Jour 47
- Dis-moi.
- Non.
- Aller !
- Non.
- Tu me l'as promis hier soir !
Il était insupportable ! Jordan ne faisait que d'insister depuis ce matin pour connaitre ce qui m'avait tant perturbée l'autre nuit. Je ne lui avais toujours rien dit de ce souvenir et je ne le voulais pas. Mais bien entendu, il n'était pas de mon avis.
- C'est gênant Jordan, bafouillai-je en baissant les yeux sur mes mains et les joues déjà bien pourpre.
- Ok, alors on va faire autrement.
Je le regardai en fronçant les sourcils, puis il reprit :
- Il y avait qui ?
- Toi.
- Et ?
- Seulement nous deux.
- D'accord. Et c'était où ?
La chaleur dans mes joues revint et mon regard parcouru rapidement la pièce où nous étions, s'attardant longuement sur mon lit, l'élément central de la pièce et de mon tourment passager.
- Ici.
- Dans ta chambre ?
- Oui.
- Ok, et qu'est-ce que je te disais ?
- Rien du tout.
- Nikky, soupira-t-il. Pou...
- C'est vrai ! Il n'y a pas eut un seul mot.
Je me relevai du lit, trop mal à l'aise pour y rester.
- Alors qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Le pire en ce moment, c'est qu'il n'insistait pas pour m'embêter. Il semblait réellement inquiet à cause de ma réaction excessive de l'autre soir. Et il y avait de quoi ! J'avais un peu pété un plomb, je devais l'avouer.
Mais quand je lui dirai, il se moquera de moi et je ne réussirai plus jamais à le regarder dans les yeux. Toutefois, une chose était sûre : Jordan n'allait pas me lâcher de toute la journée pour me faire parler. Alors je capitulai.
- Je...
Face à ma fenêtre, je voyais Jordan du coin de l'œil assis sur mon lit, qui me regardait en attendant que je continue.
- Je crois que... J'ai... Hum... Rêvé de notre première fois...
- Qu-Quoi ?
- Tu as très bien entendu, l'accusai-je en croisant mes bras sur ma poitrine. Je ne répéterai pas.
- Non je... Ok.
Même lui semblait perdre ses mots. Comme je le pensais, il ne s'attendait pas du tout à ce que je dise ça.
- Ne te moque pas de moi, s'il te plait. Tu voulais savoir, tu sais.
Je me détournai de la fenêtre dans l'intention de sortir de la chambre mais Jordan m'attrapa par la main.
- Comment tu sais que c'était notre première fois et pas seulement un rêve ?
- Je ne sais pas. Juste une impression, je crois.
Il y eut un moment de silence pendant lequel il me fixait intensément alors que je détaillais minutieusement le sol de ma chambre.
- Raconte-moi.
Je laissai échapper un petit rire nerveux avant d'oser relever la tête vers lui, les joues en feu.
- Tu étais là si je me souviens bien, non ?
Il leva les yeux au ciel.
- En théorie, oui, répondit-il en souriant. Ce qui serait tout à fait logique d'ailleurs. Ce que je veux dire, c'est que habituellement, tu n'as pas les souvenirs en entier. Tu n'as que des morceaux.
- Ce n'était qu'une partie, oui, dis-je avant qu'il ne me pose la question.
Mes yeux se dirigèrent sur sa main qui tenait la mienne.
- Je me suis réveillée avant que...
- Que quoi ?
- Avant, c'est tout ! m'écriai-je en lâchant sa main.
- D'accord, excuse-moi.
Il voulu me prendre dans ses bras mais je me reculai en détournant la tête, les bras croisés sur ma poitrine, comme pour me protéger. Un malaise venait de prendre place en moi et je me sentais affreusement mal.
- C'est gênant Jordan... Tu m'as dit qu'on avait déjà... Fait ça. Mais c'est difficile pour moi. Pour moi, ça ne fait que quelques jours qu'on est ensemble, ça ne fait que quelques semaines que je te connais, alors ça... Je crois que ça me fait peur Jordan.
Une larme roula sur ma joue et je m'empressai de l'essuyer pendant qu'il me laissait continuer de parler, sans prononcer un mot.
- Je sais que tu m'as dit que tu attendrais et ce n'est pas ça le problème. Je te fais confiance là-dessus. Le truc c'est que... Je ne me souviens pas de tout ça, mais je crois que... Mon corps s'en souvient. Le soir, juste avant ce... rêve, quand on s'embrassait, je me sentais comme si je n'avais pas oublié, je crois. Non, j'en suis sûre en fait. Parce que, quand je t'ai dit que je t'aimais, tu t'es excusé et tu t'es recouché près de moi. Je n'avais pas compris, avant le lendemain, pourquoi tu t'étais excusé. Pourquoi tu avais changé de comportement en l'espace d'une seconde.
Je laissai s'écouler quelques secondes, avant de reprendre la parole, les yeux toujours rivés au sol, gênée d'enfin avouer ce que j'avais sur le cœur.
- Je crois que... Si tu n'avais pas réagit, je ne l'aurais pas fait moi non plus...
Je relevai la tête et croisai le regard inquiet et surpris de Jordan. Une autre larme s'échappa de mes yeux.
- Je ne veux plus que tu fasses ça, Jordan. Parce que si tu le fais, je vais perdre le contrôle, j'en suis certaine, et ça me fait peur. C'est trop tôt, et c'est tellement le bazar dans ma tête en ce moment que je m'y perd trop facilement. J'ai déjà du mal à savoir qui je suis, à me rappeler de qui je suis alors je ne veux pas en plus de ça, devoir...
- Nikky, Jordan vous... commença ma mère après avoir ouvert la porte de ma chambre en grand.
Ses yeux croisèrent les miens et elle se reprit immédiatement.
- Ma chérie, qu'est-ce qu'il se passe ? Jordan ?
- Rien, c'est bon maman.
Elle s'approcha de moi et j'essuyai rapidement mes joues.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? demanda-t-elle en caressant mes cheveux.
- J'ai juste... Un souvenir.
- Quel souvenir ma chérie ?
Je sentais le regard de Jordan sur moi et ça me gênait d'autant plus. Je n'allais certainement pas le dire à ma mère !
- Je dois parler avec Jordan maman.
Son regard alterna entre lui et moi, cherchant probablement à savoir ce qu'il se passait. Au bout de quelques secondes, elle sortit de la pièce en nous disant que le déjeuner était prêt si nous avions faim.
Une longue minute de silence s'écoula après le départ de ma mère. Je ne savais plus quoi dire, je lui avais tout dit. Il dû le comprendre, puisqu'il ouvrit la bouche pour la première fois depuis au moins une dizaine de minutes.
- Je sais que ce soir-là j'ai déconné, et je suis vraiment désolé. Ça ne se reproduira pas, je te le promet. Du moins, pas avant que tu le veuilles. Mais dis-moi ce que tu veux s'il te plait. Tu viens de dire que tu avais peur, et je ne sais plus quoi faire, Nikky.
Je levai les yeux vers lui.
- Est-ce que je te fais peur quand je suis vers toi ?
Je secouai la tête.
- Non. C'est de mes réactions que j'ai peur. De mes réactions quand tu es là. Près de moi.
- Donc... Tu ne veux plus de moi vers toi ? demanda-t-il horrifié.
- Non ! Enfin, si mais...
Je m'embrouillais toute seule. Je pris le temps d'inspirer longuement avant de reprendre :
- Ce n'est pas ça.
- Alors c'est quoi ? Tu me veux seulement en ami, c'est ça ? Parce que si c'est ce tu veux, je ne sais pas si je réussirai à...
- Non, le coupai-je. Ce n'est pas ce que je veux.
- Alors dis-moi clairement ce que tu veux, Nikky, me supplia-t-il en se passant la main dans les cheveux. Parce que je ne sais plus et j'ai peur de faire quelque chose de mal.
Il semblait totalement désemparé et ses yeux ancrés dans les miens commençaient à s'embuer.
Je ne savais pas quoi répondre, alors je m'avançai vers lui et le prit dans mes bras en passant mes bras autour de son cou.
- Serre-moi fort, s'il te plait, lui demandai-je en voyant qu'il ne réagissait pas.
Ses mains se posèrent d'abord délicatement sur mon dos avant de me rapprocher de lui. Il logea son visage dans mon cou.
- Je suis désolée Jordan, murmurai-je contre son oreille. J'essaie de me souvenir, mais je n'y arrive pas. J'essaie d'avancer, mais c'est compliqué. Tout ce que je sais, c'est que je t'aime, et que je ne veux pas te perdre. Alors dis-moi que tout ce que je t'ai dit ne va pas te faire partir loin de moi.
- Je ne partirai pas, dit-il simplement. Jamais.
Je me détendis instantanément dans ses bras.
On resta immobile, dans les bras l'un de l'autre pendant plusieurs longues minutes, jusqu'à ce que deux coups à ma porte nous firent sursauter. On s'écarta quand la porte s'ouvrit sur le visage inquiet de ma mère.
- Tout va bien ?
Je hochai la tête et Jordan passa devant moi pour aller s'enfermer dans la salle de bain.
- Sûre ?
- Oui maman, ça va, répondis-je en m'asseyant sur le lit.
- Je peux appeler la nourrice pour garder les jumeaux cet après-midi si tu veux, me proposa-t-elle en s'installant près de moi.
Je regardai la porte close de la salle de bain en entendant l'eau couler.
- Non, ça va aller.
- Comme tu veux. Jordan a son numéro s'il y a un problème.
Je hochai la tête mécaniquement et les larmes me montèrent aux yeux encore une fois. Ma mère s'en rendit compte et passa une main rassurante le long de mon dos. Elle ne me questionna pas mais je le fis à sa place en croisant son regard.
- Est-ce que toi et papa vous souffrez beaucoup de mon amnésie ?
Elle parut surprise de ma question.
Je ne réussis pas à retenir mes larmes de couler en entendant sa réponse franche. Beaucoup trop franche.
- Ce n'est pas de ta faute ma chérie.
Je compris immédiatement que ça voulait dire que oui. Ma mère se rendit compte trop tard de ce qu'elle avait laisser sous-entendre et je m'effondrai dans ses bras.
- Je suis désolée maman, sanglotai-je. J'essaie maman. Je te promet. Mais je n'y arrive pas. Mes souvenirs ne veulent pas revenir. J'en ai assez, c'est trop dur...
- Chut Nikky. Ce n'est pas de ta faute, c'est...
- Si. J'ai oublié, c'est de ma faute.
Elle me fit reculer et s'empara de mon visage pour essuyer mes larmes. Je voyais qu'elle se retenait de pleurer à son tour, et ça me fit d'autant plus mal.
- Tu vas te rappeler, Nikky. Peut-être pas aujourd'hui, ni la semaine prochaine, mais ça va revenir. Ça revient déjà petit à petit. Même si ça prend du temps, ça va revenir. Mais en aucun cas, tout ça est de ta faute. Tu fais de ton mieux, je le vois, et ton père aussi. D'accord ? On ne t'en veut pas, et jamais on ne t'en voudra. C'est bien compris ?
Je secouai la tête de haut en bas et ma mère me reprit dans ses bras en me berçant doucement.
- Je t'aime ma chérie. Tu y arriveras, ne t'en fait pas. Je te le promet.
Elle ne pouvait pas me promettre ce genre de chose, mais je la crue, naïvement. Parce que j'en avais besoin, tout simplement. J'avais besoin de savoir que je retrouverai la mémoire un jour. Pas seulement pour moi, mais pour mes parents, les jumeaux et Jordan. Pour eux, je devais croire en cette promesse.
***
En me réveillant de ma sieste improvisée cet après-midi, je descendis les escaliers mécaniquement. Je pourrais parier que mes yeux étaient gonflés et rouge d'avoir autant pleuré mais je m'en fichais.
Il n'y avait personne en bas et les rires des jumeaux me parvinrent depuis le jardin. Ils étaient en train de jouer dans l'herbe et Jordan était à la table sur la terrasse. Mais pas seul. Simon et Matthieu étaient là. Je devais avoir une tête affreuse et en plus de cela, j'étais toujours en pyjama.
- Salut, dis-je timidement.
Ils me répondirent d'une seule et même voix et je fis le tour de la table pour venir m'asseoir sur les genoux de Jordan. D'ordinaire, je ne l'aurais jamais fait en présence de quelqu'un d'autre, mais j'avais besoin d'un contact familier aujourd'hui. De son contact à lui.
- Merci, me murmura-t-il à l'oreille.
- Pourquoi ?
- Pour m'avoir dit honnêtement ce que tu avais dans la tête, répondit Jordan en me rapprochant de lui.
Ses bras encerclèrent ma taille et je calai mon visage dans son cou. Je voulais juste me reposer encore un peu. Il me fit un rapide baiser sur le front avant de s'adresser à l'un des deux garçons.
- Tu me le prêteras pour que j'essaie, avant de l'acheter.
- Je viendrai chez toi et on fera une partie, rétorqua Simon.
Il s'en suivie une discussion à laquelle je ne prit pas part à propos d'un jeu vidéo que je ne connaissais pas, évidemment.
Jordan profita d'un moment où nos deux amis se disputaient sur les caractéristiques d'un personnage pour me demander comment j'allais.
- Mieux.
- Pour de vrai ?
- Pour de vrai, lui souris-je avant d'embrasser sa joue.
- T'as bien dormi ?
- J'ai encore eu un souvenir.
- Ah oui ? Lequel ? s'enquit-il à moitié heureux, à moitié inquiet.
- Une discussion avec Sam. À propos d'un Mathis.
Il émit un petit rire qui me fit relever la tête pour le regarder.
- Sam et Mathis, c'était très compliqué !
- Pourquoi vous parlez de Mathis ? nous interrogea Matthieu.
Jordan ne répondit pas et se contenta de me fixer. Il hésitait surement à parler, alors je répondis à sa place.
- J'ai eut un souvenir où Sam me parlait de lui. C'est qui ?
Les garçons se mirent à rire, sans que je n'en comprenne la raison, puis Jordan m'expliqua que la période Mathis était assez drôle. En effet, ce garçon était au lycée avec nous et tout le monde semblait savoir qu'il était gay, sauf Sam, qui ne faisait que prétendre qu'il s'intéressait à elle. D'après les garçons, je l'ignorais moi aussi et quand Sam l'avait appris, elle avait très mal prit les moqueries des garçons.
Je souriais malgré moi en attendant cette histoire mais je les réprimandais tout de même. Par solidarité envers ma meilleure amie.
Les garçons continuèrent de parler de cette histoire quelques temps et partirent quand mes parents arrivèrent. Ma mère ne reparla pas de ce qu'il s'était passé ce midi, tout comme mon père. Jordan non plus n'aborda pas ce sujet, même lorsque nous étions allés nous coucher. C'était un peu comme si rien ne s'était passé, bien que tout était encore frais dans ma mémoire. Et dans celle de Jordan, j'en étais certaine.
J'avais appréhender cette journée mais je ne pensais pas que raconter ce rêve me mettrait dans un tel état de peur et de panique. Heureusement, Jordan comprenait ce qu'il se passait dans ma tête et ne m'en tenait pas rigueur. Je savais qu'il tiendrait sa promesse d'être moins entreprenant avec moi, même si je n'ignorais pas que ça allait être difficile pour lui.
J'avais conscience de lui en demander beaucoup et qu'il avait de quoi se perdre à cause de moi, mais je n'y arrivais pas. Je n'en pouvais plus de tout ça.
Cette amnésie allait me rendre dingue, et j'espérais plus que tout qu'elle n'allait pas détruire ce que j'avais auparavant construit avec Jordan en plus de dix-sept ans.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top