Lui
Plusieurs semaines ont passé depuis le jour des fleurs. Le printemps a pointé le bout de son nez, les oiseaux gazouillent et les bourgeons éclosent peu à peu. Tous les membres de ma famille sont repartis chez eux, à l'autre bout de la France, me laissant enfin en paix. De mon côté, je me sens surtout soulagé. Je déteste les voir, faussement désolés, et devoir faire semblant de ne pas leur en vouloir.
En ce samedi après-midi ensoleillé, j'enfourche mon vélo, arpentant le parc voisin. A force, je connais le chemin par cœur.
A gauche.
Puis à droite.
Me voilà sur la piste cyclable, suivant les légères courbes au gré du vent. Beaucoup de familles se prélassent dans les étendues vertes, parsemées de pâquerettes. Des chiens s'amusent à rapporter le bâton à leur maître, tous contents. Des enfants glissent sur le toboggan. Cette seule vision suffit à me rembrunir instantanément. J'accélère mes mouvements, quittant brusquement le petit bosquet. Agacé, je pédale sans m'arrêter, encore et encore. Des fratries soudées qui jouent au ballon, très peu pour moi.
Sans m'en rendre compte, j'ai rejoint le village voisin, à plusieurs kilomètres de mon point de départ. A bout de souffle, je m'arrête sur la placette de la petite ville, à côté de la fontaine. Sa fraîcheur m'apaise un tant soit peu. M'asseyant quelques minutes, mes paupières se ferment. Cherchant à retrouver un rythme cardiaque stable, je me concentre sur ma respiration. Quelques gouttes d'eau s'écrasent sur ma peau luisante de sueur. Me sentant un peu mieux, je rouvre les yeux.
Et depuis ce banc en bois, j'aperçois la devanture incroyable. Ces vieilles vitres entourées de bois colorés et repeints artisanalement il y a peu. Et puis toutes ces tonalités vives. Je ne comprends pas pourquoi cette boutique m'émeut autant. Dans ma vie, je suis quand même allé chez plusieurs fleuristes. Alors, qu'a-t-elle de plus que les autres ? Dans une graphie élégante, il est inscrit en blanc : « Chez Azalée ».
Curieux, je laisse mon vélo sur une barrière et m'approche de la vitrine. Derrière, un chat se dore la pilule au soleil, les pattes en l'air. Au-dessus de sa tête, une feuille indique : « Ce chat n'est pas mort, il dort. Merci. » Amusé, je ris doucement, fixant la bête poilue en plein effort, le ventre offert à la vue de tout le monde.
Relevant le regard, je découvre alors la même fleuriste que la dernière fois, s'affairant sur une grosse composition. Elle n'hésite jamais lorsqu'elle attrape une plante, et elle ne se trompe pas. Fasciné, mes yeux l'observent longuement. La jeune femme semble si concentrée, qu'elle ne me remarque même pas. Une longue tige savamment recoupée, de grandes feuilles, des fleurs élégantes. Subitement, je regrette de ne pas avoir profité des arbres en fleurs, dans ce parc et de m'être enfui si rapidement.
Sans y réfléchir, je pousse encore une fois la porte. Instantanément, mille effluves se mêlent entre elles, me chatouillant les narines.
La botaniste, dans son tablier, se retourne en m'offrant un sourire de bienvenue.
— Oh, vous, je vous reconnais ! s'exclame-t-elle.
Amusé, j'hausse un sourcil. Depuis la dernière fois, je n'ai pas remis un pied ici. Surpris qu'elle se souvienne de moi, je ne trouve rien à répondre.
— Le bouquet a-t-il plu ? s'enquiert-elle, rangeant son sécateur dans sa poche.
— Oui, elle était ravie, mens-je à demi-mots.
Parce qu'à moi, il m'a plu.
La jeune femme semble rayonner de cette nouvelle. Ses longs cheveux bruns et ondulés sont ramenés en un chignon flou, laissant s'échapper quelques mèches. Son nez aquilin lui donne un profil atypique. Subitement, elle sort un carnet de sa poche, remonte quelques pages et paraît y noter quelques mots. Probablement pour une commande future.
— Vous faut-il quelque chose aujourd'hui ? me questionne-t-elle gentiment.
— Des fleurs.
Elle se met à rire face à ma réponse évidente, m'indiquant que s'il m'avait fallu du pain, elle n'aurait rien pu faire pour moi. Pas vexé pour un sou, j'enfonce mes mains dans mes poches, d'humeur plus légère que dans ce parc, une heure auparavant. Il faudrait que j'arrête d'y passer, ça serait plus simple.
— Quel est votre prénom ? me renseigné-je soudainement, sans raison apparente.
— Dahlia, pour vous servir !
— Très bien, Dahlia, j'aimerais des fleurs pour moi.
— Misère, souffle-t-elle. Et pour qui ai-je l'honneur de composer ?
— Isaac.
— Très bien, Isaac, voyons ce que nous pouvons faire pour vous.
Elle sort un vase de je-ne-sais-où et semble attendre ma description, comme la dernière fois. Seulement, j'aimerais connaître la vision qu'une inconnue a de moi. Juste comme ça. Remontant mes lunettes sur mon nez, je la mets au défi de me proposer quelque chose sans rien connaître de ma personne. Dahlia a l'air perturbée, ne s'attendant clairement pas à cette proposition.
— Mais, enfin, je ne peux pas vous juger comme ça, balbutie-t-elle. Et si je me trompais ?
La fleuriste paraît complètement perdre ses moyens, elle qui a l'air de voguer parmi ses fleurs comme un poisson dans l'eau. Ses grands yeux m'observent, impuissants. Et le vase reste définitivement vide. Déçu, une grimace se dessine sur mon visage
— Bon, tant pis, je ramasserai des pâquerettes dans le parc en rentrant, soupiré-je.
D'un coup, elle paraît triste, les bras ballants. Alors, j'ajoute :
— Vous avez raison. Nous nous recroiserons sûrement et, peut-être qu'un jour, j'aurais le bouquet parfait !
Dahlia m'offre un sourire timide, haussant les épaules. Subitement, une pensée illumine mon esprit, et ne le quitte plus. Et si... ?
— J'aurais peut-être dû le dire dès le départ, mais je suis paysagiste, affirmé-je, sûr de moi. Et je serais ravi de collaborer avec vous prochainement. Vos compositions me plaisent beaucoup, j'ai besoin de renouveau dans ma manière de travailler.
Sa bouche forme un « O » parfait tandis qu'elle se met à bégayer, visiblement surprise de cette annonce. Quant à moi, je ne me démonte pas, attendant fermement une réponse de sa part. En vérité, je n'y ai pas réfléchi une seule seconde. Cette idée vient de germer dans mon esprit à l'instant et elle me paraît incroyablement extraordinaire.
J'exerce ce métier depuis plusieurs années. Aujourd'hui, j'ai l'impression de tourner en rond. Le fruit de mon travail ne me convient plus, il me manque quelque chose. Le rendu reste constamment terne, banal. Or, Dahlia sait parfaitement comment agencer toutes ces plantes pour les rendre sublimes. Aussi inattendue soit-elle, cette perspective me plaît beaucoup.
— Mais, je suis fleuriste. Je vois mal comment je pourrais vous venir en aide, balbutie-t-elle. Je n'y connais rien en arbres. Ça risque de ne pas être très « feng shui »...
Malgré moi, je me mets à rire. Puis, silencieusement, mes pieds font le tour de sa minuscule boutique, cherchant un défaut dans ses bouquets. Au fond, il pourrait y en avoir que je ne les verrai même pas. Oui, nous pourrions créer des jardins magnifiques à nous deux.
— Tu ne te rends pas compte du talent que tu as, pas vrai ? Pardon, je tutoie toujours mes collègues, j'espère que tu ne m'en veux pas trop.
La botaniste pique un fard, essuyant ses mains moites sur son beau tablier. Je ne lâcherai pas le morceau. Elle est celle qu'il me faut, j'en suis certain et je n'en démordrai pas. Mon intuition ne m'a jamais trompé.
— Si c'est une question de salaire, ça se négocie, j'ajoute, ne quittant pas des yeux ce sublime bouquet, posé juste derrière le comptoir.
Des roses, des tulipes, des géraniums, et j'en passe. Toutes ces odeurs ravivent en moi l'envie de créer. Elle, qui s'était perdue depuis bien longtemps. Enthousiaste, j'offre un immense sourire à Dahlia, qui paraît perdue.
— Mais, j'ai déjà mon travail ici, je ne peux pas me dédoubler, souffle-t-elle, dépassée.
Une moue tiraille mon visage, terriblement dépité.
— Je comprends... Alors, voyons moins grand. Puis-je passer ici lorsque j'ai besoin d'un conseil ? Ou que je suis bloqué sur une idée ?
Son cerveau semble réfléchir à vive allure. Ses yeux virevoltent dans toute la pièce. Finalement, elle murmure un petit « oui » de convenance. Je saute sur l'occasion.
— C'est vrai ? Super ! m'exclamé-je, sincèrement ravi. Je travaille sur un projet en ce moment, je vais continuer de l'avancer avant de te demander ton avis. Merci Dahlia !
Sans lui laisser le temps de changer d'avis, je quitte la boutique, enfourche mon vélo et pédale jusqu'à chez moi, souriant bêtement. Il faut absolument que la première collaboration la convainque pour que nous puissions en envisager d'autres pour le futur. La botaniste saura parfaitement choisir les fleurs, je n'ai aucun doute là-dessus. Et je m'occupe du reste.
Ce samedi aura été bien plus productif que prévu. Les idées fusent dans mon esprit, alors que ce dernier est resté si vide ces derniers temps. Dès que j'arrive chez moi, je reprends un plan vierge et recommence à envisager ce jardin, autrement.
Je crois bien que j'ai trouvé une muse.
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Bonjour tout le monde !
J'espère que ce deuxième chapitre vous aura plu ?
Déjà, on connaît leurs prénoms, c'est un bon début :) Vous apprendrez à les connaître au fur et à mesure, ils ont beaucoup de choses à faire découvrir... (Sachez que j'ai eu un mal fou à trouver le prénom masculin. Je sais que je m'en suis déjà servi dans une nouvelle, mais aucun rapport entre les deux !)
J'espère que l'univers floral vous plaît, parce qu'il sera un peu au centre du roman...
Je tenais à vous remercier pour vos retours sur le chapitre précédent, ça me rassure pas mal pour la suite de l'écriture :)
Bonne soirée à vous,
Fantine
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