Chapitre 7.1 🌑 « En danger de mort. » ❕
[ Avertissement - chapitre sensible : violence, sang ]
*
J'ai soudain l'impression de suer ma peur à grosses gouttes. Je la transmets certainement à Yu-Han, qui me renvoie une bouffée d'inquiétude. Mon instinct de préservation m'ordonne alors de me relever et courir à toutes jambes. Le forçant à se taire, j'impose ma lucidité au-dessus. Courir serait le meilleur moyen de me faire sauter dans le dos.
Je ne discerne rien d'autre que ces yeux, mais il m'ont marqué au fer rouge. Je sais qu'il s'agit d'un de ces monstres. Ni une, ni deux, j'éblouis les iris étincelants du flash de mon téléphone.
- Fiche-nous la paix ! crié-je en me relevant.
La menace recule dans un grondement féroce. Je suis loin de m'attendre à ce qu'une nouvelle surgisse de ma gauche. Je n'en vois que les yeux ambrés avant qu'elle percute mon flanc et me renvoie au sol dans des ballottements incontrôlés. Mon corps roule-boule dans la poudreuse, où le poids inopiné d'une des bêtes me maintient.
L'animal sur mon buste me coupe le souffle, ses crocs acérés claquent vite devant mon visage. Même si Yhan me sent en mauvaise posture, il ne semble pas pouvoir voler à mon secours. Haletant, affolé telle une biche sous des pattes prédatrices, je tourne la tête sur le côté et repousse la créature à bout de bras pour éviter une morsure. Mes yeux effarés tombent sur une scène qui augmente mon épouvante : mon loup, au coude à coude avec deux chimères tout droit sorties des Enfers.
Les bêtes ressemblent à d'immenses chiens mutants. Leurs peaux charbonnées et leurs os sont apparents sous des poils hirsutes disparates. La plus imposante malmène Yu-Han, que je reconnais parfaitement malgré la présence menaçante d'un autre loup gris. Le deuxième chien des Enfers s'agite dans tous les sens, il semble déboussoler mon mari en le fauchant dès qu'il en a l'occasion. Entre chaque attaque, les trois se jaugent et grondent, tous crocs dehors.
Je perçois le tourment que causent nos situations à mon époux. Voulant me rejoindre, il pivote et recule petit à petit en les tenant d'un regard défiant. Le poids sur ma poitrine s'estompe d'un coup. Je me fais brusquement tirer par le bras droit. Non par une mâchoire pleine de dents tranchantes, mais bien par une poigne humaine incroyablement solide. Elle me remet sur pied de façon abrupte.
Je tangue d'incertitude en levant le regard vers mon geôlier et suis scié par deux éléments : il s'agit d'une femme, une dont le visage me paraît familier, et elle est complètement nue. Sans plus y réfléchir, je tente une échappée.
- C'est pour ça, que tu as déserté la meute ? gronde-t-elle en me rattrapant fermement.
Je reconnais immédiatement cette voix, qui s'exprime dans un anglais à l'accent fort. C'est une de celles me hantant depuis l'enlèvement de Yhan. Je tente encore de me débattre afin de lui échapper. En punition, sa prise sur mon bras se resserre jusqu'à me faire grimacer de douleur. J'arrête alors de résister.
Plus troublé par l'évocation d'une... meute... que par la désignation de ma personne en termes de « ça », je tourne le regard vers les trois autres créatures. Les rayons de la lune traversent assez la végétation pour éclairer très faiblement l'endroit où nous nous trouvons. J'y vois un peu mieux, mes yeux tombent sur Yu-Han dans son apparence normale et constater les griffures sanguinolentes dans sa chair m'écrase le cœur.
À ses côtés se tiennent à présent deux autres hommes, à la place des bêtes cauchemardesques. L'un doit être sexagénaire et l'autre...
Je tressaille en comprenant qu'il s'agit du jeune qui m'a payé un voyage direct vers l'hôpital. Tous ces gens étaient dans la ruelle, cette nuit-là. Leur présence ici ce soir signifie que ce que je craignais le plus ces dernières semaines s'est produit : les ravisseurs du Massachusetts ont retrouvé Yu-Han.
- Lâche-le immédiatement, Mary ! ordonne ce dernier avec quelques pas menaçants. Il est désormais ma Lune Charnelle.
La voix contrariée de Yu-Han emplit le sous-bois. Sa posture défensive me rappelle le qui-vive extrême qu'il affichait à son retour. Inconsciemment, il savait qu'ils le traquaient. Je perçois une grande frayeur à travers ses mots prononcés dans leur langue, et le masque impassible retombé sur son visage. Peut-être bien que cette Mary aussi, car elle soupire dédaigneusement sans desserrer sa poigne douloureuse.
Hébété par leur conversation, je finis tout de même par comprendre que si Yu-Han se rappelle le prénom de cette femme, cela signifie qu'il a retrouvé la mémoire. Mais quand ?
M'a-t-il menti durant des semaines en prétendant être amnésique ? Et, selon lui, je suis devenu son... quoi ?
- Comment as-tu osé ? tonne la voix aiguë d'une gamine surgie de nulle part.
Je détourne machinalement les yeux afin d'éviter sa nudité juvénile. À partir de là, les échanges d'éclats de voix deviennent encore plus surréalistes.
- Avec un autre mâle, en plus ! poursuit-elle.
- Je suis gay, True, souligne un Yu-Han irascible. C'était vraiment con de votre part de penser que ma transformation y changerait quoique ce soit. Durant tout ce temps, mon obéissance n'a été que pour épargner la vie de mon mari. Alors arrêtez de jouer les offusqués. À part Allie, chacun d'entre vous connaît mon histoire pour avoir forcé ma déchéance.
- Je m'en fiche ! s'indigne la jeune True.
Je parie qu'elle foudroie mon Yhan du regard en tremblant d'aigreur. Je suis par contre surpris lorsqu'une autre jeune femme, dont je n'avais pas remarqué la présence, ajoute son grain de sel :
- Je n'ai pas non plus eu le choix, je te rappelle. Aucun de nous ne l'a. Alors cesse tes rébellions. Tu dois accepter de te plier aux décisions de l'Alpha.
- Oui ! Et Haschn nous a destinés l'un à l'autre. Tu n'avais pas le droit de me trahir, Delta !
Delta ? Cette petite peste s'adresse à mon Yu-Han ! Je sens d'ailleurs le dégoût de mon mari remonter dans ma gorge et relève la tête. Mâchoires crispées, Yhan tient le plus âgé des hommes d'un regard défiant. Bon sang, dans quoi diable suis-je embarqué ? Des loups-garous... La planification d'unions forcées... Tout ceci tient du récit fantastique !
- Il a trahi l'ensemble de la meute, renchérit le sexagénaire. Mais n'aie crainte, ma fille chérie, le châtiment sera à la hauteur de sa faute.
Yu-Han explose. Ses remous émotionnels s'écrasent en force au-dessus des miens et court-circuitent mon cerveau, je peine à suivre l'afflux d'informations. Malgré mon scandale intérieur, je reste donc figé sur place. Simple spectateur du chaos régent.
- Vous m'avez enlevé ! crache mon mari. Arraché à ma vie, à celui que j'aime, et conduit droit en enfer... Je n'ai fait que reprendre ce que vous m'avez ôté, Haschn : ma liberté ! Je ne suis pas un des vôtres. Je ne l'ai jamais été et ne vous laisserais plus m'imposer vos règles archaïques. Alors foutez-nous la paix !
- Sinon quoi, Delta ? rétorque le patriarche d'une voix dure, malgré le flegme que j'y décèle. Tu penses impressionner quelqu'un, en sortant tes jolis petits crocs ?
Ses moqueries ont l'air de beaucoup amuser la femme qui me retient otage.
- Ton foutu lien Charnel n'est pas indéfectible, lance vicieusement le jeune homme. Il nous suffit de tuer ta moitié pour le briser et, je sais pas pour les autres, mais je vais y prendre beaucoup de plaisir.
Mes yeux s'écarquillent. Je préférais encore quand il la fermait, celui-ci !
- Vous voulez donc que j'agonise... C'est ça, ma punition ? s'emporte Yu-Han.
Je suis frappé par l'onde de sa rancœur comme par une bourrasque. Elle me fait presque vaciller. Ses iris luisent de ce gris incisif auquel je m'habitue à présent. Sa réaction frénétique déclenche celle des autres et trois paires d'yeux orange, encadrées par deux ambrées, brillent dans la pénombre. Même si tout dans l'attitude de mon Yhan témoigne d'une fureur mal contenue, ses iris scintillants sont les seuls à ne pas me terrifier.
- Tu n'as qu'à obéir et le quitter ! insiste la gosse.
- Notre lien est inaltéré, rétorque Yu-Han. La perte de mon Charnel impactera ma vie, contrairement à eux. Alors si tout ce que vous souhaitez est m'éliminer, Haschn devra se comporter comme un Alpha digne de ce nom.
- Oh. Tu réclames un combat à mort, louveteau ? ricane le Haschn en question.
- Je vais protéger ma Lune de chair et éviter qu'elle soit en danger de mort, quoi qu'il m'en coûte. Si ça implique de tout faire pour t'évincer, ainsi soit-il.
Mon Dieu... Doit-il vraiment mettre sa vie en péril pour sauver les nôtres ? Cette perspective déclenche les éclats de rire des cinq autres. Sûrement savent-ils que Yu-Han n'a aucune chance de l'emporter face à... leur Alpha.
Dire ça est complètement dingue ! L'idée qui me vient pour contourner cette fatalité l'est encore plus. Pourtant, je dois intervenir. Ces fous furieux ne m'enlèveront pas Yhan une seconde fois. Je viens de me rappeler avoir emporté l'arme à air comprimé. Elle est plongée dans la poche gauche de mon pantalon cargo. Le hic, c'est que je suis gaucher. Mon bras me lance encore, mais vu que Yhan retient leurs attentions avec cette déclaration suicidaire, je tente le coup.
Je parviens à ouvrir ma fermeture. Dès que j'en sors le pistolet, je le lève et tire sans préavis dans le cou de ma geôlière. Le déclic qui précède mon coup de feu attire son regard sur moi. Elle ne réagit heureusement pas assez vite pour esquiver l'impact. Sa prise se relâche, elle braille et se tord de douleur en tenant sa blessure. Je m'éloigne immédiatement en brandissant mon arme. Ces balles en acier ne sont pas destinées à tuer, mais peuvent infliger de très graves dégâts à cause de leur puissance. Habituellement, je m'en sers pour effrayer les animaux en tirant à côté ou proche des pattes, dans les cas extrêmes. Avec ces monstres, je n'hésiterais pas à viser là où ça fait le plus mal.
Yu-Han m'a rejoint d'un mouvement simultané. Agissant comme un mur protecteur, il se place dos à moi devant les individus qui nous menacent et grogne entre ses dents pour moi seul :
- Rentre à la maison.
- Non ! réfuté-je. Je ne te laisse pas seul avec ces abominations.
- Traduis-nous ça, Delta. Qu'est-ce qu'il dit, ton humain ? ricane le jeune homme face à Yu-Han. Il veut affronter la meute du grand méchant loup-garou, lui aussi ?
- Encore un pas, Rage, et je t'arrache les amygdales, le prévient mon époux.
- Nos forces sont décuplées, ce soir. Donc tu pourrais, s'accorde le dénommé Rage.
Je ne comprends sa visible indifférence que lorsqu'il ajoute :
- Mais pendant ce temps, les autres s'occuperont de dépecer ton chéri. Alors réfléchis bien, frérot.
Tous les muscles de Yu-Han se tendent. Ce scénario est d'autant plus probable. Seul contre cinq, il ne pourra pas rivaliser. Je décide alors d'intervenir et me décale pour faire face à la meute.
J'annonce dans leur dialecte :
- L'humain est assez rapide pour en éborgner plusieurs avec son arme avant même que l'un d'entre vous finisse de prononcer : ''Nous n'aurions pas dû leur faire chier''.
- Raise !
Yhan panique alors que les autres grondent de mécontentement. Ils me toisent de leurs regards meurtriers.
- Je ne m'en irais pas, assuré-je à Yu-Han. Tu ne leur feras pas face seul.
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