Jour 35

La trahison avait un goût des plus amère.

Jamais je n'aurais imaginé que mes sentiments pour lui m'amèneraient à un tel chagrin. Jamais je n'aurais imaginé que dix-huit photos allaient mettre un tel bazar dans ma tête. Toute la nuit, j'ai regardé, analysé et détaillé chaque cliché, essayant tant bien que mal de me souvenir. Bien entendu, ce fut un échec cuisant. Mes souvenirs ne revenaient que lorsque je ne m'y attendais pas.

Cependant, j'ignorais si je les voulais réellement, ces souvenirs. En me rappelant, mes sentiments pourraient très bien reprendre davantage le dessus sur ma raison. Et si c'était le cas, je m'en mordrais atrocement les doigts.

Je le détestais.

Il me mentait depuis plus d'un mois, profitant de mon amnésie pour me manipuler à sa guise, se jouant de moi chaque fois qu'il le pouvait. Il avait bien dû s'amuser à me voir en panique depuis plusieurs jours. Il avait dû beaucoup rire durant tout ce temps.

Je ne comprenais pas. Déjà avant, je ne saisissais pas grand chose, et c'était de pire en pire. Chaque jour, j'en apprenais davantage et chaque jour tout s'embrouillait plus que d'origine. Qu'allais-je apprendre sur moi la semaine prochaine ? Dans deux semaines ? Dans quel état allais-je en sortir ? Je n'en pouvais plus.

Tout le monde savait, sauf moi. Chaque personne de mon entourage me racontait des bobards en me regardant droit dans les yeux. Tous parlaient derrière mon dos et je détestais cela.

Je me détestais d'avoir été aussi naïve, de ne pas avoir réfléchi plus que ça, d'être tombée dans le panneau. D'avoir cru en lui. En eux. De leur avoir fait confiance.

Je voulais qu'on m'explique. Je voulais comprendre. Mais en ce moment, je ne voulais voir personne. Personne de tout ceux qui m'avaient mentis, principalement parce je les savais désormais capable de continuer sur leur lancée. Je ne pouvais et ne voulais plus faire confiance à qui que ce soit. C'était bien trop douloureux de se rendre compte après coup de la réalité, de l'ampleur de la trahison. Peut-être que j'en faisais des tonnes à employer le terme de trahison, mais c'était ainsi que je le ressentais.

Quand je fermais les yeux, je revoyais ses yeux brillants de larmes quand je l'ai poussé hors de ma chambre. J'y étais peut-être allée un peu fort, mais sur le moment je me suis vraiment sentie perdue et il avait dû le remarquer. Je l'ai blessé en réagissant de la sorte. Mais il n'avait pas le droit d'avoir mal. Moi si. J'étais la seule qui le pouvait. Il pensait vraiment que j'allais lui pardonner immédiatement ? Que j'allais comprendre ? Que j'allais lui sourire et oublié ce qu'il m'avait fait ? Si c'était le cas, c'était lui le plus naïf de nous deux.

Ce qui me perturbait beaucoup en plus de tout cela, c'était que je ne me comprenais pas moi-même. Quand Alex m'avait dit la vérité - selon lui, bien entendu, étant donné que ceci aussi était un mensonge monté de toute pièce - j'en avais voulu à tous, mais pas autant qu'aujourd'hui. Pourtant, c'était le même type de mensonge. Ou plutôt le même mensonge, alors pourquoi je me sentais aussi mal ? Peut-être parce que mon égo et ma fierté venaient de prendre le large en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire...

Je m'emparais une énième fois de la première photo que j'avais vu. Celle qui était au sommet de la pile. Celle avec laquelle j'avais pu me rendre compte de ce qu'il se passait chez moi.

Elle datait de quelques jours avant mon accident, d'après Jordan, ce qui signifiait - je supposais - que c'était encore d'actualité le jour où je m'étais noyée.

Jordan était assis en tailleur dans l'herbe, près de la piscine, seulement vêtu d'un short fleuri, gris et blanc. Ses cheveux bruns, plus courts qu'aujourd'hui, étaient en pagaille et semblaient mouillés. Je ne pouvais pas voir ses yeux, ils étaient clos.

J'étais aussi présente sur ce morceau de papier, couchée dans l'herbe, la tête reposant sur ses cuisses. Je portais un débardeur blanc et un court short en jean. Mon collier habituelle arborant mon prénom était à mon cou et ce qui me semblait être une chaine en argent - que je n'avais jamais vu - entourait mon poignet droit.

Les larges mains de Jordan encadraient mon visage et il était penché au dessus de moi. Ses lèvres sur les miennes. Ces lèvres que j'avais espéré ne serait-ce qu'effleurer depuis quelques jours. Ces lèvres qui paraissaient si douces m'embrassaient. C'était étrange, mais j'avais l'impression de sentir ce baiser. De le vivre. Par procuration. Seulement par procuration.

Les autres photos étaient identiques, ou presque. Sur chacune d'entre-elles, nos lèvres étaient réunies. Sauf une. Celle où nous étions face à face, mes mains autour de son cou, les siennes dans le creux de mes reins. Lui vêtu d'un costume trois pièces et moi d'une robe sombre. Je pouvais voir des hommes et des femmes derrière nos deux corps, mais rien ne semblait nous perturber. Nous dansions, les yeux dans les yeux, un sourire sur nos deux visages. Il semblait me regarder comme si j'étais la chose la plus précieuse au monde et la plus fragile. De mon côté, une admiration sans nom brillait dans mon regard pour l'homme que j'avais en face de moi.

Mais ce qui me frappait le plus sur ce moment immortalisé à tout jamais, était l'amour mutuel qui planait entre nos deux corps. Quiconque voyait cette image ne pouvait que s'en apercevoir.

Il m'aimait.

Jordan m'aimait. Pas comme une meilleure amie, comme il me le faisait croire depuis plusieurs semaines et encore moi comme une sœur. Il m'aimait d'un amour si intense et si vital que je me sentais coupable de ne pas m'en être aperçu par moi-même.

M'aimait-il encore aujourd'hui ? Avait-il profité de mon amnésie pour mettre un terme à notre histoire sans me faire souffrir ? Me regardait-il encore comme sur cette photo ? Ou était-ce un sentiment révolu depuis mon accident ?

Je l'ignorais. Totalement.

Je pourrais lui poser toutes ces questions, mais je n'avais pas la moindre envie de lui adresser la parole. Pour le moment. J'avais peur des réponses qu'il pourrait me donner et je craignais les nouveaux mensonges qu'il pourrait me proférer. Je ne voulais plus lui adresser la parole.

Ni à lui, ni à mes parents, ni à mes amis. Personne.

Voilà pourquoi je n'étais pas sortie de ma chambre de toute la journée. Malgré l'insistance de mon père et de ma mère à travers ma porte fermée à clé, je n'avais pas prononcé un seul mot. Jordan avait dû leur dire ce qu'il s'était passé, c'était pour cette raison qu'ils m'avaient laissée tranquille après trois tentatives pour me faire quitter la pièce. Je ne voulais pas les voir, eux non plus.

Jordan n'était pas venu. Pas une seule fois.

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