Chapitre 8 : Tourisme local - Partie 1
La matinée avait été mouvementée, mais fructueuse. Je promis à Papyrus de revenir le lendemain pour mon premier jour d'entraînement, avant de laisser les deux frères en famille. Après tout, le plus jeune squelette venait de rentrer, ils avaient sans doute des choses à se dire.
Je traversai la rue quelques secondes plus tard pour retourner à la maison. Étalée sur le canapé, Neelam pianotait sur son téléphone, un paquet de chips à côté d'elle. Je levai les yeux au ciel, mais ne fit pas de commentaires. Je n'avais plus la force de me battre ce matin. Asgore, Toriel et les frères squelettes avaient complètement vidé ma batterie sociale pour la journée.
Faire la cuisine n'était donc pas au programme non plus.
— Ça te va pizza ce midi ? demandai-je à ma petite sœur.
Elle haussa les épaules pour toute réponse, mais comme tous les enfants, elle semblait atteinte de la mystérieuse maladie du ni oui ni non. J'attrapai mon téléphone dans la poche arrière de mon pantalon et commandai rapidement deux larges pizzas au restaurant le plus proche. Elles n'étaient pas données, mais je compris rapidement pourquoi en jetant un coup d'œil à l'enseigne : MTT Resort. Ça expliquait sans doute la mention « Pas de paillettes » sur certaines propositions en livraison.
Je rajoutai deux gaufres à l'effigie de Mettaton à la commande pour le dessert, et envoyai la requête d'une pression sur le bouton rose « Commander » en bas de la page.
En attendant le livreur, je me penchai un peu sur les papiers d'inscription pour l'école de Toriel. Neelam m'adressa un regard mauvais depuis le canapé en remarquant ce que j'étais en train de faire, mais ne commenta pas. Elle n'avait pas tellement son mot à dire dans cette histoire. Scolariser la jeune fille était l'une des conditions des travailleurs sociaux pour l'autoriser à vivre en autonomie avec moi. Sans ça, j'aurais dû la laisser chez Madame Pompon jusqu'à sa majorité, ce qui était hors de question. Je m'étais toujours battue pour que l'on reste ensemble, ça ne changerait pas maintenant que nous étions autonomes.
Le formulaire se révéla barbant. Je le remplis sans trop de problèmes, avec toutefois une hésitation quant aux cases à remplir sur les parents. J'étais légalement la représentante légale de Neelam, mais j'écrivis les coordonnées de Madame Pompon également, au cas où. Je savais que ça ne la gênerait nullement. Si je trouvais du travail, je craignais de ne pas être là pour pouvoir m'occuper de ma sœur. Elle le serait toujours.
On sonna à la porte à la seconde pile où je reposai mon stylo. J'attrapai mon porte-monnaie en chemin avant d'ouvrir la porte à un chat anthropomorphisé qui me lança un regard désespéré. Il y avait de quoi. Je ne savais pas ce qu'il lui était arrivé, mais il était couvert de boue, à l'inverse de la boîte à pizza, d'un blanc immaculé.
— Votre commande, grogna-t-il.
— Euh... Merci. Excusez-moi, mais... Vous allez bien ?
— Je ne suis pas autorisé à répondre à cette question, petiote. Si je le faisais... Si je le faisais, je ne serai pas parti d'ici avant plusieurs heures.
Il éclata d'un rire étranglé. Ses yeux sortirent de ses orbites, vision terriblement effrayante, avant qu'il ne se plie en deux et éclate en sanglots. De toute évidence, ce pauvre minet n'allait pas bien. Je plissai les yeux pour lire le nom sur son badge. « Burgerpants ». Ça ne pouvait pas être son vrai nom.
— Vous voulez entrer prendre une douche ? lui proposai-je, par pitié.
— Non, ça ira. Je vais retourner au restaurant. Si j'arrive en retard, il va m'étriper et m'obliger à tourner des vidéos jusqu'au bout de la nuit. J'aimerais trouver une famille pour lui inculquer la notion d'empathie.
— À qui ça ?
— Le robot. Mett... Metta... Mettaton, cracha-t-il d'une voix subitement grave.
Je souris, patiente. Burgerpants déposa les boîtes à pizza dans mes mains et claudiqua vers sa moto. L'avant avait été enfoncé, et je ne tardai pas à comprendre pourquoi. Lorsqu'il démarra l'engin, un immense trait de flammes roses s'échappa du pot d'échappement, propulsant le véhicule en avant à une vitesse terrifiante. Le pauvre chat ne parvint pas à tourner le guidon et s'enfonça directement dans le premier poteau venu, qui se trouvait avoir la même forme que le trou à l'avant de sa moto. Je serrai les dents et hésitai à aller voir s'il allait bien. Il hurla au ciel une flopée d'insultes, puis redémarra, avant de s'écraser dans un autre poteau à peine trois mètres plus loin. Je compatis pour sa douleur. Son travail n'avait pas l'air des plus tranquilles...
Les pizzas en main, je retournai à l'intérieur. J'en larguai une dans le canapé à côté de Neelam et partit manger la mienne sur la table du salon. Lorsque j'ouvris la boîte, je fronçai le nez. Malgré ma demande, la pizza était couverte de paillettes. Je testai la nourriture, mais à peine en bouche, je dus recracher. Immangeable pour des humains. Dans un soupir, je relançai l'application pour me faire rembourser, photos à l'appui, sans grand espoir. Neelam avait eu plus de chance avec la sienne. Elle me fixait du regard intensément, me signalant qu'il était hors de question de partager la sienne. Je me rabattis donc sur les gaufres, par défaut. Leur odeur chimique me piqua le nez, mais elles n'étaient pas si mauvaises.
Après ce repas fort pitoyable, j'émis l'hypothèse de visiter l'école de Toriel pour repérer les lieux. Neelam me fit bien comprendre à sa grimace d'y aller seule. Qu'à cela ne tienne. J'en profiterai pour visiter un peu la ville. Elle devrait bien sortir du déni à un moment ou un autre de toute manière. Je lui fis promettre de ne pas ouvrir la porte aux étrangers et de rester ici, mais je ne m'inquiétai pas trop. Neelam avait toujours préféré rester à l'intérieur pour lire ou jouer aux jeux vidéo. Elle restait solitaire. Peut-être que Frisk réussirait à la faire sortir de sa coquille ? Ce serait le scénario idéal.
J'ouvris la porte et sortis. Il faisait toujours un peu chaud en cette fin d'été, mais les températures n'étaient plus suffocantes. Par chance, plusieurs des enfants de Madame Pompon maîtrisaient la magie de glace et avaient permis de rendre la chaleur supportable, parfois en transformant la maison en véritable patinoire. J'allais devoir me passer de leurs services à présent.
Devant la maison d'en face, Papyrus... marchait dans le vide. Je restai un long moment interloquée à le regarder nettoyer les fenêtres de l'étage, les deux pieds à au moins trois mètres du sol. Il me salua d'un grand geste de la main, avant de se reconcentrer sur sa tâche. D'accord. Je n'avais jamais vu de monstre voler avant. En tout cas, pas sans ailes ou autres étranges attributs physiques permettant cet exploit. Je secouai la tête, enregistrant cette information dans un coin de mon esprit, avant de me diriger vers le bout de la rue, où se trouvait l'arrêt de bus.
L'école se trouvait un peu plus bas dans la vallée. Il n'en existait que deux pour les monstres, dont celle de Toriel, qui commençait à s'hybrider. Neelam et moi allions dans une école humaine pendant notre séjour chez Madame Pompon, ce qui n'avait pas été une grande réussite. Malgré tous les efforts pour effacer les différences, habiter chez des monstres avait tendance à froisser bon nombre de personnes. Ma sœur et moi en avions fait les frais tout au long de notre scolarité. J'étais bien contente que Neelam puisse évoluer dans un autre environnement maintenant que nous étions autonomes.
Le bus ralentit deux minutes plus tard. Je grimpai à l'intérieur et me fis une place parmi les nombreux monstres présents. Je réussis à m'asseoir à côté d'un imposant loup gris qui fit de son mieux pour se coller contre la vitre pour me laisser un peu de place.
Beaucoup, si ce n'était la plupart des monstres, n'avaient pas de voiture. Undyne, ou même Papyrus, dont j'avais aperçu plus tôt la décapotable rouge, restaient des exceptions. Les humains n'avaient pas encore trouvé de solutions pour adapter les véhicules à la variété de morphologies de leur peuple. D'autres craignaient aussi la technologie humaine dans son ensemble et se montraient méfiants envers toute innovation, ce qui pouvait se comprendre étant donné l'histoire du peuple des monstres.
La méfiance s'étendait par ailleurs parfois à toute l'espèce humaine, au même titre que celle des humains envers eux. Je surpris le regard d'un étrange hybride entre cheval et hippocampe, clairement hostile. Les altercations restaient rares, les monstres ayant tendance à éviter naturellement les problèmes. Ajouté à ça, comme l'avait souligné Toriel, la police tendait à favoriser automatiquement les humains lorsqu'il y avait des conflits.
Les arrêts défilèrent et avec eux leur lot de monstres qui montaient et descendaient. Mon compagnon de route me laissa la place après quelques minutes, ce qui me permit de profiter du paysage, et en particulier l'imposante montagne qui surplombait la ville. Les Souterrains avaient été complètement désertés l'année précédente, avec le déplacement des populations aquatiques. De longs mois de travaux avaient été nécessaires pour leur permettre de vivre à l'extérieur, avec la construction d'un immense bassin de l'autre côté de la montagne. Humains et monstres cherchaient à présent des solutions pour leur permettre d'évoluer hors de l'eau, leur étang étant certes plus grand... Mais toujours une prison inacceptable pour des créatures qui avaient pleinement conscience de leur statut.
Le bus ralentit à l'approche de mon arrêt. Je me levai et me traçai un chemin vers la porte. Une bonne partie du bus se vida et je suivis le mouvement. L'école se trouvait juste à l'extérieur du centre-ville, marquant la limite entre la zone commerciale et les quartiers plus résidentiels d'Ebott City.
Téléphone à la main, je tournai quelques secondes sur moi-même pour trouver dans quelle direction pointait le GPS. Il indiquait trois minutes de marche, je ne devais donc pas me trouver très loin de ma destination. Je repérai bientôt un groupe d'enfants, sacs sur le dos, qui se dirigeait vers une grande bâtisse en briques et décidai de les suivre. Ils me menèrent directement devant un grand portail en fer, derrière lequel plusieurs dizaines de jeunes monstres excités couraient dans tous les sens, dans une immense cour. J'y repérai aussi bon nombre d'adolescents, installés sur les appuis de fenêtres ou traînant encore devant l'école. Humains ou monstres, certaines choses ne changeaient pas.
Un peu perdue, je m'aventurai dans la cour, à la recherche d'un panneau m'indiquant où je devais me rendre. Plusieurs choix de portes s'offraient à moi. Je m'apprêtais à interpeler un des élèves quand une main m'effleura le dos, me faisant sursauter. Je fis volte-face et rencontrai les yeux de Frisk, curieux. Je me détendis immédiatement.
— Tu as besoin d'aide ? signa-t-il.
— Ah, tu vas peut-être pouvoir m'aider. J'ai les papiers d'inscriptions de Neelam, mais je ne sais pas où je dois les donner.
— Suis-moi, je vais t'emmener voir Maman.
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