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Je n'avais pas réellement d'amis sur l'île, mais j'appréciais énormément une personne en particulier. Chul Hei. Il venait de Corée. Il habitait et travaillait ici depuis plus longtemps que moi. Je le trouvais incroyable, généreux. De par son âge avancé, on le disait sage. Et il l'était. Il n'hésitait pas à aider les autres lorsqu'ils tombaient de fatigue et qu'autour personne ne faisait rien. Il était d'une grande générosité. Je l'admirais. Pour moi, il montrait qu'il existait toujours une lueur d'espoir dans nos cœurs de misérables travailleurs. Alors que chaque jour, les mineurs – et moi-même – perdions espoir d'un soleil nouveau, lui était présent pour nous montrer le chemin à suivre. Il nous disait à tous, que l'espoir faisait vivre, et que si l'on perdait cet espoir, nous mourrions dans les jours à venir.

Il faisait preuve d'une grande sagesse à mes yeux, il était notre soleil.

Mais, ce jour que je te raconte fut funeste pour Chul Hei.

Il était descendu dans un puits, pareillement aux journées d'avant... toutefois cette fois-ci il ne remonta pas. Il fut perdu dans les galeries de la mine. Là où des risques d'explosions demeuraient pour chacun. Ce fichu gaz, le « grisou » avait osé s'enflammer à la lueur d'une étincelle, alors que Chul Hei y était. J'allais le rejoindre avant que ne se produise l'explosion. Je compris aussitôt que cet homme était perdu lorsque je vis des flammes remonter le puits.

Le midi je lui avais parlé. Il m'avait dit que comme nous tous, la peur de mourir ici le consumait de plus en plus. Je me souviens que je lui avais répondu ces mots : « Tu n'as pas l'air d'avoir si peur, au contraire tu nous fais croire à un bonheur futur où nous serions débarrassés de cette mine et de ces japonais qui nous font travailler pour leur seul profit ». Il souriait à entendre cela. C'était ce qu'il voulait, m'avait-il chuchoté. Il voulait donner espoir aux autres et à lui-même bien qu'il n'y crût pas. Mais il souhaitait un nouveau monde, un nouveau soleil. Il savait qu'il ne le verrait pas. D'après lui, il était trop vieux pour résister encore à ces mauvais traitements.

Ainsi, même si ce jour je pleurais car il était parti, je voulais garder espoir, pour lui.

Il ne fut pas le seul à mourir dans ces galeries. Il est vrai que tous les jours nous en pleurions un.

Sombre mine qui engloutissait tant de travailleurs forcés d'y descendre.

La mort de Chul Hei reste au fond de mon esprit encore aujourd'hui. Je ne peux m'empêcher de laisser une larme couler le long de ma joue lorsque je pense à lui. Cet ami endormi pour toujours.

Je pleure la vie qu'il n'a pas pu avoir, et ce bonheur de quitter l'île une bonne fois pour toute. De passer à autre chose.

Tu comprends, toi à qui je parle, pourquoi je voulais te raconter cette journée. Pour te parler de lui.

Il mourut dans le début de l'après-midi, mais nous n'avions pas arrêté le travail pour autant. Je descendis après l'explosion. Je fus surpris moi-même de ne pas être effrayé de descendre à ce moment-là, alors que les autres affichaient des mines affreuses. Je crois que je ne pensais plus à rien. Ni à la mort, ni à la vie. Peut-être que je m'en fichais maintenant de mourir. Je ne sais pas, ou je ne sais plus.

Le reste de la journée fut éprouvant comme toujours, mais cela m'était égal de me tuer à la tâche pour une fois. Je travaillais, j'avais ramené beaucoup de charbon à la surface, et j'étais fier. Fier parce que j'aidais les autres à se reposer. A l'image de mon ami disparut.

Je fus tout de même bien heureux quand le travail fut fini et que je pus regagner mon petit appartement. Mais avant, mon esprit vogua dans les vagues. Je n'étais pas passé par le chemin habituel, je souhaitais voir la mer. J'étais resté au moins une heure à l'observer. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas arrêté au bord de cette immensité bleue.

A l'horizon, j'apercevais Nagasaki. Je m'imaginais là-bas. Même si cela semblait impossible.

J'espérais regagner la terre ferme. Oublier ce travail.

Et puis, je commençais à imaginer Chul Hei devant moi, volant au-dessus de la mer. Il allait en direction de Nagasaki. Son corps était libre. Il affichait un visage souriant. Il me regardait, et je le voyais partir.

Comme il avait de la chance. Le seul moyen de quitter l'île était sans doute de mourir. Devrais-je faire de même ? J'y avais songé tout le reste de la journée.

Quand je retournais chez moi, j'y pensais encore. Et finalement, je réussis à partir loin de ce bagne, de ce calvaire.

Cette histoire, je l'ai vécue, et je voulais te la raconter aujourd'hui, car elle demeure encore dans mon cœur, telle une ancre qui s'accroche au fond de la mer. 

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