Jour 36
Aujourd'hui, je me suis décidée à descendre. La faim me tiraillait l'estomac et je n'avais rien avalé la veille alors je n'avais pas eu le choix.
Ma mère était venue frapper à ma chambre vers dix-neuf heure trente, et je suis arrivée à la cuisine quelques minutes plus tard. J'ai su qu'on me regardait quand le silence s'est fait entendre dans la pièce. Je n'ai pas relevé la tête, je ne voulais pas croiser leur regard, probablement empli de regrets ou de pitié. Peu importait.
Deux assiettes étaient vides. Je me suis assise à côté de mon frère, sans dire un mot, et me suis servie quelques cuillères de pâtes.
- Tu veux du fromage râpé Nikky ? me demanda innocemment Tony en me tendant un sachet.
Je secouai la tête négligemment.
- Tu en prends toujours d'habitude. Tu n'aimes plus ?
Je le regardai et il semblait ne pas comprendre ma réaction. Alors, pour lui faire plaisir, j'ai pris le sachet de fromage pour en mettre sur mes pâtes. Il me fit un grand sourire, heureux que je n'ai pas refusé. Je lui ai ébouriffé les cheveux avant de continuer de manger.
Les jumeaux n'y étaient pour rien dans cette histoire. C'était sûrement mes parents qui leur avait dit de ne rien me dévoiler. Mais comment faire taire deux gamins de cinq ans ? C'était une grande question. Peut-être le saurais-je un jour.
Ce fut ma mère qui rompit le silence en premier.
- Nikky, je veux que tu saches qu'on est vraiment désolé. Pour tout.
Je hochai mécaniquement la tête sans dire un mot, les yeux rivés sur mon assiette.
- Écout...
- J'ai compris. Ça va, dis-je en tentant d'être la moins froide possible dans mes paroles.
Elle n'ajouta rien. Mon père non plus. Ils savaient au fond que je mentais mais je n'avais pas le courage d'avoir une discussion avec eux ce soir. Ils avaient dû le percevoir.
Je terminai mon assiette le plus rapidement possible et la déposai dans la lave-vaisselle avant de me diriger vers les escaliers.
- Tu vas où ? s'enquit Charlène.
- Je vais me coucher.
- Tu ne veux pas rester jouer avec nous ?
Je me retournai vers elle. Elle me fixait intensément de ses yeux vert émeraude.
- Pas ce soir, je suis fatiguée.
- Demain alors ? comprit Tony.
- Peut-être...
Les jumeaux semblaient aussi perdu que moi dans cette histoire mais je n'avais qu'une envie, c'était de retourner à l'abri, dans mon lit. Là où je ne pouvais croiser Jordan.
En montant les marches, j'entendis une porte s'ouvrir à l'étage. Ça ne pouvait qu'être lui. Je ne voulais pas le voir, mais plus tôt je serai dans ma chambre, mieux ce sera. Il se décala pour me laisser passer lorsque j'arrivai sur le palier et je passai devant lui. Sans lui accorder un regard, et je me suis enfermée. En l'espace d'une seule seconde, son parfum enivrant s'était insinué jusque dans mon cœur.
Je voulais lui parler. J'en avais besoin. J'avais besoin d'entendre la vérité de sa bouche mais je ne savais si je serais capable de lui faire face aujourd'hui. Mais il me fallait des réponses, alors je pris mon téléphone pour composer le seul numéro que je n'aurais jamais imaginé utiliser. Je n'étais même pas certaine qu'il allait me répondre.
Quatre tonalités résonnèrent dans le combiné avant que sa voix grave ne se fasse entendre.
- Docteur Marcord.
J'ouvris la bouche mais aucun son ne sortit. C'était une mauvaise idée...
- Allô ? Il y a quelqu'un ?
- Bonsoir.
- Qui est-ce ?
- C'est Nikky. Excusez-moi de vous déranger, je n'aurais pas dû. Bonne soirée.
- Une minute Nikky, m'arrêta-t-il. Que se passe-t-il ?
Je me suis assise par terre, adossée contre mon lit et face aux photos éparpillées sur le sol. Une larme roula le long de ma joue. Encore. Mais je l'essuyai rapidement.
- Vous saviez ?
- Qu'est-ce que je savais ?
- Ne faites pas l'innocent ! m'écriai-je. Pourquoi tout le monde m'a mentit ?
- Nikky, ce n'était pas à moi de te le dire. Je suis là pour t'écouter et t'aider mais...
- Si vous aviez vraiment voulu m'aider, vous m'auriez dit la vérité, lui reprochai-je.
Comme je m'y attendais, il me sortit que mes parents lui avaient demander de se taire, bien qu'il ne comptait pas m'avouer quoique ce soit sur le sujet.
- Pourquoi personne n'a voulu me dire la vérité ?
- Encore une fois, Nikky, ce n'est pas à moi de te le dire.
- Alors à quoi vous servez ?
- À t'écouter. Est-ce que tu as besoin d'un rendez-vous pour en parler ? Je peux me libérer demain si tu as besoin, me proposa-t-il.
- Non, je n'ai besoin de rien à part de la vérité. Mais visiblement, vous ne me la donnerez pas. Excusez-moi de vous avoir dérangé. Au revoir.
Je raccrochai après qu'il m'aie conseillé d'écouter ce que Jordan avait à me dire. Que lui seul pouvait m'expliquer. Je le savais déjà, le seul problème était que je n'avais pas envie de le voir. J'étais vraiment trop bornée...
En fait, peut-être que je ne voulais pas de la vérité. Ça me faisait peur de savoir mais ça m'effrayait aussi de ne pas savoir. Je me faisais des films dans ma tête pour essayer de comprendre pourquoi il m'avait caché cela, et c'était de pire en pire. Je passais par toutes les hypothèses possibles et imaginables.
***
- Mais Maman ! Pourquoi Nikky ne peut pas dormir dans mon lit ?
- Parce j'ai dis non, voilà tout, répondit une grande femme brune, dont les yeux gris débordant d'amour et de gentillesse nous fixaient tout les deux tour à tour.
- Aller Maman ! insista Jordan.
- C'est non. Vous êtes grands maintenant tout les deux, alors vous pouvez dormir chacun dans votre lit. Maintenant, allez vous brosser les dents.
La mère de Jordan nous congédia en nous faisant monter les escaliers. Jordan boudait à cause de la réponse de sa mère et moi aussi. Je ne comprenais pas pourquoi elle avait dit non. Elle disait toujours oui d'habitude. Maman aussi disait oui quand il venait à la maison. On avait peut-être fait une bêtise mais je ne me souvenais pas laquelle.
Je pris la main de Jordan et il la serra doucement. Dans la salle de bain, on prit chacun notre brosse à dents et on se mit au travail, nous regardant à travers le miroir. Ça nous faisait toujours rire de nous voir avec de la mousse rouge du dentifrice dégoulinante le long de notre menton.
- Je peux avoir Ninou pour dormir ? Je te prête Monsieur Câlin, me proposa Jordan en s'asseyant sur son lit en sortant de la salle de bain.
- Aller, au lit maintenant ! ordonna la mère de Jordan en entrant dans la pièce.
- Attends, lui répondis-je en passant près d'elle pour rejoindre ma chambre.
Je courus jusqu'à mon sac pour sortir mon doudou. Quand je suis revenue, Jordan était déjà sous les couvertures, sa maman assise sur le rebord en train de lui caresser le front.
On fit l'échange des doudous et je lui fis un bisou sur la joue.
- Tu viens me dire bonne nuit après ? demandai-je à la mère de Jordan.
- Bien sûr, me sourit-elle. J'arrive dans une minute.
Je partis jusque dans la pièce d'à côté et me mis au lit. Je n'aimais pas ce lit. Les couvertures me grattaient et il faisait toujours froid dans cette chambre.
La mère de Jordan est venue me souhaiter une bonne nuit quelques minutes plus tard puis elle est partie, laissant la porte entrouverte pour laisser passer un peu de lumière dans la pièce.
J'étais fatiguée et je voulais dormir, mais je me suis retenue. Jusqu'à ce que la mère de Jordan parte dormir. J'ai compté trois fois jusqu'à cent, et je suis descendue de mon grand lit. Sur la pointe des pieds, j'ai passé ma porte, puis celle de Jordan.
- Tu dors ? lui demandai-je en arrivant près de son lit.
- T'es bête je croyais que c'était maman ! murmura-t-il.
Il me regarda et je lui fis les gros yeux.
- Tu dors à ma place, lui reprochai-je.
- Quand tu n'es pas là c'est ma place.
- Je suis là maintenant, alors pousse-toi ! lui ordonnai-je en souriant.
Il se déplaça jusqu'à son côté du lit pour que je puisse m'allonger. Couchés sur le côté, on se regardait dans les yeux et comme d'habitude, on s'endormit en se tenant la main.
J'avais pu récupérer mon doudou et lui le sien.
Encore un souvenir. Celui-ci me fit sourire, malgré le pincement que je ressentais dans mon cœur. J'ignorais totalement comment je savais cela, mais j'avais six ans, et déjà à cet âge là, je venais dans sa chambre pour dormir quand je ne voulais pas être seule.
De plus, toutes les fois où j'avais dormi avec Jordan, j'étais restée de mon côté du lit. Le côté droit. Mon amnésie n'avait pas changé mes habitudes, c'était le seul point positif.
Je refermai les yeux pour essayer de continuer ce souvenir, mais un autre le remplaça, quelques années plus tard.
- Tu peux aller dormir dans la chambre d'à côté s'il te plait ? me demanda Jordan en arrivant sur le palier.
Je m'arrêtai, la main sur la poignée de sa porte.
- Pourquoi ?
- Parce que.
- C'est pas une réponse ! répliquai-je en riant.
J'entrai dans la pièce et pris mes vêtements pour aller me changer dans sa salle de bain. Quand je suis revenue, il était assis sur le rebord de son lit, et me regardait.
- Je ne rigole pas, Nikky.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive d'un seul coup ? le questionnai-je en fronçant les sourcils.
- Je dis juste qu'on ne devrait plus dormir ensemble c'est tout.
Je lui fis face en croisant les bras sur ma poitrine.
- Hier soir tu n'as rien dit pourtant.
- Oui mais ce n'était pas pareil.
- Ah oui ? Et qu'est-ce qui est différent ce soir ?
Son regard s'accrocha au mien et on se fixa quelques secondes en silence, avant qu'il ne daigne répondre.
- Morgane... souffla-t-il enfin.
Encore elle, forcément...
- Donc parce que tu sors avec elle on ne peut plus dormir ensemble ! C'est ça ?
- Oui, Nikky. On s'est engueulé à propos de ça tout à l'heure et...
- Tu n'étais pas obligé de lui dire, tu sais.
- Tu as raison, admit-il. Mais je n'ai pas le droit de lui faire ça. Comprends moi Nikky. Si tu sortais avec quelqu'un, tu crois vraiment que le mec accepterait que tu dormes avec un autre toutes les nuits ?
- Il n'aurait pas d'autre choix que d'accepter, déclarai-je en boudant.
On se défia une seconde fois du regard, et je finis par céder, vaincue - bien malgré moi.
- Très bien. Bonne nuit Jordan.
Je l'ai entendu prononcer mon prénom lorsque j'ai fermé la porte mais je me suis enfermée dans l'autre pièce, pour m'enfoncer dans ces couvertures que je détestais.
Seulement six jours qu'il sortait avec elle. Six jours qu'il ne passait qu'avec elle. Au collège, il passait maintenant ses récréations collé à Morgane. Il s'asseyait à côté d'elle en cours. Et il l'embrassait. Elle. Plusieurs fois par jour.
Comment ne pouvait-il par voir le mal que ça me faisait de le voir avec quelqu'un d'autre ? Avec elle, de surcroît. Comment ne pouvait-il pas se rendre compte que ce n'était plus de l'amitié que je ressentais pour lui depuis bien longtemps ?
Peut-être le savait-il déjà, en fin de compte. Il faisait peut-être semblant, pour ne pas gâcher notre amitié.
J'avais décidé de prendre sur moi depuis plus d'un an afin de lui cacher mes sentiments, mais le voir avec Morgane me faisait encore plus mal.
J'aurais aimé qu'il ressente la même chose pour moi. Peut-être était-ce le cas mais qu'il ne s'en rendait pas compte. Peut-être s'empêchait-il de ressentir quoique ce soit pour moi pour ne pas ruiner notre amitié, comme je le faisais.
C'était décidé. Je voulais essayé de lui faire ouvrir les yeux. Je savais que je n'avais pas le droit de me servir des gens comme je m'apprêtais à le faire, mais je voulais le vérifier par moi-même.
J'allais accepter de sortir avec Alex. Ainsi, je pourrai me rendre compte si ses sentiments pour moi ne sont qu'amitié ou non.
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