saranthia, malgré ses efforts apparents pour se débarrasser de la boue, porte encore les traces évidentes d'un combat perdu contre les éléments. Ses vêtements sont parsemés de plaques de terre séchée, presque incrustées dans le tissu. Pourtant, sa veste, d'une propreté irréprochable, dénote étrangement avec son allure générale. Un rapide coup d'œil m'éclaire : elle porte celle d'Houda.
Les murmures s'élèvent doucement dans la pièce. Certains, amusés, échangent des regards complices. D'autres, visiblement perplexes, froncent les sourcils en essayant de deviner ce qui a bien pu se passer. Moi-même, je ne peux m'empêcher de me poser la question. Mais Saranthia, imperturbable, ne laisse rien transparaître. Son visage reste impassible, presque royal.
Avec une prestance qui contraste nettement avec son allure défraîchie, elle avance d'un pas assuré jusqu'à la table. Là, elle prend place face à Lilas et à ses parents. Un bref échange de regards s'établit entre eux, chargé d'une tension invisible. Puis, sans un mot, Saranthia invite Houda à s'asseoir à ses côtés d'un simple geste de la main.
Une fois que le dernier grincement de chaise s'est éteint, Zorth s'éclaircit la gorge, levant élégamment un poing devant sa bouche dans un geste mesuré.
— Bien. Puisque nous voilà tous réunis, il m'est désormais permis de vous faire part d'une révélation singulière, déclara-t-il d'un ton empreint de circonspection. Comme vous le savez, je me suis enquis d'un rendez-vous, soigneusement consigné sur ce billet, et y ai fait la rencontre d'une dame. Mais point une dame ordinaire, non, une figure éminente de la confrérie. J'ai eu l'insigne privilège d'échanger avec elle sur des sujets d'importance capitale, liés à la Prophétie.
À ces mots, les réactions ne se font pas attendre. Les regards se tournent vers Zorth, et les oreilles deviennent plus attentives. Quelques chuchotements trahissent un nouvel intérêt pour son discours, et je n'échappe pas à la règle. Au milieu de cette effervescence, je prends soudain conscience que, moi aussi, j'ai des révélations à faire... à Fyguie. Mais le temps m'a manqué pour m'y atteler avec tout ce tumulte.
— Toutefois, pour faire montre de la plus grande transparence, je m'en voudrais de ne point céder la parole à ladite personne. Ainsi, vous serez à même de lui adresser toutes les interrogations que votre esprit jugera pertinentes, ajouta-t-il, non sans esquisser un léger sourire en coin.
À cet instant précis, la porte de la salle principale glisse une dernière fois dans un murmure métallique. Une femme, grande et élancée, fait son entrée. Son élégance n'a rien à envier à la famille d'Ultya, mais son apparence est bien plus sombre que celle de cette famille aux cheveux couleur de soleil. Son teint, d'une blancheur laiteuse, accentue encore davantage le contraste avec sa chevelure d'un noir profond.
Elle avance en direction de Zorth, ses yeux rivés sur lui comme si elle portait des œillères. Elle est vêtue d'une longue robe fluide, d'un beige sobre, ornée de broderies noires représentant le feuillage des grands arbres que j'ai pu croiser de l'autre côté du mur. Lorsqu'elle atteint la hauteur de Kydine, elle se tourne vers l'assemblée, révélant à tous des yeux d'un bleu perçant.
C'est une femme aux traits fins et délicats, bien que quelques rides marquent son visage. Pourtant, quelque chose dans son apparence semble déjouer son âge réel. Ses cheveux, laissés libres, tombent en une cascade lisse jusqu'au milieu de son dos, semblables à une flaque de pétrole miroitant.
Alors, dans un geste empreint de sérénité, elle joint les mains devant elle et s'apprête à prendre la parole.
— Bonjour à tous, annonce-t-elle d'une voix douce, presque apaisante. Je vous remercie de m'accueillir parmi vous. Je mesure tout ce que vous avez dû traverser pour parvenir jusqu'ici, et la confrérie vous en est profondément reconnaissante.
Elle marque une pause, ses yeux parcourant rapidement l'assemblée. Lorsqu'ils se posent sur moi, une lueur de stupeur traverse son regard. Elle cligne des paupières, referme les yeux un instant, déglutit avec difficulté, puis reprend son discours.
— Si je suis ici aujourd'hui, c'est parce que je sais à quel point vos esprits sont emplis de questions et d'incertitudes, déclare-t-elle avec une compassion palpable. Je dois avouer que je n'ai pas toutes les réponses, mais grâce à un vieil ami, je détiens une grande partie des clés concernant la prophétie de l'Équilibre.
Elle inspire profondément, son ton devenant plus grave, presque tranchant.
— Au-delà des informations capitales que je peux vous transmettre, je suis également venue vous mettre en garde.
Son regard se tourne alors vers Lilas, chargé de gravité.
— J'ai eu vent d'un péril imminent qui menace la couronne d'Ultya, et je dois vous demander... de ne pas honorer vos noces, Princesse Lilas d'Ultya.
Lilas fronce les sourcils avant d'échanger un regard avec Saranthia.
— Pourquoi dites-vous cela ? interroge Lilas, l'inquiétude perçant dans sa voix.
— Qui que soit votre prétendant, il n'est pas celui qu'il prétend être, répond la femme aux cheveux sombres.
— Que voulez-vous dire ? demande Saranthia, visiblement intriguée.
— Il affirme être un représentant de la famille Iker, explique-t-elle, mais il n'en est rien. Il s'agit d'une usurpation. Tout porte à croire que cela fait partie d'un plan orchestré par les Golts pour accéder au trône. Qui qu'il soit, ce jeune homme n'est ni un sang-rouge, ni un véritable représentant de la couronne d'Ebrédes.
— Et vous alors, qui êtes-vous ? ose demander Houda.
La question, aussi directe qu'inattendue, provoque un échange de regards entre la femme et Zorth. Elle semble hésiter, visiblement troublée. Zorth, quant à lui, paraît tout aussi appréhensif. Finalement, Kydine lui offre un soutien discret, posant une main rassurante dans son dos, accompagné d'un sourire encourageant qui l'invite à se présenter.
— Je suis Alida Iker. Anciennement reine de ce royaume déchu, annonce-t-elle avec une pudeur mêlée de gravité.
C'est étrange. Son aveu ne me surprend pas. C'est comme si, dès l'instant où elle avait franchi la porte, je l'avais su. Cette femme me ressemble tellement, à moi et à mon frère. La voir traverser la pièce m'a donné l'impression de revoir quelqu'un que je connaissais, mais dont l'image s'était estompée avec le temps. Une sensation troublante de déjà-vu.
Lorsque son annonce cesse de résonner, un souvenir émerge dans mon esprit : cette femme correspond exactement à la description que m'avait faite Gano Chimli, mais comme figée vingt-cinq années en arrière. Mon regard se perd un instant dans la pièce jusqu'à croiser celui de Brizbi. Dans ses yeux, je lis une inquiétude palpable, comme si elle cherchait à s'assurer que je tenais le coup.
Alors que mon esprit continue de s'égarer dans cette étrange révélation – face à celle qui nous a mis au monde – les voix reprennent, et les questions fusent à nouveau.
— Vous avez mentionné un vieil ami, questionne Binny, sa voix éclatante de curiosité. Un vieil ami qui vous aurait aidée avec la prophétie. De qui s'agit-il ?
Alida esquisse un bref sourire, teinté de nostalgie, comme si évoquer cet ami ravivait un souvenir précieux et douloureux.
— Un homme qui a consacré sa vie entière à retranscrire les textes, les analyser, recouper des faits tangibles pour tenter d'en extraire une compréhension accessible, répond-elle, un soupçon de regret dans la voix. Aujourd'hui, comme vous l'imaginez, il n'est plus de ce monde.
Elle marque une pause, son regard se perdant dans le vide, avant de poursuivre avec gravité :
— Mais il a offert son existence entière à cette cause, jusqu'à en perdre la vie. Waldo aurait été ravi de voir que votre mission est parvenue aussi loin aujourd'hui.
— Waldo ?! interrompt le Prince Hyldon, avançant d'un pas, la fureur brûlant dans sa voix. Waldo Golt ?
— Oui, répond Alida avec étonnement. Le connaissiez-vous ?
— Cet homme a ruiné notre famille ! reprend-il avec une colère froide et implacable. Comment osez-vous parler de lui en ces termes ?
Alida semble déstabilisée, ne comprenant pas comment Waldo pourrait être responsable d'un tel mal.
— Je suis désolée d'entendre une telle nouvelle... Non pas que je remette votre parole en doute, mais êtes-vous certain de ce que vous avancez ? demande-t-elle faiblement, comme cherchant à réconcilier les deux vérités qui s'opposent.
— Il nous a enfermés, moi et ma femme, hurle-t-il en désignant Tyla d'un geste violent de la main, pendant vingt ans ! Vingt années, dans les tréfonds de la planète Golton II ! Comment pouvez-vous le présenter comme un fervent défenseur de la cause ?
Une tension glaciale s'installe dans la pièce. Je les observe : le Prince Hyldon, imposant dans sa stature, reste droit, une main toujours tendue vers la Princesse Tyra, et Alida, l'ex-reine déchue, qui semble hésiter, comme si elle redoutait d'aggraver davantage la situation. La sensation d'assister à une pièce de théâtre dramatique me traverse un instant, puis la scène reprend.
Plus modérée que son mari, Tyra s'avance alors pour prendre la parole et dénouer ce nœud qui vient de se former entre ces deux royaumes cousins.
— Excusez mon mari pour son emportement et la vive colère qui l'anime, annonce-t-elle en posant une main apaisante sur l'épaule d'Hyldon. Il faut dire que notre vie a été bouleversée lorsque cet homme nous a emmenés avec lui. Je reconnais qu'il ne nous a jamais fait de mal de manière directe, et qu'il n'a pas eu le temps de nous convaincre de la possible bienveillance de ses actes, mais le mal est fait. Il n'aurait jamais dû agir de cette façon. Si ses intentions étaient nobles, nous pouvons aisément supposer qu'il a commis une erreur, conclu Tyra dans la douceur.
Alors qu'Alida Iker fait une révérence pour remercier Tyra de son geste, Saranthia se lève pour prendre la parole à son tour.
— Votre ami Waldo a fait éclater ma famille, gronde-t-elle entre ses dents. Pourquoi aurait-il agi ainsi si ses intentions étaient vraiment de venir en aide aux Sang-Rouges ? Et puis, pourquoi un Golt ferait-il cela ? Ne sont-ils pas nos ennemies ?
— Je ne sais pas pourquoi il a agi ainsi, regrette Alida dans un souffle. Mais je peux vous assurer qu'il n'a jamais cherché à nuire à la famille Iker. Loin de là. Si Waldo n'avait pas été là, je n'aurais jamais pu fuir du château. Je ne serais pas devant vous aujourd'hui pour vous en parler.
À mesure que leurs paroles s'écoulent dans mes oreilles, une colère sourde me parcourt l'échine. Cette femme, ma mère de sang, se trouve juste devant moi. Elle croit sans doute que j'ignore qui elle est, mais je connais la vérité, et cela me déchire le cœur. Une envie folle de me lever et de hurler les questions qui me brûlent les lèvres depuis son entrée dans la pièce me submerge. Mais ces interrogations mériteraient une conversation en privé, à huis clos, comme lorsque Saranthia s'est entretenue avec ses parents revenus des tréfonds. J'ai besoin de savoir pourquoi elle ne nous a pas protégés autrement, pourquoi Fyguie et moi avons été séparés.
Le savait-elle ?
Était-ce sa volonté ou simplement le destin qui s'est joué de nous ?
A-t-elle cherché à nous contacter ?
Savait-elle où nous nous trouvions pendant tout ce temps ?
Mon esprit est en surchauffe, mes émotions débordent. Tandis que les autres membres de l'équipage s'inquiètent des intentions qu'avait pu avoir Waldo envers les Sang-Rouges, c'est un tout autre combat qui se joue dans ma tête. Une envie irrépressible de la mettre dans l'embarras m'envahit. J'ai besoin qu'elle avoue certains éléments de notre histoire, qu'elle les sorte directement de sa bouche. Je brise le tumulte des échanges qui se déroulent devant moi en me levant soudainement, attirant tous les regards.
— Si Andras Iker n'est pas de votre famille, et donc, en aucun cas votre descendance, est-ce qu'il ne reste plus que vous ? demandé-je, la voix tremblante de colère et d'attentes inavouées.
Ses yeux croisent les miens, et son visage se ferme dans une espèce de tristesse mélant sa culpabilité et ses regrets. Je distingue clairement ses yeux bleus qui se remplisse de larmes qu'elle ne s'autorisera pas à laisser couler. Fyguie, toujours assis sur sa chaise, me regarde, les sourcils froncés. Il n'est pas dupe, il sent bien que quelque chose m'habite, mais il n'arrive pas mettre le doigt dessus. Après tout, ma question est hors sujet, en quoi la descendance des Iker pourrait avoir un lien avec la mission. L'expression d'incompréhension sur le visage de mon frère, se transforme peu à peu en une inquiétude profonde. Il attrape discrétement ma manche pour attiré mon attention, mais je refuse d'interrompre cet instant, je veux une réponse spontannée de la part d'Alida. Je ne veux pas qu'une distraction intempestive lui permette de réfléchir à ce qu'elle va dire.
— Répondez ! crié-je en tapant du poing sur la table, surprenant toute la pièce.
— Non. Je ne suis pas la dernière de la lignée, avoue-t-elle en retenant un sanglot.
À cet instant, elle sait que je suis au courant. Je peux le lire dans ses yeux, et elle peut le lire dans les miens. Cette simple réponse, cet aveu clairement exprimé, atténue légèrement ma colère. Juste assez pour que mes épaules se relâchent doucement. Peu disposée à écouter la suite de leur conversation, je saisis Fyguie par le col et lui ordonne de me suivre. Zorth et les autres nous observent partir, l'incompréhension visible sur leurs visages. Alida, consciente de ce qui se joue sous ses yeux, entrelace nerveusement ses doigts sur le tissu de sa robe. Kydine, qui comprend la délicatesse du moment et du mystère qui pèse sur l'équipage, décide de prendre la parole pour alléger le poids qui alourdit les épaules d'Alida Iker.
— Si vous en aviez l'amabilité, nous pourrions poursuivre cette conversation plus tard, annonce-t-il d'un sourire qui tranche avec la lourde atmosphère qui imprègne la pièce. Il serait peut-être plus sage de ne point trop s'attarder sur Ébrédes, je vous prie de m'excuser si cela vous semble impoli, très chère, dit-il à Alida d'un ton empreint d'une extrême considération. Nous devons partir.
PIROS - DANS UN COULOIR
Fyguie m'a suivie hors de la salle principale, presque par contrainte, tiré par le col, comme un enfant qu'on voudrait réprimander. Une fois éloignés des oreilles indiscrètes, je m'arrête, me poste face à lui. L'instant est suspendu, et je réalise que je ne sais même pas par où commencer. Le poids de la vérité m'étouffe, mais il le faut, il doit savoir. Finalement, sans un mot, il attrape mes mains dans les siennes, comme une ancre dans la tempête qui se déchaîne en moi. D'un geste apaisant, il m'invite à respirer profondément, et je le fais, espérant que cet air frais me donnera la force de tout lui dire.
— Fygs... Pendant que vous vous amusiez avec les Ristocs à Kereskedo, je suis allée faire un tour, de l'autre côté du mur, avoué-je, impatiente d'en venir au fait. Brizbi m'a suivie, ne me demande pas pourquoi, elle est toujours partante pour des aventures douteuses.
Il esquisse un sourire, peut-être amusé à l'idée de m'imaginer escalader des murs en compagnie de Brizbi, qu'il considère sans doute comme une pirate ou quelque autre malfrat.
— Nous avons traversé une immense forêt, jusqu'à un petit village abandonné, tout recouvert de neige. Là-bas, nous avons rencontré un certain Gano Chimli, et il nous a raconté une histoire. Notre histoire.
Je le vois se tendre, ses yeux se fixent sur moi avec une intensité nouvelle, comme si chaque mot que je prononçais faisait résonner quelque chose de profond en lui. Il ne m'interrompt pas, laissant mes paroles se dérouler, préférant me laisser trouver mon rythme.
— Il a dit que vingt-cinq ans auparavant, une femme était venue abandonner deux enfants dans sa pouponnière. Et il était certain que cette femme était la Reine du Royaume d'Ebrédes : Alida Iker, soufflé-je, le cœur battant. Mais elle a dit un autre nom...
— Flokart... me coupe-t-il, comme si cela allait de soi.
— Exactement. Un nom qu'elle a piocher au hasard dans la rue, sur la devanture d'un magasin de bougies.
Attendant une réaction de sa part, je ne rajoute rien de plus. Ses mains, toujours dans les miennes, se relâchent légèrement. À travers ses lunettes, je devine à quel point il est bouleversé par cette révélation. Pas certaine qu'il mesure pleinement l'ampleur de ce que cela implique, je resserre un peu ma prise sur ses doigts pour le ramener à la réalité.
— Ça veut dire que cette femme, c'est notre mère ? finit-il par souffler, incrédule.
— Ça veut surtout dire qu'on est les descendants d'une famille royale, et que cette femme nous a abandonnés, rétorqué-je, une colère noire m'envahissant.
De son côté, il ne semble pas aussi en colère que moi. Et ça, ça me met encore plus en rogne. J'ai envie, non, j'ai besoin qu'il ressente la même rage que moi.
— Kyb... Tu m'offres là une bribe de notre histoire, mais avant de t'emporter, peut-être qu'il serait plus sage de rassembler toutes les pièces du puzzle. Sait-elle qui nous sommes ? me demande-t-il, toujours aussi posé.
— Bien sûr qu'elle le sait, je l'ai vu dans son regard, craché-je, en lâchant brutalement ses mains.
— Alors, il va falloir qu'on lui parle, c'est important. C'est une nouvelle incroyable, soeurette ! se réjouit-il, presque avec enthousiasme.
Je ne comprends pas sa joie soudaine.
Comment peut-il se réjouir alors que tout ce que je ressens c'est un vide, un abandon ? Sa réaction me surprend et me déçoit. Pourquoi est-il heureux de cette découverte quand moi je me sens brisée ?
Je ne sais pas si c'est sa réaction qui me perturbe ou la mienne, mais ça me fait mal.
— Je ne compte pas aller lui "tailler une bavette". Cette femme n'est rien à mes yeux ! m'écorchée-je la gorge, la voix brisée par la colère.
Fygs, voyant mon état, s'empresse de revenir vers moi et reprend doucement mes mains, avec la tendresse qu'il sait si bien exprimer.
— Arrête d'en vouloir à la terre entière, me dit-il, un ton apaisant. Tout le monde ne cherche pas à te nuire. Les gens font parfois des erreurs, prennent des décisions qu'ils regrettent ou qu'on leur impose. Laisse-lui une chance de combler les vides de notre histoire, avec des vérités que nous serons libres d'accepter ou non. Personnellement, j'en ai besoin, avoue-t-il, presque d'une manière coupable. Et ça n'aurait pas la même saveur si on ne découvre pas tout ça ensemble...
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