Depuis la cambuse, Tadashi aperçoit le docteur Zero se hâter vers la table qu'occupe le professeur Oyama et écarter d'un geste sec le bol de nouilles que le petit ingénieur à lunettes était sur le point d'engloutir. Les deux hommes échangent quelques phrases agitées avant de quitter les lieux, abandonnant le repas sur place.

— Hé, le môme ! C'est pas le moment de rêvasser ! Dépêche-toi, j'suis presque à court d'assiettes propres, ici !

Tadashi fait jouer machinalement les muscles de ses épaules. De son point de vue, Ma'am Masu est ce qui se rapproche le plus de la définition de « tyran » : jamais satisfaite, toujours pressée, toujours à lui en demander davantage. Sa dictature s'arrête aux frontières du mess, heureusement.

— Vite ! Vite ! On se reposera après le coup de feu, allez !

C'est la partie la moins attrayante de sa vie à bord : les montagnes de verres, de bols et d'assiettes à transvaser des placards vers le mess, du mess vers le lave-vaisselle, du lave-vaisselle vers les placards dans une ronde infernale et effrénée. Il se console en se répétant que cela ne durera pas éternellement et que, s'il montre à tous qu'il travaille dur, alors le capitaine sera sûrement plus enclin à lui confier des « vraies » tâches.
Il serre les dents. Au moins il aide, lui, pas comme Lydia qui passe son temps à jouer.

— Tiens, prends les casseroles, elles sont vides. Mets-les à tremper dans le bac. Et passe récupérer les couverts que les mécanos ont encore oublié sur leur table !

Il court, il s'affaire, remplit une carafe, débarrasse une table. Le bol de nouilles de M'sieur Tochiro trône encore devant sa chaise vide. Tadashi se mord la lèvre inférieure. Doit-il le lui mettre de côté pour plus tard ? Le professeur fait systématiquement honneur à ses repas – tout le contraire du capitaine, qu'on ne voit quasiment jamais au mess...

Les pensées de Tadashi gambergent sur la raison de ce départ précipité. Un vaisseau ennemi a été détecté ? Non, il y aurait eu la diffusion de l'alarme, et puis ce n'aurait pas été le docteur qui serait venu le chercher... Un blessé ? Mais comment ? Il n'y a pas eu de combat récemment... à part dans cette épave... peut-être... Et de toute façon, le capitaine est rentré sain et sauf, non ?

Tadashi repense à ce que Lydia et lui ont entendu. C'était un combat contre qui ? s'interroge-t-il. Ses yeux se posent sur le coin du mess que Lydia s'est approprié et dans lequel elle s'installe toujours pour jouer aux heures des repas.

Elle n'est pas là.

Il se demande où elle est.