XX - Du point de vue du cœur.
En voyant cette scénette parfaite dans le petit jardinet, j'avais la rage.
Une vieille douleur se réveillait dans mon cœur et mes doutes revinrent concernant mon envie de renouer avec elle. L'impression qu'elle m'avait oubliée et même remplacée me rongeait à chaque pas que je faisais dans sa direction. Ce portrait de famille heureuse et sans un nuage gris, me donnait envie de hurler et demander à l'univers ce que j'avais bien pu faire pour mériter ça. Pourquoi devrait-elle être épanouie sans se questionner sur mon sort ?
L'avais-je seulement oubliée, moi ? Pas un jour n'avait passé sans que mes tourments ne me rattrapent. Questionnant parfois le ciel le soir, sur ce qu'elle pouvait ressentir après tout ce qu'il s'est produit entre nous. Visiblement, j'étais le cadet de ses soucis. Une larme s'échappa.
Declan me sourit. Nous étions à quelques pas de la maison, ma mère se tourna vers nous. La gorge serrée, je me redressais. Elle s'arrêta un instant, comme figée par le temps.
Mon souffle devint rapide et mon cœur loupa un battement. Posant mes yeux à nouveau sur elle, un pincement se fit ressentir. La guerre durait depuis bien trop longtemps. Même si ça me tuait de penser au fait qu'il pouvait y avoir une possibilité qu'elle ait fait l'impasse sur moi, je me devais la paix.
Les yeux plissés, elle me considéra un instant avant de porter rapidement une main sur sa bouche sous l'effet de la stupeur.
Il était temps que j'accepte la situation et que j'essaie de l'arranger avant qu'il ne soit trop tard.
Cramponnant Declan de toutes mes forces, j'avançais jusqu'au petit portillon. Les yeux rivés sur ma mère, tremblant de tout mon corps, je tripotais nerveusement de ma main libre la lettre coincée dans la poche de ma veste.
Declan céda sa place à mes côtés pour se placer un peu en retrait lorsque ma mère commença à accourir vers moi. Les mains sur mes épaules, il me chuchota doucement à l'oreille : « T'es une battante, tu vas y arriver. Je suis là. »
- Coucou maman, c'est moi, sanglotai-je lorsqu'elle me pris dans ses bras.
- Installez-vous ! nous indiqua ma mère, une fois à l'intérieur. Vous voulez boire quelque chose ? On a du thé, du café, du jus de fruit... proposa-t-elle visiblement chamboulée. Mais
- Non merci, madame, répondit Declan en ne quittant pas des yeux.
- Je veux bien un jus de fruit, s'il te plait.
- Bien sûr chérie, je t'apporte ça.
Restant un instant à me fixer, elle partit dans la cuisine et réapparu en si peu de temps qu'il ne faut pour le dire. Du coin de l'œil, je voyais Declan trembler et se frotter les mains sur son jean. Il avait l'air transpirant, le teint toujours assez blafard. Inutile de préciser que ce n'était sans doute pas la rencontre avec ma mère qui le mettait dans un état pareil. Inutile aussi de préciser que j'en concluais qu'il était très mauvais menteur : il m'avait dit que ça irait pour lui, mais ce n'était visiblement pas le cas. Ça m'inquiétait, inévitablement.
Lorsqu'il croisa mon regard, je le détournais pour jeter un œil à la pièce. De nombreuses photos de famille étaient accrochées sur les murs. Je ne figurais sur aucune d'elles. La décoration simple, mais raffinée, raviva en moi le souvenir de l'intérêt que portait ma mère à l'aménagement intérieur. C'est elle qui s'était occupé de la maison où nous étions avec mon père. Enfin du moins, ce qu'il en restait.
- Voilà, s'exclama-t-elle en posant un verre sur la petite table devant moi. Vous voulez autre chose ? Peut-être à manger ?
- Non, c'est gentil. On ne va pas rester très longtemps, simplement...
Je marquais une pause, tentant de calmer mon cœur qui galopait aussi vite qu'un pur-sang.
- J'ai écrit une lettre pour toi, j'aimerai beaucoup que tu la lises, annonçai-je rapidement, de peur de ne pas réussir à le dire si j'attendais encore.
- Oh, oui, bien sûr. Mais... tu aurais pu me l'envoyer tu sais, ça t'aurait évité tout ce chemin...
Un silence pensant apparût dans la pièce.
- Non pas que je ne sois pas contente que tu sois là, évidemment !
- Je sais, répondis-je dans un sourire, mal à l'aise.
- Tu viens de chez ton père ? Vous avez dû avoir de la route !
- Juste quelques heures, intervint Declan, un large sourire aux lèvres.
J'étais assez contente qu'il élude le sujet de la nuit à l'hôtel et de la panne de voiture... même si cela faisait bien longtemps que je ne l'avais pas vue, je n'avais pas envie qu'elle s'imagine quoi que ce soit.
- Je vois, ajouta-t-elle avec une expression très douce sur le visage à son attention.
- Désolé, je ne me suis pas présenté... commença Declan en me regardant, attendant visiblement mon approbation.
Après un léger signe de tête de ma part, il reprit.
- Je suis un ami d'Iris, Declan, madame !
- Enchantée, Declan.
- Pourquoi tu n'as jamais pris de nouvelles ? finis-je par demander, n'y tenant plus.
Ma mère se figea, effaçant le sourire présent encore quelques secondes avant sur ses lèvres, quelque peu marquées par le temps. Ses yeux se baissèrent, son dos se voûta. Nous étions toutes deux très peu à notre aise. Declan posa délicatement une main sur mon genou, qui ne cessait de bouger à cause de l'angoisse qui montait en moi.
- Tout va bien ? intervint une voix grave.
Je n'avais jamais vu Henri. Je ne savais même pas si c'était lui, en réalité. Cet homme fort, les cheveux poivre et sel, un air penaud sur le visage, qui regardait la scène prudemment sur le seuil du salon.
- Oui chéri, tout va bien.
- Vous êtes Henri, c'est ça ? osai-je demander.
Il échangea un regard hésitant avec ma mère, visiblement confus. Un autre sentiment faisait pâlir son visage. J'espérais que ce soit les remords, même si au fond, ça n'aurait rien arrangé pour personne.
- Oui, répondit ma mère. Henri, je te présente ma fille, Iris. Iris, mon mari, Henri.
Henri hocha la tête en signe de salutations et se positionna derrière ma mère, les mains bien ancrées dans ses épaules. Peut-être essayait-il, comme Declan, de lui transmettre son courage et de lui montrer qu'il est avec elle.
- Ton mari, murmurai-je dans un rire sans joie. La petite...
- C'est ma fille, renseigna Henri avant que je ne pose la question fatidique. Emma.
- Emma est née du premier mariage d'Henri.
- Et Max ? Il est là ?
- Non... ton frère est à l'internat maintenant. Il est entré au lycée l'année dernière.
- Oh... déjà, soufflais-je dans un sourire rempli de peine.
- Il est dans un lycée privé à quelques kilomètres et il retourne à l'internat le dimanche après-midi.
- Bien, bien... tu voudrais bien...
- Je lui dirai que tu es passée, me rassura-t-elle aussitôt.
- Merci.
Un ange passa, et au moment où je déposais la lettre sur la table, ma mère l'attrapa aussitôt.
- Je lirai ta lettre, reprit-elle.
- Merci, soufflai-je.
Malgré le fait qu'on souffrait visiblement toutes les deux de cette situation, le principal a été fait : la lettre était entre ses mains. Avec mes sentiments, j'y avais également glissé mon numéro de téléphone et l'adresse de Rose où elle pourrait me trouver si l'envie lui en disait.
- Tu sais... commença ma mère, visiblement rongée par une peine que je ne connaissais que trop bien, ça a été très dur après le divorce...
- Oui, je sais...
- J'ai voulu t'appeler, mais...
- Tu as fait ce que tu pensais juste, ajoutai-je sentant les larmes me monter.
- Je pensais que tu reviendrais...
- Tu n'as jamais vraiment émis l'envie de me voir revenir! pestai-je, blessée.
- C'est faux, chérie. Je pensais juste que c'était dans ton intérêt de te laisser décider de ce que tu voulais...
- Donc me laisser là-bas, c'était dans mon intérêt? As-tu seulement une idée de ce que j'ai vécu depuis que tu es partie? criai-je, blessée et hors de moi.
- Non, mais parfois ne rien faire du tout est peut-être plus difficile que faire ce qui est juste... conclu-t-elle, une larme perlant au coin des yeux.
A l'entente de ses mots, un rire amère s'échappa de ma bouche.
Après quelques minutes où Declan combla le silence en complimentant la maison, et parce qu'un silence vaut mille mots, je décidais qu'il était grand temps de rebrousser chemin. Des au revoir maladroits ont été échangés sur le seuil de la porte d'entrée et elle me fit promettre de revenir lorsque j'en avais envie. Henri m'indiqua que leur porte me serait toujours ouverte.
Pourtant, lorsque cette dernière se referma, j'eu l'impression que c'était définitif, que je venais de perdre une partie de moi pour de bon. Les larmes menaçaient dangereusement de se jeter de la lisière de mes yeux.
Declan était de nouveau agité, tentant de camoufler au mieux les caprices de son corps en manque.
- Je prends le relais, dis-je doucement en prenant les clefs de la voiture.
- Comme tu veux.
- J'aurais bien besoin d'un verre, bougonnai-je en m'installant dans la voiture.
- A qui le dis-tu... murmura Declan dans un petit rire.
Il me regarda, un rictus aux lèvres et une expression railleuse sur le visage. Je me maudissais pour cette réflexion.
Tu dis ça a un mec qui a commencé un sevrage involontaire la nuit dernière, t'as des idées brillantes Iris.
Les cinq heures de trajet retour passèrent pour la plupart en silence, ou guidées par les musiques qui passaient à la radio. Nous étions enfin arrivés devant chez Declan, le soleil déjà couché depuis quelques temps. On y était, ces deux jours en hors du temps touchaient à leur fin. Etrangement, cela me laissait un sentiment désagréable.
- Merci pour ce road trip madame, très riche en...
- Rebondissements ? ironisai-je.
- Ah, ça ! C'est le terme, rebondissements, s'exclama-t-il avec rire franc.
- Merci de m'avoir accompagnée Declan, sincèrement.
- Tout le plaisir était pour moi, répondit-il, un large sourire aux lèvres.
Il ouvrit sa portière en me remerciant une dernière fois et me rappela que j'avais son numéro en cas de besoin. Malgré le fait que je lui assurais que tout irait bien, il insista quand même une dernière fois. La portière refermée, il commença à avancer vers son bâtiment. Mon cœur se serrait dans ma poitrine. Je fixais la route devant moi, toujours à l'arrêt, quand un bruit dans le carreau me fit sursauter.
- Oui ? lui demandai-je en ouvrant la vitre côté passager.
- Tu le veux toujours ce verre ?
- Oui ?
- Ça te dit de monter un moment ? proposa Declan, soudainement très sérieux.
- Oui ! lançai-je sur un ton un peu trop enthousiaste, lui arrachant un sourire au passage.
Par expérience, je savais que boire sous l'influence de nos tracas n'était pas une bonne idée, et très clairement proscrit de mes habitudes. Mais j'avais besoin de calmer quelques maux le temps d'un verre. Simplement, je devais garder un œil sur lui. J'allais le faire entrer dans la cage aux lions, et ceux qui l'habitaient semblaient plus qu'affamés.
Son appartement me surpris. Il était chaleureux, fournit, et en ordre. De nombreux livres jonchaient le sol prêt de son lit, des affiches de films recouvraient les murs. Ces derniers, dans les tons cuivrés, dégageaient quelque chose d'apaisant. Le sol recouvert d'un parquet visiblement ancien, usé par le temps, grinçait parfois sous notre poids. Créant ainsi une sonorité agréable.
- Installe-toi, dit-il en désignant d'un geste de la tête le petit canapé.
Je m'exécutais soigneusement, mesurant mes gestes. Une impression d'inconfort m'habitait. J'étais chez lui. Sur son canapé. Ça m'impressionnait, peut-être étais-je même intimidée. Je me sentais un peu comme lorsqu'on est enfant et que l'on va chez des amis pour la première fois. On veut bien faire, avoir l'air sage, bien se tenir.
En l'attendant, je me surpris à l'imaginer vivre ici. Comment se déplaçait-il dans cet espace ? Comment l'occupait-il ? Lui arrivait-il de s'asseoir dans ce canapé pour lire les livres que j'ai aperçu près de son lit ? Prenait-il ses repas sur sa petite table basse ? Je l'imaginais même faire la vaisselle dans le petit évier en inox...
Lorsqu'il réapparu dans la petite pièce à vivre, je tentais au mieux de chasser mes pensées.
- Il me restait des bières dans le frigo, ça te va ?
- Oui, c'est très bien.
Il hocha la tête, gardant son verre à la main. Le liquide, très foncé, rappelait du coca. Un élan de panique me gagna.
- Et toi ? demandai-je.
Declan ria, puis posa des yeux remplis de défit sur moi. Il était vexé.
- Je t'en prie, lança-t-il en me tendant son verre, attendant visiblement que je goutte le contenu.
Est-ce que c'était déplacé de m'assurer qu'il irait bien ? A peine eu-je le temps de réfléchir à la question, il brisa le silence.
- Ne te gêne pas.
- Excuse-moi, me ravisai-je en portant ma bière à mes lèvres. C'était déplacé.
- Non, ce n'est rien. Tu ne pensais pas à mal.
Nous avons passé par la suite, une longue heure à échanger sur tout et rien. Principalement des bouquins qu'il lisait. Je découvris, à ma plus grande surprise, qu'il était passionné de classiques. Surtout des pièces de Shakespeare. Il nourrissait également un attrait assez étonnant pour la musique country. Ce mec était un paradoxe ambulant. Il avait tout du stéréotype sur patte, et pourtant ils nous auraient tous fait mentir si on avait parié sur ses goûts à coup de clichés.
A mesure qu'il me montrait sa collection dans la bibliothèque – en réalité, ils étaient tous empilés au sol – je sentais monter en moi une chaleur agréable. Ayant même parfois du mal à rester attentive à ce qu'il se passait autour de moi. Les effets de l'alcool commençaient dangereusement à faire effet.
- Ça va ? s'inquiéta Declan qui me voyait me diriger vers sa chambre.
Sans même lui répondre, je continuais mon chemin et m'asseyais sur le bord de son lit.
Appuyé dans l'embrasure de la porte, il prit une gorgée et souri. Me laissant tomber doucement, je l'entendis laisser échapper un petit rire.
- Si on m'avait dit qu'en réalité il ne te fallait qu'une bière pour terminer dans mon lit, plaisanta-il.
- Ha ha ha... répondis-je, sarcastique.
Le lit s'affaissa quelques peu à côté de moi et Declan posa son verre sur le bureau non loin de ce dernier. Tournant mon visage vers lui, je ne pouvais voir le sien que de profil. Dans un mouvement délicat, il s'allongea sur le flanc, me faisant face. Commençant à me caresser doucement la joue avec le dos de sa main, que je sentais devenir de plus en plus chaude sous les effets de l'alcool. Il se rapprocha prudemment de moi, posant alors sa main sur le creux de mes reins.
Mon cœur rata un battement.
Je n'avais aucune idée de ce qu'il se passait, mais j'étais cruellement partagée entre une joie démesurée et une crainte qui l'était tout autant. Au moment où sa main s'aventura sur ma cuisse et matira contre lui, un petit bruit étouffé franchit la barrière de mes lèvres. Un sourire taquin illumina son visage. Visiblement conscient de l'effet que notre proximité me procurait.
Alors qu'il avançait son visage vers le mien, ses doigts s'emmêlant à présent dans mes cheveux, une panique me gagna.
Combien de filles avaient fini dans la même scène que celle qui se jouait à ce moment-là ? Combien d'entre elles avaient fréquenté ces draps ? L'écho de leurs cris résonnait-il encore entre ces murs ?
- C'était une erreur... m'exclamai-je en me redressant brutalement, soudainement prise de panique.
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