XVI - L'implication indésirée des sentiments.
L'ambiance devint glaciale dans l'habitacle, et allumer le chauffage n'aurait servi à rien. Je le sentis se raidir à côté de moi, les mains cramponnées au volant, le moteur encore éteint. Et je savais exactement pourquoi il ne prononçais pas un mot.
- Tu veux la vérité ou ce que tu veux entendre ? lança-t-il soudainement distant, le regard droit devant lui.
- Je n'en sais rien ? Un peu d'honnêteté serait la bienvenue.
- J'en doute.
Parce que la vraie raison était très vite imaginable. C'était sans doute la même que celle qui expliquait qu'il en ait dragué un nombre incalculable avant moi. Et sûrement que cela avait réussi avec un tas de filles.
La question était de savoir pourquoi à ce moment-là, il ne l'assumait plus aussi brillamment que lorsqu'il m'avait emmenée au restaurant ?
C'est encore dans un silence meurtrier que les deux dernières heures qu'il nous restait se sont effectuées. Plus que deux petites heures avant d'arriver devant la maison, à l'adresse que ma mère avait laissée il y a quelques années. Declan se gara à quelques pavillons de l'arrivée, sur mes conseils. J'avais peur. Mon corps entier tremblait et ça n'avait, encore une fois, rien à voir avec un manque de chaleur dans la voiture. En vérité, j'étais littéralement pétrifiée à l'idée de découvrir une vérité affreuse ; ma mère avait sans doute refait sa vie. Mon frère avait sans doute grandi. Et j'allais revenir, un beau jour, après tous les mots que je lui avais adressés, pour reprendre mon titre de fille.
- Tu trembles comme une feuille, constata Declan en posant une main bienveillante sur mon épaule.
- On fait demi-tour, ordonnais-je en fixant la maison au loin.
- Quoi ?
- On s'en va, j'ai changé d'avis !
- Iris...
Declan souffla, non pas d'agacement, mais plus comme quelque chose qui apparaissait comme de l'impuissance. Se frottant légèrement le front tout en me regardant du coin de l'œil un instant, il tourna finalement à nouveau la clef dans le contact et fit redémarrer la voiture.
Honteuse, je baissais les yeux sur mes mains, réunies sur mes jambes. Je ne pouvais pas empêcher mes tremblements, ayant l'impression d'étouffer et de convulser à la fois. C'était l'une des nombreuses crises d'angoisses qui m'animaient lorsqu'il m'arrivait de penser à ma mère. Un mélange de regrets et de remords. Un cocktail toxique dont je ne cessais de me délecter.
Sans broncher, Declan repris la route en passant devant cette maison. Un goût amer montait dans ma bouche, me forçant à déglutir plusieurs fois avant de reprendre le contrôle sur mon corps. Il ne posa pas de questions, ne m'obligea pas à justifier ce choix. Il ne râla même pas. Et pourtant, j'aurais voulu qu'il le fasse ! J'aurais aimé qu'il me dise d'y aller quand même, d'arrêter de faire l'enfant. Que je l'avais obligé à me suivre ici, le faisant prendre la route pendant des heures pour au final abandonner piteusement une fois arrivée à destination. Mais il n'en fit rien. Il resta silencieux, impassible. Les mains posées à dix heures dix sur le volant, le regard imperceptible accroché solidement au bitume. Malgré tout, il n'avait pas l'air en colère ou énervé. Il conduisait juste, comme je le lui avais demandé. Et cette idée me donna encore plus de raisons de me haïr.
Seulement voilà, au bout d'une heure, la vie me rappela qu'un malheur n'arrivait jamais seul.
- Eh merde... pesta Declan.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandais-je en sortant de mes pensées.
- On a un gros problème...
Ma voiture, d'ordinaire si obéissante, commença à brouter. Provoquant des secousses désagréables, m'obligeant à me cramponner à la barre de la portière pour ne pas être violemment secouée. Une épaisse fumée s'échappait du capot et Declan dû prendre la première sortie qui se présenta à nous, sans quoi le tas de ferraille nous menaçait de s'arrêter sur l'autoroute.
- C'est quel genre de problème ça ? insistais-je, paniquée.
- Le genre qui va coûter très cher...
- Eh merde...
- Je l'ai déjà dit, ça, plaisanta Declan dans un sourire, qui disparu aussitôt lorsqu'il croisa mon regard assassin. C'est un voyant rouge, ce qui est très mauvais signe, au cas où la fumée n'aurait pas été suffisante pour te le faire comprendre.
- Gare toi là ! lui indiquais-je en voyant une place à l'entrée d'une petite ville.
Une fois descendus du véhicule – pouvait-on encore seulement l'appeler comme ça ? – Declan tenta de trouver le nom de la ville dans laquelle nous nous trouvions pour contacter un quelconque dépanneur ou garagiste. Le problème dans ce coin, c'est qu'il semblait y avoir plus de villes fantômes, que de pôle d'activité !
Au bout d'un moment, Declan, qui était parti appeler un expert en caprices automobiles, revint vers moi, l'air déconfit.
- J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle, commença-t-il en s'appuyant à côté de moi sur l'aile de la voiture.
- La bonne ?
- J'ai trouvé un garagiste et il pense que c'est le circuit de refroidissement du moteur qui est mort. Ça se répare, même si comme pour tout ce qui concerne les voitures, ça va coûter un rein.
- Ok... et la mauvaise ?
- Il n'arrivera pas avant une heure et ne pourra pas réparer ça avant demain, conclu-t-il de but en blanc.
- Comment ça demain ?
- Demain, genre le jour après aujourd'hui.
- Declan... bouillonnais-je en levant les yeux au ciel.
- Ça ne se répare pas en deux minutes, Iris, et je lui ai dit qu'on avait un impératif familial qui fait qu'on doit absolument reprendre la route. Il a dit demain ou rien.
- C'est pas vrai... soupirais-je sur un ton abattu.
A bout de forces, je me suis laissée glisser le long de la voiture et pris ma tête entre mes mains. Declan posa doucement la sienne sur ma tête. Son contact m'apaisa, étrangement. Ses doigts dessinaient de petits cercles sur mon cuir chevelu et cessèrent d'un coup. Un vide m'inonda, et un instant je fus tentée de relever la tête pour voir pourquoi il avait cessé. Puis après quelques secondes qui me parurent durer des heures, ses mains effleurèrent doucement mes bras qui recouvraient toujours mon visage. Elles descendirent lentement, puis remontèrent pour s'arrêter sur mes épaules. Dans un léger basculement, je sentis mon corps entier être attiré vers l'avant. Mon front et le dos de mes mains rencontrèrent une matière que j'identifiais facilement comme un vêtement. Inutile de préciser à qui il appartenait.
Son parfum inonda mes narines et mes yeux, que je sentais de plus en plus lourds, se mirent à libérer tous ces sentiments que je ne savais plus comment taire. Des larmes brulantes vinrent inonder mon jean, mes mains et faire sursauter tout mon être.
- Ça va aller, chuchota Declan en me serrant un peu plus tout contre lui. Ça va aller.
Comment est-ce que ça aurait pu aller ? J'avais ruiné mes chances de revoir ma mère, je m'étais à moitié brouillée avec lui et ma voiture était à présent foutue. Pour couronner le tout, nous allions devoir passer la nuit dans une ville perdue au milieu de nulle part. Rose allait me tuer. Et elle aurait eu bien raison !
- Qu'est-ce qu'on va faire ? articulais-je difficilement, toujours noyée dans les larmes.
- On va attendre que le garagiste arrive, qu'il récupère ta voiture et il nous déposera dans l'hôtel le plus près.
- Mais je n'ai même pas de pyjama ! m'écriais-je soudainement en me dégageant de son étreinte, le faisant ainsi perdre l'équilibre et tomber.
Il me fixa un instant, visiblement aussi surpris que moi par ma réaction, puis éclata de rire. D'un rire sincère, cristallin. Finissant par s'allonger au sol, il était pris d'un fou rire, qui finit par me contaminer aussi. Entre les larmes et les éclats de rire, je continuais à hoqueter à moitié en l'observant. Son visage, parfois si dur, était si beau à cet instant. Et pour la première fois, je me surpris à avoir envie de le toucher.
Je voulais pouvoir graver sous mes doigts ses traits souriants, ses fossettes discrètes qui n'apparaissaient que très rarement. Ses yeux émeraude prenaient une teinte claire, si joyeuse. Son rire était alors devenu le son le plus beau qui m'ait été donné d'entendre ce jour-là.
Au bout de quelques minutes à tenter de se calmer, il se redressa, s'assis, et me fixa avec son habituel rictus scotché aux lèvres.
- Ta voiture est flinguée, on est dans une ville à des kilomètres de chez nous et tu vas payer des frais astronomiques de réparations... et la seule chose qui te contrarie, c'est de ne pas avoir de pyjama pour dormir à l'hôtel ? résuma-t-il en tentant à plusieurs reprises de ne pas repartir en fou rire.
Je levais les yeux au ciel en riant à l'entente de son résumé.
- T'es vraiment pas comme les autres toi, conclu Declan en se relevant. Ne change jamais !
Après quelques minutes à attendre dans un profond silence, j'avais décidé de le rompre.
- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
- Je pensais faire un peu de shopping, annonça-t-il calmement.
C'est ainsi qu'on s'est retrouvé à parcourir la ville à la recherche de tous les éléments dont on a besoin pour passer une pyjama party en dehors de chez soi. Brosse à dents, dentifrice, shampoing, pyjama, et j'en passe. A pieds, évidemment. Et c'était aussi la première fois que Declan m'offrit un cadeau.
- Il est hors de question que je porte ça ! m'exclamais-je fermement dans le petit supermarché.
- Je t'en prie, tu serais absolument incroyable dedans ! protesta Declan.
- Hors. De. Question.
- T'a-t-on déjà dit que tu étais rabat-joie ?
- Je croyais qu'il ne fallait surtout pas que je change ? argumentais-je en reposant l'horrible pyjama bariolé qu'il me tendait.
- Eh bien j'ai changé d'avis ! dit-il en le récupérant. Il est génial !
- Oh je t'en prie, t'en séduirait combien des filles portant ça sur le dos ?!
- Oh... rit-il en me fixant, changeant de comportement.
Son regard devint presque carnassier, il croisa les bras sur son torse et fit un pas dans ma direction, un immense sourire fendant son visage en deux.
- Parce que c'est de ça qu'il s'agit ? questionna-t-il sarcastique.
- Comment ça ? soufflais-je en changeant de rayon pour tenter de le fuir, soudainement mal à l'aise.
- Je ne savais pas qu'on cherchait autre chose qu'un pyjama à te mettre sur le dos, baratina Declan sur mes talons, visiblement amusé par la situation.
- C'est exactement ce qu'on cherche !
- Visiblement pas, ricana-t-il. Tu as l'air inquiète au sujet de mes goûts, je dois comprendre quelque chose ?
- Détrompe-toi, ce n'était pas du tout de ça qu'il s'agit! Je les devine aisément tes goûts ! fulminais-je en lui faisant face.
- Ah, vraiment ? rit-il en soutenant mon regard, moqueur.
- Oui, ce n'est pas très difficile. T'es très basique, tu les préfères sans doute sans pyjama ! pestais-je en tentant de me dépêtrer de cette situation, agacée.
Il éclata de rire, attirant les regards sur nous. Principalement des couples de personnes âgées, qui devaient, à ce moment-là, penser bien des choses de nous mais certainement pas très positives. Il était hilare, et c'était bien le seul. En colère, sans réellement comprendre pourquoi, une seule chose me venait à l'esprit : lui arracher ce sourire satisfait des lèvres. Le problème, c'est que je n'avais aucune issue de secours, j'étais à sa merci. Coincée dans un bled paumé avec le roi des crétins.
- Tu sais, reprit-il au bout de quelques minutes une fois son sérieux revenu, tu as tort.
- Laisse moi en douter.
- En réalité, il y a bel et bien une fille portant cette horreur que j'accepterai de séduire, conclu-t-il dans un rictus taquin.
Visiblement satisfait, il reprit l'ensemble de nuit du portant, un large sourire aux lèvres. Il attrapa au vol un jogging pour homme et un t-shirt, et se dirigea vers la seule caisse ouverte de la petite supérette, me laissant là, hébétée et troublée par son sous-entendu.
Tu lui as tendu le bâton pour te faire battre, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même, me suis-je dit intérieurement.
Nous ne sommes arrivés que sur les coups de dix-huit heures à l'hôtel. Le garagiste n'a non pas mis une heure, mais deux heures trente pour arriver ! Après avoir remorqué la voiture jusqu'à son garage, préparé les papiers du devis et fait un bref contrôle sous le capot, il nous déposa dans l'hôtel le plus proche. Autant dire que ça n'avait rien de luxueux ou charmant. C'était l'un de ces établissements un peu flippant, où on craignait de finir dans un trafic louche plutôt qu'auprès de grooms bien habillés.
Ereintée, et encore agacée par les évènements de la journée, ainsi que le comportement insupportable de mon compagnon de voyage, je me précipitais en dehors du camion de dépannage en remerciant le conducteur. Declan m'imita après avoir récupéré nos affaires, qu'il refusa de me laisser porter, et se dirigea vers la porte de l'accueil.
Une femme, déjà assez avancée dans l'âge et ayant visiblement autant envie d'être là que nous, nous reçu.
- Bonsoir, dis-je en tentant d'être joviale.
- Bonsoir, répondit-elle, beaucoup moins aimablement que moi.
- On voudrait prendre une chambre, dis-je, assurée.
- Complet, articula la dame sans même me regarder.
- Ah... vous êtes sûre ? Voilà, on a eu une panne, et le garagiste qu'on a vu nous a dit qu'il vous resterait des chambres, tentais-je à nouveau en regardant Declan à plusieurs reprises, mal à l'aise par l'air si fermé de mon interlocutrice.
- C'est samedi soir ma jolie, baragouina-t-elle d'un ton amer.
- Je sais, ris-je nerveusement, mais...
- Vous pourriez revérifier ? me coupa Declan en se plaçant devant moi. Ma fiancée et moi serions vraiment très reconnaissants que vous preniez le temps de regarder à nouveau, juste au cas où.
Sa fiancée ?! C'est quoi ce bordel...
La femme le toisa par-dessus ses lunettes, et Declan ne se laissa pas démonter. Après un duel de regard qui me sembla durer une éternité, elle soupira et tapa deux trois trucs sur son clavier d'ordinateur avant de relever les yeux sur mon « fiancé ».
- Vous avez de la chance, il reste une chambre.
- On prend, s'exclama-t-il précipitamment.
- C'est une individuelle, il va falloir payer pour deux, ajouta-t-elle.
- Ce n'est pas un problème, dit-il en sortant son portefeuille, visiblement bien rempli et lui tendit plusieurs billets. Croyez moi, dormir dans le même lit n'est pas un problème pour nous, ajouta-t-il en me lançant un regard plein de sous-entendus et un large sourire. N'est-ce pas chérie ?
Les mots me manquaient. Il se fichait ouvertement de moi, et je n'avais aucun moyen de le lui faire payer. Ses paroles me laissaient absolument sans voix. Et malgré le fait que je doutais très fortement que sa combine ait berné qui que ce soit, la femme pris l'argent et lui tendit la clef.
- Vous devriez penser à acheter des bagues, ajouta-t-elle à l'attention de Declan en fixant la place vide sur son doigt où devrait se trouver une bague.
Il la considéra un instant, ayant sans doute déjà oublié ce qu'il venait de dire, puis porta lui aussi son regard sur son annulaire.
- J'attends qu'elle dise oui pour ça, lui chuchota-t-il dans un clin d'œil en secouant la clef sous son nez.
La remarque eu l'effet assez inescomptable de la faire sourire.
A peine sortit de l'accueil, sur le chemin qui menait à la chambre, je me précipitais aux côtés de Declan en lui donnant un coup de poing dans l'épaule.
- Aïe ! s'exclama-t-il.
Il me toisa quelques secondes, semblant analyser et considérer mon état d'esprit avec les traits de mon visage.
- C'est comme ça que tu me remercies de nous avoir dégoté une chambre ? chuchota-t-il en regardant par-dessus son épaule pour vois si la réceptionniste nous avait entendu.
- Ta fiancée ?! Le même lit ?! Tu te fous de moi j'espère ? Je devrais te remercier ? explosais-je en continuant à défouler ma colère sur son bras.
- Tu préférais dormir dehors ?
- Oh que oui !
- Je t'en prie alors, chérie, moi je garde le lit. On se retrouve demain matin, conclu-t-il en souriant, continuant à avancer sans moi tout en secouant la clef pour me narguer.
J'avais envie de le tuer. Le regardant s'éloigner, je lui ai crié de m'attendre. Sur ce petit bout de chemin menant à la chambre, je n'ai pas pu à un seul instant m'enlever de la tête le fait qu'on allait devoir partager le même lit.
Et pourtant, j'étais bien conscience que ma réaction cachait autre chose. Un sentiment que j'avais du mal à admettre, que je n'osais pas m'avouer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top