Chapitre 7.2 🌑 « En danger de mort. »
[ Avertissement : chapitre sensible ]
*
— Sale effronté, gronde l'Alpha, je ne te ferais pas l’honneur d’une mort rapide.
Mis en rage par notre insoumission, il se projette vers nous.
Une dizaine de mètres nous séparent. Yhan reste en position de défense, prêt à éliminer quiconque m'approchera de trop près. Sa détermination endigue ma peur. C'est pratiquement sans trembler que je mets ma menace à exécution. Le Haschn récolte deux tirs parfaitement ciblés ; un dans chaque œil. Son élan s'arrête net, un hurlement meurtri explose et résonne entre les arbres.
Eh, non. Je n’allais pas me montrer indulgent par états d'âme alors que ces connards étaient bien décidés à nous buter.
L’Alpha s'effondre à genoux sur le sol neigeux et plaque ses mains par-dessus ses yeux ensanglantés. Si les sillons rougeoyants qui se forment sur ses joues peine à m’émouvoir, ce n’est pas le cas de tout le monde.
— Haschn !
Mary, la femme qui me retenait-il y a quelques minutes, se précipite vers lui en hurlant de dépit. Ne sachant sans doute que faire d'autre pour soulager sa douleur, elle l’attire dans ses bras. J’ai deviné qu’ils devaient être le couple dominant, il valait mieux les écarter en premier. Les autres en restent figés de stupeur, nul doute qu'aucun n'a imaginé ce scénario. Ç'aurait pourtant été judicieux de prendre au sérieux l’homme élevé dans une famille férue de chasse sportive. Bien que je ne la pratique plus depuis la fin de mon adolescence, le tir sur cible reste mon dada.
La surprise du reste de la meute s'estompe toutefois promptement. Rage et True se ruent vers nous, suivis de l'autre jeune femme. Je sens toute la crainte de Yhan se centrer sur l'homme. Enfin, peut-on vraiment qualifier ainsi l'abomination qui se jette sur nous ? Ses doigts crochus s’avèrent encore plus terrifiants que les crocs remplaçant ses dents, ou ses yeux orange vif. Je le braque sans attendre avec mon arme de dissuasion. Mon mari perçoit certainement mon geste en vision périphérique. Il bifurque et bloque les jeunes femmes qui m'assaillent.
De mon côté, j’essaie de ne pas laisser la demi-transformation de Rage me décontenancer. Malgré mes efforts, il parvient à esquiver mon tir. La bille se loge dans sa pommette droite et pas dans l'œil que j’ai visé. Le monstre de mes cauchemars ralentit pourtant sa course. Peut-être un instant étonné, il se tient le visage suite au choc mais se redresse très vite. Je lis sa fureur dans son regard, mêlée à une sorte d'excitation incompréhensible.
Pourquoi est-il si impatient de m'ôter la vie ?
Effrayé, je tire à nouveau plusieurs fois dans sa direction. Il pivote et décolle dans un habile saut enroulé avant d'atterrir accroupi, à deux mètres de mes pieds. Complètement paniqué, je presse encore la détente à trois reprises. Rien ne passe excepté des ''clics'' vides – je suis à sec.
Ma main tremblante glisse dans toutes mes poches à la recherche de recharges, sans que j'ose lâcher trop longtemps mon assaillant du regard. Mes doigts moites se referment sur une poignée de tubes. Plusieurs m'échappent, mais je réussis à charger l’arme. À ce moment précis, Rage relève brusquement sa tête vers moi. Je vise et tends tout de suite le bras.
Le salaud est incroyablement rapide, il débouche devant moi en quelques secondes. Ses mains fermes saisissent ma gorge et mon poignet. Me griffant au passage, il me retourne le bras dans le dos et me désarme vigoureusement. Par sadisme plus que par nécessité, j'imagine, il se penche par-dessus mon épaule et me mord sans pitié l’épaule. Malgré mon manteau, la brûlure est lancinante. Mon cri de détresse déchire la pénombre et fait écho dans le bois.
Je tressaille une nouvelle fois quand il m’attrape la tête afin de me maintenir en position. Ce psychopathe est beaucoup trop fort pour que je me débatte. Je me sais fichu. Mais au lieu de me porter le coup de grâce, il me repousse violemment. Je tombe face la première dans la neige, haletant de souffrance et tremblant d'épouvante.
Avant que j'aie le temps de me redresser, Rage me saisit par la blessure qu'il vient de m'infliger et me retourne. Je geins à nouveau de douleur. Hilare, il s'assoit lourdement sur mon bassin et agrippe mes mains. Il remonte sans égard au-dessus de ma tête, les emprisonne dans la neige et se penche vers moi. Lorsque ses yeux enflammés plongent dans mes prunelles effarées, le sourire qu'il m'adresse me tétanise. Il me renvoie à celui auquel j'ai eu droit, trois ans auparavant. Sauf que ce soir, des gouttes de mon sang perlent entre ses canines.
Sa voix grave s'élève tandis qu'il resserre sa prise sur mes poignets :
— J'ai bien aimé notre premier face-à-face, mon petit prince. Je kiffe toujours autant ta fougue, déclare-t-il. Cette fois, je vais devoir m'assurer de t'avoir tué avant de te lâcher. Mais avant ça, fais-moi plaisir, résiste encore. Durant l'Incandescence, ça m'excite cent fois plus.
Sa référence m'échappe. Je saisis pourtant le fond de sa pensée ; il veut s'amuser avec moi avant de m'achever. Cette idée provoque un blocus de mon esprit. Les bruits du chaos nous entourant s'étouffent, au profit de celui montant en moi.
— Oh… s’étonne-t-il. T’as une marque. Et elle est toute fraîche, dis donc ! Il te l'a vraiment faite en te baisant ? Non, j’en doute. Delta qui nique durant les Douze, je dois le voir pour le croire.
Déjà englouti par le sort funeste qui m’est réservé, je n'écoute plus un traître mot de ce que raconte ce fou furieux. Mes pensées désespérées affluent vers Yu-Han. Il est mon dernier espoir.
— Je suis sûr qu'il a été tendre et mielleux. Il a dû te faire des petits bisous dans le cou avant de te convaincre de te lier à lui, avec ses petits yeux larmoyants... T’as pas la moindre idée de ce que ça fait, d'être entre les mains d’un vrai lycan. Je vais te montrer !
Rage me gifle si fort que ma tête bourdonne. Ses doigts s'enroulent ensuite autour de ma gorge, qu'il serre sans retenue. Je suffoque et reviens à ma triste réalité. Mes mains se posent par-dessus les siennes par mécanisme. Je suis pour autant incapable de réfléchir correctement. Je veux lutter pour sauver ma vie, mais le refus de lui donner la satisfaction d’être son jouet me tiraille.
Les braises moqueuses fixées sur mon visage l'abandonnent inopinément. Rage se retourne, alerte. Il n’a pourtant pas le temps d’arrêter le bras qui s'enroule autour de son cou. Surgit de l’ombre, Yu-Han lui soulève la tête. Ses doigts décidés s'enfoncent ensuite profondément dans la peau de sa gorge, comme ils le feraient dans un gâteau moelleux. Cette action rapide est cependant d'une violence inouïe.
Je sens quelques chaudes gouttelettes éclabousser mon visage et cligne des yeux. Les bras autour de Rage disparaissent. Son corps inerte commence une chute incontrôlée vers moi, mais se voit ballotté de côté. Le cadavre s'écroule dans la neige, qui se teinte de rouge.
Détournant le regard de cette scène, je lève les yeux vers l'homme debout devant moi.
— Yhan...
Ce murmure me serre la gorge. Face à la vision d'horreur qu'il m’impose, couvert d’autant de sang que de coupures, mon cœur tombe de dix étages. Mon corps est secoué d'un spasme de frayeur. Yu-Han ressent mon inquiétude mais s'en détourne. Sa voix forte et autoritaire prend d'assaut le calme à présent retombé dans ce bois de malheur.
— Cet acharnement à me retenir contre mon gré, punir toute désobéissance, menacer ma Vie, leur aura coûté les leurs... Je vous le demande, Allie, True, dois-je aussi écourter les vôtres pour regagner ma totale liberté ?
— Père avait fondé des espoirs sur toi, Delta ! hurle True.
Agenouillée dans la neige, retenant son bras meurtri d'une main, elle croule aussi sous l’hémoglobine et les plaies béantes.
— Il aurait fait de toi son successeur ! Et nous aurions un jour été le couple dominant. En remerciement, toi, tu anéantis ce qu'il a passé un demi-siècle à bâtir ? Tout ça pour t'accrocher à ton mari insignifiant ? Tu as défié et tué notre Alpha. Celui même qui a utilisé ses compétences de sorcier pour t'offrir la longévité et la force brute sur un plateau… Tu l'as tué pour un insignifiant !
Ses yeux sont brillants de larmes, son petit corps tremble de fureur. Quant à Allie, elle retient son poids en restant appuyée dos contre un chêne. La chair lacérée, elle semble accablée de tristesse. Ni elle, ni la gamine ne tentent plus d'attaquer.
Yu-Han reprend :
— Cela aurait pu se passer autrement s'ils avaient accepté de nous laisser tranquilles. Ne commettez pas la même erreur, les filles. Mon époux et moi attendrons de pied ferme, que ce soit demain, ou dans dix ans.
Dos à moi, il continue d’un ton intransigeant.
— Mon Charnel est intouchable. Je ne suis pas des vôtres. Mon existence m'appartient entièrement et vous vous engagez à ne jamais la mettre en péril, que ce soit de manière directe, ou indirecte... Acceptez ces termes, True, Allie, et ce soir, je vous épargnerais.
Les jeunes femmes laissent émaner quelques grondements, mais je ne ressens plus vraiment de crainte émaner de Yu-Han. Peut-être sait-il déjà qu'elles ne sont pas une menace tangible.
Après un silence – bien trop long – la voix neutre d'Allie se fait entendre :
— Tu souhaites être libre. Eh bien sois le !
— Autant que possible en ayant le massacre de ta meute sur la conscience, renchérit l'adolescente. Père disait qu’un loup solitaire ne survit pas. J’espère que tu crèveras et ton Charnel avec !
Ces mots sont un coup dur pour Yu-Han, qui s'efforce pourtant de maintenir sa dominance.
— Acceptez-vous explicitement l'accord que j'ai énoncé ?
— Oui, merde ! gronde True en enfonçant de rage ses doigts dans la neige. Soyez maudits.
— Accord accepté, répond à son tour l'autre femme sous le regard pesant de mon mari. Mais saches que tu n'es rien d'autre qu'un traître, doublé d’un meurtrier.
Après un regard assassin, elle plonge dans la direction opposée. Ce sont des pattes hideuses qui foulent ensuite le sol. Sa gueule, pleine de crocs crochus, se lève et accouche d'un hurlement qui me glace le sang. Encore agenouillée, True se transforme aussi et joint sa plainte à celle de sa... sœur ? L’esprit embrumé, je me demande encore pourquoi Yu-Han et la gosse sont les seuls à avoir l’air de loups normaux.
Le chant morbide s'essouffle alors que les deux créatures disparaissent dans la nuit. Une fois sûr qu'elles sont loin, Yhan accourt à mes côtés. Ma conscience revient à lui et ces coupures marquant son corps. Mes yeux se remplissent d'eau, je ne retiens pas mon sanglot.
Pourquoi pleurer maintenant ? Je n'en sais rien. Peut-être mes nerfs me lâchent-ils tardivement.
— Je vais bien, souffle mon mari en venant s'agenouiller derrière moi. Je suis désolé d'avoir permis qu'ils te blessent, mon amour.
Yu-Han m'attire à lui et me déleste de ma veste. Mon organisme bouillonne toujours sous l’effet de l'adrénaline. Je sens pourtant l'énième morsure du froid pendant que Yhan essuie mon nez. Il saignait, apparemment. Mon mari déchire ensuite mon t-shirt humide de sueur. Dans un état second, je ne comprends qu'il est en train de me faire un garrot que lorsqu'il entoure mon bras meurtri du tissu. Mes yeux hagards scrutent alors les alentours. J’y suis autant poussé par le besoin de comprendre ce qui vient de se passer, que celui de nous savoir totalement en sécurité.
Ce que je découvre déclenche les tremblements et le souffle saccadé d'une crise de panique, au milieu d'une de larmes. Je suis vétérinaire. Je suis habitué à la vue du sang, parfois des organes internes, mais là... C'est…
— Ne regarde pas, m'interdit Yu-Han en signant d’une main poisseuse.
Il saisit mon menton pour regagner mon attention. L'odeur bouleversante de l'hémoglobine s'infiltre dans mes poumons sursollicités et me provoque un haut-le-cœur. Yhan s'assure d'ancrer mes prunelles brunes aux siennes afin de calmer mon agitation grandissante.
— Chut, tout va bien, itoshii. C'est fini.
Posant mon manteau sur mes épaules, il m'entoure ensuite de ses puissants bras et de sa chaleur. Je me fais bercer comme un enfant que l'on souhaite rassurer après un cauchemar. Mais je n'ai pas rêvé. Tout ce bordel était bien réel ! Autant que le sont les trois cadavres déchiquetés gisant autour de nous.
— Je suis désolé, mon Raise. Je n'ai jamais voulu t'exposer à ce monde baigné de violence.
Ses lèvres déposent une multitude de baisers dans mes cheveux et sur mon front. Je m'accroche instinctivement à son bras en sanglotant. À mesure que les minutes s'égrainent, mon angoisse diminue. Je finis par retrouver un minimum de contenance, assez en tout cas pour manifester un certain degré de colère. Je me détache alors de Yu-Han et monopolise son regard.
— As-tu menti en prétendant être amnésique ?
— Jamais je n'aurais fait une telle chose, amour.
Sa mine paraît attristée, mais sincère.
— Alors, quand diable as-tu recouvré la mémoire ? Et surtout, comment ? Par la même magie surnaturelle qui te transforme en... putain d'animal ? D'ailleurs, ça aussi, comment c'est possible ? Bordel !
Ma voix brisée se perd dans les bois, mes mains dénonciatrices retombent et mon souffle redevient très rapide. Yhan se pince brièvement les lèvres. Je ne deviens aussi grossier qu'en accompagnement à une situation me mettant hors de moi. Il doit s’en rappeler, à présent. Tout ça me dépasse complètement !
— Je comprends que les événements puissent être difficiles à appréhender. Je t'expliquerai tout une fois à la maison, promet-il avant de me tendre la main.
Ses doigts maculés de sang séché sonnent l'alarme, me rappelant les meur… Ce qu'il vient de commettre. Mais il l'a fait pour moi. Pour nous.
Nous sommes liés à vie. Pour le meilleur, comme pour le pire, et je l'aime à en mourir.
Un frisson de dégoût me traverse toutefois quand je pose ma main dans la sienne. Yu-Han se lève et m'entraîne avec lui, m'aidant à me relever. Mes jambes ne supportent plus mon poids, je manque de m'écrouler sous le contrecoup de toute cette folie. Mon mari me rattrape tout de suite par le bras, avant d'enrouler les siens autour de moi. Sachant que je ne pourrais aligner deux pas, il me soulève du sol et m'emporte dans la nuit silencieuse.
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