Chapitre 5.1: La fête
Le premier match de la saison allait sans doute marquer l'histoire de l'école.
C'était la première fois depuis des décennies que le lycée Heavens North remportait un match contre le lycée Williams. Battre cette équipe était déjà fantastique mais gagner avec une avance de plus de cinq points était carrément hallucinant !
Enfin, de ce que j'avais compris.
J'avais beau ne pas vraiment m'y connaitre, j'étais gagnée par le même enthousiasme que toute notre école. A la fin du match, tout ce à quoi je pensais était de sauter les marches quatre à quatre et aller féliciter Dan. Mais impossible avec toute la cohue qui régnait dans le stade.
- Allez, viens, m'exhorta Mickey. Ça ne sert à rien d'attendre. Avec l'exaltation et le débriefing, ça risque de mettre des plombes. On le verra plus tard.
- Ouais, t'as raison.
Je jetai un dernier coup d'œil derrière moi, mais Chase n'était déjà plus là.
***
- Vraiment désolé, June. Impossible de me libérer après le match, s'excusa Dan au téléphone.
Je n'avais malheureusement pas pu le joindre après le match. J'avais fini par laisser tomber pour rentrer chez moi, un peu déçue. Vers vingt et une heures, il m'appela finalement. J'hésitai un moment avant de réaliser que ce n'était pas vraiment juste de ma part. Je consentis à décrocher.
- Pas grave, répondis-je d'une voix monocorde.
- Aïe ! Je sens que tu m'en veux... mais je vais me faire pardonner. Demain, il y a une fête chez le capitaine de l'équipe et j'aimerais que tu viennes. Dis oui, s'il te plait !
- Une fête ? Attends, je vais reformuler pour toi : le capitaine a organisé une fête et tous les membres de l'équipe doivent y assister et tu profites de l'occasion pour essayer de te racheter, je me trompe ?
- S'il te plaît, ne m'en veux pas... dit-il finalement d'une voix empreinte de tristesse.
Même au téléphone, cette voix-là faisait son petit effet. Il savait comment me faire marcher. Je levai les yeux au ciel, sans pouvoir réprimer un mince sourire sur mes lèvres.
- Mouais, d'accord. En espérant que maman soit d'accord. Mais hey ! Tu ne t'en tireras pas comme ça !
- Même si on a gagné ?
- Simple formalité ! Tu as déjà eu ta compensation la veille !
J'entendis son rire comme s'il était tout près.
- D'accord. Mais disons que ce n'était qu'une garantie de ce qui m'attendait si jamais on gagnait, hmm ?
Inconsciemment, je passai ma langue sur mes lèvres.
- On verra, répondis-je, énigmatique, enjôleuse, séductrice.
- J'attends ça avec impatience. A demain.
- A demain. Bisous.
***
Le lendemain, dès six heures, j'étais déjà debout.
Telle une pile électrique, j'arpentais la maison de long en large, balayant, époussetant, nettoyant le moindre centimètre carré de poussière en attendant l'heure de la fête. Lorsque ma mère descendit deux heures plus tard, elle fut surprise de voir la maison aussi brillante que le jour où nous y avions emménagé.
- Waouh ! s'exclama-t-elle en se frottant les yeux de sommeil. C'est en quel honneur tout ça ?
- Rien du tout. Je me suis levée tôt alors j'ai pensé m'occuper un peu.
- C'est bien ma puce, me félicita-t-elle en me pinçant les joues.
- Maman ! Arrête !
- C'est bon ! rigola-t-elle, pour la peine je fais le petit-déj'. Pour toi ce sera...
-... des œufs au plat. C'est tout.
- Ok.
Retirant tous les ingrédients nécessaires du frigo, elle commença à s'affairer derrière les fourneaux.
Entre-temps, Gaby descendit à son tour, encore en pyjama, et nous salua vaguement avant de s'installer devant la télé. D'habitude, maman lui criait d'aller se laver avant de descendre mais elle devait être de bonne humeur ce matin. Sûrement que mon petit coup de nettoyage y était pour quelque chose. En y repensant, je ne lui avais pas encore demandé la permission de sortir ce soir. La veille, elle savait pour le match et s'attendait à ce que je rentre plus tard que prévu mais là c'était différent.
Un samedi soir, une fête, des ados tous seuls dans une grande maison... elle n'était jamais très rassurée quand je sortais, ce qui faisait que je limitais mes sorties au maximum. Depuis la mort de papa, c'était comme ça. Comment lui en vouloir ?
J'en étais là de mes réflexions, cherchant le meilleur moyen d'aborder le sujet, lorsqu'elle posa un plat d'œuf sur le comptoir.
- Il y a encore du pain, me prévint-elle en désignant un paquet de pain de mie coupé en tranche juste à côté avant de retourner aux fourneaux.
- Ah, merci.
Grignotant une croûte de pain, je me jetai à l'eau :
- Euh... maman ?
- Hum ? fit-elle sans se retourner.
- J'aimerais te demander quelque chose...
- J'écoute.
Le fait qu'elle ne se retourne pas était en même temps un soulagement et une source de stress monumentale.
- Eh ben... vu que l'équipe de Dan a gagné le premier match de la saison, tu sais, celui contre le lycée Williams...
- Ah oui ! Alors, ça s'est bien terminé ? C'est vrai qu'hier j'ai complètement oublié de te poser la question.
- Ouais, bah, comme on a gagné, l'équipe organise une fête aujourd'hui. Ce sera chez le capitaine, Scott Donovan. Tout le monde sera là-bas, y compris Mickey et Ann. Je peux y aller ?
J'avais débité tout ça en une tirade, sans respirer, et j'attendais maintenant sa réponse comme le jugement dernier de Dieu en personne.
- Tu comptes rentrer à quelle heure ?
- J'espérais la permission de minuit... Dan me ramènera. Mais dans tous les cas, je te téléphone dès que je suis sur le chemin du retour, promis.
Pour minuit, je tirais peut-être sur la corde mais je pensais vraiment que le fait que Dan me raccompagne jouerait en ma faveur. Elle poussa un petit soupir, presque imperceptible.
- Minuit hein...
Je retins mon souffle.
Ma mère continuait de battre des œufs, l'air songeuse. Elle semblait peser le pour et le contre dans son esprit. Finalement, elle reposa le fouet dans le bol et tourna son visage marqué encore de légères traces de sommeil vers moi.
- Bon, ok. Mais pas une minute de plus sinon, je te promets que tu passeras un mauvais moment, capitula-t-elle.
- Yes !
Je bondis de ma chaise pour serrer ma mère contre moi.
- Merci, maman chérie !
- Tout de suite les grands mots ! ria-t-elle. Plus sérieusement, tu l'as bien mérité. Depuis des semaines, tu te consacres uniquement aux études et je suis bien placée pour savoir que ce n'est jamais bon. Et ce n'est pas ce que ton père aurait voulu.
A l'évocation de mon père, ma gorge se noua mais je fis de mon mieux pour ne pas le laisser voir.
- Et puis, continua-t-elle, d'un ton badin, tu avais bien mené ta barque depuis ce matin, comment tu voulais que je refuse ?
- Qu'est-ce que tu vas imaginer là ? Juste un coup de bol.
Quelques secondes s'écoulèrent avant que nous ne riions en chœur.
- Moi aussi je veux rire ! déclara Gaby qui s'était approchée sans qu'on ne la remarque, l'air boudeur.
Nous rîmes de plus belle.
***
A dix-sept heures, j'étais prête à partir. Je m'étais occupée tant bien que mal jusqu'à l'heure fatidique. Il était prévu que je m'arrête d'abord chez Ann. De là, Jay devait nous emmener directement à la résidence des Donovan avec la voiture qu'il avait empruntée à son frère aîné. Il ne manquait pas une occasion de conduire le cabriolet de Fred depuis qu'il avait obtenu son permis de conduire quelques mois plus tôt.
Vêtue d'une robe bleu sombre mi-cuisse serrée à la taille et évasée, de collants noirs très fins, de mes bottines en daims fétiches et d'un veston, je tournai sur moi-même devant le miroir à pied de ma chambre. Il faisait de plus en plus frais la nuit alors je laissai juste mes cheveux pendre tranquillement sur mes épaules après les avoir brossés longuement.
Bon, ça devrait aller.
Du coin de l'œil, je vis Gaby passer sa tête par la porte alors que je retouchais mon maquillage. Je lui tirai la langue à travers le miroir et elle pouffa de rire. Elle entra et je sentis les ressorts de mon lit grincer sous son poids.
- Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandai-je tout en mettant du mascara bon marché.
- Rien. Je regarde, c'est tout.
- Ah, d'accord...
Une fois terminé, je me tournai vers elle. Elle n'avait pas bougé depuis et regardai ma trousse avec convoitise. Je soupirai doucement. Les enfants ne savaient vraiment pas mentir.
- Viens là, on va s'amuser un peu avec ton visage.
Comme si elle n'attendait que ça, elle bondit du lit et s'assit cette fois sur la chaise de mon bureau. Elle était ravie. Et moi, je risquais d'être en retard. Mais que représentaient quelques minutes devant le sourire innocent de ma petite sœur, je vous le demande ?
Je fus tirée de ma fièvre créatrice par la sonnerie de mon téléphone. C'était Ann. Inutile de deviner qu'elle m'attendait de pied ferme. Mais la connaissant, elle devait avoir éparpillé ses affaires sur son lit et psalmodié le sempiternel « Je n'ai plus rien à me mettre !», oh combien agaçant, des filles, et cherchait encore ce qu'elle allait bien pouvoir porter. Un grand classique.
- Bon, on va arrêter là d'accord ? Va montrer à maman ce qu'on a fait.
- Oui ! se réjouit-elle.
« J'arrive tout de suite » pris-je le temps d'envoyer à Ann avant de prendre mon sac à main et de sortir à mon tour de la chambre.
***
L'immeuble des parents d'Ann étaient à deux arrêts de bus de chez moi, ce qui en langage routier prenait environ vingt minutes. Contrairement à notre quartier un peu trop calme à mon goût, le quartier d'Ann était situé non loin de ce qu'on appelait la rue de l'art, très fréquentée par de jeunes artistes qui s'adonnaient au Street-Art : peinture, musique, spectacle de danse et autres. C'était tout le temps très animé et elle et moi pouvions passer des heures, juste assises sur un banc, à les regarder. Mon amie n'avait pas le moindre talent artistique mais ça ne l'empêchait pas d'apprécier lorsque les autres s'y essayaient.
A dix-huit heures, je sonnai à la porte de leur appartement. Quelques secondes plus tard, sa mère vint m'ouvrir.
Elle me surprenait à chaque fois de par ses goûts vestimentaires. Pas qu'elle s'habillait mal, non, bien au contraire même mais elle portait un tel assemblage de couleur que parfois, on aurait dit un arc-en-ciel ambulant. Ses longs cheveux blonds comme ceux de sa fille étaient cette fois relevés en un chignon lâche et son visage ovale pétillait de malice.
Elle était comme un soleil et ce n'était pas seulement à cause de son chemisier jaune vif que je le disais. Elle avait de l'humour et était honnête. On devinait facilement de qui Ann tenait son sens de la répartie. Son père par contre était un homme un peu différent. Un grand bonhomme d'un mètre quatre-vingt-cinq à la carrure de lutteur qui parlait peu, mais était gentil. Ces deux femmes fortes le menaient à la baguette malgré leur petit gabarit.
- Ah, June ! Ma chérie ! s'exclama-t-elle en plaquant deux bises sonores sur mes joues. Ça fait un moment, comment tu vas ?
- Bien madame. Vous aussi ?
- Tu es devenue bien polie avec l'âge, souligna-t-elle avec un geste du doigt, faisant teinter ses gros bracelets dorés. Je t'ai toujours dit de m'appeler Corine !
- Euh...
- Maman ! Laisse-la au moins traverser la porte d'entrée ! coupa Ann sortie de nulle part et me prenant le bras pour m'entrainer dans sa chambre. Tu lui parleras plus tard ! Là, il y a urgence !
Les mains sur les hanches, Corine Perry n'en croyait pas ses yeux :
- Tu la vois tous les jours, espèce d'égoïste !
- Je t'aime aussi ! se contenta-t-elle de lancer en refermant la porte de sa chambre.
Comme je l'avais deviné, c'était un vrai bazar là-dedans.
- C'est quoi ça ? demandai-je en tirant du bout des doigts une robe fourreau noire qui gisait par terre au milieu de dizaines d'autres étoffes.
- Mon cauchemar et désormais, le tien. Voilà le topo : Jay vient nous chercher dans une heure et je ne sais toujours pas ce que je vais porter.
- Tu rigoles ? C'est juste une petite fête pour la victoire de l'équipe de foot, pas le bal des débutantes. Même un jean et un T-shirt feront l'affaire.
- Et ils sont où ton jean et ton T-shirt, à toi ?
Je rougis légèrement.
- Bon ok, on va faire simple. Quels sont les vêtements qui te plaisent le moins ? On va procéder par élimination.
Une trentaine de minutes plus tard, il n'y avait plus que deux concurrents en lice pour le titre de tenue de la soirée : d'une part, une robe courte imprimée feuilles mortes à volant et une paire de sandales lacées jusqu'aux genoux, le tout accessoirisé d'une veste en jean et d'un sac fourre-tout marron et d'autre part, un jean destroy, un haut flottant à bretelles fines vert-émeraudes avec des sandales à talons compensés, avec un manteau léger et une pochette en cuir.
- Voilà, choisis entre ces deux tenues et apprête-toi. Je suis déjà fatiguée alors que nous ne sommes même pas encore arrivées chez Scott, dis-je en m'affalant sur son lit bien plus moelleux que le mien.
Il me donnait juste envie de me rouler en boule et de passer l'hiver dedans.
- Tu fais la tronche, mais je sais que tu m'adores.
- Je me trouverai bientôt une autre meilleure amie et je te ficherai à la porte.
- C'est ça, rêve ! On partagera la même tombe !
Cette fille était folle !
Lorsque Jay sonna à la porte à dix-neuf heures quinze, Ann mettait la touche finale à son maquillage. Ouf ! Elle avait opté pour la robe et avait relevé ses cheveux en un chignon haut sophistiqué, comme sa mère. Je n'aurais jamais pu le faire moi-même.
- Mesdemoiselles, appela Jay derrière la porte, votre carrosse est arrivé.
- Je commence à avoir faim, pas toi ? me demanda Ann en ouvrant la porte.
- Avance ou je te tue, répliquai-je.
***
La sono devança la propriété des Donovan de quelques minutes, avant que nous n'arrivions à la grille de la propriété, ouverte pour laisser les élèves du lycée et les voitures desdits élèves y pénétrer. Une chance que les domaines soient assez éloignés les uns des autres dans cette zone de la ville.
Les parents de Scott étaient de grands propriétaires terriens et d'ailleurs ils ne s'en cachaient pas. Je ne pouvais qu'imaginer la superficie d'un tel endroit alors que nous remontions l'immense allée pavée, bordée d'une rangée de lampadaires de chaque côté. Le gazon coupé de frais embaumait l'atmosphère d'une subtile odeur d'herbe mouillée, rafraichissante.
A vingt heures passées, une foule de voiture étaient déjà garées dans le parking improvisé. Jay immobilisa la nôtre dans un coin libre en espérant que personne ne viendrait la coincer au mieux, rayer le beau cabriolet au pire. Il tenait à la vie.
Je retins une exclamation d'admiration devant la demeure des Donovan. Celle-ci ressemblait plus à un hôtel cinq étoiles qu'à un simple lieu d'habitation. Une immense maison de style victorien, remise aux goûts du jour, de deux étages se dressait devant moi de toute sa hauteur. A l'intérieur, le « Boum ! Boum !» de la sonorisation résonnait encore plus fort que devant les grilles de la propriété et je devinai déjà les corps gesticulant de plusieurs centaines d'élèves au même rythme.
- Bon, on y va ? proposa Jay, en essayant de mettre un semblant d'ordre dans sa chevelure indisciplinée.
Pour l'occasion, il avait troqué son jean de tous les jours pour... un autre jean mais noir cette fois, un peu plus cool et une chemise sur un T-shirt sombre. Ça lui allait bien.
- Prête !
Ann était prête pour deux apparemment.
À suivre...
©Tous roits Réservés
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Le chapitre 5.1 est sorti. J'espère qu'il vous plait. 😊
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