XXIII - Les quiproquos amicaux.
Pendant plusieurs semaines, j'ai dû résister à l'envie de la harceler d'appels et de messages, qui auraient été plus embarrassants les uns que les autres.
J'avais envie qu'elle revienne. Qu'elle recommence à s'énerver contre moi, à lever les yeux au ciel, ou à rire à gorge déployée. Des nuits entières lui ont été consacrées dans mes rêves. On se retrouvait, je l'embrassais et on s'aimait enfin. Puis j'étais réveillé par le manque.
Faisant des allers-retours dans mon appartement. Commençant à avoir une migraine insupportable, frottant mes muscles pour calmer les spasmes, mes poumons étant parfois même douloureux. Plusieurs fois, je me suis allongé sur le carrelage frais de la cuisine pour me donner un semblant de calme intérieur. Puis je me relevais, avant de retourner me coucher.
Mes connaissances limitées en termes de sevrage étaient issues d'une partie de mon passé que je peinais encore à aborder. Mon frère était héroïnomane. J'avais essayé de l'aider étant plus jeune. Malheureusement, il n'avait pas tenu longtemps, succombant à une overdose par la suite.
Face au miroir, tentant de calmer mes nerfs à coup d'eau froide, je repensais à ce moment de nos vies. Les dents serrées, j'observais mon reflet. La vraie raison de toute ça, finalement, c'était peut-être lui, après tout.
Deux semaines après, j'ai pu recommencer à vivre pleinement sans symptôme. Mais elles n'avaient pas été de tout repos.
Je m'usais à faire du sport pour essayer de compenser mon envie folle d'avaler quelque chose contre une bonne dose d'endorphine. Et une remise en forme n'était pas de trop, mon cardio était à plat.
Après plusieurs tentatives vaines, où j'ai fait des allers retours devant le bâtiment sans jamais y entrer, j'ai fini par intégrer un groupe de parole. Ça n'avait rien à voir avec ce qu'on voyait dans les films. Les trois quarts du temps, c'était des gens différents. Il y avait quelque fois des intervenants, sobres depuis de longues années, qui annonçaient avoir repiqué dans la boisson ou dans d'autres trucs encore moins joyeux. On échangeait tous un regard inquiet, se demandant si nous aussi, malgré tous nos efforts, on allait revenir comme eux.
Il m'avait fallu un temps monstre pour comprendre que j'avais un problème. J'étais alcoolique, saupoudré de l'étiquette de toxicomane. Croyant que ce genre de choses n'arrivaient qu'aux autres, que moi, ce n'était pas pareil. Que j'avais une histoire, d'excellentes raisons, et qu'on allait me dire qu'effectivement, j'étais à part.
En les écoutant, je me suis rendu compte qu'en prime, j'étais un sombre abruti.
Ils avaient tous une histoire. Tous de bonnes raisons. Je n'avais rien de spécial, j'étais juste un jeune addict, rien de bien étrange dans ce genre d'endroit. Je n'étais pas le seul à avoir eu une vie de merde. Et en ça, le groupe de parole m'apporta un réconfort insoupçonné.
Je n'étais pas seul. On était des dizaines ! C'était à la fois effrayant et rassurant. Ça voulait dire que tout n'était pas de ma faute, que certaines choses me dépassaient, et que j'avais juste pris la porte de secours la plus proche pour essayer de m'en sortir du mieux que je pouvais. Ça ne retirait pas la part de responsabilité que je ressentais, mais ça expliquait beaucoup de choses.
Et ça faisait un bien fou.
Lorsque j'ai eu mon premier jeton de sobriété, j'ai tenté d'appeler Iris. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle décroche, mais c'était la première personne à qui je voulais le dire. Son répondeur se déclencha, et j'ai hésité quelques instants y laisser un message. Mais à quoi bon...
Elle avait été claire. Je n'étais pas ce qui lui fallait. J'aurais voulu, du plus profond de mon âme, être quelqu'un de bien pour elle. Comme on nous l'avait dit lors d'une séance : « ce n'est pas parce que vous n'arrivez pas à vous aimer vous-même pour l'instant, que vous ne méritez pas l'amour d'autrui. Alors laissez-vous être aimés, parce que vous le méritez ! ».
Mais c'était peut-être trop tôt, trop brusque. On avait besoin de cicatriser, chacun de notre côté. Et peut-être allais-je être le seul à nourrir des espoirs éteints depuis des décennies, mais je voulais prendre le risque.
Alors s'il te plait, quand je reviendrai, ne fuis pas. Je sais que j'ai beaucoup de défauts et que ça te rappelle de mauvaises choses mais... Ne fuis pas Iris, j'ai besoin de toi.
J'ai rencontré quelqu'un pendant une séance. Elle s'appelait Joëlle, mais elle préférait qu'on l'appelle Joe. Elle avait vingt-trois ans. Tout juste deux ans de plus que moi. Le soir où j'ai tenté d'appeler Iris, j'étais tellement abattu, que je l'ai ramenée chez moi. Au moment où on s'apprêtait à coucher ensemble, on s'est rendu compte que c'était la première fois depuis bien longtemps qu'on tentait ça avec quelqu'un en étant sobre. C'était gênant... non pas qu'elle n'était pas attirante et jolie, mais, c'était différent.
En fait, je n'en avais pas envie.
Pour la première fois, je me suis rendu compte que j'allais faire ça avec une parfaite étrangère, et je devins soudain mal à l'aise au point d'être incapable de faire fonctionner quoi que ce soit.
- Mince, ça t'a rendu impuissant ? pouffa-t-elle en regardant sous la couette.
- J'espère pas, parce que sinon j'aurais définitivement tout perdu, plaisantai-je pour camoufler mon malaise.
- Ça arrive des fois, mon ex c'était souvent !
Je lui avais accordé un regard à la fois amusé et ahuri.
- Une fois, c'est parce qu'en fait il en aimait une autre, continua-t-elle comme si cette conversation était des plus normales.
- Et qu'est-ce qu'il a fait ? m'hasardai-je à demander, soudainement intéressé par le sujet.
- Il m'a quitté.
- Oh... m'exclamai-je, hébété.
Inutile de préciser que le message était plutôt bien passé : j'étais devenu incapable de faire quoi que ce soit avec qui que ce soit parce que j'étais tombé amoureux. Joe n'a jamais donné suite, étonnement. Je pense que mes prouesses n'avaient pas été de taille – sans faire de mauvais jeu de mot. Mais ça m'arrangeait. Même si je ne devais rien à Iris, et qu'elle non plus – peut-être était-elle même déjà en bonne compagnie – je me sentais coupable d'avoir voulu tenter quelque chose avec Joe. Autant pour elle, que pour Iris. Et même pour moi. Je savais que mes intentions n'étaient pas louables, et je savais aussi que je valais mieux que ça.
Du moins, j'essayais d'y croire.
J'en avais rencontré des filles. Plus ou moins belles, plus ou moins intelligentes, plus ou moins drôle... Mais elle, j'avais l'impression que je ne m'en remettrais jamais. C'était impossible, comment pouvait-on rester de marbre devant pareille beauté ? Parfois, dans des moments anodins, les souvenirs passés de ses cheveux, sentant le jasmin, de sa peau douce, de ses pupilles couleur Œil de Tigre, de son rire rayonnant... tout ça revenait me hanter.
Elle manquait cruellement à ma vie. C'était devenu un fardeau. Et pourtant, c'était le seul que j'acceptais de garder.
A plusieurs reprises, j'ai pensé aller la voir sur son campus, sans jamais oser le faire. J'en avais déjà assez fait. Elle avait mon numéro, connaissait mon adresse, si elle avait voulu reprendre contact, elle l'aurait fait.
Et pourtant, le destin voulu que j'y retourne.
Un jour où nous étions dans le parc très fréquenté de leur université, mon ami a craqué sur Rose, la meilleure amie d'Iris. Il était là, le jour où j'ai moi-même rencontré les deux jeunes femmes, dans ce même endroit.
- Mec, tu la connais, va la voir ! insista-t-il, me suppliant presque.
- Non, c'est hors de question Léo !
- Mais pourquoi ?! C'est sa pote que tu veux toi, non ?
- Mais parce que ! Tu ne vas pas te taper la meilleure amie de la fille que j'aime bien !
- Où est le mal ? s'indigna mon ami, levant un sourcil.
- Parce qu'il y a déjà assez de problèmes comme ça, tu ne crois pas ?
- Elle s'en va, je t'en prie, on va juste la voir deux minutes !
Après qu'il m'ait supplié environ cent fois, j'ai fini par céder. C'est ainsi que j'ai vu Rose, pour la deuxième fois.
- Declan ?! s'exclama-t-elle, ne s'attendant pas à me voir là.
- Rose ? Quelle coïncidence ! Comment tu vas ? demandai-je en faignant la surprise.
- Ça va, merci !
- Ça fait un bail dis donc. C'est dingue, qu'on se croise comme ça je veux dire.
- Oui, tu peux le dire, ria-t-elle en jetant quelques petits coups d'œil à mon ami, qui avait les yeux rivés sur elle.
- Et Iris, comment elle va ? osai-je demander, le cœur commençant à palpiter à toute vitesse.
Elle me considéra un instant, visiblement partagée entre son envie de me le dire et la loyauté qu'elle voue à son amie. Elle pinça ses lèvres, maquillées d'un rouge écarlate.
- Elle va bien, répondit-elle, un léger sourire aux lèvres.
- C'est bien, je suis contente pour elle. J'ai essayé de l'appeler il y a un moment, mais...
Un silence plana. Les mots n'étaient plus utiles, son sourire valait mille mots. Elle savait, je n'avais pas besoin de terminer ma phrase. Léo me gratifia d'un coup de coude dans les côtes, signifiant qu'il voulait entrer en scène.
- Oh, je te présente mon pote, Léo !
- Enchantée mademoiselle, lança-t-il en dans une courbette plus que ridicule.
Merci mec, merci. Toujours compter sur ses amis pour marquer les esprits quand on voudrait être discret...
- Qu'est-ce que vous venez faire là, au fait ? questionna Rose, plus à l'attention de mon ami qu'à moi.
- Il est venu voir quelqu'un ! répondit-il du tac au tac en me désignant d'un geste rapide, ne mesurant pas l'ampleur de ses paroles.
Ce n'est pas vrai... mais quel crétin !
Il venait de dire à la meilleure amie de la fille dont je suis amoureux, que je venais voir quelqu'un dans sa fac ! Quelle idée de génie ! Maintenant elle allait dire à Iris que je venais l'espionner ! J'étais foutu, cuit, mort !
- Quelqu'un ? répéta-t-elle, un sourire plein de sous-entendus sur les lèvres, son regard bleu ancré dans le mien.
- Une fille, comme d'hab', conclu mon ami, visiblement très fier d'attirer l'attention de Rose.
- Si tu pouvais éviter... tu sais, embrayai-je sur un ton rempli de malaise et en essayant de réduire l'écart entre nous, tentant de minimiser les dégâts. Je n'ai pas envie qu'elle pense que je viens l'embêter ou quoi...
- Oui, souffla-t-elle, le regard soudainement couvert d'un voile. Evidemment. Ce sera notre petit secret, lança-t-elle accompagné d'un clin d'œil à l'attention de Léo.
J'avais envie de mourir. Qu'un astéroïde s'écrase sur moi. Qu'un tremblement de terre m'engouffre dans le magma. Qu'on me roule dessus avec un tank. Mais par pitié, que quelqu'un me sauve de ce bourbier!
Et je l'aurais entrainé avec moi jusqu'en enfer, cet abrutit !
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