XXXI - Un sourire comme un adieu.

Durant plusieurs semaines, un cauchemar hanta mes nuits.

Chaque respiration était une torture. Ma tête tournait, mon regard se voilait, mon cœur ralentissait petit à petit.

Quand d'un coup, le trou noir arrivait.

Je voyais et entendait toujours la même chose. Mon sang se glaçait.

- Declan ! s'exclamait-elle. Tu ne pourras pas toujours fuir le bonheur, tu seras obligé de le faire entrer dans ta vie quand il frappera à ta porte !
- Je n'ai aucune chance d'être heureux sans toi ! hurlai-je.

La pièce était blanche, sans fenêtre ni porte. Seule une chaise trônait dedans, sur laquelle elle était assise. Ses longs cheveux bruns tombaient sur ses frêles épaules comme une cascade. Ses yeux marrons, presque terre d'ombre brûlée, étaient cernés de rouge. Le regard dur, elle me fixait. Impassible.

Je clignais des yeux une fois.

Mes bras se retrouvaient retenus par une camisole. Essayant alors de me débattre, j'échouais à chaque fois, m'écrasant au sol dans un grognement de douleur.

Un sourire carnassier se dessinait lentement sur ses lèvres. Les bras bien posés sur ses genoux, droite comme un i, elle me dévisageait durement.

- Le problème avec toi, c'est que tu es tout ce dont les gens veulent se débarrasser. Les vices, l'égoïsme, la méchanceté, et l'arrogance ! continuait-elle en se levant doucement. Tu pourrais être quelqu'un de bien, si tu le voulais vraiment. Mais tu es incapable de changer, n'est-ce pas ?
- Mais j'ai changé, Iris ! J'ai changé pour toi, regarde ! Je t'aime, mon cœur bat et... et...

Je sentais que quelque chose se produisait. Mon visage me faisait mal, quelque chose coulait, et des tâches étranges tombaient sur le sol. Je m'avançais tant bien que mal vers un miroir, qui n'était pas là avant, et restait étourdi à la vue de ce que j'étais devenu.

Mon visage semblait brûlé, complètement abîmé, comme si j'avais reçu de l'acide.

- Je regarde, oui. Je vois un homme défiguré par ses erreurs, par les choix qu'il a fait. Tu aurais dû choisir de ne pas boire, tu aurais pu...

Sa voix s'éloignait, ses lèvres bougeaient encore mais je ne l'entendais plus. Un long bruit assourdissant retentissait et ma mère se mettait à rire.

- Pourquoi tu as fait ça, Declan ? Tu sais bien que tu n'es qu'un bon à rien ! disait ma mère dans un écho. Personne n'a jamais voulu de toi, ça ne changera jamais. Tu te berces d'illusions. Elle s'en va, regarde. Tout le monde te laisse, tu ne mérites rien d'autre qu'un destin rempli de solitude.

Ma mère prenait la place d'Iris sur la chaise. Quant à elle, elle s'éloignait, ses cheveux aux senteurs de jasmin flottant au vent, ne répondant pas à mes appels. Son parfum me donnait alors une migraine horrible.

J'avais beau hurler son prénom, elle ne m'accordait aucun regard. Seul le rire strident et machiavélique de ma mère retentissait dans cette pièce exiguë où l'air manquait.

Je n'arrivais plus à respirer.

Iris !

J'ouvrais alors les yeux, pris de panique, tentant de reprendre ma respiration dans une bouffée d'air gigantesque. La réalité revenant peu à peu.


La dernière nuit où ce cauchemar me malmena, Iris se réveilla en sursaut. Elle était rarement là lorsque ça arrivait. Elle apaisait généralement mes mauvais rêves.

- Declan, tout va bien ! Calme-toi, chuchota-t-elle en me caressant le visage.
- Je suis désolé... balbutiai-je essoufflé, le cœur encore palpitant et douloureux.
- Tout va bien, tu es en sécurité, je suis là, dit-elle dans un murmure en me prenant dans ses bras. Tout va bien.
- Il faut que j'aille la voir... elle ne me laissera jamais tranquille.

Elle se pencha pour allumer la petite lampe de chevet, et la sentir s'éloigner me terrifiait. Je tentais de contrôler mon envie de la ramener contre moi. Lorsque la lumière éclaira la pièce, j'étais rassuré de ne pas voir de murs blancs.

Ses yeux s'ancrèrent dans les miens. Elle était inquiète, je ne devais pas avoir bonne mine.

- Je suis prête quand tu es prêt...
- On ne l'est jamais vraiment, pas vrai ?
- Je ne pense pas, non... souri-t-elle doucement, compatissante. Mais comme m'a dit quelqu'un d'extraordinaire un jour : « t'es un battant, tu vas y arriver. Je suis là. ».

A l'entente de ces mots, un sourire s'imposa sur mes lèvres. Elle s'en souvenait.

J'attrapais ses mains, les serrant doucement dans les miennes. Iris m'offrit le plus beau des sourires, et je l'attirais à moi.

Une nuit remplie d'amour apaisa mon cœur.




Le trajet jusqu'à la ville d'à côté se fit en silence. Ce fut l'un des plus long. Après le retour d'Iris de chez sa mère, je lui avais proposé d'enfin aller voir la mienne. Je me sentais prêt à l'affronter. A en finir, une bonne fois pour toute. Penser à elle, c'était comme être perpétuellement à l'agonie. Un sentiment qu'on aurait mis sur pause, et rembobiné pour mieux être rejoué dans les moments les plus difficiles.

- Tourne là, dis-je précipitamment en pointant une sortie du doigt.
- Préviens-moi plus tôt ! râla-t-elle en levant les yeux au ciel.
- Tourne là, je te dis !
- Ca va, ça va ! Je ne suis pas sourde !

Un ricanement s'échappa de ma bouche. Doucement, les choses reprenaient leur place entre nous.

Les premiers jours, c'était assez étrange. J'avais l'impression qu'on se demandait tous les deux comment on devait agir maintenant que nous n'étions plus de simples amis – l'avait-on seulement été réellement un jour ?

Après plusieurs discussions sur nos doutes respectifs, on avait trouvé un terrain d'entente sur le fait que notre relation était bel et bien réelle pour tous les deux. C'était d'ailleurs un point important, que de se dire qu'on était ensemble. Qu'on formait un couple – et étrangement, avec elle, cela ne m'effrayait pas. Je ne m'imaginais plus sans elle à présent, et mon cœur manqua d'exploser lorsqu'elle me confia qu'il en était de même pour elle.

Alors, Iris et Declan étaient de nouveau Iris et Declan.

Elle recommença à m'engueuler, j'avais recommencé à la taquiner. On essayait de ne pas passer tout notre temps collé l'un à l'autre, de peur de dépendre un peu trop de la présence de l'autre pour continuer à appréhender la vie.

La seule chose qui changeait finalement, c'est qu'à présent, on répondait à la tension qui planait autour de nous sans aucune hésitation. Donnant lieu à des moments emplis de désir et passionnés.

Lorsqu'elle passait la nuit chez moi, l'instant que j'aimais le plus c'était de la voir s'endormir dans mes bras. De sentir sa respiration ralentir, son cœur s'apaiser, et qu'elle se détende doucement pour rejoindre Morphée.

Mon cœur s'emballait toujours.

Car j'avais l'impression qu'elle ne me faisait jamais autant confiance qu'à cet instant. Le bonheur que cela me procurait m'aidait à voguer, moi aussi, en direction du pays des rêves.

Mais la meilleure partie, c'était surtout de la voir au réveil. Son visage étant la première image que j'avais en ouvrant les yeux sur un nouveau jour. Ses sourcils bruns, son petit nez, le grain de beauté délicat sur sa paupière droite... Ses traits endormis, paisibles, sereins. Je savais en mon for intérieur que jamais personne n'aurait plus belle vision à l'aube.

Je me sentais comme le roi du monde à ses côtés. J'étais le mec le plus chanceux de l'univers, parce que je l'aimais. Et qu'elle m'aimait en retour !

Elle s'exécuta, tournant rapidement vers l'endroit que je venais de lui indiquer. Après dix minutes, une bouffée de chaleur parcourut mon corps. Plus on avançait, plus je comprenais ce qu'avait ressenti Iris.


Comme elle a changée... pensais-je en arrivant à l'endroit prévu. Je ne l'aurais presque pas reconnue sur le moment s'ils n'avaient pas laissé la plaque en bois pour indiquer le numéro.

- Où sommes-nous ? m'interrogea-t-elle lorsque je lui demandais de se garer devant une maison.

Je me précipitais dehors et me mis face au pavillon.

Elle était devenue belle.

Quand j'étais gamin, j'aurais voulu qu'elle soit ainsi. De beaux volets verts, les murs blancs, des plantes, une petite piscine, un portail neuf, et surtout une famille à l'intérieur. Qui vit, heureuse, et épanouie. Chanceux qu'ils sont, s'ils savaient les drames qui ont eu lieux entre ces murs, ils dormiraient sans doute moins bien la nuit.

- C'était chez ma mère. Enfin, c'était loin de ressembler à ça à l'époque, déclarai-je dans un rire empreint d'ironie. Nous on avait juste les murs fissurés, pas de peinture, pas de volets, et les grilles étaient complètement rouillées. Rien à voir avec ça. Mais les murs, c'est ce qu'il en reste vraiment... de notre maison.

Mon cœur se serra, ne sachant pas si c'était à cause de la bâtisse ou de ma phrase...

- Tu veux qu'on reste un peu ? proposa-t-elle en se blottissant dans mes bras.
- Non, on va aller la voir elle. Mais je voulais repasser ici, histoire de voir... tu sais...
- Oui, dit-elle doucement en me fixant d'un regard bienveillant.





Au fond d'une longue allée bordée de gros chênes – probablement tous doublement centenaires – se distinguait un imposant portail noir. Une plaque gravée de dorures indiquait « cimetière communal » en lettres capitales. Alors que je poussais la porte, je pris une grande inspiration. Iris, elle, enlaça ses doigts entre les miens. On échangea un regard, et elle me sourit avec toute la tendresse qui habitait son cœur.

Je n'étais jamais venu me recueillir sur sa tombe. Sans doute parce que j'avais peur, ou que je la haïssais encore trop pour ne serait-ce qu'admettre que j'avais besoin de venir.

Inconsciemment, en avançant vers l'emplacement, je cherchais du regard quelqu'un de familier, qui aurait pu me dire quoi faire, où aller. Je me souvenais vaguement de l'emplacement, mes souvenirs remontant à l'enterrement de mon frère.

Une fois l'endroit trouvé, Iris retira instinctivement quelques brins d'herbe qui poussaient sur la pierre, et je m'agenouillais sur les graviers qui recouvraient le sol. Aucunes fleurs n'égayaient le marbre. Tout était terne, vide. Seuls leurs noms figuraient sur la pierre, le soleil faisant briller les dorures sous l'éclat de ses rayons.

Iris posa ses mains sur mes épaules, et ces dernières se mirent à trembler. Des larmes coulèrent le long de mes joues, s'écrasant sur des marguerites sauvages qui poussaient au bord de leur dernière demeure.

C'était assez ironique quand on y pense, j'arrosais des fleurs avec ma tristesse.

Elle finit par s'agenouiller à mes côtés, me prenant un long moment dans ses bras.

- J'aurais voulu que tu m'aimes, m'écriai-je, que ce soit différent ! Être comme les gens normaux. Je suis le dernier à encore être entier. Joris est mort lui aussi. Comment tu as pu nous faire ça ? Tes propres gosses !

Iris n'intervint pas. Elle savait. Je la sentais simplement resserrer son étreinte.

Me consolait-elle seulement ou essayait-elle de me protéger de toute cette peine que je ressentais ?

- J'irai mieux, affirmai-je après avoir calmé mes larmes. Je vais m'en sortir, être quelqu'un de bien. Il faut juste que je te dise adieu. Alors repose en paix, maman. Repose en paix.

Caressant doucement son nom sur la pierre, je me relevais, un léger sourire aux lèvres.


Adieu maman.

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