Tochiro s'aperçoit trop tard que Jelle n'est plus avec eux. Il grince des dents. Il éprouve des sentiments mitigés pour l'ancienne dockeuse qui, de son point de vue, se montre beaucoup trop maternelle avec Harlock. Son ami n'a pas besoin de ça.
Lui non plus n'a pas besoin de ça.

— Bordel, je gère la situation, grommelle-t-il. Pas le moment de rajouter de l'entropie là-dedans...

C'est facile : il contrôle les caméras, il contrôle les accès, il contrôle les scanners, il contrôle les drones, il lui suffit d'isoler les tranches une après l'autre et de les investiguer avec méthode. Bien sûr, il sait qu'Harlock connaît les moyens de contourner les senseurs, et Harlock sait qu'il sait, mais hé ! c'est le jeu ! Tout se termine toujours dans les zones dépourvus de caméras, dans lesquelles les capteurs thermiques et les bioscans sont moins précis... et dans lesquelles il est préférable de ne pas se balader « en touriste », ça brouille les recherches !

Il grogne encore. Les ponts inférieurs, donc. Des gaines techniques, des mailles vides, des nappes de câbles, des soutes de tout et n'importe quoi, des canalisations dans tous les sens... Un fouillis innommable, Tochiro l'avoue volontiers. Sauf que l'Arcadia ne fonctionne pas par l'opération du Saint-Esprit, hein... Quand il l'a conçue et qu'il l'a équipée du meilleur en matière d'armement, il a bien fallu qu'il case toute la filasse quelque part. Bon d'accord, il a clairement procédé en mode « je cache la misère sous le tapis », mais ces zones de chaos font partie du charme pirate du vaisseau, non ?

Tochiro consulte ses écrans. Le principal inconvénient de ce « charme pirate », c'est qu'on s'y perd comme un rien. Les mécanos eux-mêmes ne s'y risquent pas seuls, et ne descendent dans les méandres des multiples niveaux mal numérotés que pour les opérations de maintenance strictement indispensables. Et le problème maintenant, c'est que les bioscans lui remontent quatre détections isolées.
Un deuxième balayage ne modifie pas les résultats. Quatre. Tochiro fait claquer sa langue contre son palais. Harlock, un. Jelle, deux. Mais qui sont les deux autres ?

Il lance une recherche via les caméras des coursives. Les accès « standards » aux ponts inférieurs ne sont pas si nombreux, il suffit de bien cibler et... Ah, voilà. Jelle, au niveau de l'accès le plus proche des quartiers d'Harlock. Et Tadashi, moins d'une minute après.
Tochiro secoue la tête. Ce gosse ne rate pas une occasion de se mettre en difficulté... Quelle mouche l'a piquée, bon sang ?

Les enregistrements défilent à rebours. Harlock a-t-il emprunté ce passage lui aussi ?

— Alors, ça donne quoi ? l'interroge Zero.

Tochiro fixe son écran. Pause. Ralenti. Pause. Zoom. Ça donne qu'Harlock est bien passé par là.

— Vous n'allez pas apprécier, doc, grimace-t-il.

L'image est furtive, comme on pouvait s'y attendre lorsque le sujet filmé connaît sur le bout des doigts les emplacements et les angles morts des caméras. Elle est néanmoins suffisante.

— Nom d'une outre en plutonium ! jure le médecin-chef. Pourquoi est-ce qu'il se sent toujours obligé d'entraîner cette pauvre enfant dans toutes les conneries qu'il fait ?

Tochiro zoome encore, avec le secret espoir que la pixellisation révèle tout autre chose que ce qu'il voit.
Ce n'est pas le cas.
Harlock est descendu dans les ponts inférieurs, en bras de chemise, pieds nus, le dos voûté et clairement pas dans son état normal.

Il portait Lydia dans ses bras.