IV - La peur à l'âme.
La première chose que je m'étais dite en le voyant lorsqu'il m'a abordé, c'est qu'il était bien trop grossier et instable. Je ne le connaissais pas, et pourtant cette haine que j'avais pu entre-apercevoir dans son regard me murmurait que la raison de son état n'était pas anodine. Quelque chose c'était produit. Pas ce soir-là, mais dans cette vie. Pour autant, je ne voulais tout bonnement pas avoir affaire à quelqu'un comme lui. Sa présence seule suffisait à activer dans mon esprit toutes les alarmes signifiants un danger.
Lorsque je l'avais repoussé aussi loin de moi qu'il est possible de le faire, je l'avais entendu grommeler son souhait d'être simplement aimé. C'est à ce moment-là que j'ai compris que son ébriété n'avait rien à voir avec cet aveu. Ça venait du cœur, ça raisonnait dans le crâne jusqu'à rebondir et finir dans votre poitrine. Touchant la corde de sensibilité comme une flèche bien aiguisée.
Malgré tout, je sentais bien qu'il ne fallait pas que je l'approche, qu'il était dangereux et que c'était mieux comme ça. Lui, et beaucoup plus loin, moi. Deux univers bien distincts s'il le fallait.
Une fois arrivée chez mon amie, encore bouleversée par les évènements survenus avant la soirée qui avaient heurté ma dignité - ces mêmes gestes, ces mêmes mots. La seule solution qui s'était alors offerte à moi, c'était la fuite. Avant qu'il ne me laisse encore pour morte.
Après avoir claqué la porte, j'avais pris la décision de ne plus jamais retourner là-bas. Je préférais dormir dehors plutôt que de remettre les pieds dans cette maison. Sans trop savoir comment ni pourquoi, j'avais rejoint cette fête qui avait été le sujet de conversation de pas mal de personnes pendant la semaine. Pourtant, l'amusement n'était pas au rendez-vous. Au fond, je crois que je m'étais dit que ça ne pouvait pas être pire que de revivre un enfer avec lui.
Rose dormait déjà. Je n'osais pas bouger par crainte qu'elle ne soit fâchée si jamais par inadvertance je venais à la réveiller. Après un bref coup d'œil dans la pièce, j'avais fait machine arrière pour retourner errer quelque part. Le sommeil n'était pas là de toute façon, je le sentais.
C'est ainsi que j'avais fini par aligner un pas après l'autre le long du fleuve, les yeux rivés sur l'eau. Parfois, dans les moments les plus sombres de mon existence, il me venait à l'esprit que si je n'avais jamais vu le monde, beaucoup de personnes auraient été sans doute moins tristes. Moi y compris.
Quand d'un coup, une main saisit mon bras violemment, coupant tout lien entre mes pensées et mon attention. Pivotant, tout en essayant de garder mon équilibre, je me retrouvais face à lui, effrayée.
- Tu vas pas te tuer quand même ? questionna-t-il les yeux écarquillés, ne desserrant pas son étreinte atour de mon bras.
- Encore toi ? Tu me suis ? pestais-je en m'extirpant de force. Laisse-moi à la fin !
- T'allais sauter, souffla-t-il en saisissant mon poignet, m'obligeant à m'éloigner d'un pas.
- Ce que je fais ne te regarde pas ! m'exclamais-je apeurée par ses doigts enlacés bien trop fort autour de mon poignet. Lâche-moi !
Me défiant du regard quelques secondes, il finit par me libérer de son emprise.
Il me le rappelait sur certains points. Le plus flagrant c'était ses yeux, qui ne demandaient qu'à être regardés. Son cœur qui hurlait son manque d'amour. Et son âme... suppliant qu'on vienne la sauver. Tous ces aspects qui m'avaient, finalement, fait plonger en enfer. Le même grain de malice, le même rictus lorsqu'il est vexé ou contrarié, cette crainte que les autres ne le voient pas au milieu de la foule. Il était comme ça, pourtant lui, même avec les quelques ressemblances qu'ils partageaient, me semblait vraiment perdu et sans défenses face au monde.
Peut-être était-ce l'âge ? Ou cette lueur étrangère que je voyais au travers de ses iris émeraudes ? Je ne sais pas, mais une chose est sûre, c'était la seule chose qui les distinguait tous les deux.
Il s'assit sur l'une des dalles qui bordait le fleuve, visiblement incapable de rester debout plus longtemps. Le soleil était déjà en chemin, peut-être était-il six heures ? Ou plus ? Je n'en savais rien et en vérité, c'était sans doute le cadet de mes soucis. Cela faisait bien longtemps que mes nuits n'étaient plus bordées de rêves.
- Pourquoi tu es saoul ? questionnais-je sur la défensive en le toisant du coin de l'œil.
- Je me suis amusé, voilà tout. Il te faut plus de raisons pour boire jusqu'à ne plus te souvenir de ton nom ? C'est drôle ! Tu devrais essayer, t'es pas très comique visiblement, riait-il assez fort.
Un pas en arrière.
Il cessa de rire me voyant reculer, interloqué.
Effectivement, ils sont faits du même moule. Je voulais le sauver à l'époque, et finalement, j'ai dû m'enfuir. Alors il était très clair dans mon esprit que je n'allais certainement pas remettre le couvert une deuxième fois.
- Va te faire soigner, tu risques de faire énormément de mal autour de toi en continuant à... faire ça. Crois-moi, l'avais-je sermonné d'un ton glacial.
- Pardon, pardon... Je ne savais pas que tu étais ma mère. Vous êtes vraiment tous pareils, hein ? Vous pensez tout savoir, tout connaitre...
- Qu'est-ce...
- Les gosses à papa maman, à qui on crache des billets pour répondre à leurs caprices ! pouffa-t-il d'un ton hargneux.
Deux pas.
Je ne pouvais que fuir à nouveau face à ça. Les mêmes paroles... Cherchant sans cesse à remettre leurs erreurs sur le dos des autres. Il était dangereux, je le savais ! Je ne pouvais pas me permettre de laisser ça arriver deux fois.
Prenant mes jambes à mon cou, je m'étais mise à pleurer tout en courant aussi vite que possible. Je l'entendais m'apostropher et crier je ne sais quoi derrière moi. Mon corps répondait uniquement à l'instinct de survie. Il ne fallait pas céder. Trop de fois déjà à la "maison" je m'étais laissée berner par les mots d'excuse et les mensonges. Je ne le devais plus.
Pour ma survie, il fallait que je m'échappe, même si ça signifiait le condamner.
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