V - L'affrontement des cœurs blessés.
J'avais l'impression que c'était un rêve. Ou plutôt un cauchemar. Lorsque j'ouvrais la bouche, les mauvais mots fusaient et je la voyais s'éloigner peu à peu jusqu'à la perdre. C'était toujours comme ça, elle vous glissait entre les doigts encore plus facilement qu'une savonnette.
Quelques semaines après notre première rencontre, j'étais avec une bande d'amis près d'un grand parc. On venait souvent là pour se poser sur les bancs, à faire des trucs en tout genre, mais surtout de mauvaises choses à vrai dire. Notre train de vie à l'époque se réduisait à fumer nos cigarettes et parler de choses et d'autres - comme les détails de nos nuits agitées et du nombre de filles à qui on avait encore brisé le cœur. C'est là que je l'ai revue. Comme si chacune des cellules présentes dans mon corps avaient été attirées par elle, elle m'était apparue comme un éclair au milieu de la foule.
Tout ce qui m'avait échappé pendant la soirée où nous nous sommes rencontrés, mais également sur les quais cette nuit-là, m'apparaissait comme une évidence à présent. Ses yeux sombres de la couleur d'un Œil de tigre, sa bouche fine et rosée... Ses cheveux, tirés en une longue queue de cheval brune, se dandinant au même rythme que ses hanches.
Son pas était léger, on aurait pu croire qu'elle flottait. Un sourire trop discret pour être vrai accroché au visage et un rire fort, presque dément, mais surtout communicateur se dissipait dans l'air sur son passage.
Elle était à portée de mains, juste là, sous mes yeux. Beaucoup auraient dit que c'était un coup du destin, mais je n'y croyais pas. Je pensais même que ce genre de truc était bon pour les idiots sans plomb dans la cervelle. Mais, en y repensant, pour elle j'aurais pu croire à n'importe quoi. Même au père noël.
A ses côtés se trouvait une grande blonde aux boucles dorées, libres, virevoltant sous la brise légère d'automne. Elle avait un visage rond aux traits parfaitement dessinés et maquillé dans les tons orangés. Ses lèvres, quant à elles, étaient habillées d'un sourire plus sincère, plus visible. Même de loin ça crevait les yeux qu'elles étaient comme le jour et la nuit. Pourtant elles semblaient se compléter à la perfection.
Les bruits environnants n'étaient plus qu'un brouhaha dérangeant, agaçant. Tout ce que mon esprit était capable de suivre, c'était les va et vient de sa queue de cheval bougeant de gauche à droite. Son dos couvert d'une petite veste noire et ses mains enfoncées dans ses poches. Les gars essayaient de me ramener sur la terre ferme, en vain. Il fallait que j'aille la voir. Maintenant. C'était vital, aussi primordial que l'apport d'oxygène dans mes poumons.
C'est alors que, pris d'une irrésistible envie de lui rafraîchir la mémoire à mon sujet, j'ai attrapé ma veste et jeté ma cigarette à la volée en me dirigeant droit sur elle, les lèvres étirées jusqu'aux oreilles. Ils m'appelaient, je ne pouvais pas louper leurs beuglements dans mon dos, me demandant ce qui pouvait bien m'arriver. Mais à partir du moment où j'avais été capable de la reconnaitre parmi ces dizaines de visages, plus rien d'autre ne m'importait.
Je ne voyais qu'elle.
- Excusez-moi de vous déranger jolie demoiselle mais, il me semble que votre amie et moi nous nous connaissons, m'adressais-je à la blonde avec un sourire enjôleur sans prêter attention à la brune.
Chacune eu une réaction propre : la blonde afficha un sourire qui semblait dire « si elle ne veut pas de toi, moi je me dévoue ». Quant à elle, son regard fuyant mais qui trahissait à la fois la surprise et la colère, me laissa à penser que je n'avais pas dû être la meilleure surprise de sa journée. Son amie lui lança un regard interrogateur, sans doute n'était-elle pas au courant des aventures nocturnes de son acolyte.
- Ah oui ? articula la blonde dans un sourire plein de sous-entendus.
J'essayais de capter son regard, sans même savoir ce que je faisais là, droit comme un i à attendre qu'elle daigne faire attention à moi. Pourtant, on ne pouvait pas me louper. Ses yeux ne quittaient pas l'horizon, visiblement bien plus intéressant que moi à ce moment-là. Ou peut-être moins risqué... Un instant, en la voyant si nonchalante et distante, je me suis demandé pourquoi je perdais mon temps. D'habite c'était les autres qui venaient à moi, qui attendaient désespérément de capter mon attention. Pas l'inverse. Pourtant la scène se déroulait, les minutes s'écoulaient et la seule chose qui la rendait réelle c'était les effluves de son parfum qui venaient narguer mes narines, me donnant des frissons jusque dans l'échine. Ça sentait... la fleur de réglisse.
- On y va, finit-elle par déclarer à l'attention de la blonde.
- Écoute, lançais-je en la suivant, oubliant son amie à ses côtés, je suis désolé de m'être conduit comme un con la dernière fois.
- Je m'en fous, souffla-t-elle sans s'arrêter, trainant presque son amie.
- Tu sais, les mots étaient vrais dans le fond, je pense que le réel problème c'était l'intention. Très mauvaise.
Son amie buvait mes paroles, comme s'il fallait qu'elle retienne chaque syllabe à la place de la brune. Peut-être qu'elle pouvait m'être utile, finalement. Si je n'arrivais pas à la convaincre, j'avais le sentiment qu'elle, elle en ferait son affaire.
- Mais aujourd'hui, continuais-je, bien déterminé à finir ma tirade, je suis ici avec mes amis et je te vois comme ça, sortir de nulle part ! Je me suis dit que c'était forcément un signe. Qu'on nous réserve sans doute quelque chose. On ne sait pas encore ce que c'est mais, moi, je veux bien essayer de le découvrir du moment que c'est avec toi.
Mon sourire était trop faux pour berner qui que ce soit, j'en avais conscience, mais ce n'était pas très important. A l'époque, j'aurais été incapable d'énumérer la dernière fois où mes paroles avaient été sincères et désintéressées envers quelqu'un. C'est comme ça que j'avais été élevé, dans la malhonnêteté. D'ailleurs, la seule chose qui me faisait dire que je n'étais pas encore amoureux d'elle à ce moment-là, c'est que je ne connaissais pas l'amour. Ce n'était pas le genre de chose qu'on apprend chez moi. Ni même qu'on transmet.
Tout ce que je savais c'est qu'elle ne savait plus où se mettre. Elle s'arrêta brusquement, oubliant presque l'influence de la gravité qui s'exerçait sur son amie qu'elle trainait depuis de nombreuses minutes pour me fuir. Elle pivota légèrement pour me faire face. En voyant le regard noir qu'elle m'adressait, empli de haine et de dégout, j'espérais qu'au moins si elle ne marchait pas dans mon baratin, la blonde oui !
- Réponds moi, je me sens assez con là, soufflais-je mimant la gêne.
Le silence était lourd.
- Dis-moi au moins comment tu t'appelles ? Si tu veux un soir je t'inviterai à manger...
- Ah, parce que tu es civilisé finalement ? Laisse-moi rire... me coupa-t-elle dans un murmure, son ton à la fois tranchant et sarcastique.
- Oui, parfois. Laisse-moi t'inviter au restaurant ! répétais-je en m'avançant un peu vers elle. Dis-moi ton prénom avant.
- Au restaurant ? Et tu me diras que tu as oublié ton portefeuille ? pouffa-t-elle tout en me défiant du regard.
- Non, je le grefferai au bras s'il le faut, riais-je.
La tension était palpable. Son amie ne faisait que lancer des œillades à l'un puis à l'autre, hésitant sans doute à jouer les arbitres.
- Elle s'appelle Iris, s'exclama la blonde précipitamment, ça ne se voit pas mais je suis sûre qu'elle est ravie de te rencontrer !
Visiblement pas vu la noirceur de ses pupilles lorsqu'elles se posèrent sur la blonde, rougie par le malaise de la situation.
- Et elle viendra sans doute sans aucun problème ! Pas vrai ? bafouilla-t-elle en souriant à la brune.
Même un aveugle aurait pu voir la fureur qui habitait ses iris à ce moment-là. C'était sans doute un refus. Mais qui aurait pu dire non à cette magnifique jeune femme qu'était son amie ? Pas moi, je vous le dis.
- Très bien... pesta Iris en appuyant chaque syllabe sous l'effet de l'agacement. Vendredi, dans le petit restaurant dans la grande avenue. Celui avec une biche empaillée ! cracha-t-elle dans un sourire faussement joyeux, visiblement très emballée par ce compromis.
Pourtant, malgré tout, lorsque j'ai entendu sa réponse, je savais que j'oublierai son amie pour le restant de mes jours.
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