Chapitre 9 (partie 2) : Par où l'histoire demeure cachée
Tréville avait laissé partir Aramis mais il ne s'inquiétait pas moins pour ses hommes et en particulier pour Athos. Le chemin que ses amis lui faisaient prendre était pénible et tortueux.
Rien n'assurait l'homme d'une issue favorable. D'autant qu'il le savait peu disposé au projet des mousquetaires à son endroit.
Il gardait toujours un œil sur eux. Prêts à tout pour le roi, ils l'étaient et savaient se montrer fidèles à chaque instant, mais Tréville savait que Milady n'était jamais très loin. Son ombre planait sur chacun des plans du cardinal.
Certes ce dernier était bien mal, mais pour autant il n'avait pas encore abandonné la gouvernance. Et Louis prenait toujours conseil auprès de lui.
Il envoya donc un cadet prometteur bien que jeune encore, surveiller le fort et de lui rapporter ce qu'il aurait appris. C'était le moins qu'il pouvait faire pour eux quatre.
Au fort la nuit s'était installée mais pas le calme. L'état d'Athos empirait, il passait par toutes les étapes d'un sevrage plus que complexe. Il ne cessait de maudire ici et là, de parler avec des fantômes plus ou moins morts, des démons qui hantaient ses jours et ses nuits en temps ordinaire. Il criait, implorait, mais jamais ne trouvait le repos.
Et cela perturbait le silence qui s'était installé sur le fort depuis un moment.
Mais au-delà des hurlements et vociférations d'Athos, ce que le cadet comptait rapporter au capitaine était qu'il avait trouvé Aramais, Porthos et d'Artagnan en plein conciliabule.
De retour après sa marche forcée, d'Artagnan avait demandé à ses amis de le retrouver car il avait une idée à leur soumettre.
Il avait projeté d'envoyer, une fois qu'Athos irait mieux, son ami en Gascogne. L'éloigner de Paris lui paraissait une bonne idée pour qu'il se refasse une santé.
L'idée était audacieuse mais où l'envoyer ? Aramais et Porthos n'avaient nul lieu où l'adresser.
C'est pour cela que d'Artagnan était content de son idée, il avait en tête un lieu tout trouvé où Athos pourrait achever de combattre ses démons. Une personne qui pourrait l'aider. Il parle alors du manoir familial, à Lupiac.
- « Mais que va-t-il donc faire là-bas ? Qu'y trouvera-t-il ? » interroge Porthos
- « Une femme qu'il connait et qui a bien besoin d'aide à l'heure qu'il est, ma mère. Françoise de Montesquiou. Vous le savez, Lafarge a détruit le domaine de ma famille. Ma mère tente de reconstruire tout mais elle est débordée et manque de bras. »
- « Tu le vois charpentier ? » s'esclaffe Aramis.
D'Artagnan rit de bon cœur.
- « Non mais sans nul doute saura-t-il aider à trouver les bras ! Et sa présence permettra à ma mère de retrouver quelques forces. »
Un projet qui séduit les deux amis mais devra attendre. Athos n'est pas encore prêt.
Quel homme sortirait de ce donjon, à ce moment aucun des trois ne peut répondre à cette question.
Cette nuit est sans doute décisive, mais les jours qui vont suivre ne laisseront que peu de répit à chacun d'eux. L'esprit d'Athos était fort embrumé encore.
Un à un et parfois en même temps, à travers un passé qui se mêlait au présent, Athos les voyait surgir devant lui, lui parler. L'invitaient à la folie. Il n'avait de cesse de les combattre. Ne lâchant jamais mais pour cette occasion l'épée n'était pas son arme. Seule sa force d'esprit et son désir de vivre pouvaient l'accompagner et vaincre ces voix qui ne cessaient de le harceler. Ses hurlements ne semblaient pas les effrayer le moins du monde. Il ne savait comment les repousser. Il lui semblait que plus il s'évertuait à les chasser, plus ils revenaient.
Il voulait les faire taire et le vin y parvenait très bien. Jusque-là. Mais il en était privé depuis, il ne saurait dire quand. Mais trop longtemps. Il avait soif, il avait faim. Et sa tête qui explosait.
Que lui voulaient-elles ? Et pourquoi ses amis ne venaient-ils pas ? Ils l'avaient abandonné là, en proie à ces visions dont il ne parvenait plus à se défaire.
Elles le poursuivaient, voulaient sa mort. A n'en pas douter. Il voulait les faire disparaître mais se perdait. Il devenait fou, c'était cela. La folie serait sa fin.
Il perdait le fil de ses pensées. Tout n'était qu'un maelström dans lequel il se sentait descendre.
Il étouffait. La fièvre le prenait mais il avait froid dans le même temps.
Personne n'entendait. Il appelait. Il était seul. Entouré de ces ombres qui le frôlaient. Il avait affaire à un ennemi dont il ne pouvait se départir.
Il avait entendu, lointaine, la voix de Charles. Il avait voulu la chasser comme il luttait entre toutes ces apparitions. Mais non ce n'était pas Charles. Il avait haï cet instant où il avait perdu contact avec la réalité.
Pour la première fois de sa vie, il voulait fuir. Mais il ne pouvait. Où qu'il aille ces marionnettes le poursuivaient, jamais elles ne le laissaient.
Mais cette nuit, la porte s'ouvre et Athos croit distinguer ses amis qui l'entourent. Ils ne peuvent être là, ils l'ont laissé seul avec ses démons. Il lutte, mais des mains puissantes l'arrêtent. Il 'entend d'un mot :
- « suffit »
Cette voix, il la reconnaîtrait entre mille. Charles. Il est revenu. Pour lui. Il ne l'a pas oublié. Cette promesse d'une fraternité était tenue. Cette poigne, il savait que seul Porthos la détenait. Lui seul pouvait oser le retenir encore.
Ses amis étaient présents. Ils le sauvaient. Malgré lui. Contre lui ou avec lui. Il n'était plus capable de distinguer ce qui lui arrivait.
Un instant les voix s'étaient tues. Il voulait le leur faire savoir mais n'avait plus de voix.
Dans un souffle, il parvient cependant à prononcer quelques mots, rapides :
- « Pardon, mes frères ! »
Il ne les entend pas ou plus, les voix se sont éloignées. Ses frères sont là, ils ont chassé ces fantômes, ces âmes perdues qui le torturaient.
Toute la nuit durant, les angoisses se succèdent au bonheur de ne pas être seul. Il est là, il est ailleurs. Il veut parler mais n'y arrive plus.
Toute la nuit durant, ses frères veillent sur lui. A tour de rôle et en même temps. Ils le voient lutter tant et plus. Ils craignent de le perdre. Mais la minute d'après, le voici qui revient. Ils lui parlent. Ils l'exhortent à ne pas cesser de combattre. Comme toujours ils sont là. Pour le frère, leur ami. Ils sont forts pour lui, avec lui.
Aramis a rapporté des herbes qu'il mélange à l'eau qu'ils lui versent de force dans la gorge. Porthos, de ses mains de fer l'oblige à rester tranquille. Charles l'encourageait, doucement parfois, avec plus de vigueur à d'autres moments. Selon l'état d'Athos, il adoptait le ton qui le maintenait encore un peu à la surface. Loin de ses monstres qui traversaient sa longue, très longue nuit.
Au loin un orage éclatait. Même le temps était d'humeur maussade. Charles quitte ses amis pour s'assurer que les chevaux sont à l'abri. Comme il se doit. Son visage le fait encore souffrir mais ce n'est rien à côté de ce que son ami endure. Il peut supporter tout ceci, cela disparaîtra. Alors que la pluie commence à tomber sur le fort, d'Artagnan retrouve ses compagnons. Il rapporte tout à l'intérieur, prenant bien garde de cacher les armes. Il est encore trop tôt pour qu'Athos risque d'en prendre une. La nuit va s'échapper. Un jour gris, au ciel bas se lève doucement. Aucun d'eux ne s'en véritablement compte, ils sont tout à ces gestes qu'ils peuvent accomplir pour secourir Athos. Plus rien ne compte si ce n'est le sauver.
Le jour suivant est dans la même veine. Les hommes se relaient et veillent. Mais les moments de lucidité semblent plus nombreux. Et durent plus que dans la nuit.
Ils restèrent là, tous les quatre, se soutenant mutuellement. Une nuit de plus. Et le jour qui suivit encore.
La dernière nuit fut plus calme. Enfin. Ils purent se reposer un moment, chacun à tour de rôle. Athos dormait. Il semblait avoir trouvé la paix. Ou du moins une paix relative. Après les jours qu'ils venaient de connaître, cette nuit leur fit le plus grand bien. Ils reprenaient espoir. Athos était de retour parmi eux.
Au petit matin, Charles griffonna un message rapide à l'attention du capitaine. Sa main tremblait. Ils avaient vaincu. Mais pas encore gagné la partie. Tous unis, comme il se doit. Il inscrivit simplement ces mots :
« Il est prêt à partir »
Tréville comprendrait. Aramis a préparé les sacoches d'Athos. Il y a glissé le billet à ordre pour qu'il puisse voyager sans se soucier de rien. Les trois hommes avaient convenu de l'accompagner jusqu'à la sortie de Paris, mais ensuite ils le laisseraient partir. Il avait besoin de finir ce parcours, seul.
- « Il est réveillé. Tu vas lui parler maintenant ? » demanda Porthos.
- « Je dois lui expliquer. Je viens. » répondit d'Artagnan.
Il entra dans cette pièce sombre, mais il savait où était installé Athos. Il s'était levé en effet et s'était changé. Il avait meilleure allure. Mais il aurait été difficile de faire pire que ces derniers jours.
- « De retour parmi nous ? J'en suis ravi ! » Se réjouit d'Artagnan.
Athos regarda son visage et fut surpris.
- « Que s'est-il passé ? Porthos m'a dit que je n'y avais pas été de main morte avec toi, ne me dis pas que c'est juste moi qui t'ai fait ça ? »
- « Ne t'en préoccupes pas. C'est juste une histoire mais qui n'est pas très intéressante. Du moins, qui ne l'est plus désormais. Porthos aurait mieux fait de se taire. »
Les deux hommes se regardent. Les mots sont inutiles entre eux.
- « Quatre jours que nous sommes ici. Je crains d'avoir abusé de l'hospitalité de ce lieu ! »
- « Justement, parlons-en. J'ai un service à te demander. Le capitaine est au courant et a donné son accord, donc si tu veux bien, j'aimerai que tu ailles à Lupiac. Il ne reste plus grand-chose de mes fermes mais le manoir est toujours debout. Enfin les murs du moins. Ma mère a grand besoin d'un homme pour l'aider à tout rebâtir. »
- « Pourquoi moi ? Pourquoi tu n'y vas pas toi-même ? Tu sais que je ne suis pas l'homme qu'il faut pour ce genre de mission ! »
Incrédule, Athos observe d'Artagnan. Il sent qu'il lui cache quelque chose mais ne détermine pas quoi. Il a changé, il devient plus doué pour cacher ses sentiments.
- « Disons que, nous pensons qu'il te serait profitable de quitter Paris quelques temps et que j'ai d'autres occupations ici qui me retiennent ! Mais Lafarge a saccagé nos terres. Les hommes ont fui. Tu es capable de les faire revenir. Je n'ai pas ton énergie pour rassembler les hommes. »
- « Donc vous m'éloignez de Paris ! »
- « Oui », avoue d'Artagnan en baissant le nez.
Voyant ses amis aussi déterminés et son cheval qui piaffe d'impatience, Athos n'a d'autre choix que de se faire à l'idée qu'il va partir. Le voyage lui prendra bien quatre jours au moins. Si le temps s'y prête et si lui arrive à tenir assis aussi longtemps sur son frison. C'est une bonne bête mais après ces derniers jours, il se sent vidé de son énergie coutumière.
Mes ses compagnons ne lui laissent guère le choix. Ils sont déjà prêts à partir. Il ne lui reste plus qu'à se mettre en selle et voyager.
Et en effet, il mit quatre jours à parcourir la distance qui le séparait de la Gascogne et dans la fin de matinée du cinquième jour, il atteint le manoir. Le voyage lui paru interminable car il était seul. Mais s'il s'arrêtait bien pour la nuit, dans des auberges où il mangeait et buvait, il n'abusait pas. Et la nuit, il n'était plus envahi par ses cauchemars qui avaient baigné tant de nuits auparavant.
L'impression était étrange de se retrouver là. Surtout après les événements de ces derniers temps. Il se demandait si Françoise était informée de sa venue ou non. Il n'avait pas pensé à lui écrire et de toute façon, la lettre serait arrivée en même temps que lui. Cela n'avait pas de sens.
Alors qu'il approchait du manoir, le soleil brillait. Il revenait 14 ans plus tôt, quand il s'approchait du manoir avec ses parents et Tréville. Il n'était qu'un gamin alors. Il était insouciant. Tandis que désormais il était un homme, dans la force de l'âge. Un soldat. Mais il se sentait redevenir ce garçon, timide, qui espérait tant de la vie. Cette dernière ne lui avait pas vraiment fait de cadeaux, mais il en était un qu'il n'oubliait pas. Il était gravé dans son cœur. Charles et les d'Artagnan. Un havre de paix. Il espérait retrouver ce manoir et passer quelques jours paisibles.
Françoise était une femme charmante. Une hôtesse délicieuse qu'il pourrait écouter avec plaisir lui parler des gens, de la terre. Elle aimait ses fermes. Elle aimait la vie. Ce serait une parenthèse dans les tumultes qu'il connaissait depuis qu'il était adulte.
Lorsqu'il arriva sur les terres de la famille de Charles, il ne trouva que des fermes brûlées encore, certaines reconstruites, mais pas toutes. La plupart gardaient les stigmates du passage de l'intendant. Et le manoir, parlons-en. Il était en piteux état en effet. Il ne valait pas Pinon, entièrement brûlé par la faute de Anne, mais il avait souffert.
Et pourtant, quand il arriva, il fut accueilli par le sourire chaleureux de Françoise. Elle avait certes vieilli, mais elle gardait cet air enjoué. Les visiteurs se faisaient rares, elle était donc d'autant plus heureuse de recevoir un garçon pour qui elle avait beaucoup d'estime, qu'elle avait aimé comme un fils durant son séjour des années plus tôt. Elle avait été informée de sa venue par Tréville, quelques jours plus tôt. Elle ignorait la date exacte de son arrivée, alors chaque jour, elle venait sur le perron, espérant son visiteur.
Immédiatement Françoise lui ouvrit les portes et le fit entrer, impatiente d'avoir des nouvelles. D'Olivier bien sûr, mais aussi de Charles. Ils parlèrent des heures entières.
Athos n'osa pas lui dire qu'il ne voulait plus être appelé par le prénom que ses parents lui avaient donné. Devant elle, il redevenait un gamin. Son plaisir était tel qu'il ne voulut pas la décevoir. Il lui décrivit leur vie de mousquetaires, omettant certains épisodes qui auraient pu l'inquiéter mais ne manquait pas de mettre Charles en avant. Il le méritait. Il lui parla d'Aramis et de Porthos. Sans oublier le capitaine.
Devant elle, il fit revivre le régiment, les frasques du cardinal et la grandeur de la cour. Ne sachant trop ce que Charles lui avait raconté, il parla de leur rencontre. Ils en rirent ensemble. Elle n'était pas étonnée de la bévue de son fils, c'était bien dans son caractère de s'emporter ainsi.
Elle lui parla du temps qui avait passé. Des années sans Alexandre mais avec Jeanne, la jeune sœur de Charles qui avait bien grandi et avait été envoyée chez une tante, loin de l'agitation qu'avait connu Lupiac. Le manoir et les fermes alentour lui reviendraient mais Françoise gardait quelques fermes, plus loin, pour son fils. Si elle parvenait à les faire revivre. Athos s'engagea à l'y aider durant son séjour.
A la nuit tombée, il retrouva la chambre qu'il avait occupée autrefois. Elle n'avait pas bougé. Mais lui était bien plus courbaturé qu'à l'époque.
Il trouva le confort de son lit bien agréable après ces derniers jours. Il était nettement plus agréable que les méchantes paillasses des auberges et tellement plus que le sol du donjon.
Il se promit de se lever à l'aube, et de retourner dans les près s'entraîner. Cela lui manquait et il voulait retrouver les sensations qu'il avait oubliées.
Chose promise, chose due. Ce matin-là, il saute de son lit au lever à peine du soleil. Sans bruit, il se glisse dans l'escalier qu'il dévale et retrouve l'air frais. Mais pas de brume pour l'accueillir. La saison est encore trop fraîche et pas assez humide pour cela.
Il s'échauffe. Son corps est endolori par son voyage, mais cela lui fait du bien. Il se vide la tête. Il oublie un instant, la cour, Paris, les manigances du cardinal. Il se sent bien. Il est heureux. Il goûte le plaisir d'être à sa place.
Puis il rejoint Françoise car la journée promet d'être longue, ils doivent aller visiter les fermes, une par une et voir de quoi chacun a besoin pour remonter les murs, relancer la culture. Pour trouver les hommes aussi, car beaucoup ont fui. Vers les villes. Mais le travail manque.
Athos promet d'aller chercher quelques hommes, demain. Les fermes seront à nouveau habitées et cultivée. La terre ne demande que cela. Elle est riche.
Dans l'après-midi, il passe devant la chambre de Charles. La porte est fermée. Il pose la main sur la poignée. Mais se ravise. Ce n'est pas sa maison.
Peut-être plus tard, il demanderait à Françoise si elle le lui permet.
Le lendemain, il reprend le même rythme : lever à l'aube, échauffement. Il s'occupe de son cheval très heureux visiblement de profiter des herbes folles des près et de la stalle dans laquelle il a été logé comme un roi.
Il voit Jeanne qui est de retour chez elle. Elle n'a que peu de souvenir de la venue précédente d'Olivier, mais elle était encore bien petite alors. Elle a grandi et est devenue une jolie jeune fille de 16 ans. Pleine de vie comme sa mère et avec le franc-parler d'Alexandre. Athos retrouve quelques traits de Charles en elle, le côté entêté peut-être. Cela le fait sourire.
Les deux femmes ont le don pour lui rendre sa bonne humeur. Il se sent bien. Elles ont connu des épreuves elles aussi, la vie n'a pas été facile pour elles. Mais elles sourient, elles sont joyeuses et profitent de chaque moment qui se présente comme d'un cadeau.
Le secret était quelque part ici. Dans ce bonheur simple de la vie. Finalement Athos avait expliqué à Françoise, qu'il ne se faisait plus appeler par son prénom mais par ce patronyme, Athos. Elle avait accueilli la nouvelle avec surprise, mais comprenait ce qui motivait l'homme.
Athos a ce talent, qu'il avait voulu ignorer, mais ne pouvait plus refuser, il savait fédérer. Il est un meneur d'hommes et cela il comprit que Charles l'avait trouvé en lui. Parvenir à convaincre des hommes de revenir sur les fermes lui paru presque aisé. Le nom des d'Artagnan y était pour beaucoup, il en était persuadé, car la famille était appréciée et la confiance revenait vite. Après tout, cela faisait presqu'un an déjà que Lafarge avait été éliminé. Et tous savaient que l'arrestation était le fruit du travail des mousquetaires. Ils savaient aussi que le gascon avait sauvé l'honneur de sa famille et de tous les hommes de cette région. La nouvelle avait circulé. Tous savaient donc, que même si l'enfant d'Alexandre était loin, il n'oubliait pas, il restait fidèle à ses racines. Et cela importait plus que tout.
Ses racines, Athos avait voulu les oublier, et même pire, les réduire à néant. C'était une erreur. Il ne pouvait renier qui il était. Son père avait fait de lui l'homme qu'il était devenu, en grande partie. Un homme droit, honnête, une fine lame. Il lui devait cela.
Il en avait fini avec sa colère.
Presque toutes les fermes désormais avaient trouvé une famille, il n'en restait plus beaucoup à réinstaller. Françoise et sa fille veilleraient soigneusement sur chacune. Il le savait.
Il était bien dans ce manoir. La vie y était simple. Sereine. Loin du tumulte de Paris et de la filouterie habituelle de la cour. C'était reposant. Apaisant.
Charles avait raison. Ce lieu lui permettait de se reconstruire. Il pouvait imaginer une telle vie, mais savait qu'elle ne lui suffisait pas, il avait besoin de l'action que lui procurent les mousquetaires. Il avait, ancré en lui, soif de retrouver ses frères d'armes.
Ce n'était pas encore le moment de revenir au régiment. La compagnie pouvait encore se passer de lui. Il n'en n'avait pas terminé ici. Pas encore.
Aujourd'hui il parle avec Françoise du temps qu'il a passé à Lupiac. Il évoque le sentiment de paix qu'il a éprouvé. Il veut lui faire comprendre combien elle a compté pour lui et la place qu'elle occupe dans son cœur. Il se sent un fils pour elle.
Elle lui raconte combien il a été important pour sa famille, l'influence qu'il a exercée, même sans le savoir, sur son fils. Et le plaisir qu'elle a eu de l'avoir avec eux. Elle aurait voulu prolonger ce moment, mais ce n'était pas envisageable. Elle l'avait regretté, mais c'était ainsi. Et le plaisir indicible qu'elle avait de le retrouver aujourd'hui en sachant qu'il veillait sur son cher enfant.
Elle lui se lève alors et le conduit dans la chambre de Charles. Elle est restée telle qu'elle, au moment de son départ. Entretenue. Comme l'est le manoir.
Son regard balaye la pièce. Elle est simple mais confortable. Comme l'est la sienne. Cependant son œil est immédiatement attiré par un objet, accroché au mur. Il fait face au lit.
Le choix qu'avait fait d'Artagnan n'étonne pas Athos, il lui plait. Il savait en effet déjà ce qu'il voulait. Il était flatté par cette attention. La rapière était en bonne place, elle n'avait jamais quitté l'attention et le cœur du jeune homme. Elle l'avait conduit là où il était maintenant. Avec honneur. Il sourit, satisfait. Ce gamin avait grandi, de la bonne façon, à ce qu'il en voyait. Et il était une part de ce parcours de vie. Ce qui l'emplissait de fierté. Il n'était pas étranger à ce choix. La rapière le prouvait. Elle avait tracé le chemin que le gascon avait suivi, il en avait fait sa vie. Il avait eu raison d'ailleurs car il est un bon mousquetaire.
Athos se tourne vers Françoise, chacun porte des étoiles dans les yeux. La fierté se lit dans le visage de cette mère, elle est également présente pour Athos qui se redresse. Nul n'est besoin d'en dire davantage. Athos a compris qu'il est de son devoir de veiller sur ce garçon, pardon, sur ce mousquetaire. Comme sur la prunelle de ses yeux. Il se le promet. L'estime qu'il porte à cette femme est immense. Jamais il ne la trahira.
La vie est un risque qu'il s'engage à prendre, pour veiller sur d'Artagnan. Un homme qu'il a appris à connaître et qu'l respecte, un homme honorable. Un ami. Un frère. Un mousquetaire. SON frère.
- « J'ai noté que tu portais toujours le foulard que je t'avais donné. J'en suis flattée. Depuis tout ce temps ! Tu n'as jamais oublié Olivier... pardon, Athos »
- « Jamais. Je le porte comme une bannière. Il me rappelle une promesse et l'honneur qui doit guider chacun de nous. »
- « Tu as toujours été un bon garçon et tu faisais la fierté de tes parents, j'espère que tu le sais ! »
Le souffle coupé par cette réponse, Athos regarde Françoise. Il ne sait que dire.
- « Oui, to père était fier de toi. Mais je crois comprendre qu'il n'a jamais su te le dire. Alors laisse-moi te le dire pour lui. Pour eux ! »
Confus, Athos remercie Françoise. Il la salue, avec révérence. Cette femme vient de lui redonner foi, avec une simplicité qui l'honore. Ces mots, il les a attendus depuis toujours. Fallait-il que ce soit elle qui les lui dise !
Les jours qui suivirent ont été consacrés aux derniers devoirs qu'Athos s'était engagé à prendre. Il achève de trouver les fermiers qui vont s'occuper des terres pour Françoise, pour d'Artagnan et pour Jeanne. Cette famille qui est devenue la sienne, il y a quelques années et pour laquelle aucun sacrifice ne serait trop lourd. Mais qui ne demandait jamais rien. Qui se satisfaisait de ce que la vie lui apportait. De plaisirs ou de malheurs.
Mais le temps est venu de retourner à Paris, de reprendre sa place parmi les siens. Athos a achevé son temps ici. Il le sait. Françoise en est consciente et le laisse partir contre la promesse qu'il veille toujours sur son fils et qu'ils donnent des nouvelles, l'un ou l'autre. Athos promet. C'est le moins qu'il puisse faire.
Il était en forme, il s'était entraîné quotidiennement et cet éloignement lui avait permis d'achever de se libérer d'un passé qui lui pesait. Il repartait plus fort qu'il n'était venu. Son temps au manoir était arrivé à son terme, il reprend donc son bagage. Selle son cheval et après un dernier regard, un geste de la main, il retourne vers sa vie de soldat.
De retour à Paris, son premier réflexe est d'aller trouver le capitaine. Il se présente à lui pour lui signifier son retour, et prendre des nouvelles. Cela fait maintenant deux semaines qu'il s'est absenté depuis ce fameux soir.
- « Enfin, vous voilà. Il était temps. Nous avons de quoi nous occuper avec la mort du cardinal. »
- « J'ai entendu cela sur le chemin en effet. Le peuple semblait plutôt content. Il espère moins de taxes désormais ! »
- « Je crois qu'il ne faut pas en espérer tant, le roi a des projets d'envergure. Et l'Espagne n'attendait que ce moment pour bouger. »
- « Bien, je suis prêt, Monsieur. Il ne me reste plus qu'à retrouver mes compagnons ! Dieu seul sait où ils sont à l'heure actuelle. »
- « Vous les trouverez dans l'écurie. Ils se préparent, nous n'attendions plus que vous pour la mission que je vais vous expliquer. »
Atos s'installe sur une chaise, face au bureau de Tréville et écoute son capitaine. Voilà de quoi satisfaire chacun. Bouger leur fera du bien, ils ont attendu Athos bien trop longtemps.
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