Jour 29
- Assieds-toi, m'ordonna-t-il en avançant un tabouret près de moi.
- Tu l'as déjà fais ? le questionnai-je légèrement inquiète.
- Mais oui. Je te l'ai déjà dis.
Je me suis installée sur le tabouret de la cuisine et Jordan s'approcha de moi, une paire de ciseaux à la main qu'il approcha dangereusement de mon visage. Par réflexe, je me reculai.
- Arrête tes gamineries et tiens-toi tranquille ! me réprimanda-t-il, non sans retenir son sourire.
- Mais tu me fais peur ! rigolai-je.
- Continue de bouger et je le fais les yeux fermés.
Je stoppai mon rire et me tins droite. Le voyant s'approcher à nouveau, je pressai mes paupières pour ne pas le regarder faire. C'était mieux pour moi.
Après quelques coups de ciseaux, il m'annonça que c'était terminé et me présenta un miroir. Ma frange était bien droite, et plus courte, évidemment. Et le plus important de tout : je voyais clair !
Depuis l'hôpital, mes cheveux avaient tellement poussés que ma frange me gâchait la vue, alors ce matin, Jordan avait décidé qu'il gèrerait cela.
- Tu vois que ce n'était pas si terrible !
- Mouais... Tu me faisais peur quand même... marmonnai-je.
- Ça te plait ou tu préfères que je coupe tout ? demanda-t-il sérieusement en reprenant la paire de ciseaux.
Je me relevai brutalement, les bras tendus devant moi.
- Non merci, c'est parfait !
Il explosa de rire et déposa son arme sur la table. Je m'approchai pour la prendre et la ranger hors de sa portée. Je me sentais plus rassurée.
- Tony, tu as vu ? Grâce à moi ta sœur est enfin jolie ! se venta-t-il auprès de mon petit frère qui venait demander à boire.
- Mais non, tu es bête ! s'exclama l'intéressé.
Jordan explosa de rire en voyant mon air effaré, mais s'arrêta net quand Tony continua.
- Elle est tout le temps jolie alors c'est pas grâce à toi.
Je me baissai à sa hauteur pour le remercier et lui faire un bisou sur la joue, après avoir tiré puérilement la langue à Jordan.
Je servis du jus de fruit à mon frère et il retourna vers Charlène qui jouait au milieu du salon. Ces deux-là étaient inséparables, c'était trop mignon.
- La vérité sort de la bouche des enfants, récitai-je à mon ami. Toi tu es bête et moi je suis jolie !
- Il a dit ça seulement pour te faire plaisir, faut pas croire, maugréa-t-il.
Je le frappai à l'épaule et voulu partir mais il me retint par le bras et me serra contre lui.
- Je plaisante. Tu es toujours jolie, et encore plus quand tu souris, ajouta-t-il en murmurant contre mon oreille.
Le sang afflua instantanément à mes joues et des frissons parcoururent mon corps en quelques secondes. L'entendre le dire sérieusement me faisant vraiment plaisir mais m'embarrassait aussi beaucoup. Aussi, pour qu'il ne voit pas ma gène, je me dégageai doucement de ses bras en rigolant et me servis à boire. Pas que j'avais soif, mais je voulais seulement avoir quelque chose à faire pour éviter de le regarder.
Je l'entendis s'approcher et il me retourna pour que je lui fasse face. Il avait repris son sérieux et lentement, il prit une mèche de mes cheveux pour la replacer derrière mon oreille, puis son regard gris se planta dans le vert de mes yeux pendant une poignée de secondes, avant qu'il ne rompe ce silence apaisant.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé hier soir ?
Je baissai immédiatement les yeux, me remémorant la soirée de la veille. Quand je suis entrée dans sa chambre en lui demandant si je pouvais dormir avec lui, il avait simplement hoché la tête et ouvert ses bras pour que je puisse y prendre place. Il ne m'avait posé aucune question sur la raison de mes pleurs et s'était contenté de caresser mes cheveux pour me consoler. Il avait dû sentir que je ne voulais pas parler. Juste dormir avec lui et pleurer dans ses bras et il m'avait laissé faire.
Que pouvais-je lui répondre à l'instant ? Que j'étais en colère contre moi-même d'être jalouse ? Contre Morgane d'avoir des souvenirs de lui contrairement à moi ? Contre lui de me mentir ? Non. C'était impossible. Je n'avais pas le droit de lui déblatérer toutes ces idioties. Parce que oui, j'étais une idiote d'avoir pleurer pour si peu. Une enfant têtue, voilà tout. Alors je tentais une diversion.
- Tu m'avais dis que je pouvais venir te voir quand je le voulais...
Il me releva la tête en posant sa main sur ma joue.
- Oui, et tu l'a fais, alors j'en suis vraiment content. Mais je voudrais que tu me parles. Que tu m'expliques ce qui t'as mise dans cet état.
- Ça ne faisait pas parti du contrat, me défendis-je.
- Maintenant si.
Je secouai la tête et esquivai son regard. Je ne pouvais rien lui dire, alors il fallait que j'invente un mensonge. Sauf que la sonnette m'en empêcha.
- Quelqu'un devait passer ? lui demandai-je en fronçant les sourcils.
- Morgane. Elle a oublié ses lunettes de soleil, m'annonça-t-il en soupirant de lassitude. On reparle de tout ça après, Nikky.
Son regard sérieux m'intima l'ordre de me taire. Bien entendu je n'étais pas de son avis. Pour moi, cette discussion était close.
Quelques secondes plus tard, la blonde fit son apparition dans ma maison. Elle embrassa bruyamment la joue de mon ami et s'avança vers moi pour me saluer.
Jordan lui proposa de boire un coup et elle accepta avec le sourire. Pourquoi ? J'avais déjà supporté sa présence hier après-midi et elle allait encore rester toute la journée ? Je croyais que Jordan voulait qu'on parle. Pourquoi l'invitait-il ici alors ? Lui non plus de désirait peut-être pas finir cette discussion...
Morgane s'installa sur un tabouret de l'îlot central, Jordan à côté de moi, et elle commença à parler. Très rapidement, j'en ai eu assez de les écouter discuter de choses que je ne connaissais pas et que je ne pouvais pas comprendre, alors j'ai rejoint les jumeaux, au centre du salon. Comme il ne pouvait pas aller dehors à cause de la pluie, ils avaient sorti les feutres et une large feuille de coloriage qui mesurait bien un mètre sur trois. Ils étaient tout les deux allongés sur le ventre, appliqués dans leur travail.
- Je peux vous aider ? leur demandai-je gentiment.
Charlène releva la tête et m'offrit un large sourire en me tendant un feutre vert.
- Tiens. Tu colories l'arbre ici. Et tu ne dépasses pas ! me prévint-elle en levant un doigt en signe de menace.
- Ça va, je me souviens encore comment colorier, marmonnai-je.
Je n'avais pas particulièrement envie de mettre de la couleur sur un dessin mais c'était toujours mieux que de rester avec eux...
J'avais dû passer un bon quart d'heure allongée avec eux, pour m'appliquer dans cette tâche très difficile qu'était le coloriage. Toutefois, je jetai des coups d'œil fréquents à la cuisine et tentai d'écouter, en vain, ce qu'il s'y disait. Jordan avait surpris mon regard de nombreuses fois, pour ne pas dire tout le temps. Et chaque fois, je tournai la tête en rougissant.
J'avais honte de l'épier de la sorte, mais je n'aimais pas particulièrement Morgane. Elle était près de lui, lui souriait, touchait son bras de temps en autres. A chaque contact de sa part, mon meilleur ami l'esquivait. C'était indéniablement plaisant de la voir se faire repousser ! Pourquoi avait-il fallu que ce soit elle qui oubli quelque chose ?
Peu après, elle se leva et sortit précipitamment de chez moi. Sans dire au revoir à Jordan qui resta sur le tabouret de la cuisine, le visage caché dans ses mains. Je l'entendis lâcher un soupir bruyant avant qu'il ne se lève. Il avait peut-être dit quelque chose qui l'avait fâchée, peu importe. Ça m'arrangeait.
En montant les escaliers, Jordan m'informa qu'il allait téléphoner à ses parents et je décidai de moi aussi passer un coup de fil. J'allai jusqu'à la cuisine pour que les jumeaux ne m'écoutent pas.
Après deux tonalités, la voix de Sam se fit entendre. Comme chaque fois que je l'appelais, elle semblait joyeuse. Elle commença par me demander comment j'allais, avait de me parler de Sawyer, son petit-ami américain qu'elle aimait beaucoup.
- Et toi ? Qu'est-ce qu'il se passe de beau de ton côté ? me questionna-t-elle un peu plus tard.
- Oh tu sais... Pas grand chose. Je me suis juste rappelée d'un détail, ce n'est rien...
A sa demande, je lui expliquai l'épisode du piano et elle semblait heureuse pour moi, même si ça n'avait pas été très joyeux de mon côté ce jour-là. Ta mémoire revient, c'est tout ce qui importe, m'avait-elle dit. Et bien entendu, elle n'avait pas tort.
Après quelques secondes de silence, je me décidai enfin à lui poser la question qui me trottait dans la tête depuis le jour de son départ.
- Pourquoi tu m'as dis de faire attention avec Alex avant de partir ? De ne pas lui faire confiance ?
- Pourquoi cette question ? me questionna-t-elle pour contourner le sujet.
- Je voudrais savoir, et je suis sûre que tu n'as pas dis ça sans le penser, répondis-je doucement.
Elle soupira un grand coup.
- En fait, c'est parce que je ne l'ai jamais vraiment apprécié. Depuis tout le temps qu'on se connait. Je l'ai toujours trouvé... étrange.
- C'est tout ?
- Oui.
Sa réponse me déplaisait. Je ne pouvais pas lui faire confiance aveuglément comme avec les autres. Les garçons et mes parents me mentaient, alors pourquoi pas elle ? Mais je laissai couler. Je n'étais plus à ça près.
Elle me questionna un bon moment sur la raison de cette question et pensait fortement qu'Alex m'avait fait du mal. Je lui assurai que non, à plusieurs reprises.
On continua de parler pendant quelques minutes avant que je ne raccroche en voyant Jordan s'avancer vers moi.
- Ça va ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
- Oui, dis-je doucement en le contournant pour retourner vers les jumeaux en esquivant son regard.
Je l'entendis soupirer puis remonter à l'étage quelques secondes plus tard. Mon frère l'appela pour qu'il vienne se joindre à nous mais il ne daigna pas répondre, son téléphone étant déjà sur son oreille pour contacter je ne savais qui. Morgane pour lui demander pourquoi elle était partie précipitamment ? Ou Alex pour essayer d'arranger les choses ? Je l'ignorais, et je ne voulais pas le savoir. Ou peut-être que si, je ne savais plus rien. J'étais un peu perdue.
***
Ce soir-là, alors que j'étais allongée dans mon lit, j'entendis quelqu'un frapper deux coups légers à ma porte, mais je ne voulais voir personne alors je ne répondis pas. Le bruit se fit entendre une seconde fois puis la porte s'ouvrit doucement. Je fermai les yeux pour faire comme si je dormais. C'était Jordan. Je reconnaissais son odeur et l'atmosphère pesante qui avait plané entre nous toute la journée pris possession de la pièce.
Il referma la porte derrière lui et fit quelques pas. Mon lit s'affaissa sous son poids et quelques secondes de silence insoutenable ont envahi ma chambre. Quelques secondes durant lesquelles je ne comprenais pas pourquoi il était ici, pourquoi il ne partait pas voyant que je dormais, pourquoi ses yeux étaient braqués sur moi. Je le savais, je sentais son regard. Il me transperçait à tel point que j'avais l'impression qu'il serait capable de sonder mon cœur et mon esprit au moindre mouvement de ma part.
Il ne bougeait pas, ne parlait pas. Je n'entendais que sa respiration lente et rythmée. Je voulais qu'il s'en aille, qu'il me laisse seule, mais en même temps, je ne le voulais pas.
Au bout de ce qui me parut une éternité, ses doigts frôlèrent mon front pour dégager une mèche de cheveux de mon visage. Je faisais tout pour ne pas bouger. Je ne voulais pas lui parler. J'avais envie de pleurer. Encore. Mais je ne voulais pas craquer une fois de plus devant lui. Il en avait assez vu.
- Qu'est-ce que j'ai fais de mal pour que tu m'ignores au point de faire semblant de dormir, Nikky ?
Un murmure. Un murmure qui pourtant résonna dans ma tête. Et dans mon cœur. Surtout dans mon cœur. Parce qu'il avait l'air blessé. Il était blessé que je l'ai ignoré tout le restant d'après-midi sans aucune raison valable. Il ne comprenait pas pourquoi j'avais agi comme ça aujourd'hui et hier soir. Il voulait savoir mais il ne saura pas. Je ne pouvais pas.
- Je le sais que tu ne dors pas, souffla-t-il.
Une fois encore, je ne répondis pas. Je savais que je devais avoir l'air d'une enfant stupide, mais si j'ouvrais les yeux, j'allais pleurer. Parce que voir la peine dans son regard était bien pire que t'entendre sa voix me supplier de lui répondre.
- Est-ce que je t'ai fais du mal ? demanda-t-il désespérément.
Oui. Indirectement, oui. Mon égoïsme me disait que c'était de sa faute si j'avais mal. Pourtant, ça ne pouvait être que de ma faute si je me torturais l'esprit pour une question de jalousie qui n'avait pas lui d'être. J'étais égoïste au point de lui en vouloir de ne pas passer tout son temps avec moi. Je ne pensais qu'à moi. Je ne voulais pas qu'il parle à d'autres personnes. Mais par dessus tout, je voulais qu'il me dise la vérité, sans que je ne la lui réclame. C'était quelque chose de simple pourtant, non ? Pourquoi ne pas me dire les choses comme elles étaient ?
- Je te demande pardon, lâcha-t-il, désemparé.
S'excusait-il parce qu'il savait ce que je pensais ? Ou alors il tentait cela seulement pour que je lui réponde quelque chose ?
- Ne pleure pas s'il te plaît, m'ordonna-t-il doucement en murmurant. Pas quand tu ne veux pas de moi près de toi.
C'était seulement à cette phrase que je sentis une larme rouler le long de ma tempe droite. Jordan arrêta le chemin de celle-ci avait qu'elle ne continue son chemin dans mes cheveux. Je ne voulais pas pleurer, mais voilà qui était trop tard.
- Je voudrais que tu me répondes honnêtement, Nikky.
C'était lui qui me parlait d'honnêteté ? Comment pouvait-il...
- Est-ce que tu vas bien ces derniers jours ?
La surprise et le choc me firent ouvrir les yeux, croisant ses iris grises illuminées par l'éclat de la lune traversant la fenêtre. Je ne m'attendais pas à une question aussi banale, et pourtant, la réponse était difficile à admettre à voix haute. Je pensais aller bien, mais ce n'était qu'une façade. Je voulais me souvenir ! J'en avais assez d'être dans le brouillard, de tout ignorer.
D'être seule...
- Non... admis-je d'un simple souffle. J'essaie, mais je n'y arrive pas...
Il ne répondit pas et me fit signe de lui faire de la place. Je me décalai pour qu'il puisse s'allonger afin que je me blottisse contre lui.
Je n'ai versé qu'une seule larme ce soir. Larme qu'il a arrêté. Dans ses bras, je n'ai plus sentis le besoin de pleurer. J'allais déjà un peu mieux.
Pourtant, je me rendis compte d'une chose qui me terrifiait de plus en plus. Je devenais dépendante de lui. Beaucoup trop dépendante. Et il ne pouvait pas en comprendre la raison, puisque je ne la comprenais pas moi-même.
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