Jelle entend l'éclat de voix – « Te sauve pas ! » –, dresse l'oreille. L'injonction est une anomalie. Surtout si elle a correctement identifié celui qui l'a prononcée. Franz ? Elle abandonne la pile de cartons qu'elle était en train d'organiser sur les étagères, sort de la soute en trombe. La coursive est déserte, mais elle entraperçoit la touche de rose d'un uniforme très reconnaissable disparaître derrière la porte étanche qui mène vers l'avant. Kei ?

Jelle hésite. Elle n'est toujours qu'une rookie ici, et elle tâtonne encore pour trouver sa place à bord. Un petit mois de piraterie n'a pas suffi à la familiariser avec la totalité des us et coutumes de l'Arcadia, les règles non tacites que l'on peut enfreindre et celles, tacites, avec lesquelles il ne faut surtout pas transiger. Peut-être n'est-ce là rien que de très habituel.
Peut-être.
Elle frissonne.

Elle débute en tant que pirate mais elle n'est pas dépourvue d'expérience pour autant, elle a déjà roulé sa bosse pendant près de deux décennies dans l'univers crasseux des dockers et connaît les errements de tels milieux, qui ont pour habitude de prendre ce qu'ils estiment leur être dû au gré de leur bon plaisir.
Elle en a elle-même fait les frais dans sa prime jeunesse, oh oui. Et, que les dieux lui en soient témoins, elle ne souhaite pas ça à Kei.

Elle franchit porte après porte vers les tranches avant, peine à s'orienter dans les multiples croisements de coursives techniques qui remplacent le bel ordonnancement des quartiers d'habitation, s'aventure plus loin dans ce vaisseau qu'elle n'était encore jamais allée. Puis, alors qu'elle parvient à l'extrême avant sans avoir rattrapé la jeune navigatrice et qu'elle se dit que son imagination s'est peut-être inutilement emballée, elle entend soudain des reniflements étouffés et son cœur fait un bond.