12 # Ça t'aidera à soigner ton cœur
Média : La rivière - Pomme
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Dahlia
La pluie a duré des jours durant. Le soleil parvient enfin à se frayer un chemin parmi les nuages gris, éclairant le petit salon de ses rayons chaleureux. Depuis l'inondation, je n'ai pas quitté l'appartement d'Isaac. Etonnamment, j'y ai facilement trouvé mes marques. Au cours de la journée, il se rend au travail. Sur le chemin du retour, il passe dans ma maisonnette humide pour récupérer des vêtements et quelques affaires. De mon côté, je demeure ici, avec mes centaines de feuilles de papier abimées et le bruit tonitruant de la météo capricieuse. Même Myosotis, le chat, semble apprécier cet endroit. Enroulé sur lui-même, il passe ses journées sur le canapé à roupiller à mes côtés.
Armée de mon stylo, ma main tente de retracer le peu de lettres restantes. Puis, j'essaye d'en deviner le sens, de me remémorer le souvenir associé et de l'écrire à nouveau. Avec horreur, je me rends compte que beaucoup de détails m'échappent. Pire encore, certains moments ont l'air de s'être effacés de ma mémoire, me laissant un goût amer. Pourquoi ne suis-je pas passée à la nouvelle ère ? Si j'avais tout écrit sur ordinateur, j'aurais pu l'enregistrer sur différents disques durs, stockés à plusieurs endroits et je ne me retrouverais pas avec cette sensation d'impuissance. Frustrée, j'abandonne mon crayon, observant ce qui m'entoure.
Isaac n'a pas hésité une seule seconde avant de m'accueillir dans ces murs. Il m'a offert une part de son intimité et de sa personnalité, sans inquiétude. Lorsque je me suis baladée dans ce logement, j'ai remarqué une décoration simpliste et, surtout, très arborée. Son balcon se retrouve tellement plein d'arbustes, qu'une table peine à y trouver sa place. Le salon accueille autant de plantes vertes que d'autres, plus colorées. Et je m'y sens extrêmement bien, comme protégée par ces entités naturelles. Prenant une grande inspiration, je remplis mes poumons de ces bonnes ondes.
Mon regard se pose alors sur le sol, où s'étalent toutes ces feuilles griffonnées dans tous les sens. Ces derniers temps, je dors peu, passant le plus clair de mon temps le dos penché sur ce parterre de souvenirs. Isaac me laisse agir, sans jamais me reprocher d'envahir son espace. Malgré mes moments d'angoisse très intenses, il reste là, à mes côtés. Alors, je lui raconte mes vies aux côtés d'Azalée. Celle où nous partagions notre amour des fleurs, où elle m'a accueillie les bras ouverts avec sa cuisine emplie de gâteaux odorants. Puis, celle où sa mémoire s'est estompée, ne se rappelant pas de mon visage. Pour l'instant, je ne suis pas encore parvenue à lui détailler réellement cette seconde partie. Il m'écoute patiemment, ne me poussant jamais dans mes retranchements. Avec une bienveillance plus qu'appréciable actuellement, il s'assoit à mes côtés, ne prononce pas un mot et reste là, des heures durant.
Honnêtement, si cet accident avait eu lieu dans la solitude, je ne sais pas comment je m'en serais sortie. Où aurais-je trouvé refuge ? Qui m'aurait aidée ? Comment aurais-je surmonté cette épreuve et tout ce que cela engendre ? Des tas de souvenirs affluent dans mon esprit, me faisant perdre pied.
Devant son plan de travail, elle reste immobile. Son vieil âge se traduit par des mains ridées, des gestes hésitants. Attrapant un œuf, elle l'observe longuement entre ses doigts, avant de le reposer. Puis, sous mon regard intrigué, je vois Azalée ranger tous ses ingrédients, agacée, comme si elle ne savait pas quoi en faire. Finalement, elle laisse le saladier dans la cuisine et s'enfuit presque dans le jardin. Trouvant un refuge dans cet écrin de verdure, elle frôle les feuilles, un sourire rassuré se dessinant sur son visage.
C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me questionner. Depuis toujours, elle cuisinait ses gâteaux sans jamais regarder les recettes tant elle les connaissait par cœur. Alors, je l'ai emmenée chez le médecin et le diagnostic n'a pas tardé à tomber.
Alzheimer.
Mon monde s'est écroulé. On m'a proposé de la placer dans une maison de retraite. Je n'ai pas pu m'y résoudre, parce que sans ses fleurs, elle n'aurait pas survécu longtemps. J'en suis persuadée. Alors, j'ai pris la lourde décision de la garder à la maison, pour qu'elle ait accès à son jardin à toute heure de la journée et de la nuit. Je reste persuadée que ça l'ai aidée, autant que possible et ça me rassure. Parfois, je la trouvais en pleine nuit, allongée dans le jardin, dormant parmi ses fleurs. Un plaid sous le bras, je la rejoignais et nous dormions à la belle étoile. Azalée se réveillait toujours sereine.
Une clé se tourne dans la serrure, laissant apparaître Isaac. Une ride d'inquiétude déforme son front. Ses sourcils disparaissent derrière la monture de ses lunettes rondes. Dès qu'il m'aperçoit, un petit sourire se dessine sur ses lèvres.
— Salut, murmuré-je, toujours assise sur son tapis.
Un hochement de tête en guise de réponse, il se déchausse, se déleste de ses affaires dans l'entrée et vient s'asseoir lourdement sur le canapé derrière moi.
— Tu avances ? s'enquiert-il, attrapant une feuille libre traînant là.
Lassée, je les récupère toutes une à une, les rassemblant en un tas uniforme.
— Ça ne sert à rien, assuré-je, agacée. Je discerne une lettre ou deux par pages. Une date, tout au plus.
Isaac se lève et se dirige silencieusement vers son manteau accroché dans l'entrée. Il en sort un petit paquet rectangulaire.
— Tiens, ça devrait t'aider.
Récupérant le cadeau, j'en déchire doucement le papier marron. Ainsi, je découvre un carnet. La couverture est brodée, représentant des fleurs. La pulpe de mes doigts frôle le travail appliqué. Puis, j'ouvre le cahier, contenant des feuilles jaunies, de bonne qualité.
— Tu vas pouvoir recommencer à écrire ton quotidien, me sourit Isaac.
— Merci beaucoup, soufflé-je, émue.
Il aurait pu me juger sur cette manie ridicule de tout noter scrupuleusement. Pourtant, il n'a jamais émis le moindre commentaire désobligeant, m'offrant même de quoi continuer. Je l'avoue, depuis que je suis arrivée ici, je suis restée focalisée sur la perte de tous ces souvenirs, tournant en boucle sur Azalée. Déposant mon présent avec une attention particulière sur la table basse, je le rejoins sur le canapé. Ma tête trouve sa place sur épaule tandis que son bras s'enroule naturellement autour de mes épaules. L'angoisse que je ressentais tout à l'heure s'estompe peu à peu, à son contact.
— « Tu apprendras tous les noms des fleurs,
Ça t'aidera à soigner ton cœur
Ne te perds pas en chemin
Il y a des choses qu'on ne fait pas bien » , récité-je.
Surpris, il se redresse. Sentant son regard posé sur moi, je pivote dans sa direction.
— J'ai entendu cette phrase dans une chanson, je l'aime beaucoup, expliqué-je.
— « Tu apprendras tous les noms des fleurs,
Ça t'aidera à soigner ton cœur », répète-t-il en hochant la tête, comme s'il approuvait.
Isaac
Ses bottes en caoutchouc aux pieds, Dahlia avance prudemment sur le sol empli de flaques. En ce samedi après-midi, elle a souhaité se rendre « Chez Azalée », à condition que je l'accompagne. Acceptant sur le champ, nous voilà sur place pour constater l'ampleur des dégâts. Toutes les fleurs ont été noyées, jonchant tristement le carrelage. La fleuriste rejoint la partie habitation, découvrant avec émotion sa maisonnette défigurée. Les meubles en bois n'auront pas survécu à l'orage. L'eau a taché les murs d'une couleur marron à hauteur des mollets et de la boue demeure sur le carelage. J'observe mon amie arpenter les lieux avec une émotion non feinte. Poussant la porte de la véranda, s'offre à nous un jardin boueux, où les plantes sont recouvertes de terre.
— Déjà qu'il n'était plus très beau, il a terminé de mourir, affirme Dahlia, croisant les bras.
— Dis-toi que nous partirons d'un lieu totalement vierge pour le reconstruire. Bientôt, il sera magnifique, j'assure, m'approchant d'elle.
Elle m'offre un sourire triste. Subitement, nous entendons des bruits de pas derrière nous. Nous retournant comme un seul homme, nous apercevons Jean qui se fraie un passage jusqu'à nous. Comme à mon habitude, je le salue poliment, tentant de ne rien laisser transparaître à Dahlia. Sait-elle que nous nous connaissons, depuis bien longtemps ? Connaît-elle son rôle dans ma vie ?
— Bonjour, annonce-t-il. Je vous ai vus entrer ici. Je peux vous filer un coup de main pour déblayer tout ça ?
Dahlia, semblant un peu perdue, acquiesce sans trop savoir pourquoi. J'interviens donc :
— Nous nous chargerons de ça demain . Aujourd'hui, on voulait surtout voir à quel point tout avait été touché.
La botaniste paraît rassurée que je prenne la main. Me faisant visiblement confiance pour gérer la situation, elle s'éloigne dans le jardin.
— Quand j'ai vu que la pluie avait entamé la boutique, je me suis dit que la maison ne tiendrait jamais le coup. Pauvre petite, soupire le restaurateur, sincèrement touché par la situation. Vous avez appelé l'assurance ?
— Oui, mais le temps que l'expertise ait lieu, les travaux n'auront pas lieu avant des mois, déploré-je.
Du coin de l'œil, je vois Dahlia accroupie devant un arbuste. Elle a l'air sincèrement émue par la situation. Pour autant, elle se bat pour garder le dessus et je ne peux que l'admirer pour cela.
Face à moi, Jean l'observe également. Comme un père s'inquièterait pour sa fille. Trop pudique pour lui montrer, il ne va pas à sa rencontre. A la place, il préfère me demander s'il peut apporter son aide.
— Faites-moi signe lorsque vous commencerez à tout vider. Même si je guetterai à ma fenêtre.
J'opine du chef, enfonçant mes poings dans mes poches et me balançant sur mes talons.
— Comment vas-tu petit ? s'enquiert-il soudainement.
De là où elle se trouve, Dahlia ne peut pas percevoir le moindre mot de notre discussion. Je n'ai pas eu le temps de lui parler du lien qui m'attache à Jean. Et, honnêtement, le moment semble très mal choisi. Je vais laisser passer l'eau sous les ponts puis je lui expliquerai. Je n'aimerais pas qu'elle l'apprenne par quelqu'un d'autre. Bien que cela ne changerait rien à notre relation, je préfère lui en toucher deux mots moi-même. La confiance s'est clairement installée entre nous, je regretterai que tout s'effondre pour si peu.
— Ça va, soufflé-je. Du moins, tant que je ne les côtoie pas, tout va pour le mieux.
Le vieil homme acquiesce, une lueur de rébellion dans ses pupilles.
— Aller, prenez soin de vous, conclue-t-il, me donnant une tape sur l'épaule avant de s'éclipser.
Quelques minutes passent avant que Dahlia me rejoigne, le regard vitreux.
— Tu veux bien récupérer un carton pour moi ? Je suis trop petite...
La talonnant jusque dans la cuisine, j'attrape le carton qu'elle m'indique, tout en haut de l'armoire. Elle en sort deux albums photos et d'anciens moules à gâteaux qui ont l'air d'avoir beaucoup servi.
— Je ne suis pas très douée en cuisine, mais au lieu de tourner en rond chez toi toute la journée, je pourrais faire des gâteaux ? propose-t-elle.
Du fond de la boîte, elle extirpe un gros livre, marqué de papiers et post-it en tous genres. Le papier jauni prouve son ancienneté. Tandis qu'elle l'ouvre, de la poudre blanche s'envole. De la poussière ou de la farine ?
— Oh, ça ! s'exclame-t-elle. Azalée adorait les gâteaux à la carotte.
En cet instant, elle pose sur moi des yeux remplis d'émotions. Autant de tristesse que de joie et de nostalgie.
— Tu aimes les carottes ?
— Oui, ris-je, content de la voir sortir de sa torpeur des derniers jours.
— Sinon, j'aurais tenté à la courgette, tu n'y aurais vu que du feu. Je peux faire ce que je veux, en fait, assure-t-elle, feuilletant son grimoire.
— Je n'aurais peut-être pas vu la supercherie, mais le goût reste différent Mademoiselle.
Tandis que je m'approche d'elle à pas de loups, elle recule d'autant, cherchant à dissimuler son rire.
— Montre-moi ça, quémandé-je, tentant d'attraper le livre qu'elle tend en l'air.
Sur la pointe des pieds, elle m'échappe en riant, oubliant l'état de la maison qui l'entoure. Et ça me met tellement du baume au cœur, que je l'attrape par la taille et la fait tournoyer dans les airs. Ses bras s'accroche à mon cou, riant de plus belle.
Au moment où je la repose au sol avec douceur, ses mains n'ont pas quitté ma nuque et ses lèvres trouvent les miennes. Hébété au premier instant, je ne tarde pas à retrouver mes esprits en l'embrassant à mon tour. D'un coup, c'est comme si toutes les pièces orphelines de mon puzzle trouvaient leur moitié, s'emboîtant à la perfection. Sa douce odeur de fleur m'envoute tandis que je la serre un peu plus contre moi. Dahlia s'éloigne légèrement, posant son front sur le mien. Un léger sourire étire sa bouche rose. Celle-là même que je viens d'embrasser et que j'ai envie de toucher encore.
— C'est moi qui l'ai fait la première, me nargue-t-elle.
Ronchonnant de bon cœur, je m'enfouis dans son cou, lui chatouillant les côtes par la même occasion. Tandis qu'elle se débat, je parviens à lui voler un deuxième baiser. Ses joues rosies et ce petit éclat dans ses iris suffisent à me combler de bonheur.
— Si tu parviens à me faire sourire dans ce genre de moment, je me dis qu'il n'y a plus lieu de s'inquiéter de toi, me confie-t-elle, entremêlant nos doigts.
J'espère tellement que tu as raison...
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Bonjour ! Comment allez-vous ?
J'espère que votre rentrée se passe(ra) bien ? Pour ma part, je suis enfin en vacances :)
Dans ce chapitre, nous en apprenons un peu plus sur la vie que menait Dahlia avec Azalée. Puis un peu plus sur Jean et Isaac... Et puis, ça me semblait être le bon moment pour rapprocher définitivement Dahlia et Isaac, qu'en pensez-vous ? :)
En espérant que ce chapitre vous aura plu !
(Ah, et, le dernier album de Pomme est magique. Je l'écoute en boucle depuis qu'il est sorti... "La rivière" colle très bien à nos deux loustics !)
On se retrouve bientôt pour la suite :)
Fantine ~
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