Chapitre 7.1: Orage et Désespoir
L'avantage d'avoir des murs mitoyens, je ne le découvrais que maintenant. Une courte échelle me permit d'escalader le mur de même pas deux mètres et j'atterris en douceur sur l'herbe moelleuse des voisins. Mes tennis ne faisaient aucun bruit et j'avais pris soin, de revêtir des vêtements sombres. J'aurais pu passer par le portillon mais je préférais le garder pour la fuite.
Si cette maison était construite de la même façon que la nôtre, en continuant vers la gauche, j'arriverais à l'arrière de la maison où se trouvait une véranda pouvant faire office de pièce d'été, très pratique pour les déjeuners en plein air. Comme une espionne, j'avançai à petits pas furtifs, évitant de faire le moindre bruit susceptible de me faire repérer. La nuit était uniquement éclairée par la lune cachée par moment par de gros nuages sombres.
La nuit idéale pour ce que je m'apprêtais à faire.
A l'intérieur, j'entendais le bruit sourd de la télévision. Je jetai un coup d'œil que je savais imprudent à travers la fenêtre qui donnait sur la cuisine. Il n'y avait personne, comme si la télé était juste là pour meubler le silence de la bâtisse. Leur vie de famille avait l'air d'être différente de la nôtre, déstructurée.
Je continuai mon chemin, avançant à pas de loup vers l'arrière-cour. Mon cœur battait la chamade. J'avais conscience que ce que je faisais était fou, profondément stupide même, mais c'était la seule chose qui me soit venue en tête. Ce que je cherchais ? N'importe quoi. N'importe quoi qui puisse m'apporter un semblant de réponse. Ça ne devrait pas être compliqué, non ?
Alors que j'approchais du fond de la propriété, juste près de la véranda, j'entendis un bruit. Il était légèrement étouffé, comme si on voulait se prémunir de regards indiscrets mais en même temps avoir un sentiment de liberté. C'est ce à quoi me faisait penser ce bruit, que j'identifiai vite comme des sanglots. Quelqu'un était en train de pleurer à quelques mètres de moi.
Sans même m'en rendre compte, je m'étais plaquée dos au mur, respirant à peine. Maintenant, je prenais pleinement conscience de la situation. Je m'étais réellement introduite dans la propriété de mes voisins et maintenant, je venais de surprendre quelqu'un en larmes. Question violation de l'intimité, je me posais un peu là.
Pendant quelques instants, je restai là sans bouger, espérant me fondre dans le décor, ce qui était ridicule au possible. Pendant ce temps, les sanglots ne s'arrêtaient pas. Je devinai que c'était une femme. Or la seule femme de cette maison, c'était leur mère. On aurait dit qu'elle laissait libre court à un chagrin trop longtemps refoulé ou à une douleur qui ne l'avait plus affectée depuis des années. Qu'est-ce qui pouvait bien la pousser à pleurer ainsi à chaudes larmes ? J'en éprouvais un certain malaise. J'avais au moins la décence d'être gênée. Je n'aurais pas apprécié qu'un inconnu m'épie pendant que j'extériorisais ma peine. Ouais, en réalité, je ne devrais même plus être là.
Forte de cette décision, je commençai à rebrousser chemin un peu plus rapidement qu'à l'arrivée.
- Qui est là ?
Mon corps se figea tout seul, tel un automate. Qu'est-ce qui était en train de se passer là ? Je pensais qu'elle était en train de pleurer tout son saoul et maintenant elle me prenait en flagrant délit de violation de propriété privée. Si je courais et défonçais le portillon, peut-être que je pourrais m'enfuir avant qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit.
- N'essayez même pas de vous enfuir ou j'appelle la police. Retournez-vous lentement.
J'étais dans la merde !
Ou pas...
Réfléchissons quelques secondes, parce que c'est tout ce que j'avais comme laps de temps. S'il s'agissait de la mère de Jamie, alors elle devait forcément me connaître. Comment elle s'appelait déjà ? Angie... Ophélie... un truc qui finissait en « i ». Les mains lentement levées vers ma tête, je me retournai lentement, le cerveau en surchauffe.
Trouvé !
- Peggy ?
Ma voix était mal-assurée et je me demandai même si elle avait entendu quoi que ce soit. Mais rapidement, elle descendit de la véranda et marcha dans ma direction. Le faible rayon de lune illumina sa silhouette à mesure qu'elle se rapprochait. Vêtue d'une robe de chambre bleu clair fluide et ses cheveux bruns dénoués et jetés sur ses épaules, son visage ovale et ses yeux gris se superposaient à une image tirée de mon esprit. La même personne, les cheveux tirés en queue de cheval, un sourire bienveillant aux lèvres.
Elle était belle dans mes souvenirs apparemment. Mais ce soir, alors que son visage était barré d'une expression d'incrédulité, je remarquais qu'elle avait vieilli. Pas comme ma mère, avec uniquement des rides aux coins des yeux et des lèvres, même malgré la mort de papa, mais son visage donnait l'impression d'exprimer une douleur constante qui figeait son visage.
Malgré tout, je savais que c'était elle. Aucun doute là-dessus.
- Qui es-tu ? finit-elle par demander, une réelle perplexité marquée sur son visage, au-dessus de la douleur.
- Ça peut paraitre fou, commençai-je, peut-être que tu m'as oubliée mais c'est moi, June, enfin, Junya.
Plusieurs émotions défilèrent sur son visage lorsque je prononçai mon nom. Je pouvais facilement voir les rouages de son cerveau se mettre en marche et me replacer dans son esprit jusqu'au « tilt » final.
- Je suis vraiment désolée d'être entrée comme ça. Et c'est vraiment stupide vu que nos maisons sont voisines. Ne m'en veut pas. C'est juste que j'ai rencontré Chase au lycée et il m'a dit des choses, des choses que je n'arrive pas à comprendre, bredouillai-je, incertaine de savoir si c'était vraiment la bonne manière de présenter les choses.
- Voisins ? s'interrogea-t-elle, incrédule en jetant un œil à notre maison.
Je me rappelai que Chase avait eu la même réaction. Quoi ? C'était quoi le souci avec le fait que nous soyons voisins ? Alors que je me posai mes propres questions, elle aussi semblait plus que perturbée. Une main devant sa bouche et l'autre qui lissait furieusement ses cheveux, elle donnait l'impression d'être prise au piège. Qu'est-ce qui se passait dans cette maison ?
- Peggy, qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il se passe ? demandai-je d'une petite voix en me rapprochant lentement.
- Non... non... non non non non non ! se mit-elle à marmonner de plus en plus rapidement.
Elle psalmodiait ce mot comme une incantation. Je m'arrêtai net alors qu'elle mettait les bras devant elle. Une barrière. Elle se protégeait de moi. Pourquoi ?
- N'approche pas ! Ne reviens plus ici, jamais ! Je ne... je ne comprends pas comment ça a pu arriver, murmura-t-elle presque pour elle-même. Non non non non...
- Peggy, dis-moi ce qui se passe ? Qu'est-il arrivé à Jamie ?
Ma main effleura son épaule. Elle s'empressa de la balayer d'un geste brusque, comme si j'avais la peste. Je caressai l'endroit qu'elle avait frappé, ébahie. Qu'est-ce qui lui prenait subitement ? Je n'eus pas le temps de trouver une réponse à cette question qui entrerait dans la longue liste que j'avais déjà, qu'elle se rapprocha à une vitesse ahurissante et me fixa de la tête au pied. Elle me dépassait légèrement en taille mais j'avais l'impression qu'elle me dominait complètement. Ses yeux furieux étaient comme ceux de Chase, aussi durs et tranchants que de l'acier. Un regard qui faisait froid dans le dos.
- Ecoute-moi bien, Junya, siffla-t-elle entre ses dents. Pendant des années, j'ai cru qu'on s'était enfin débarrassé de ton spectre et aujourd'hui ? Alors que ma famille s'est enfin remise sur les rails, tu reviens à nouveau ?
- Mais...
- Tais-toi !
Je tressaillis de stupeur.
- Ne dis pas un mot. Tu as fait bien assez de mal comme ça et tu ne cesses d'en faire. Rentre-chez toi et ne remets plus jamais les pieds ici ! Ne t'approche plus de ma famille !
Durant tout le temps de son discours, elle n'avait même pas haussé la voix, dispersant tout son fiel d'une voix profonde et mesurée. Alors qu'elle se détournait sans même prendre la peine de vérifier que j'obéissais, je tombai sur les fesses, tremblante. Elle n'avait pas besoin de vérifier. Je le ferai, juste le temps de reprendre le contrôle de mes jambes...
***
Alors que je me débarrassai de mes vêtements de retour dans ma chambre, le déroulement de la soirée défilait dans ma tête. Mon investigation avait été une réussite. J'avais découvert que mis à part Jamie, toute la famille Darring m'avait dans le collimateur. Et le fait que Jamie ne m'ait pas prise en grippe et que les autres semblaient le protéger voulait sûrement dire que je lui avais fait quelque chose, quelque chose de terrible qui s'est répercuté sur toute la famille, mais quoi ? Je n'en avais aucune idée. A l'époque, je ne devais avoir que six-sept ans. Qu'est-ce qu'une enfant comme moi aurait bien pu leur faire ? Mais le plus surprenant, c'est justement que Jamie, lui, ne me détestait pas mais en plus, il n'avait même pas l'air de m'avoir reconnue non plus...
Minute !
Il m'avait reconnu le soir de la fête. Mais avec sa crise et tout...
Peut-être que c'était ça le problème ? Il souffrait de migraine chronique ? Non, j'étais bête. Il avait l'air de tellement souffrir... Mon cœur se serra en y repensant. Assise sur mon lit en pyjama, je contemplai le collier en forme de clé que je gardais depuis mon enfance. Et ça, s'en rappelait-il ?
En réalité, mon investigation avait loupé. J'avais encore plus de questions que de réponses. Et même si ça ne m'enchantait pas de l'admettre, j'avais l'impression de m'être embarquée dans une histoire bien compliquée. Je ne pouvais pas approcher la mère. Je ne pouvais pas approcher Jamie sans qu'on me tombe dessus et je ne savais même pas dans quelle école il allait. Il ne me restait plus que le jumeau restant et même si je savais d'avance que je me heurterai à un mur, j'étais décidée. Je lui tirerais les vers du nez.
Sur ce, j'éteignis ma lampe de chevet et m'enroulai dans la couverture. Une pluie tonitruante déversa de grosses gouttes sur le toit. Il allait faire très froid cette nuit.
Mais presqu'une semaine s'écoula sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Nous arrivions déjà au milieu du trimestre et avec lui, les contrôles préliminaires. J'avais pas le temps de gérer mes études, ma propre vie sociale et les états d'âme d'une mère hystérique et de son fils acariâtre. J'avais décidé de le faire durant les vacances de milieu de trimestre, une fois cette pression-là retombée.
La troisième semaine d'octobre et la dernière avant la semaine de congés tant attendue s'amorça. Aujourd'hui, un contrôle de Maths et un exposé de Biologie. La pause-déjeuner fut la bienvenue.
Comme d'habitude, nous nous trouvions tous sur la même table, à l'exception de Daniel qui était allé voir son coach. Nos livres et cahiers étaient épars sur la table, juste à côté de nos plateaux.
- Putain ! J'en peux plus ! gémit Ann. J'ai la tête qui va exploser !
- Ah, moi je suis plutôt contente d'être autant occupée.
- Oh mon dieu ! s'exclama-t-elle. Ma pauvre June a été happée par le cruel démon qu'on appelle... l'école !
- Tout le monde n'est pas comme toi, intervint Jay. Fallait pas t'acharner à suivre Mickey. On a la belle vie, par chez nous.
- Ce n'est pas toi qui me demandais de t'aider pour ton devoir de Littérature, la dernière fois ? demanda Mickey, avec un petit sourire.
- Je ne vois pas du tout de quoi tu parles...
- Hin hin hin ! Poil de carotte s'est fait râper !
Jay et Ann continuèrent de se chamailler pendant que je replongeai dans mon livre. J'étais sérieuse tout à l'heure. Toute cette pression me permettait de penser à autre chose et constituait une excuse pour retarder le plus possible le moment où je devrais parler avec Chase.
En parlant du loup d'ailleurs...
Il se levait déjà pour ranger son plateau et sortit de la salle. Il n'avait pas l'air d'avoir la pression. Contrairement à ce que j'avais imaginé, il n'avait pas encore plié bagage et changé de lycée ou de ville, ou même de pays. J'étais pourtant sûre que c'était dans leur plan à lui et à Peggy. Mais non. Il était venu tous les jours et faisait comme si je n'existais pas. J'aurais bien aimé lui rendre la pareille mais il existait bel et bien pour moi et je ne pouvais m'empêcher de le regarder du coin de l'œil, de le remarquer chaque fois qu'il entrait dans une pièce ou en sortait, chaque fois qu'il répondait juste à une question en classe.
Lui et le mystère qui entouraient sa famille était partout dans ma tête et la seule manière pour moi d'y échapper, c'était de me plonger dans les études.
A suivre...
@Tous Droits Réservés
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Maman Ours entre en scène et le mystère s'épaissit davantage. Pour en savoir plus, ne manquez pas le chapitre suivant. 😉
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