— J'avais pour habitude de fêter Noël avec toute la famille. Nous nous retrouvions le vingt décembre, c'était le seul moment où je pouvais voir mon père, qui habitait à la Réunion. Mes parents s'étaient séparés quand je n'avais que trois ans.

Elle parlait doucement.

"— Il devait arriver le dix-neuf, mais il n'était toujours pas là le matin du vingt. Ma mère pestait, elle disait qu'il ne changerait jamais, toujours là pour gâcher les moments les plus importants de l'année. Eh oui, il avait déjà oublié Pâques, les rois Mages, et même mon anniversaire. Mais chaque fois, je lui pardonnais, parce qu'il se rattrapait toujours à Noël. Il m'amenait une tonne de cadeaux et de bonbons, et me disait à quel point il m'aimait et il était désolé. Moi, je me contentais de l'embrasser et de lui pardonner.

Mais cette fois-ci, je savais que s'il oubliait Noël, je ne m'en remettrais pas.
Noël, c'était la réunion familiale, les cadeaux, l'ambiance joyeuse et chaleureuse.
Noël, c'était important.

Il n'était toujours pas là le jour suivant. Ni celui d'après. Je ruminais, mais je ne savais pas encore que je ne le reverrais plus jamais.

Nous avons distribué les cadeaux le vingt-quatre. J'étais triste, j'avais la gorge sèche, mais j'arborais un faux sourire pour ne pas plomber l'ambiance. Ma famille me regardait avec adoration pendant que je déballais les cadeaux, qui me semblaient tous fades. Mon père, il savait exactement ce que je souhaitais, si c'était des Playmobils, il m'en offrait, des Legos, il m'en offrait, du maquillage, il m'en offrait.

J'ai appris sa mort le lendemain. Il restait des cadeaux au pied du sapin, mais en voyant les yeux rouges de mes grands-parents et la mine peinée de ma mère, je me suis arrêtée net dans l'escalier. 

Ils n'ont pas eu besoin de dire quoi que ce soit. Ce n'est qu'en voyant le porte-clé que ma grand-mère avait à la main que j'ai compris. 

C'était une petite fée, comme celle de l'histoire que mon père m'avait envoyée quelques mois plus tôt, et que j'avais adorée. Il m'avait promis de me ramener quelque chose qui me rappellerait ce livre. 

J'ai couru dans ma chambre et je me suis réfugiée dans mon lit en pleurant. Je me suis enfermée à clé et je ne suis pas sortie de la journée. Malgré les coups tambourinés à ma porte, je suis restée immobile, hébétée. Je serrais contre moi Erko, la peluche dragon qu'il m'avait offerte à mon anniversaire, quand j'avais deux ans. 

J'étais si triste. Pourtant, j'ai bien dû sortir de ma chambre pour manger quelque chose. Dès que je l'ai fait, j'ai senti des bras réconfortants m'entourer. J'ai encore pleuré en reconnaissant ma mère. Elle m'a tendu la main et m'a expliqué en chuchotant que la police avait trouvé le porte-clé dans la main de mon père lors de son accident de taxi. Qu'il y avait écrit mon nom dessus, en italique."

Thalia ferma les yeux, les souvenirs lui revenant par vagues. La vieille dame l'observait sans rien dire.

"— Nous sommes allés au tribunal afin d'apprendre la peine que recevrait l'assassin de mon père. J'étais dévastée. Pourquoi ce méchant homme avait survécu, et pas mon papa ? Il gardait la tête basse, l'air de s'en vouloir, mais honnêtement, je m'en fichais. Je voulais juste qu'il aille en prison pour son crime. 

La sentence fut prononcée une éternité plus tard, j'avais quinze ans. Le chauffeur écoperait sept ans de prison ferme pour conduite en état d'ivresse et homicide involontaire, ainsi qu'une amende de soixante-mille euros. Pour moi, ce n'était pas assez, cet homme avait détruit ma famille, mais avec le temps, j'ai appris à m'y faire et même à pardonner.

Je sais que c'est ridicule, ça fait plus de dix ans, mais je n'arrive pas à fêter Noël convenablement depuis ce jour-là."

Thalia se remit à sangloter. Elle sentit des bras chauds se nouer autour d'elle et s'accrocha à son aînée comme si sa vie en dépendait.

— Ça fait des années que je n'ai pas vu ma famille. Mes grands-parents me manquent...

La jeune femme leva ses yeux larmoyants vers la vieille dame et vit une larme perler sur sa joue.

— Thalia, je suis ta grand-mère.