14 - Filature (Tadashi)

Le service du midi lui a paru interminable. Personne ne semblait particulièrement pressé, ou inquiet, ou quoi que ce soit qui aurait trahi un événement inhabituel. En réalité, rien ne différenciait ce déjeuner de n'importe quel autre repas au mess : bruyant, animé, avec les blagues qui fusent, les piques à l'intention de la cuisinière et les invectives de celle-ci en retour. Pourtant, Tadashi ne se sent pas à son aise. Il ne peut se départir de l'impression qu'une menace plane sur l'Arcadia, et que le calme qu'il observe n'est qu'un leurre camouflant un danger imminent.

Et M'sieur Tochiro n'est pas revenu. Où est-il parti si vite ? La passerelle ? Chez le capitaine ? La passerelle c'est le centre névralgique du vaisseau, mais les quartiers du capitaine sont plus près... Tadashi se tapote les lèvres du bout de l'index avec une moue concentrée. Va pour les quartiers du capitaine ! décide-t-il. Le détour ne lui prendra pas longtemps.

Personne ne répond lorsqu'il toque à la porte. C'est qu'ils sont en passerelle, déduit-il. Alors qu'il se retourne, bien déterminé à ne pas rester en dehors de l'action, son regard tombe sur une touche rose clair incongrue au milieu du gris de la coursive. Il se penche, fronce les sourcils, ramasse l'objet abandonné : le lapin (ou peut-être est-ce une souris) est l'une des peluches favorites de Lydia.
Pourquoi Lydia est-elle venue par ici ? se demande-t-il. Et surtout, qu'est-ce qui a bien pu la conduire à oublier son jouet ?
Tadashi fixe la porte. Doit-il entrer ? Lydia est-elle entrée ? Lydia est-elle repartie ? Lydia est-elle repartie ? Où Lydia est-elle repartie sans sa peluche ?

Il sursaute quand des bruits de pas se font entendre derrière lui, a tout juste le temps de se glisser entre une armoire anti-incendie et une pompe d'assainissement. Une poignée de secondes plus tard, Jelle stoppe à l'endroit exact où il se tenait, regarde elle aussi la porte, pose les mains sur ses hanches, puis fait lentement un tour sur elle-même. Tadashi se renfonce dans sa cachette en retenant son souffle. Non pas qu'on lui interdise de traîner dans le coin, mais Jelle pourrait s'étonner de le voir planqué et poser des questions auxquelles il n'a pas envie de répondre.

Au moment où il se dit qu'il aurait mieux valu aller immédiatement en passerelle, Jelle fait « ah ! », s'avance vers une porte technique à quelques mètres de là, lance « ma main à couper que t'es passé par ici ! » et s'engouffre aussitôt dans le boyau. Tadashi hausse un sourcil dubitatif. Oui, les loquets étanches n'étaient pas parfaitement verrouillés, en effet... Mais qu'est-ce que cela signifie exactement ?

L'écho des bottes de Jelle qui descend l'échelle vers les ponts inférieurs s'estompe rapidement.

Tadashi expire de soulagement, s'extirpe de sa cachette, s'étire. Bon... Assez perdu de temps, maintenant je vais en passerelle ! Il s'élance, court trois enjambées, s'immobilise. Regarde le boyau technique béant.

Regarde la peluche entre ses doigts.

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