XXVII - L'éclatante clarté des sentiments.

- Elle s'en fout, s'exclama Bastien en claquant la porte du bar. Bois un verre maintenant.

Je regardais le whisky qui me faisait face. Des mois que je n'avais rien consommé. Ni drogue, ni alcool. Des mois que je ne regardais plus aucune les femmes, ne rêvant que d'elle au point d'en devenir fou. Ma main dans la sienne. Il m'arrivait parfois de venir dans ce bar, de commander un verre sans jamais le boire. Uniquement pour me prouver à moi-même que j'en étais capable.

Mais Bastien était de retour en ville. Ce vieux pote de beuverie, toujours en train de dénicher les meilleures soirées. Il me manquait, mais j'avais l'impression d'avoir changé lorsque lui restait comme au lycée. Exubérant, criard, et toujours aussi dur.

- Bois le, Declan. C'est des conneries la sobriété, ria-t-il en buvant son verre cul sec. Tu vois ? Comme au bon vieux temps, mon pote ! s'exclama-t-il en me donnant une tape dans le dos.

Je regardais le liquide ambré quelques secondes avant de le donner à mon voisin, affalé sur le comptoir, qui ne le finira sans doute pas.

- Declan... ! me rappela mon ami lorsque je décidais de partir.

Il faisait froid ce soir-là, ou alors c'était à l'intérieur de moi que la glace prenait à nouveau du terrain. L'impression que mes membres gelaient sur place me terrifiait.

Toute cette conversation était partie d'un conflit entre Léo, Bastien et moi. Léo s'évertuait à me dire de ne pas abandonner, de contacter Iris rapidement avant qu'un autre ne finisse par le faire. Bastien, fraîchement de retour en ville, m'avait demandé des détails sur cette affaire. Léo et Bastien ne s'étaient jamais vraiment apprécié, mais ce soir-là, je me retrouvais séparé entre deux camps que je voulais habiter à égalité. Léo trouvait que Bastien était une très mauvaise influence, surtout alors que ma sobriété était récente et encore fragile. Mes trois mois enfin atteints. Bastien avait alors parié un verre que la fille s'en foutait, quand Léo n'avait même pas voulu parier, me disant de mieux choisir mes amis la prochaine fois.

Je sentais bien que le monde changeait autour de moi. Léo fréquentait sérieusement Rose – ce qui m'étonne sans vraiment m'étonner, finalement – et je continuais à assister aux réunions. Un calme réapparaissait malgré la tempête que je sentais encore sommeiller en moi, attendant le moindre faux pas pour me sauter dessus.

- Mec, parle-moi ! dit Bastien, une fois sur le pas de la porte à mes côtés.

Il me proposa une cigarette que je refusais.

- Elle était comment ? demandai-je calmement.
- Foutrement belle, putain ! T'avais raison, elle est encore mieux en vrai que sur ta vieille photo ! ricana-t-il en allumant sa cigarette.

Je lui adressais un regard noir et son sourire disparu aussitôt. Il cracha sa fumée, reprenant au moment que j'attendais le plus.

- Elle faisait un peu la même tronche que toi.
- Elle ne t'a rien dit ? Tu lui as bien passé le message que je t'ai donné ! questionnai-je, fébrile.

C'était un choix horrible, mais j'avais l'impression que Léo avait raison. Il était rarement mauvais avec les gens que je fréquentais, surtout quand il les avait lui-même fréquentés pendant des années. Mais Bastien... on était aux antipodes maintenant. Je lui avais donc demandé d'aller la trouver, lui précisément explicitement où et lui montrant une photo que j'avais pris d'elle, un peu honteusement, à son insu lorsqu'elle dormait – et bavait – sur le trajet en direction du garage. On me voyait tirer la langue et elle, affalée sur mon épaule.

- Elle ne m'a pas laissé le temps de le faire. Et elle a juste dit que...

Il se stoppa et réfléchit, me laissant suspendu à ses lèvres en attendant de savoir si je vais dégringoler dans le vide ou lui coller mon poing dans les dents.

- D'être heureux avec la fille que t'aimes.

Un énorme sourire illumina mon visage ce soir-là. Bastien était sans doute un ami horrible, mais il venait de traduire un message on ne peut plus précis : Léo avait raison. Elle était jalouse, et inconsciemment, elle venait de me dire ce que j'avais besoin d'entendre. Je devais être heureux avec la fille que j'aime, même si elle pensait que s'en était une autre.




Après avoir quitté le bar en trombe, j'étais rentré chez moi bien décidé à aller la retrouver le lendemain après tout ce temps, préparant toute la soirée et la nuit chaque syllabe que j'allais lui adresser. Faisant des allers retours d'une pièce à l'autre, mimant même la gestuelle. Aucun détail ne devait être laissé au hasard.

Soudainement, alors que mon regard se posa sur un des immeubles du quartier, je remarquais une grande fresque sur la face de ce dernier. Du street art, et pas fait par des amateurs. Comment avais-je fait pour le louper tout ce temps ?

Et ni une ni deux, l'idée est venue.

Un nouveau jour s'était levé.

Le lendemain, à huit heures tapantes.

Etant le premier à rentrer dans le magasin, j'attrapais des bombes de couleurs, du scotch épais noir, et des ciseaux. La caissière m'adressa un regard méfiant. J'avais l'air très suspect entre mes achats et le sourire ravi que j'adressais à tout le monde.

Si je ne me trompais pas – d'après ce que Léo avait demandé à Rose – ses cours commençaient à dix heures, il me restait donc le temps de mettre à exécution mon plan. Une grande banderole était accrochée sur la façade du bâtiment principal, pour vanter le prestige des concours qui avaient lieu dedans. Je grimpais tant bien que mal jusqu'à cette dernière, Léo sur mes talons, pour ajouter une touche personnelle à cette dernière. Léo ne pouvait pas s'empêcher de rire à chaque fois que je manquais de faire une chute presque équivalente à deux étages. Il ne m'était pas trop d'une grande aide pour décrocher cette foutue banderole ! Installant mes pochoirs de fortune – autrement dit, des bouts de scotch – j'essayais au mieux de faire jouer mon sens artistique.

A la fin, une fois le tout à peu près satisfaisant, je signais d'un « -D ».

Il ne restait plus qu'à attendre. Prenant toutes les preuves nous incriminants, on détala aussi rapidement qu'il était possible de le faire. Nous dirigeant vers sa voiture, qui me conduira vers un endroit précis. J'avais le temps, c'était prévu pour le soir, cependant je voulais que tout soit parfait.


- T'es vraiment dingue d'elle mec, pas vrai ? murmura Léo.

Un sourire s'étala sur mes lèvres sans que je ne parvienne à le réprimer.

- J'ai rarement été aussi heureux que quand je suis assis à côté d'elle, m'exclamai-je, le visage fendu en deux par la joie. Il me fallait quelque chose qui me donne envie de continuer et de revenir dans le droit chemin. C'était elle. Je ne l'ai pas su directement. Mais quand je m'en suis rendu compte et que j'ai voulu lui laisser entendre ce que je ressentais, elle a claqué la porte.

Croisant le regard de mon ami, il se contenta de me sourire.



La nuit tombait et j'attendais à l'endroit prévu, une bouteille de limonade posée sur le plaid à côté de moi. Je jonglais d'une main avec mon jeton des alcooliques anonymes sans quitter l'heure des yeux.

Mon cœur était incontrôlable, le moment fatidique approchait et je fixais l'horizon en essayant de calmer mes tremblements. J'étais tellement angoissé que j'en avais presque la nausée.

Vingt et une heures sonnaient et le lampadaire éclairait l'herbe. Tournant en rond, tel un lion en cage, je jetais des regards anxieux vers la route.

Les étoiles illuminaient le ciel, me permettant de me perdre dans mes pensées. Sa bouche rose pâle et ses yeux si merveilleux. Son sourire doux et saisissant à la fois. Tout me ramenait à elle. Chaque recoin du monde m'offrait une infime partie d'elle.

J'aspirais lentement l'air pur et frais, me faisant légèrement tourner la tête.

Je réitérais l'expérience, curieux de savoir si c'était ça la sensation miracle que tout le monde ressent. Cette béatitude qui vient à faire chavirer l'esprit tant on a atteint un niveau de sérénité extrême. Mon esprit avait retrouvé sa place, et j'en fus presque déçu. Tout le secret de la chose était là, finalement.

Le plaisir vient avec les moments uniques et rares.

Et celui-là, il allait l'être.

Je le lui avais écrit.

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