Le capitaine est rentré seul. C'est dramatique pour les deux gars qui sont restés sur le carreau, mais ce n'est hélas pas inhabituel. L'espace est impitoyable, la vie de hors-la-loi éphémère, les escarmouches fréquentes et Harlock assez doué – ou chanceux – pour s'en tirer à chaque fois. Le docteur Zero hâte tout de même sa foulée. Il arrive parfois – souvent – qu'Harlock ne s'en sorte pas indemne. Et il arrive souvent – toujours – qu'Harlock ne juge pas utile de l'en avertir.

— On a plus d'infos ? demande-t-il à Tochiro sitôt a-t-il posé le pied en passerelle.

Le petit ingénieur réprime une grimace.

— Nope. Quand je lui ai posé la question il a juste dit « je rentre seul ».
— Et il n'est pas encore là ?

Tochiro donne l'impression d'avoir mordu dans un citron particulièrement amer.

— Nope, répète-t-il. Il a dû faire un crochet par chez lui.

Zero croise les bras et expire sa réprobation par le nez. Si Harlock n'est pas déjà revenu en passerelle, alors c'est mauvais signe. Et au vu de l'expression de Tochiro, celui-ci rumine exactement les mêmes pensées.

Harlock paraît au moment où Zero s'apprête à descendre faire le siège de ses quartiers. Ses cheveux luisent curieusement d'humidité, comme s'il venait de se passer la tête sous l'eau. Zero le scrute, à l'affût de toute blessure non déclarée, une claudication, des raideurs dans la posture, ne serait-ce pas des traces de sang, là, sur le pourtour du Jolly Rogers qui orne sa tunique ?

— Vous êtes blessé, capitaine ? l'attaque-t-il de but en blanc.

Harlock l'ignore, tout comme il ignore l'interrogation pressée de Tochiro (« Harlock, qu'est-ce qui est arrivé aux gars ? »). La mine sombre, le capitaine s'assoit dans son fauteuil, pose ses deux mains sur les accoudoirs, crispe ses doigts dans le rembourrage de cuir rouge.

— Artillerie. Feu avec les trois tourelles, pleine puissance.

Tochiro hausse un sourcil derrière ses lunettes.

— Attends, tu veux... on peut... les gars...
— Ils sont morts, coupe Harlock. Détruis ce tas de rouille, Tochiro.

Ça a au moins le mérite d'être clair. Toutefois cela n'explique rien. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Vous êtes blessé, capitaine ? Zero se promet de ne pas renoncer avant d'avoir obtenu une réponse satisfaisante, voire (on peut toujours rêver) un examen médical complet.

— Chargement des accumulateurs terminé, début d'alignement des tourelles, énonce l'artilleur en arrière plan.

Zero ouvre la bouche. La referme. Il lui faut une réponse, mais quelque chose dans le regard d'Harlock le fait hésiter.
Il cille. Quelque chose le fait hésiter... et il ne parvient pas à définir quoi exactement. C'est une impression fugace, bien loin d'un diagnostic, une réaction instinctive dépourvue de fondement scientifique, un frisson désagréable qui lui hérisse le poil.

Lorsqu'il reprend ses esprits, le capitaine a disparu.