Jour 30

Jordan était déjà réveillé ce matin. Quand j'ai ouvert les yeux, il me regardait seulement. Puis il m'a sourit.

Pas une lueur de pitié dans son regard. Pas une once de moquerie. Seulement de l'amitié et ce désir de me protéger, il me semble. Cette volonté constante de se préoccuper de mon bien-être, comme il l'avait fait la veille.

On est resté allongé dans mon lit plusieurs longues minutes, silencieux, à regarder le plafond, mais le vibreur de mon téléphone dérangea ce moment de paix. Jordan soupira et se pencha sur le côté pour attraper mon portable.

- C'est Alex, déclara-t-il froidement en me tendant l'objet.

Je le pris mais ne lu pas le message. Je me fichais de ce qu'il voulait pour le moment et il venait de troubler ce silence paisible.

- Tu as reçu huit messages de lui et tu n'en as lu aucun.

Je regardai l'écran de mon téléphone qui affichait en effet, que j'avais huit messages non lus d'Alex. Tous datant probablement d'hier soir. Ceux que j'avais reçu dans la journée, je les avais déjà regardés. Dans chacun d'eux, il me demandait si on pouvait se voir, comment j'allais ou si j'allais un jour lui pardonner de quelque chose qu'il n'aurait pas fait. Je n'avais jamais répondu. Je ne voulais pas lui parler.

- Je sais.

- Pourquoi ? me demanda-t-il en se tournant sur le côté pour me regarder.

Je haussai les épaules. Il ne pouvait pas comprendre. Il ne devait pas comprendre ce qu'il se passait dans ma tête. Toutefois, il le voulait.

- Parle moi s'il te plait.

Je me murai dans le silence, comme tout à l'heure. Sauf que celui-ci était pesant et non apaisant. Jordan soupira et je continuai d'admirer le plafond illuminé de la lumière du soleil qui filtrait à travers les stores.

- Depuis deux jours tu n'es pas bien. Je le vois, Nikky. Et maintenant, tu me dis que tu veux pas me parler. C'est donc de ma faute, conclut-il.

- Non ! m'exclamai-je en croisant son regard. Ce n'est pas...

- Si, Nikky. Tu m'en veux de quelque chose.

- Non... me répétai-je sans vraiment y croire.

Je me redressai pour m'asseoir et me passai les mains sur le visage en soupirant. Je lui mentais et je me mentais à moi-même par la même occasion. Je ne souhaitais pas lui en vouloir de quoique ce soit, mais c'était impossible. Ce n'était pas seulement à cause de ses mensonges et j'en étais consciente. Je le détestais de me faire ressentir cette... jalousie. Je le détestais de s'insinuer dans chacune de mes pensées quand il n'était pas avec moi et je ne comprenais pas pourquoi mon meilleur ami était aussi présent dans ma tête.

Mais le pire dans cette histoire était que j'avais besoin de lui. Je ne le détestais pas au point de l'éloigner de moi définitivement. J'avais encore l'espoir qu'il me donne des explications. J'avais peur de le mépriser à un point qui me ferait me mépriser moi-même. Je ne le pouvais pas. Il fallait qu'il reste présent dans ma vie. Il avait beau me délivrer chaque jour un mensonge supplémentaire, je n'arrivais pas à rester loin de lui.

Jordan se redressa à son tour et passa une main rassurante dans mon dos. J'aurais aimé qu'il me prenne dans ses bras pour que je puisse me blottir contre lui, mais il ne la pas fait. Et je n'ai pas pris l'initiative de le faire par moi-même. Je l'ai regretté quand il a quitté mon lit après avoir embrassé mes cheveux. Il a ouvert la porte et s'est arrêté quelques secondes, alors j'ai levé les yeux vers lui pour croiser son regard désemparé. J'avais l'horrible impression de lui causer cette peine peinte sur son visage. Une sensation détestable.

- N'oublie pas que je suis là pour toi. Si tu veux me parler, je serai toujours là pour t'aider et t'écouter, Nikky.

- Je sais... lui dis-je en baissant les yeux.

Il quitta la pièce tout de suite après.

***

- On va en boite ce soir avec les autres. Vous venez avec nous ? nous demanda Simon.

Il avait débarqué chez moi dans l'après-midi pour donner quelque chose à mon meilleur ami et depuis, il n'avait pas quitté la maison.

- Pas ce soir, déclina Jordan sans même y avoir réfléchi.

- Tu ne veux pas ? m'exclamai-je, étonnée.

- Parce que tu veux y aller toi ?

- Non, mais vas-y toi. Ça fait longtemps que tu n'es pas sortis, lui fis-je remarquer.

Il me jeta un regard entendu en me disant qu'il n'avais pas envie de sortir. C'est là que j'ai compris qu'il ne voulait pas me laisser seule étant donné que ça faisait deux nuit que je pleurais, et que j'avais avouer la veille que je n'allais pas bien. J'étais pratiquement certaine qu'il se privait pour me surveiller. D'un côté, ça m'énervait qu'il me couve, mais d'un autre, ça me plaisait qu'il ne sorte pas sans moi. En me disant cela, je me rendais compte que je devenais de plus en plus possessive à son égard. Ça me faisait peur.

La conversation dévia rapidement sur Sam, ma meilleure amie, qui devait rentrer lundi ou mardi d'Espagne. Elle m'avait téléphoné en début d'après-midi en m'avouant que, malgré que je lui manque énormément, elle ne voulait pas partir de là-bas. La plage, la villa de ses parents, le soleil, Sawyer - qui était, selon moi, la principale raison pour laquelle elle voulait rester en Espagne - et ses nouveaux amis.

Lui parler me faisait du bien. J'aimais l'entendre s'exprimer avec une joie que je n'avais pas en ce moment, et ça me permettait un peu d'oublier ce qu'il se passait ici, en dépit du fait que je me doutais qu'elle me cachait quelque chose elle aussi.

En réalité, tout le monde était au courant de quelque chose que moi j'ignorais. On me maintenait dans cette ignorance insupportable et je détestais cela. Sauf Alex. Il m'avait dit la vérité et je ne pouvais que l'en remercier, mais je n'avais pas envie de lui parler. Je ne me comprenais pas moi-même. Il était le seul à m'avoir expliqué ce que tout le monde m'avait dissimulé mais je ne ressentais pas le besoin d'être près de lui. Il était, il y a quelques semaines, mon petit-ami, mais il ne me manquait pas. J'étais égoïste de penser cela, mais c'était la vérité. Je n'avais pas de sentiments pour lui et je crois que je ne voulais pas en avoir. Quelque chose chez lui me dérangeait, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus. Et puis, l'avertissement de Sam me revenait sans cesse. Si elle me mettait en garde contre lui, c'était peut-être qu'il avait fait quelque chose de déplaisant par le passé ou je ne sais pas.

Et mes parents dans tout cela ? J'aimerais vraiment pouvoir leur parler de tout à eux aussi, mais je ne le pouvais pas. Je n'étais pas sensée savoir, alors je devais me taire.

Pour ce qui était des jumeaux, ils devaient eux aussi être au courant, pas vrai ? Ils avaient dû nous voir plusieurs fois ensemble, Alex et moi. Mes parents leur avait probablement demandé de se taire. Mais comment faire taire deux petits de cinq ans ? J'arriverais peut-être à leur extorquer quelques mots. Il faudrait que j'essaie.

- Nikky ? m'appela ma mère pendant que nous étions tous en train de dîner.

- Oui ? répondis-je en relevant la tête.

- Tu vas bien ?

- Bien sûr, pourquoi ? dis-je en souriant pour leur certifier que tout aller pour le mieux.

Jordan ne me regardait pas, et ma mère jeta un coup d'œil à mon père avant de reprendre.

- Tu es bien silencieuse et tu n'as rien mangé. Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Je n'ai pas très faim.

- Tu es anxieuse à cause de demain ?

J'avais oublié ce détail... Demain, j'avais deux rendez-vous à l'hôpital. Le premier avec le médecin, le second avec mon psy. J'ignorais encore ce que j'allais dire à ce dernier, si j'allais lui parler de tout ce que je ressentais, de ce qui me tourmentait, et si j'allais lui expliquer qu'un micro-souvenir m'était revenu. Si je faisais cela, il allait vouloir savoir comment j'allais, ce que ça me faisait de me rappeler de quelque chose. Des questions auxquelles je n'avais toujours pas trouver de réponses.

- Oui, rétorquai-je. Mais ça va aller. Je peux monter dans ma chambre ?

- Nikky, tu devrais manger un peu, soupira ma mère.

- Laisse-la Christine. Elle a besoin de se reposer un peu.

- Merci papa.

Je me levai pour vider mon assiette dans la poubelle et montai rapidement jusqu'à ma chambre, où je me suis allongée sur mon lit, pour admirer le plafond. Les mêmes questions sans réponses tournèrent inlassablement dans ma tête et ça en devenait insupportable.

Peu après vingt-deux heure, les jumeaux sont venus me voir avant d'aller se coucher pour me souhaiter une bonne nuit. J'en avais bien besoin, moi qui était bien partie pour faire une nuit blanche !

Je voulais leur poser quelques questions mais j'avais peur que ma mère soit derrière la porte, à écouter. Alors je me suis abstenue. Pour le moment.

Peu après que mes parents soient aller se coucher, j'ai reçu un message de Jordan où il m'indiquait qu'il était à la cave et que je devais le rejoindre. Ce que j'ai fais. Je voulais être près de lui. J'espérais simplement qu'il n'allait pas m'assaillir des mêmes questions que ce matin.

Arrivée au bas des marches, je suis restée immobile quelques instants pour le regarder jouer à un jeu de guerre, une manette à la main, les yeux rivés sur l'écran de télévision. Il était de dos mais je pouvais apercevoir le haut de ses épaules recouvertes d'un tee-shirt bleu foncé et ses cheveux en bataille sur le haut de son crane.

- Tu comptes rester dans les escaliers ? m'interpela la voix de Jordan.

- Non je... J'arrive, bafouillai-je.

Il ne tourna pas la tête dans ma direction, mais j'aurais pu parier sur le fait qu'il souriait. J'ai fais quelques pas pour m'asseoir sur le canapé et il arrêta sa partie pour en recommencer une autre avec moi.

On n'a pas parlé. Hormis quelques phrases échangées à propos du jeu, il n'y a rien eu. On rigolait, il souriait, je lui jetais quelques coups d'œil fascinés. J'aimais beaucoup l'entendre rire et voir ses lèvres s'étirer dans un large sourire. Je préférais le voir ainsi que comme ce matin. Préoccupé et inquiet. S'il se faisait du soucis en ce moment, il ne laissait rien paraitre. Il semblait heureux et loin de tout ce qu'il se passait depuis deux jours.

- Voilà ta quatrième défaite, ma petite ! s'exclama Jordan en se calant contre le dossier du canapé.

- J'ai gagné une partie sur les cinq tout de même !

- Ce n'est pas assez, Nikky.

Il tourna la tête sur le côté et m'offrit un magnifique sourire. Sincère. Je ne pouvais que le lui retourner, mes lèvres ont agi d'elles-mêmes.

Mes yeux, rivés aux siens, ont dévié l'espace d'une seconde sur sa bouche. Sur ses lèvres. Une seule seconde qui a suffit à accélérer mon rythme cardiaque. Et à faire monter le rouge sur mes joues.

J'ai immédiatement détourner le regard pour admirer la télévision où s'affichait le menu du jeu, affreusement honteuse et gênée. Je me suis levée pour éteindre l'écran et ranger les manettes.

- Tu fais quoi ? demanda Jordan en me regardant m'activer.

- Je suis fatiguée.

- Et si moi j'ai encore envie de jouer ? plaisanta-t-il.

Je ne le regardais pas mais j'entendais son sourire. Il se moquait de moi.

- Et bien tu rallumes. Moi je vais me coucher, déclarai-je en passant à côté de lui, le laissant seul à la cave.

Une fois arrivée sur le palier du premier étage, Jordan m'attrapa le bras au moment où j'appuyais sur la poignée de ma porte. Je levai les yeux vers lui, automatiquement. Toute joie qui l'habitait il y a peu avait laissé place à cette inquiétude que je n'aimais pas voir sur son visage.

- Ça va ?

Ces derniers temps, il me posait cette question une vingtaine de fois par jour.

- Oui oui, répondis-je en hochant frénétiquement la tête. Il faut que j'aille me coucher, je me lève tôt demain. Bonne nuit.

Il ouvrit la bouche pour répondre mais je ne le laissai pas faire et entrai dans ma chambre pour refermer la porte derrière moi. Puis je tournai le verrou. J'attendis quelques secondes le dos plaqué contre ma porte, que Jordan aille dans sa chambre ou descende les escaliers. Mais je n'entendais rien. Mis à part les battements de mon cœur qui semblaient envahir la pièce.

Pourquoi je me mettais dans un état pareil pour si peu ? Seulement parce que... Parce que quoi d'ailleurs ? Je n'avais rien fait de déstabilisant à ce point, ni de répréhensible. Pourtant, je n'arrivais pas à m'en remettre. Mes joues chauffaient toujours à l'idée que mon meilleur ami soit toujours derrière la porte, et mon cœur qui battait à tout rompre refusait de diminuer la cadence.

- Bonne nuit Nikky, murmura Jordan depuis le palier.

Quelques pas suivirent. Une porte s'ouvrit. Puis se referma dans un léger claquement.

Je me laissai glisser au sol contre la porte en laissant échapper tout l'air que j'avais retenu inconsciemment dans mes poumons. La main sur mon cœur, je sentais que ma cage thoracique était sur le point d'exploser. Je devais, une fois encore, me préparer à passer une nuit blanche. Jamais je ne réussirai à m'endormir. Trop de pensées s'insinuaient dans chaque recoin de ma tête et j'allais les explorer un par un durant les six prochaines heures qu'il me restait avant que mon réveil ne sonne.

Ces six heures allaient être bien trop courtes pour venir à bout de mes réflexions. Il m'en faudrait davantage.

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