XIX - La face cachée du passé.

Lorsque j'ai émergé, j'ai retrouvé Iris en pleurs. Discrètement assise sur les toilettes – ne vous faites pas de fausses idées, elle se planquait juste. Alors que j'arrivais pour vider ma vessie trop pleine, quelle fût ma surprise de la retrouver là. Les cheveux débraillés, les yeux rouges et gonflés, le nez visiblement plein de morve, et un regard plus qu'écarquillé en se retrouvant face à moi.

- T'es réveillé ?! s'étonna-t-elle en tentant de cacher tant bien que mal les preuves de sa tristesse.
- Semblerait-il. Ou alors je suis somnambule ? ironisai-je en faisant mine de n'avoir rien vu. J'ai besoin... commençai-je en lui montrant les toilettes.
- Oh, oui, pardon ! s'exclama-t-elle en se levant et quittant la salle de bain, confuse.

J'aurais voulu lui poser tant de questions ce matin-là.

Lui demander si je lui inspirais du dégoût après la façon dont elle m'avait vu cette nuit-là. Savoir si ses gestes étaient guidés par une quelconque affection pour moi, ou juste le fruit des circonstances assez chaotiques. Si elle aussi elle avait ressenti ces décharges électriques dans tout son corps durant la nuit, à chaque fois que nos jambes se touchaient, que nos mains se frôlaient, qu'on se rapprochait l'un de l'autre en dormant. Si elle aussi avait gardé les yeux ouverts de temps en temps pour me regarder dormir. Si le fait de sentir la chaleur d'un autre corps que le sien au réveil avait réparé un morceau cassé dans son cœur.

Je voulais tout savoir.

Parce qu'à chaque fois que ses doigts ont accueilli les miens dans une chaleureuse étreinte, sans doute inconsciemment pendant la nuit, j'ai pu sentir le grigri dans ma poitrine danser la salsa.

Finalement, je crois que j'avais peur d'être le seul à ressentir tout ça.

J'étais amoureux d'elle, ça ne faisait plus aucun doute à présent. La façon dont elle avait pris soin de moi pendant ce moment pénible, quand elle aurait pu dormir à poings fermés en me laissant dans mon merdier... jamais personne n'avait fait ça pour moi. Et même si je n'avais pas besoin de ça pour m'en rendre compte, ça n'avait fait qu'accentuer mon intérêt pour elle. Ayant passé à la fois la plus horrible et la plus belle des nuits !

La surprendre en pleurs ne faisait qu'attiser mon anxiété à son sujet. Avais-je dit ou fait quelque chose pendant la nuit dont je ne me souviens plus ? En avait-elle marre de moi au point de s'écrouler ? Et surtout, comment étais-je censé la consoler ? Voulait-elle même seulement que je le fasse ?

Une fois mon envie pressante terminée, je retournai dans la chambre et ses larmes n'avaient pas cessées...

La voir ainsi me désolait. Je me sentais complètement démunit, j'aurais voulu pouvoir rendre son chagrin interdit, l'en délivrer à tout jamais.

- Est-ce que tu veux en parler ? lançai-je doucement en m'asseyant par terre à côté d'elle.
- Il est onze heures...
- Et c'est ça qui te rend triste ? riai-je en effaçant avec mon pouce une larme qui dévalait sa joue. Décidément, tu as de drôles de préoccupations toi. Entre le pyjama et l'heure...
- Non, idiot... mais il va falloir rentrer.
- Hier tu disais vouloir que ce soit fini, tu devrais plutôt être contente, non ?
- Oui, mais au final je me suis dégonflée. Je suis lâche.
- Iris, ta voiture sera prête aujourd'hui. On a toujours la possibilité de retourner la voir.

Elle tourna son visage vers moi, des yeux encore larmoyants, rougis, mais adorables.

- Tu crois ? demanda-t-elle en reniflant un coup.
- Bien sûr, je ne vois pas ce qui nous en empêche ?
- Ton état ? Le fait qu'on soit dimanche ?
- Tu comptais aller à la messe ? plaisantai-je dans un sourire.
- Hilarant... on ne dérange pas les gens le dimanche, Declan.
- Les gens non, nos parents oui.
- T'es chiant... souffla-t-elle dans un murmure.
- C'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ? riai-je en faignant la surprise.

Un instant, nos regards se croisèrent à nouveau. Je nous revoyais hier soir, devant ce même lit. Elle, debout. Mes mains parcourant timidement son corps qui semblait si fragile.

Je l'aurais fait. Je l'aurais entrainée dans les draps si elle l'avait voulu. Je l'aurais embrassé toute la nuit, si ce n'est pas plus. Je lui aurais tout dit, tout montré, tout donné.

Cependant, j'étais conscient que ce n'était pas comme ça que devaient se passer entre nous. Je n'avais pas le droit d'être égoïste avec elle. De simplement lui faire l'amour parce que j'en avais envie, mais parce qu'elle me l'aurait demandé.

Ce qui n'arriva pas.

Elle voulait partir, « enfin en finir ». Ne sachant plus vraiment sur quel pied danser avec elle, je préférais garder un peu mes distances. S'il devait se passer quelque chose, je voulais que ça vienne d'elle. Et faire les choses correctement.

- Merci, Declan. T'es vraiment quelqu'un de bien.

Mon cœur rata un battement.

Iris, comment t'arrives à faire ça ? Me toucher là où je croyais ne plus rien avoir ? Comment tu fais pour me rendre de nouveau humain ? Presque normal ?

Attrapant doucement sa main tout en la guidant jusqu'au lit, je la fis s'y installer. Elle continuait à pleurer à chaudes larmes et je pris place au niveau de ses jambes, finissant par lui caresser les cheveux pour tenter de l'apaiser. Je sentis d'abord mes poils s'hérisser totalement sur mes bras, puis un frisson agréable courir le long de mon dos. Ne sachant pas quoi faire d'autre que ce mouvement de va et viens sur sa tête, ni même quoi dire. Il faut dire que je n'avais pas l'habitude d'être aussi proche de quelqu'un, et encore moins d'en avoir besoin. C'était devenu indispensable de m'assurer qu'elle allait bien.

Mais est-ce qu'elle avait raison ? Etais-je pour autant quelqu'un de bien ? J'avais pourtant fait beaucoup de choses dans ma vie qui auraient fait pencher la balance dans l'autre sens.

Après une petite heure où elle se reposa, m'avouant être exténuée car elle n'avait pas réussi à fermer l'œil de la nuit sans trop savoir pourquoi, nous sommes partis. Attrapant le reste de nos affaires avant de fermer définitivement la porte. La pensée que cette petite chambre renfermera nos secrets jusqu'à la fin des temps me traversa. Les nôtres, et sans doute beaucoup d'autres.

Montant dans le camion de dépannage qui allait nous mener jusqu'à la liberté – la voiture plus précisément – sa tête se posa sur mon épaule de temps en temps lorsqu'elle cédait à la fatigue. Au bout d'une quarantaine de minutes, nous avions enfin pu récupérer le véhicule d'Iris.

On s'était battu une bonne demie heure : elle, soutenant mordicus que je n'avais aucune raison de participer aux frais ; moi, tenant bon pour lui faire comprendre que je voulais participer. J'ai gagné la bataille. Une seconde d'inattention et je donnais une partie de la somme au garagiste. Elle fulmina peut-être dix minutes – ou quinze, qui sait – avant de marmonner un remerciement beaucoup moins audible que les deux fois précédentes.

- Qu'est-ce qu'on fait ? lançai-je une fois derrière le volant. Les deux directions vont mener à la rédemption, lequel on choisit ?

Elle sembla réfléchir un instant, puis au bout de quelques minutes elle ferma les yeux. J'attendais patiemment qu'elle mène au mieux la discussion qu'elle avait avec elle-même.

- Comment tu te sens ? demanda-t-elle.
- Frais comme un gardon !
- Declan... répliqua Iris en me lançant un regard fatigué.
- Je tiendrai le choc.

Je me sentais affreusement mal. C'est comme si quelqu'un me secouait de l'intérieur et me frappait sans arrêt. Mes courbatures me donnaient envie de crier, j'étais à la fois énervé et impatient, agité et stressé. Ne rien prendre m'angoissait. Et c'était affreux. Mais comment aurais-je pu lui refuser ça ? Influer sur son choix. Et puis, c'était grâce à elle que le processus était en route, alors au fond, j'avais peur qu'une fois loin d'Iris, seul l'enfer me tendrait les bras.

- On passe prendre à manger avant alors, conclut-elle en partant s'installer à l'arrière pour dormir.

Après un bon repas, une heure de route, et la joie extrême qui m'a été offerte de découvrir qu'elle bavait – sur ma veste – en dormant, nous sommes enfin arrivés à destination !

La maison de la mère d'Iris était on ne peut plus magnifique. Le genre magazine de déco : blanche avec des petites barrières pour séparer la rue du jardin ; d'ailleurs garnit de belles plantes, d'arbres et de fleurs. Lorsqu'on s'est garé en face, nous vîmes une petite fille jouer dans ce dernier, un homme se tenant face à une balançoire pour superviser ses actions. Je fixai Iris, me demandant si on ne s'était pas trompés de numéro.

J'ai eu le temps d'émettre des hypothèses sur les retrouvailles touchantes d'Iris et de sa mère. Mais je n'avais pas réellement inclus qui que ce soit d'autre dedans... Et à la façon dont elle me renvoyait mes regards, elle devait sans doute avoir les mêmes pensées !

Une femme avec une longue chevelure brune, un teint frais et un sourire éclatant de bonheur sur le visage passa la porte d'entrée pour aller embrasser la petite et l'homme.

Iris fit un pas en arrière, assez brusquée par la scène. Elle qui craignait de trouver une femme mourante, on pouvait au moins en conclure qu'elle n'était absolument pas en fin de vie. C'était au moins le bon côté. Par contre, à voir la tête qu'Iris tirait, son cerveau n'eut besoin que d'une seconde pour tirer les mêmes conclusions que moi : la petite fille, la femme et l'homme étaient les membres d'une même famille.

Et j'aurais juré avoir entendu le cœur d'Iris se briser lorsqu'elle réalisa le sens de la scène qui se déroulait sous ses yeux.

- Il y a deux solutions. Soit tu y vas, tu lui dis tout ce que tu as à lui dire, et on rentre sans regret. Soit tu rentres avec des remords en sachant qu'il n'y aura peut-être pas de troisième fois, l'informai-je en attrapant sa main, tremblante.
- Elle a une fille...
- Elle a deux filles, Iris, et tu es aussi légitime que celle que tu ne connais pas encore.

Elle serra ma main dans la sienne, sans doute pour essayer de se donner une contenance. Ou peut-être parce qu'elle avait peur et que j'étais là. Elle enlaça ses doigts dans les miens et après avoir regardé quelques instants de plus la scène qui se déroulait à l'extérieur de la voiture, reporta son attention sur moi.

- Tu ne me quittes pas, pas vrai ?
- Jamais, murmurai-je en serrant sa main un peu plus.
- Je n'y arriverai pas sans toi Declan...
- Et je serai à tes côtés à chaque seconde !

Dans un hochement de tête, elle rompit le contact et ouvrit sa portière.

M'avançant d'un pas déterminé vers la maison, je me rendis compte au bout d'un instant que j'étais le seul. Iris, restée figé à côté de la voiture, maintenait sa portière ouverte. Elle était prête à repartir à chaque mouvement allant dans ce sens. Je lui fis discrètement signe de venir, elle hocha négativement de la tête.

- Qu'est-ce qu'il y a ? l'interrogeai-je en revenant vers elle.
- Tu vas trop vite.

Prêt à argumenter, j'ancrais mes yeux dans les siens, remarquant qu'ils étaient rougis de tristesse.

La délicatesse Declan, fais preuve de délicatesse pour une fois, pestai-je intérieurement.

Dans un mouvement naturel, je la pris dans mes bras, sa tête contre mon cœur. Elle s'agrippa à mon pull avec une telle force qu'il m'aurait été impossible de repartir sans elle – ou avec le pull, au choix. Elle ne cessait de s'accrocher de plus en plus fort, et je ne pouvais m'empêcher de vouloir la serrer contre moi d'avantage. Elle me semblait si loin, comme si chaque atome présent entre nous était de trop. Puis au bout de quelques sanglots, elle finit par se détendre. Tout en déposant un baiser sur le haut de son crâne, je lui promis de ne pas la laisser, que tout irait bien, que j'étais là, qu'elle allait y arriver.

Elle leva la tête vers moi. Nous n'étions qu'à quelques millimètres l'un de l'autre. Sa langue passant légèrement sur ses lèvres un peu gonflées par les pleurs. Je me détestais d'avoir autant envie de l'embrasser, même dans un moment pareil. Mais elle était irrésistible. Ça devenait de plus en plus compliqué de passer outre ce détail.

- Je suis prête, souffla-t-elle en me prenant la main et commençant à se diriger vers la maison.

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