XXVI - Jacques a dit... turbulences.
Après que mon amie soit rentrée de son rendez-vous – avec le meilleur ami de Declan, la vie ne cesse de se moquer de moi – elle soupira quelques minutes. Elle attendait avec impatience que je lui demande les détails de sa soirée, mais j'avais envie de la taquiner un peu. Rose pouvait s'avérer très dramatique dans la vie. Même lorsqu'elle se cassait un ongle, une tirade digne de Shakespeare sortait assez facilement de son chapeau. Ça m'amusait de la voir tenter d'attirer mon attention. Et en vérité, j'étais aussi très partagée. Si le nom de Declan ressortait de cette conversation, je voulais être préparée.
Depuis une semaine, j'avais essayé de trouver les mots justes dans l'espoir de lui écrire. Je voulais lui présenter mes excuses, lui avouer ce que je ressentais. Mais les mots manquaient, ils n'étaient jamais assez bien, jamais assez beaux...
- Tu vas donc me torturer infiniment ? fini-t-elle par demander, se levant du canapé pour me rejoindre sur le petit fauteuil à côté de ce dernier.
- J'attendais encore deux minutes, histoire de battre mon record personnel, gloussai-je en lui faisant un clin d'œil.
- Hilarant, vous êtes absolument hilarante madame, on vous l'a déjà dit ?
- Oh oui, bien des fois très chère !
Elle me donna une petite tape sur le bras en riant aux éclats.
- Alors, vas-y. Tu vois bien que je n'y tiens plus, raconte-moi tout ! lançai-je en posant mon livre tout en continuant à la taquiner un peu.
- Bien ! commença-t-elle en se redressant pour se donner un air sérieux. Il s'appelle Léo.
- Quelque chose que tu ne m'as pas déjà dit, précisai-je en lui souriant.
- Bien, bien. Il est très drôle, étonnement. Je pensais que ça allait être un gros lourd vu comment il s'est comporté quand j'ai vu Declan.
Aïe, première mention...
- Mais en fait, continua mon amie sans remarquer mes états d'âme, pas du tout. Il s'est avéré très sympa. Très drôle ! Je pense que je vais le revoir. Il voulait continuer la soirée chez lui, mais j'ai dit non !
- Oh ? questionnai-je mon amie dans un regard surpris. C'est plutôt bon signe ce genre d'invitation, non ?
- Très bon signe ! souriait-elle, visiblement conquise. Mais j'ai envie de voir ce qu'il vaut.
- Tu fais bien ! Je suis très contente pour toi.
- Merci, souffla-t-elle, un sourire empli de douceur sur le visage.
Un silence s'aventura dans la pièce, et elle me prit la main.
- Est-ce que tu veux entendre l'autre partie... ?
- Ça dépend, je vais finir dans quel état ?
- Au pied du mur, je crois.
- Alors pas maintenant, s'il te plait. Peut-être demain.
- Comme tu veux ma belle, mais rappelle-toi que quoi qu'il arrive, je suis là, me rassura Rose, me serrant tout contre son cœur.
- Je sais, je ne serai que peu de choses sans toi !
- Tu es bien trop de choses à toi toute seule pour ne te réduire qu'à ça en l'absence des autres ! ricana-t-elle.
Un matin, un mardi, le ciel était bleu. Le soleil commençait à faire dorer ma peau. Les gens souriaient de plus en plus. La nature reprenait vie, Rose portait des robes à carreaux, c'était sa tradition au printemps. Quant à moi, j'avais enfin trouvé un équilibre. Que ce soit dans les cours, où je ne m'évertuais plus à me noyer pour combler un vide. Ou dans mon travail dans la librairie universitaire. Je passais mes journées à prendre les choses comme elles venaient. Cela faisait plusieurs semaines que Rose fréquentait Léo. Ça avait l'air plutôt sérieux. Elle voyait souvent Declan, elle me donnait parfois de ses nouvelles dans mes meilleurs jours et se retenait dans les mauvais.
J'allais bien.
Vraiment, j'allais bien.
La plupart du temps, en tout cas. Doucement mais surement.
Ma mère était venue me voir un jour, avec Max, Emma et Henri. Elle avait aussi pris contact avec mon père, après tant d'années, pour tenter de le sauver. Elle m'avait confié être « sans doute la clef du problème. Peut-être que si je le libère de la peine que je lui ai infligée, il se délivrera de celle qu'il entretient. ». C'était des paroles très sages. Ma mère l'était plus qu'elle ne le paraissait, d'ailleurs. Il faudrait du temps pour réparer les dommages causés. Autant dans le cœur de mon père que dans le mien. Elle essayait, à la hauteur de son pouvoir, d'arranger les choses. J'avais commencé à apprendre à connaitre Henri. Après tout, ça avait mal commencé, mais je ne pouvais pas continuer à entretenir cette rancœur et cette haine pour toujours. Ça demandait bien trop d'énergie de haïr quelqu'un jusqu'à la fin de sa vie. Et je voulais la garder pour l'utiliser à meilleur escient.
J'allais bien.
Les seules fois où ce n'était pas le cas, c'était le soir. Tout revenait dans la nuit, et je sentais à nouveau sa main prendre la mienne. J'entendais son rire. Sa voix résonnait même parfois dans celles des autres en plein jour. Les larmes montaient alors, et ma nuit s'annonçait souvent compromise.
Ce matin-là, quelque chose dans l'air avait changé. Mon cœur s'assainissait. Lentement mais surement, je reprenais goût à cette vie que j'avais voulu quitter mainte fois. Je n'oublierai sans doute jamais Declan. J'avais juste besoin de temps pour lui dire ce que je ressentais. Même si c'était trop tard, même s'il en aimait une autre, même si c'était égoïste et cruel... je voulais revenir. Je voulais le revoir, le regarder droit dans les yeux, et lui dire tout ce qui m'avait été impossible jusqu'à lors d'énoncer à haute voix. Même si j'arrivais trop tard, je voulais qu'il l'entende au moins une fois.
En sortant des cours, ce mardi ensoleillé, mon esprit fut parasité par une voix nouvelle. Quelqu'un m'interpelait.
Evidemment, le jour où Rose fini après moi, pensai-je intérieurement, lassée d'avance.
- Excuse-moi, m'interpella un inconnu.
- Oui ? dis-je en sortant brusquement de ma bulle.
- Comment tu t'appelles ?
Fronçant les sourcils, je toisai le grand brun et commençait à partir en pensant que c'était juste un mec qui cherchait à me faire des avances.
Ça sent le déjà-vu, ironisai-je intérieurement.
- Attends, attends ! Eh ! s'exclama-t-il.
J'accélérais le pas, priant pour qu'il se lasse assez rapidement.
- C'est Declan qui m'envoie ! s'écria-t-il en hurlant presque.
Mon corps s'arrêta net, comme si un mur invisible m'empêchait d'avancer. Me tournant lentement, ne comprenant pas exactement si c'était une blague ou non.
- C'est Declan qui m'envoie, répéta-t-il. T'es bien... Isis... Non...
- Iris, le coupai-je froidement. Comment tu sais qui je suis ?
- Iris, oui ! Il me l'a pourtant répété plusieurs fois. Il m'a dit que t'es en cours ici, et il m'a montré une photo, souriait-il.
Une photo ? Comment Declan pouvait-il avoir une photo de moi ? L'aurait-il pris pendant notre petite escapade ratée ?
- Alors en te voyant, je me suis dit que t'étais toi.
- Perspicace, ironisai-je. Declan ne se déplace plus lui-même maintenant ? Il envoie ses valets ? dis-je, acerbe.
Avant d'être si en colère contre lui, d'avoir donné aucun signe de vie pendant si longtemps, il fallait que je me souvienne que je n'avais pas non plus repris contact avec lui. J'étais juste frappé dans mon orgueil, il fallait que je me calme, rapidement, avant de rater encore une chance de peut-être arranger les choses. Peut-être l'avait-il senti, lui aussi, ce changement dans l'air. Peut-être venait-il fixer les pots que j'avais moi-même cassés. C'était bien son genre de couvrir sous le tapis les maladresses des autres.
Il ne m'avait rien promis après du tout. Et visiblement, il fréquentait quelqu'un selon ce que Léo avait dit à Rose lorsqu'ils se sont vus au parc. Dans cette même fac. Peut-être voulait-il me faire prévenir de sa présence plus fréquente dans le coin. Avec... quelqu'un.
A cette pensée, mes vieilles angoisses remontèrent. C'est vrai ça, pour qui je me prenais. Il méritait bien mieux qu'une fille indécise qui attendait le bon moment pour ressurgir et le blesser à nouveau. J'espérais quoi ? Revenir, lui déclarer ma flamme et repartir ? Je l'avais accusé de bien trop d'horreurs pour lui en faire aussi. Un pincement serra mon cœur.
Je devais lui rendre sa liberté.
- Ecoute, dis-lui que le message est passé. Je suis au courant qu'il fréquente quelqu'un ici. Je n'ai pas l'intention de lui causer de torts, je lui souhaite d'être heureux avec la fille qu'il aime. Et qu'il continue sur ce chemin, je suis fière de lui. Dis-lui ça, c'est tout.
Alors qu'il ouvrait la bouche, je lui fis signe et il se résigna. Lui adressant un sourire, je tournais les talons en retenant mes larmes du mieux que je pouvais.
L'espoir, ça n'existe pas. La vie nous donne ce qu'on mérite au fond. Alors la prochaine fois, saisi les meilleures occasions.
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