ECLIPSE ROYALE

*En cours de réécriture*

PIROS – SALLE PRINCIPALE

Depuis leur arrivée à bord du Piros et notre départ précipité de Goltons II, les questions brûlent toutes les lèvres. Personne n'a encore informé Saranthia, bien que dix-huit heures se soient écoulées. Mais la Princesse et le Prince étaient dans un tel état qu'ils méritaient bien un peu de repos. Lilas, elle, tourne comme une lionne en cage dans les couloirs. Elle ne pense qu'à une chose : prévenir sa cousine. Mais pas seulement. Elle veut tout savoir. Son esprit bouillonne. Les réponses arrivent au compte-gouttes depuis le début de notre aventure, mais là, tout est différent. La vérité est à portée de main. Enfin, c'est ce qu'on espère...

Zorth a passé beaucoup de temps dans son antre, se noyant dans des verres de Flokart, un poil trop chargés. Le Gudjanien semble de plus en plus perdu face aux événements, comme s'il ne comprenait plus rien. Il s'éclipse régulièrement dans son bar, cherchant sans doute à s'évader, comme s'il voulait faire un tour en barque, seul au milieu d'un lac isolé, pour se ressourcer. Les têtes roses ont beaucoup débriefé dans les cuisines, entre deux chamailleries fraternelles, se retrouvant autour de petits plats réconfortants. Leur mère dirigeait les débats qu'ils décidaient de mettre sur la table à l'image d'un chef d'orchestre bien rodé. Kylburt et Dogast se sont occupés du Prince depuis son arrivée. Ils lui ont trouvé des vêtements adaptés. Il faut dire que son gabarit est impressionnant, Zorth, Dozik ou Slikof n'auraient rien pu faire pour lui. Quant à moi, j'ai passé l'essentiel de mon temps avec Houda et Brizbi depuis notre échappée. D'ailleurs, Monty semble réussir à sortir la tête de l'eau. C'est agréable de la voir ainsi. Elle ne brille pas de bonheur, mais elle est parmi nous, elle participe. Et c'est déjà beaucoup. Fyguie et Sylice ont passé en revue les écrits que Saranthia nous a traduits, ainsi que la lecture de la Pierre des Anciens réalisée par Lilas. Slikof, quant à lui, a suivi un chemin solitaire pendant une grande partie de ce voyage, sans destination précise. Je n'arrive pas à comprendre ce qui lui arrive. Il semble même repousser Binny, qui, jusqu'à présent, veillait sur lui depuis sa blessure. En fin de compte, nous sommes une équipe abîmée, mais qui fonctionne plutôt bien. Malgré les désirs et les sentiments de chacun : le chagrin, la colère ou la frustration, personne ne semble perdre de vue la mission.

Plus j'y pense, plus j'imagine la réaction de la Reine Régente lorsqu'elle apprendra la nouvelle. Ce sera un choc. Parfois, je me dis qu'un jour, quelqu'un se présentera devant moi et me dira : « Kybop, voici tes parents. » Mais en réalité, qui seraient-ils, si ce ne sont que des inconnus ? Finalement, je suis heureuse d'avoir trouvé mon frère plutôt que des géniteurs. Un homme avec un vécu similaire au mien, sans attentes particulières à mon égard, car, tout comme moi, il n'avait probablement jamais envisagé la possibilité d'avoir un frère ou une sœur. Tandis que des parents... ils débarqueraient certainement accompagnés d'une liste non exhaustive de cases à remplir, que ce soit de leur côté ou du mien. On est toujours rempli d'attentes pour ceux qui sont le prolongement de nous-mêmes et pour ceux dont nous sommes issus. Comme Houda l'était, même si elle se mentait à elle-même. Lorsqu'elle a trouvé les corps inertes de ses parents, elle a compris qu'à partir de ce moment-là, aucune des attentes qu'ils avaient envers elle ne pourrait jamais être assouvie... Alors, à quoi bon ? De toute façon, j'aurais sûrement été déçue.

— HEY ! m'interpelle Houda en me saisissant l'avant-bras.

— Mais tu es avec nous ou pas ? On te parle ! souligne Brizbi en soutenant mon regard.

Je secoue la tête pour revenir à moi et me recentre sur elles.

— Oui, pardon. J'étais dans mes pensées.

— On avait remarqué... ricane Varane.

— Donc, reprend Houda, agacée. Je disais... Comment ça se fait qu'ils les aient juste gardés en détention ? Pourquoi ne pas les avoir simplement tués ?

— Qui ça ?

Houda souffle, tapant sur la table d'un coup sec de la main.

— Mais tu suis ou pas Kyb ?

Varane se rapproche de moi, chuchotant, comme un ami qui glisserait discrètement la réponse à une question de devoir surprise.

— Le Prince et la Princesse, Kyb.

Puis elle se redresse et reprend d'une voie plus claire.

— Elle a raison... ajoute Brizbi. Ils sont là-bas depuis plus de dix ans.

De nombreuses possibilités pourraient expliquer leur détention ; nous connaissons tous les raisons habituelles qui peuvent y conduire. Quoi qu'il en soit, lorsqu'on force quelqu'un à rester à l'abri des regards et des oreilles du reste du monde, c'est tout simplement parce qu'on veut les faire oublier ou les réduire au silence. Mais pourquoi ?

— Peut-être voulaient-ils leur soutirer des informations ? proposé-je sans grande conviction.

— Si c'était le cas, soit ils auraient obtenu les infos, soit ils les auraient tués en réalisant qu'ils n'en tireraient rien, explique Houda en énumérant les possibilités sur ses doigts.

— Et même s'ils avaient eu les informations, ils les auraient tués aussi, puisqu'ils seraient devenus inutiles, précise Varane. Donc, dans tous les cas, on ne les aurait pas retrouvés vivants.

Je les écoute et ne peux qu'acquiescer. Varane a raison : qui les aurait gardés en vie aussi longtemps si leur seul but avait été de leur faire cracher des secrets ?

— Oui... Ça ne colle pas.

Un court flottement précède un silence pesant. Houda se creuse les méninges, visiblement revigorée par le mystère qui entoure ces retrouvailles fortuites. Elle propose alors une nouvelle idée.

— Et si on voulait faire croire à leur mort ?

Je comprends où elle veut en venir, mais je ne peux m'empêcher de trouver cela insensé.

— D'accord, pourquoi pas, mais dans quel but ?

Houda fait la moue, persuadée que son hypothèse tient la route. Elle ajoute quelques arguments pour étayer sa théorie.

— Mais on est d'accord que c'est possible, non ? Sinon, pourquoi les cacher si longtemps dans un recoin perdu de l'univers ?

Elle hausse les sourcils, cherchant notre approbation, comme si elle espérait rendre son raisonnement irréfutable. Varane, nonchalante, pose un coude sur la table et soutient sa tête dans sa main avant de lui répondre.

— À qui leur mort aurait-elle causé du tort ? Ils n'étaient même pas sur le trône.

— Je ne pense pas que ce soit une question de pouvoir, de trône, ou de succession, réplique Houda avec conviction. Ça a un lien avec la Prophétie ! J'en suis sûre.

— Seuls eux pourront nous le dire, de toute façon, avoué-je peux convaincue par ce qu'elle avance.

Je dois admettre que la théorie reste intéressante, mais Brizbi a raison : vouloir faire croire à la mort de quelqu'un est toujours motivé par un objectif précis. Surtout dans une hiérarchie aussi établie que celle de Zoldello, une famille bien ancrée depuis des siècles. Faire disparaître les bonnes personnes, c'est comme renverser des pions sur un échiquier. Mais ici, personne ne connaît le coup qui aurait suivi. En réalité, personne n'a jamais vu de changement après leur disparition. Sur Zoldello, rien n'a bougé : aucun rôle n'a été redistribué, aucune place n'a vacillé. Si le but était de faire s'effondrer la hiérarchie, alors soit les coupables n'ont pas mené leur plan à terme, soit nous faisons complètement fausse route. En tout cas, le doute est suffisamment raisonnable pour ne pas écarter ce que vient de dire Houda, mais il faut aussi envisager d'autres possibilités.

— Voulaient-ils faire chanter quelqu'un ?

Ma question éveille en Brizbi de vieux démons, des souvenirs qui semblent soudainement l'amuser. Un petit sourire vicieux se dessine sur le coin de ses lèvres.

— Faire chanter qui ? Le Roi ?

Elle se penche vers moi, les coudes sur la table, attendant que je développe davantage mon hypothèse.

— On ne sait rien de leur histoire. Peut-être étaient-ils impliqués dans des affaires plus sombres qu'on ne le pense.

— Tu veux dire qu'ils n'étaient pas irréprochables ? s'étonne Brizbi.

— Je ne sais pas. Je ne veux pas les accuser à tort, mais on doit aussi garder cette possibilité à l'esprit. Pourquoi seraient-ils innocents ? Juste parce qu'ils appartiennent à la famille royale d'Ultya ? Ce n'est en rien un argument...

Varane acquiesce, visiblement enchantée par l'idée que les prétendus Princes et Princesses parfaits pourraient avoir été victimes de leurs propres vices.

— C'est une hypothèse intéressante, admet-elle avec un éclat d'excitation.

Brizbi se redresse lentement, revenant doucement à la réalité. Ses élucubrations, bien que fascinantes, ne nous avancent que peu. Elles aident certes à remettre certains événements en perspective, mais nous ne savons toujours pas grand-chose sur nos deux nouveaux arrivants. Toutes ces discussions reposent davantage sur des hypothèses que sur de véritables faits concrets. Une fois bien droite, elle nous rappelle ce que nous savons déjà.

— Franchement, je crois qu'on se casse la tête pour rien. Ils finiront bien par tout nous raconter quand ils se réveilleront.

Je ne peux qu'être d'accord : nous attendons leurs explications, mais je ne peux m'empêcher de penser que la prudence reste de mise.

— Non, ce n'est pas inutile, Brizbi. On doit réfléchir à tout ça. Ça nous pousse à envisager d'autres perspectives, à ne pas les voir automatiquement comme des victimes innocentes. On ne sait rien d'eux. Ils pourraient très bien nous servir des mensonges. On doit rester vigilants. Ce n'est pas parce qu'ils sont en vie qu'ils sont forcément de notre côté. Restons en alerte.

Elles hochent la tête, montrant qu'elles partagent mon point de vue.

ZOLDELLO - PALAIS D'ULTYA - BALCON

La Reine Régente se tient sur le balcon d'une des chambres royales. Le Palais semble plus vide que jamais depuis la mort du Roi et le départ de Lilas. On pourrait presque y entendre ses pensées. Le moindre éclat de voix résonne sur les murs, se transformant en un écho, comme sur la coque vide d'un bateau échoué sur une plage inconnue. Le navire est à l'abandon, avec un matelot inexpérimenté à la barre, essayant tant bien que mal de maintenir le cap. Saranthia a perdu l'assurance qu'elle avait en arrivant de la planète Sarga. Le poids des événements est tombé sur elle comme une épaisse couche de neige, étouffant le peu d'énergie qu'il lui restait. Heureusement, elle n'est plus tout à fait la Reine esseulée qu'elle croyait être depuis l'arrivée de cet officier de police au sourire désinvolte.

— Saranthia ?

Elle ne se retourne pas, mais sa voix se fait douce et chaleureuse.

— Officier Kal. Venez voir.

— Que faites-vous ici, sur ce balcon, en pleine nuit ? s'inquiète-t-il.

— Je n'arrive pas à dormir... Et puis, j'ai toujours aimé la vue depuis cette chambre.

— À qui appartenait-elle ?

— À la grand-mère maternelle de Lilas. Gylia II, la Généreuse.

— La Généreuse ? Je suppose qu'elle aidait beaucoup le peuple pour mériter un tel surnom.

— Non. Elle avait une forte poitrine.

Milo éclate de rire, et Saranthia, malgré elle, se laisse gagner par un sourire, tentant de ne pas perdre sa prestance.

— Je ne l'avais pas vu venir, celle-là ! Désolé, je ne veux manquer de respect à personne, s'excuse Milo d'un geste de la tête.

— Je n'en doute pas, Officier Kal.

Il reprend son sérieux, sentant que Saranthia n'est pas là simplement pour apprécier la vue. Elle est visiblement troublée par tout ce qui s'est passé récemment, et il est déterminé à être un soutien pour elle.

— Vous savez ce que mon père me disait quand je faisais une bêtise ?

Elle le regarde, curieuse de connaître la réponse.

— Rien. Il me tabassait. Parfois, je me dis qu'il vaut mieux un bon parent parti trop tôt qu'un mauvais qui vous détruit à petit feu.

Elle ne sait que dire. Saranthia voit bien qu'il est sur le point de s'ouvrir sur quelque chose de douloureux.

— Quand je vous vois sur ce balcon, perdue dans vos souvenirs, je me dis que vous avez de la chance. Vous repensez sans doute à de beaux moments en famille. Moi, quand je regarde à l'horizon, j'ai la sensation qu'une force invisible me tire en arrière, m'empêchant d'avancer. Je ne dis pas que vous n'avez pas de raison d'être triste. C'est perturbant, c'est sûr. Mais ne gâchez pas vos beaux souvenirs. Ne les ternissez pas en remettant en question l'amour de vos parents, même s'ils avaient des secrets. S'ils vous ont protégée, c'est que leur amour n'avait pas de prix.

Une larme roule doucement sur sa joue. Touchée par sa confession, Saranthia glisse sa main sur la sienne.

— Je suis désolée d'entendre ça... Cela n'a pas dû être facile, murmure-t-elle, essuyant la larme de Milo d'un geste délicat.

Milo renifle, tentant de retrouver un peu de contenance, mais il ne bouge pas sa main, pour que celle de Saranthia reste posée sur la sienne.

— Et votre mère ? ajoute-t-elle, curieuse.

— Je ne sais pas. Je ne l'ai jamais connue. Mon père disait qu'elle était morte, mais je n'ai jamais voulu le croire. Pas de nom. Pas de photo. Rien.

Saranthia s'approche un peu plus, leurs épaules s'effleurant.

— Vous avez donc eu tout loisir de l'imaginer ?

Il sourit légèrement.

— Oui. Souvent.

— Et alors ? Elle est comment ?

— Hum... Petite. Bien plus petite que vous. Avec des cheveux bruns ou peut-être bleus, si elle était rigélienne. Je ne sais pas vraiment.

— Vous avez des reflets roux, maintenant que vous le dites, plaisante-t-elle pour alléger l'atmosphère.

Il lui donne un petit coup d'épaule.

— N'importe quoi.

Elle se remet en place, laissant sa tête reposer quelques secondes sur son épaule pour s'excuser de sa taquinerie. Milo poursuit.

— Les yeux noisette. Un visage rond et bienveillant. Les cheveux au carré et un grand sourire. Elle porte toujours une robe blanche.

— Une robe blanche ? C'est précis. Pourquoi ça ?

— Les Rigéliens croient en la lumière. Et j'imagine ma mère tout l'opposé de mon père : douce, aimante, réconfortante... Lumineuse. Mon père était l'obscurité incarnée. Le noir, c'est l'absence de lumière. Le blanc, c'est le mélange de toutes les couleurs du spectre solaire. Cette image me réconforte.

Saranthia, émue, finit par poser sa tête sur son épaule. Milo se penche doucement, reposant sa tête contre ses cheveux blonds.

— Vous savez, Milo Kal, je suis heureuse de vous avoir avec moi. Votre père ne serait sans doute pas fier de l'homme que vous êtes devenu.

La phrase le surprend d'abord, mais il comprend le sens, et un sourire se dessine sur ses lèvres. Rendre fier son père ? Ce serait bien la dernière chose qu'il voudrait. Toute sa vie, il a essayé de ne pas lui ressembler. Et elle l'a parfaitement compris.

— Merci...

Il savoure ce moment de réconfort. Deux âmes blessées, sur le balcon d'un Palais vide, sous le clair de lune d'une planète au bord de la révolution. Deux êtres partageant leurs cicatrices, espérant qu'un jour, ils sauront grandir sans l'ombre d'une enfance douloureuse.

PIROS - SALLE PRINCIPALE

La dix-neuvième heure a sonné. Nous sommes tous réunis dans la salle principale, un endroit d'ordinaire animé, aujourd'hui plongé dans un silence surprenant. En balayant la pièce du regard, je ne peux m'empêcher de remarquer les signes discrets d'une nervosité collective : Lilas mordille l'intérieur de ses joues, Zorth se racle la gorge à répétition, en redressant la tête comme pour reprendre contenance. Slikof serre les mains sous la table, bien à l'abri des regards, pensant sans doute que ses gestes trahiraient son calme habituel. Kylburt fixe un point vague, perdu dans ses pensées. Les Têtes Roses s'échangent des regards furtifs, guettant les réactions des autres membres de leur famille. Seuls Sylice et Dogast conservent leur air détaché habituel, c'en est presque déconcertant. Ces deux-là sont comme des robots, sans la moindre empathie. Et moi ? Je croise le regard de mon frère, qui m'adresse un sourire rassurant. Une douce chaleur m'envahit. J'ai vraiment l'impression que notre relation est en train de se construire, et qu'elle pourrait bientôt ressembler à ce qu'une famille est censée être.

Finalement, Hyldon et Tyra entrent dans la salle. Leur prestance naturelle leur confère une autorité indéniable, même vêtus de simples habits qui contrastent avec leur statut royal. Hyldon porte une vieille veste en cuir du capitaine, qui lui donne un air de second de bord, tandis que Tyra arbore une robe noire sobre, rehaussée de tissus légers qui mettent en valeur son élégance innée. Tyra d'Ultya est une femme dont l'allure élancée et la silhouette marquée par la maigreur témoignent des épreuves qu'elle a traversées. Les années de détention sur Golton II ont laissé leur empreinte sur son corps, mais n'ont pas entamé l'élégance naturelle qui la distingue. Ses longs cheveux blonds, héritage partagé avec sa fille Saranthia, ondulent avec grâce jusqu'au milieu de son dos. Son visage émacié et allongé porte les traces d'une vie bien loin du confort de leur château. Ses joues creusées et les rides qui ornent harmonieusement son front et ses commissures racontent une histoire de souffrance, mais aussi de résilience.

Ce qui frappe avant tout, ce sont ses yeux noisette, profonds et empreints d'une lueur maternelle indescriptible. À travers eux transparaît une douceur rare, une force tranquille qui apaise ceux qui croisent son regard. Quand Tyra parle, sa voix lente et captivante vous emporte comme une mélodie, enveloppant chaque mot d'une chaleur réconfortante.

Le prince ne prend pas place, préférant rester debout près de sa chaise. Il inspire profondément avant de prendre la parole.

— Avant que vous nous bombardiez de questions, je propose de vous raconter notre histoire, commence-t-il. La véritable histoire de la famille royale d'Ultya, et notre rôle au sein de celle-ci. Ensuite, je vous expliquerai ce qui s'est réellement passé pendant ce que vous appelez : l'Éclipse Royale. Et après cela, vous pourrez poser toutes vos questions.

Il marque une pause. Nous acquiesçons en silence, captivés. Je jette un coup d'œil à Lilas, dont l'expression évoque celle d'un enfant à qui l'on s'apprête à révéler un secret longtemps gardé. Mais ces secrets-là concernent sa propre famille.

Hyldon reprend, sa voix lourde de souvenirs.

— La famille royale d'Ultya a toujours œuvré dans l'ombre, à travers la Confrérie des Hématiens, dit-il. Nous avons tous, d'une manière ou d'une autre, servi cette organisation. Et beaucoup d'entre nous y ont laissé leur vie...

Il s'interrompt brièvement, le regard voilé de tristesse. Tyra baisse les yeux, encore abattue par la mort récente et soudaine de son frère Gotbryde.

— Quand Tyra et moi nous sommes mariés, j'ai été initié, poursuit-il. Je ne viens pas d'une famille royale, ni même d'une famille aisée. J'ai été choisi parce que je suis un Sang Rouge, destiné à maintenir une lignée pure. Tyra avait trois prétendants, et elle m'a choisi, moi. Une fois au Palais d'Ultya, son frère, le roi Gotbryde, m'a fait prêter serment et m'a initié à la Confrérie. Il m'a remis un exemplaire de la Prophétie de l'Équilibre, m'a appris tout ce qu'il savait.

Il se redresse, et son regard s'illumine brièvement.

— Nous avons tout de suite été captivés. La Prophétie... Ce livre était bien plus qu'un simple texte. Il offrait l'espoir de sauver l'univers entier. Tyra et moi étions prêts à tout sacrifier pour cela. Nous avons étudié chaque ligne, assistés à des réunions secrètes, pris des risques insensés.

À cet instant, Tyra pose doucement sa main sur celle d'Hyldon, comme pour l'encourager. Il sourit faiblement, puis continue.

— Puis Saranthia est née, et tout a changé, admet-il, sa voix se radoucissant. Nous avons voulu goûter au bonheur d'une vie simple, d'une famille ordinaire. Mais l'assassinat de la Reine Calyssia nous a brutalement ramenés à la réalité. Nous avions oublié le danger, convaincus que nos murs nous protégeraient. Mais nous avions tort.

Il prend une grande inspiration en posant son regard sur la main de sa femme.

— Quand nous avons réalisé que la bague transmise par la mère de Tyra était l'Œil mentionné dans la Prophétie, nous avons voulu vérifier les écrits nous-mêmes. Nous avons demandé un véhicule dans la nuit et sommes partis pour les Askyrs. Nous pensions que c'était une simple expédition. Mais Waldo Golt nous attendait déjà là-bas. Un fervent défenseur des Sang Rouge, et probablement l'assassin de la Reine.

Hyldon s'interrompt et ferme les yeux. Les souvenirs intacts de ce moment lui sont douloureux.

— Il nous a menacés, mais avant qu'il ne passe à l'acte, une lumière bleue, éblouissante, a jailli de la bague. La fusion venait de se produire, et Tyra et la relique ne faisaient plus qu'un. Nous n'avons jamais quitté la montagne ce jour-là. Waldo nous a capturés, et nous avons été prisonniers... Jusqu'à ce que vous veniez nous sauver.

Hyldon marque un temps de pause et abandonne son regard sur le sol. Absent l'espace d'un instant, avant de le rediriger vers l'assemblée.

— Posez toutes les questions qui vous chantent. Nous nous appliquerons à y répondre au mieux.

Sans attendre une seconde de plus, Binny se lève brusquement.

— Il y a quelque chose qui ne colle pas dans la Prophétie de l'Équilibre trouvée dans votre chambre.

La Princesse Tyra fronce les sourcils, intriguée. Binny poursuit sans se laisser démonter.

— On vous croyait morts, et ces écrits étaient censés vous appartenir. Comment expliquez-vous que la mort du roi Gotbryde y soit mentionnée, alors même que vous n'aviez plus ce livre en votre possession ?

Un sourire énigmatique se dessine sur les lèvres de Tyra.

— C'est une question pertinente, Mlle Ristoc. Nous possédions l'exemplaire numéro 3. Il existe plusieurs copies de ce livre, réparties à travers l'univers, et chacune est gardée par un membre de la Confrérie. Ces livres sont tous connectés grâce à une technologie unique. Quand un membre écrit quelque chose dans son exemplaire, l'information devient immédiatement visible dans tous les autres. L'objectif est de partager le savoir de chacun. Ainsi, toutes les actions et missions des partisans, où qu'ils soient, sont consignées dans les pages des prophéties. C'était un principe des Hématiens : rassembler toutes les informations pour que rien ne soit perdu, même si certaines missions sont secrètes ou individuelles.

Hyldon intervient aussitôt.

— Nous pensons même qu'un exemplaire est entre les mains des partisans de la Prophétie des Sang Rouge.

Binny fronce les sourcils, attentive.

— Pourquoi pensez-vous cela ?

— Les Askyrs étaient clairement indiquées sur le plan comme un lieu crucial, explique Hyldon. Cela est apparu deux jours avant que nous décidions de nous y rendre.

Binny réfléchit à voix haute.

— Vous croyez que ce sont eux qui ont ajouté cette information ?

— C'est possible... admet Hyldon.

— Mais le roi Gotbryde nous avait aussi parlé de ce lieu, ajoute Binny. Il doit avoir une importance capitale. Sinon, pourquoi nous inciter à y aller ?

Un silence tendu s'installe, et Hyldon finit par hausser les épaules, les mains levées en signe d'impuissance.

— Nous n'avons pas encore de réponse claire. Mais que ce soit une coïncidence ou non, le fait que Waldo s'y soit trouvé juste après soulève des questions, conclut-il.

Binny émet une supposition, le regard songeur.

— Peut-être possède-t-il vraiment un exemplaire, et a-t-il simplement suivi la même information que vous ?

Tyra incline la tête, sa voix adoucie.

— C'est plausible, en effet... Mais pour l'instant, nous n'avons que des suppositions, ma chère.

La réponse reste en suspens, un mystère enveloppé d'incertitudes. Il n'existe pas une seule explication possible, et sans preuves ni arguments solides, personne ne peut vraiment trancher. Binny se rassoit, l'air songeuse, n'ayant plus rien à ajouter.

De l'autre côté de la table, Slikof, sans même prendre la peine de se lever, pose une nouvelle question, d'une voix grave.

— Pourquoi Waldo vous aurait-il gardés en vie tous les deux ? Si vous êtes un Sang Rouge, il aurait eu tout intérêt à vous éliminer, non ?

Tyra se redresse lentement, ses yeux fixant ceux de Slikof. L'espion n'est pas à l'aise face à la Princesse, il a bien conscience que son ton suspicieux est inapproprié, mais cette question lui brûlait les lèvres.

— Vous avez raison, et j'étais parfaitement consciente de ce risque, commence-t-elle. J'ai rapidement compris qu'il m'épargnait parce que la relique s'était fusionnée à moi. J'étais devenue l'Œil, et l'Œil était devenu moi. Mais je savais aussi que, pour lui, mon époux n'était qu'un obstacle de plus.

Elle marque une pause, son visage se durcissant.

— Alors, j'ai dégainé le poignard que je dissimulais sous ma robe et l'ai pressé contre ma propre gorge. Je l'ai menacé de m'ôter la vie s'il faisait le moindre mal à mon aimé. Je lui ai promis que, quoi qu'il arrive, je refuserais de vivre sans lui. Que si Hyldon mourait, peu importe quand ni comment, je partirais avec lui.

Un silence respectueux s'installe. Slikof hoche la tête, impressionné. Il comprend que Tyra a exploité sa condition avec une intelligence féroce pour sauver le Prince. La sœur du Roi a toujours eu le don de retourner les situations en sa faveur. Il salue sa décision d'un geste approbateur.

Zorth, jusque-là confortablement installé dans sa chaise, en position d'observateur silencieux, se penche finalement en avant. Son index se pose pensivement sur son menton, ses yeux brillant d'une intense réflexion. Après toutes les révélations qui se sont succédé, il soulève une question que personne n'a encore prise en compte.

— Donc, vous possédez le deuxième Œil, et Saranthia est la future porteuse ?

Tyra le regarde, un soupir presque imperceptible échappant de ses lèvres.

— Oui. Elle est destinée à cela depuis sa naissance. Nous l'en avons protégée autant que possible. Mais l'Œil... c'est un don, et une malédiction à la fois. Toutes ses porteuses sont mortes sans avoir accompli la mission qui leur était attribuée. Lorsque Waldo nous a capturés, il a vite compris que notre fille serait celle qui libérerait mon Œil de notre fusion. Elle est rapidement devenue sa prochaine cible.

Un silence lourd s'installe, Zorth semblant digérer ces mots. Puis il reprend, une lueur de doute dans ses yeux.

— Pourtant, jamais rien n'a été tenté auprès de votre fille. Elle n'a jamais été victime d'aucune attaque.

Tyra secoue lentement la tête, pensant à sa fille qu'elle n'a plus revue depuis si longtemps.

— Saranthia était si jeune lorsque nous avons disparu. Elle n'aurait jamais été prête à porter l'Œil avant un certain âge. Quand je dis qu'elle était devenue sa prochaine cible, je ne dis pas que son intention était de la tuer. Il voulait qu'elle récupère la relique, mais seule l'ancienne porteuse peut transmettre l'Œil à la suivante. Et il y a des conditions, des règles précises pour que la Transmission se produise. La Transmission et la Fusion sont deux processus bien distincts. La Transmission ne peut se faire que lorsque le doigt de la porteuse peut l'accueillir.

Zorth, l'air intrigué, incline la tête.

— Vous voulez dire que la taille de la bague doit correspondre à la porteuse ?

Tyra le fixe avec une attention particulière, comme si elle mesurait chaque mot avant de le prononcer.

— Exactement, Zorth. Si la bague ne s'adapte pas parfaitement au doigt de la future porteuse, rien ne se produira. Waldo avait prévu d'attendre sa majorité pour tenter quelque chose, mais il est décédé bien avant que cela ne puisse se faire.

Tout le monde prend pleinement conscience de l'importance de la Reine Régente. Au-delà de son rôle de dirigeante actuelle sur Zoldello, elle détient une clé essentielle pour la suite de cette mission. Lilas, les yeux fixés sur son joyau, réalise soudain qu'elle n'est pas la seule à porter le poids de ce bijou de famille, cette relique chargée de tant de mystères. Ce fardeau partagé, ce destin qui semble se croiser à chaque tournant, renforce en elle ce lien indestructible qu'elle ressent pour Saranthia. Elle repense à la réaction de son Œil à l'approche de Kapu, à ce frémissement qu'elle a ressenti au plus profond d'elle-même. Elle veut en savoir plus.

— Le message avant notre arrivée sur Kapu... C'était vous ?

Tyra, d'abord silencieuse, hoche lentement la tête pour lui donner raison.

— Oui, c'était nous, confie-t-elle enfin. Hyldon l'a enregistré à travers l'Œil. Nous l'avons programmé pour qu'il se propage en boucle dès qu'il capterait le signal jumeau de l'autre Bague, proche de Kapu. C'était une sorte de bouteille à la mer... Nous ne savions pas si cela avait fonctionné, ni si cela allait même fonctionner. Une fois arrivés dans les profondeurs de Goltons II, la bague ne s'est plus jamais manifestée, comme si elle s'était éteinte.

J'ai la tête qui tourne, toutes ces informations d'un seul coup. C'est trop... Et pourtant, j'ai encore des questions qui me viennent.

— Pourquoi Waldo est-il mort ? Enfin, que lui est-il arrivé ?

— Il aurait été assassiné, suppose Tyra. Mais les détails demeurent flous, avoue-t-elle, comme si cette vérité incomplète lui pesait.

Hyldon ajoute alors, sa voix calme et mesurée, mais pleine de sous-entendus.

— Ce sont les rumeurs des tréfonds qui sont arrivées jusqu'à nous. Des murmures qu'on a du mal à démêler.

Tyra acquiesce en regardant son mari. Ils soufflent tous les deux, visiblement touchés de ne pas connaitre la vérité, puis Tyra ajoute.

— Et ensuite, sa fille a pris le relais.

Je fronce les sourcils, devinant de qui il s'agit.

— Fiora ?

— Oui, répond Hyldon, son ton grave et sans appel. Fiora a pris le relais.

Toutes ces questions n'ont pas seulement envahi mon esprit. Les réponses qu'ils nous ont données ont empli la pièce d'une atmosphère lourde, presque irrespirable. Il est impératif que nous agissions, qu'il découle de cette mer d'informations une ligne de conduite, un nouvel objectif. Je me lève pour poser la question que tout le monde se pose.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

Slikof, avec son pragmatisme habituel, lève une main pour prendre la parole.

— Partir sur Kapu avec Lilas et Tyra? Les deux porteuses ? propose-t-il.

L'air triste et désemparé d'Hyldon ne laisse place à aucun doute : ce plan est défaillant.

— Impossible.

Il prend une longue inspiration avant de laisser la parole à Tyra. Elle est debout à ses côtés et porte une mine désolée.

— Ma relique s'est éteinte, comme je vous l'ai dit. C'est comme si elle ne réagissait plus. Cette bague, elle fait partie de mon âme. Et le pouvoir qui résidait en moi n'est plus. Après tant de malheureux événements et de captivité, je ne suis plus animée par la mission. Elle attend la nouvelle porteuse.

Lilas murmure presque dans un souffle, comme une évidence qu'elle vient de saisir.

— Saranthia...

— Oui, répond Tyra, son regard fuyant. Elle a besoin d'énergie. Je n'en ai plus. Je ne porte plus la mission. Le temps de la Transmission semble venu.

Tout le monde comprend qu'un demi-tour est imminent, comme un retour à la case départ, une ritournelle inévitable. Nous étions si près du but, et voilà qu'il nous faut repartir vers la Reine Régente. Un nouveau pas en arrière dans cette mission interminable. Cette princesse orpheline, qui vivait jusque-là sur une planète de glace, bien loin de ses responsabilités royales. Cette même jeune femme qui n'a aucune idée que ses parents viennent la chercher sur son trône. Comment réagira-t-elle ?

Alors que chacun digère la nouvelle, c'est Dogast, dans un éclat de voix et un ton plus qu'enjoué, qui brise la tension. Il se lève brusquement, un sourire de défi sur le visage, et fait un geste militaire, comme si l'ordre venait de lui être donné.

— Mesdames, Messieurs, il semblerait qu'une Éminente personne vienne de me demander de l'aide ! Alors allons chercher la Reine Régente, cap sur Zoldello !

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