Chapitre 9.2 🌕 « Ma Lune charnelle. »
— Je comprendrais si c'est le cas, m'empressé-je d'ajouter. Je sais que tu n'as pas un total contrôle là-dessus.
— C'est vrai. C'était une véritable torture les deux premières années, mais j'ai enduré ces douze jours jusqu'à ce que les effets se meurent. Je t'avais déjà choisi. Je ne m'imaginais avec personne d'autre que toi, mon chéri, et maintenant, nous sommes enfin unis.
Si je suis heureux qu’il me soit resté fidèle, savoir qu’il a dû souffrir le martyre me serre le cœur. Une autre inquiétude se soulève toutefois, je serre ses doigts entre les miens.
— Unis jusqu'à ma mort. Que t'arrivera-t-il, ensuite ?
— Raise, mon cœur, supplie-t-il presque. Ne t'en préoccupe pas.
— S'il te plaît, je veux le savoir. Plus aucun secret, ni de non-dits ne doivent subsister entre nous, Yu-Han.
— Mais dans ce cas précis ce n'est pas important.
— Ça l'est, puisque si je décède tu mourras aussi.
Il se pince les lèvres en détournant le regard. J'enquille :
— Rage l'a dit, je veux juste savoir pourquoi.
— Simplement car il n'y a pas de reflet sans projection.
Ses yeux épousent à nouveau les miens lorsqu'il continue.
— Contrairement à ceux subissant les effets d'un lien forcé, toi et moi avons choisi d'être un Tout. Si tu n'es plus, moi non plus. C'est la raison pour laquelle je mourrai inévitablement de chagrin à ta perte. Mais il n'y a pas de raison pour que tu te pollues l'esprit avec ce détail.
— Un détail, tu dis...
Il mourrait tout de même à cause de moi !
— Mon itoshii, je pense à la vie que nous avons à présent devant nous, non au moment où elle prendra fin.
Je grogne légèrement mais il a sans doute raison.
Nous restons un moment silencieux, puis je décide de mettre un terme à cette distance émotionnelle restant entre nous. Utilisant ma prise sur sa main, je l’incite à se retourner et l'attire dans mes bras. Son dos repose contre mon buste et le mien sur le dossier du canapé. Yu-Han se laisse aller dans mon embrasse et entrelace nos doigts. Il sourit lorsque je dépose un baiser gentillet sur sa pommette.
— C'est si bon d'être à nouveau dans tes bras, soupire-t-il en fermant les yeux.
— Aussi bon que te retrouver. Même si tu es différent, je ne t'en aime pas moins. N'en doute jamais mon chéri.
— D'accord.
Nous restons plusieurs minutes dans un silence qui n'a plus rien de pesant, ni culpabilisateur. Jusqu'à ce que Ronin, sorti de son sommeil tranquille par un possible bruit à l'extérieur, débarque dans la verrière en jappant.
Il campe devant une des vitres, certainement à cause d'un animal. Le fait que Yhan reste détendu m'aide à ne pas trop m'inquiéter quant à un rebondissement plus dangereux. Mon mari caresse le dos de ma main pour me réconforter.
— Deux lemmings chahutent dans les arbustes, dehors.
— Tu les entends ? m'étonné-je.
Cela lui tire un rire moqueur.
— Non. Je suis toujours malentendant et mes appareils auditifs n'ont pas de superpouvoirs. Mais je les vois. Ils ont attiré mon attention depuis cinq bonnes minutes. Juste là, regarde.
Je suis la direction pointée par son index, mais dois plisser les yeux pour les voir derrière un Ronin qui s'agite sans fin. Ce sont de tout petits rongeurs qui virevoltent dans la végétation enneigée et créent son excitation.
— Ronin, ça suffit, intervient finalement mon chéri. Laisse-les tranquille, mon grand, viens te coucher à côté de nous.
Évidemment, notre garnement s'exécute.
— Je suis choqué qu'il t'obéisse au doigt et à l'œil si facilement.
— Eh, je te vois venir. Ça n'a rien à voir avec le fait que je sois un loup. Tes facultés de dressage sont juste très limitées, ricane Yhan.
— Hé !
Je balance son corps d'un côté à l'autre en riposte et il rit de plus belle. C'est véritablement le son le plus merveilleux que j'ai entendu de toute ma vie.
Mon cher et tendre lève ensuite le regard vers moi, devinant sûrement ce qui me trotte dans la tête.
— T'as d'autres questions.
— Oui.
Appréhendant déjà sa réponse, je me racle légèrement la gorge pour avaler la boule qui s'y forme.
— Tu te rappelles notre premier baiser ?
— Bien sûr. C'était après le premier pique-nique romantique que tu nous as organisé, l'été de notre rencontre.
— Oh.
J'ai malgré moi un léger rire, suite à cette mésentente sur les dates.
— Non, je voulais dire, après ton retour. C'était le jour du solstice.
— Ah, oui. Je m'en rappelle aussi.
— OK, et, est-ce que c'était à cause de ça ? Je veux dire, nous nous sommes rapprochés assez vite malgré, nos troubles respectifs. Je sais que j'étais simplement heureux de te retrouver, je voulais vraiment partager de bons moments avec toi après ces trois interminables années d'attente désespérée. Mais en ce qui te concerne, était-ce seulement à cause de ton Incandescence ?
— Pas uniquement. Mais je ne vais pas te mentir, ça a été un facteur non négligeable.
C'est bien ce que je pensais. Le savoir pour sûr m'attriste tout de même profondément.
Yu-han se redresse pour me faire face.
— Raise, tu sais comme je t'aime. L'Incandescence m'a peut-être poussé dans tes bras, mais ma perte de mémoire n'avait pas altéré mes sentiments. Seulement ma manière de les gérer et les exprimer à un mari qui m'était devenu étranger.
J'opine lentement. Il saisit mon visage en coupe dans ses mains.
— S'il te plaît, ne le prends pas de cette façon. Ça n'a pas été une si mauvaise chose que mon instinct de loup nous rapproche. Ça se serait fait, d'une manière ou d'une autre. Pas vrai ?
Un léger sourire soulève le coin de ses lèvres. Je ne peux retenir les miennes de l'imiter.
— Oui, c'est vrai... Mais dis-moi, tu répètes que tu es un loup, jamais un loup-garou. Pourtant les autres l'étaient et vous étiez tous des... Lycanthropes ? Pourquoi cette différence chez eux et chez toi ? Et il y a-t-il d'autres individus de votre espèce ?
— Je n'en connais pas d'autres et n'en ai jamais rencontré, mais c'est fort probable.
Ses mains glissent jusqu'aux miennes tandis qu'il continue.
— J'aurais du mal à croire qu'Haschn ait été le seul adepte de ces pratiques... Pour ce qui est de la distinction Loups et Garous, c'est un peu complexe, soupire-t-il. À force de manger de la chair humaine, un loup malveillant devient vite un loup-garou. Trois, voire quatre fois suffisent. Ensuite, il ne peut plus s'en passer. Il n'y a pas de retour en arrière possible.
— C'est... affreux et dégoûtant !
— Mh. Mais tu sais, une fois transformé, la façon de percevoir son environnement, de réfléchir et d'appréhender les situations est différente. C'est très intense. C'est... bestial. Il n'y a pas d'autres mots pour le décrire. Dans ma peau de loup, mes besoins sont restreints et ramenés à l'état de survie, donc défense mais surtout nourriture. Durant les p.l, la faim rend parfois sanguinaire. Pour peu qu'on ne sache pas ou ne veuille pas apprendre à maîtriser cet état, tout y passe. Bétail comme humain.
— Si je comprends bien, tu n'as jamais attaqué d'Humains ?
— Je n'ai pas dit ça, lâche-t-il sombrement.
— Je suis un peu perdu, là.
— Il n'y a pas que le fait d'être dans mon corps de loup, qui induit des réactions parfois violentes. Tu as pu le constater avec Will ou ta collègue, le soir de Noël. La colère, la frustration, poussent à s'en prendre physiquement aux gens et je l'ai fait sciemment dans des bars ou en tombant sur des connards. Comme cataplasme malsain à ma douleur intérieure j'ai blessé plusieurs personnes de façon volontaire, plus ou moins grièvement, et je n'en suis pas fier. Résister à notre nature sauvage est très dur en étant empli de haine. Mais malgré les sollicitations d'Haschn, je n'ai jamais franchi de ligne rouge, jamais ingéré de viande humaine, ni tué d'innocents.
Inexorablement, les images de sa meute décimée s'imposent à moi. Il parle d'innocents, c'est peut-être la raison pour laquelle il a laissé la vie sauve aux deux jeunes filles. Elles ont été enrôlées dans toute cette histoire de force, elles aussi. Et contrairement à Rage, elles étaient encore loin d'être sur le point de me tuer.
Voulant à coup sûr détourner mon attention de ces idées obscures, mon Yu-Han ajoute badin.
— Enfin... Le chat de Madame Swanson n'a pas eu autant de chance.
— Mysti ? C'est un de mes patients !
— Ah, bah, ''c’était''. Il m'a surpris dans les bois et s'est mis à feuler comme un diable. Les animaux domestiques et moi, ça ne colle plus trop. Je l'ai zigouillé avant même d'y penser.
Mon Dieu, la pauvre Éliane va être dévastée. Mysti était son unique compagnon. Je parie qu'elle va venir au cabinet demander à ce que nous affichions son avis de recherche. Je me sens déjà désolé de savoir que mon époux est la cause de son deuil. Il me faudra trouver un moyen de me racheter. Mais, j'y pense...
— As-tu ressenti l’envie de supprimer Ronin, en rentrant ce matin ?
— Non, mon cœur. Avec Ronin c'est différent. Il connaît mon odeur et s'est habitué à ma présence. Pas d'hostilité de sa part, pas de réponse hostile de la mienne... Il m'est arrivé de chasser pour me nourrir mais je ne m'en prends généralement pas aux animaux domestiques, même s'ils me tapent sur le système avec leurs grognements intempestifs. Mysti était juste un oopsie, j'étais encore pas mal secoué par ma transformation. C'était la première depuis la pleine lune précédente.
— Dis, tu veux bien me montrer ?
— Te montrer quoi ?
Ses yeux se lèvent à nouveau vers mon visage.
— Ta transformation. Pas la totale, juste celle qui se produisait au début, avec tes yeux, tes crocs et les poils sur ton visage. Si tu ne veux pas, je comprends.
— Non.
Sortant de mes bras, il se redresse et se tourne vers moi.
— Je me dévoilerais à toi avec plaisir, mais je ne veux pas te faire peur.
— Ce ne sera pas le cas, mon Yu-Han. Combien de fois dois-je te répéter que je t'aime plus que tout ? Je sais que tu ne me feras aucun mal. Mais si tu n'es pas encore prêt…
— Je le suis. Juste... Évite de crier ou prendre tes jambes à ton cou, ce serait embarrassant pour nous deux.
Nous pouffons légèrement de rire, puis Yhan regagne son sérieux. Il prend d'abord le soin d'enlever ses aides auditives avant et... Wow !
Lorsqu'il ferme les yeux, une fine brume entoure son visage. Des poils d'un ton allant du gris sombre sur le sommet de son front à un blanc léger vers son nez apparaissent et recouvrant entièrement son épiderme. Ses paupières s'ouvrent sur des yeux gris perle qui me fixent patiemment. Son nez… Son museau, devrais-je dire, el est noir et très retroussé comparé à lorsqu'il se trouve sous l'aspect entier du loup. Ses oreilles sont pointues, poilues, et si mignonnes que je ne peux me retenir de les caresser.
— C'est tellement doux, murmuré-je alors que mes doigts migrent vers sa joue.
Je reconnais bien l'apparence du loup gris, adaptée à un visage humain. Yhan presse sa joue contre ma paume.
— J'avais de peur te dégoûter. En revenant à Dorchester, je n'ai pas cessé de me dire que tu me repousserais dès que tu découvrirais quel monstre je suis à présent.
Ses traits changent et redeviennent ceux d'un homme. Un homme honteux et accablé. Je le laisse à nouveau s'appareiller avant de me pencher vers lui et saisis son visage en coupe entre mes mains. Nos yeux s'accrochent solidement.
— Tu n'es pas un monstre, mon amour. Je t'interdis de penser ça. Tu es un lycan ; susceptible d'être dangereux, comme tous les autres prédateurs, mais tu n'es pas devenu un monstre. Ton cœur est resté pur et c'est pour cela que notre amour perdurera.
Les yeux humides, la gorge serrée, mon Charnel ne peut que hocher la tête avant de se jeter dans mes bras. Je l'y accueille avec tout mon amour et le serre contre ce cœur qui ne bat que pour lui. Cela prendra certainement du temps, mais nous panserons mutuellement nos blessures, nous guérirons côte à côte.
Assurément, rien au monde ne saurait entacher le miracle que j'ai espéré durant trois longues années. Yu-Han et moi sommes à nouveau réunis. Cette fois, par un lien encore plus significatif que celui du mariage.
Il est mon loup, je suis sa lune. Son ciel sera baigné de ma lumière à tout jamais.
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