Chapitre 9 (partie 1) : Par où l'histoire demeure cachée

Mousquetaire Une vie consacrée au roi, au royaume. Une vie de soldat. Mais pas un soldat ordinaire, un homme d'élite tel que ce siècle pouvait en compter. Des hommes d'armes dans la pure tradition des chevaliers.

Charles n'avait jamais osé y trouver sa place si rapidement.

Une place qu'il avait chèrement payée. Il avait fallu la mort de son père, son désarroi le plus profond et une chance inespérée. Une place qui l'amenait sans cesse à faire face à de nouveaux dangers.

Il avait trouvé dans ce régiment des hommes valeureux, certes toujours partants pour les plaisirs les plus simples, du moins Aramis et Porthos et une personne étonnante en Athos. Un frère qu'il portait dans son cœur depuis des années. Il n'aurait pu croire le revoir un jour. Les promesses d'un enfant de 5 ans se réalisent rarement à l'âge adulte. C'était un don du ciel pour lui de l'avoir retrouvé. De l'avoir comme ami et comme mentor. Car c'était ainsi qu'il estimait Athos, pour qui il avait un immense respect, mais ces derniers temps, il voyait bien que son ami n'allait pas bien.

Il voulait, plus que tout, l'aider mais se sentait maladroit. Il était toujours sur la réserve, toujours à distance. Il ne se laissait pas approcher. Pourtant Charles savait. Il n'ignorait pas son passé et le doute qui l'habitait depuis. L'amour était destructeur. Cela il pouvait le comprendre mieux que n'importe qui après ce qu'il considérait comme une trahison de la part de Constance.

Il lui en voulait et en souffrait plus qu'il ne voulait l'admettre. Mais cela importait peu. Pour le moment, celui qui l'inquiétait était Olivier. Non, Athos. Il ne voulait plus de ce prénom qu'il avait renié en abandonnant son ancienne vie. Il n'avait gardé que ce nom de famille.

D'Artagnan avait bien tenté de parler avec lui après qu'Athos ait envoyé Milady à l'autre bout du monde. Mais ce dernier avait refusé. Catégoriquement.

Il s'était arrangé pour que personne ne vienne trop lui parler. Il s'occupait l'esprit. Mais Charles n'était pas dupe. Il sentait bien que rien n'allait. Il changeait.

Même le capitaine avait noté son humeur encore plus maussade qu'à l'accoutumée. Ce qui n'était pas peu dire. Il restait peu en place, jamais trop longtemps au régiment. Il s'entraînait certes, mais une fois que tout était achevé, il partait. Seul.

Cela avait le don d'agacer Charles et surtout de l'inquiéter.

Un soir, il prit la décision de le suivre. Aucune mission en vue, ils avaient le temps. Sachant que si Athos se rendait compte qu'il le suivait, il aurait droit à une sacrée leçon, il se montrait prudent, mais se doutait que le mousquetaire irait en premier lieu dans ce qu'ils considéraient tous comme leur quartier général ; le Roitelet.

Et cela ne manqua pas. En effet, il retrouva Athos, attablé, un pichet de vin devant lui, un verre dans sa main. Seul. L'air mauvais retenait quiconque aurait imaginé de s'asseoir à sa table. Il faisait peur à voir.

Mais que lui arrivait-il donc ?

Installé dans un coin sombre, à l'abri du regard d'Athos, Charles s'installa. Il l'observait et attendait. Il voulait comprendre. Athos buvait, tant et plus que cela inquiéta encore plus le jeune gascon. Il allait finir par être totalement ivre. Mais que cherchait-il ? Cela ne pouvait que mal se terminer. Il abusait.

Certes, d'Artagnan n'était pas le dernier à boire. Comme tous, il aimait le vin. Porthos avait le don pour dénicher de bonnes bouteilles. Mais ce n'était pas une raison. A la longue, Athos risquait de se faire tuer par n'importe quel autre convive aviné ou énervé, s'il n'était plus en mesure de tenir son épée. Et ce n'est pas l'épaulière qui le sauverait. Certains s'en moquaient éperdument, d'autres au contraire, chercheraient bien quelque querelle facile avec un mousquetaire. Il n'était qu'à voir les gardes rouges. Tout prétexte était bon pour venir les provoquer. Et ils se feraient fort de clamer partout, à qui voudrait l'entendre qu'ils avaient tué un mousquetaire, ou enfermé dans une geôle.

Athos était leur chef, il ne pouvait risquer ainsi de mettre en péril leur groupe. Ou de compromettre les mousquetaires par un comportement aussi stupide.

Cela devait cesser !

Mais seul, que pouvait-il faire ? Il lui fallait l'aide de ses amis, mais il se doutait de la réaction d'Athos.

Chacun d'eux avait ses propres démons à combattre. Mais le vin n'était pas la solution. Pas ainsi. Pas tant.

Discrètement, d'Artagnan se lève et quitte l'auberge. Il doit se rendre à l'hôtel des mousquetaires et retrouver ses deux amis. En espérant qu'ils ne soient pas encore partis vers quelques soirées plus animées que la garnison.

La chance voulait qu'Aramis et Porthos soient restés à l'hôtel. Ils nettoyaient leurs armes. Cette activité les occupait souvent, surtout Aramis pour qui une arme devait toujours être rutilante et prête à l'emploi.

- « Messieurs, j'ai besoin de vous, maintenant. »

- « Tu es bien cérémonieux d'un coup ! Qu'est-ce que tu nous veux à cette heure ? »

Porthos fait mine de bailler.

- « J'allais me coucher ! Je suis épuisé de ne rien faire de mes journées, qu'attendre ! »

D'Artagnan le regarde, les yeux noirs.

- « Assez ! C'est important et il n'y a que sur vous que je peux compter ! »

Se rassemblant sur un coin de la table, les trois hommes se mettent à parler, à voix basse. Il n'est pas question que quiconque entende ce qu'ils vont se dire.

- « Athos ne va pas bien. Depuis Milady. Vous l'avez sûrement remarqué. Il nous évite, il passe son temps seul. Et il écume toutes les bouteilles du Roitelet depuis des jours ! »

- « Oui, c'est évident mais que pouvons-nous y faire ? Tu comptes retrouver Anne et la tuer pour lui ? Je ne suis même pas certain que cela soit la solution à son problème ! » l'interrompt Aramis.

- « Non, certainement pas. Mais je pense qu'il a besoin de notre aide. Il ne peut continuer ainsi. Il va se perdre. »

Porthos hoche la tête en signe d'assentiment. Il a bien conscience des excès dans lesquels Athos se plonge.

- « Comment ? As-tu une solution ? Parce que j'ai beau chercher, je ne vois pas comment nous pourrions intervenir ! »

- « Nous devons l'obliger à arrêter de boire ! » réplique d'Artagnan.

- « Et comment devons-nous nous y prendre selon toi ? » interroge Aramis.

Porthos les regarde tour à tour.

- « Tu es bien conscient qu'il va nous tuer après ça ? »

D'Artagnan sourit.

- « Ce sera lui ou nous ! Qu'est-ce qui est pire ? »

- « Après tout, nous tournons en rond ici ! Cela fait longtemps que nous n'avons pas cherché des histoires. Cela commence à se faire sentir, je me rouille » ironise Porthos.

La décision est donc prise. Tous se lèvent, d'un seul mouvement, et s'équipent rapidement. Une chance que les armes soient prêtes.

S'éloignant à pied mais les chevaux à la main, les trois hommes se rendent au Roitelet. Ils attachent les chevaux car ils ne savent trop ce qu'ils vont trouver ni dans quel état sera leur ami. Ils ont emmené avec eux son frison, animal particulièrement calme et docile, solide. A l'intérieur, ils trouvent, fidèle à son poste, Athos. Les bouteilles se sont amoncelées devant lui, mais le verre est vide désormais. Il semble éteint. Absent. Les yeux sont plongés vers la table. Il ne regarde rien mais semble abîmé en lui. Loin. Très loin.

- « Athos ? Athos, tu es où là ? » glisse doucement Aramis, inquiet de le voir ainsi.

Athos lève légèrement le nez de son verre, mais ne réagit pas comme espéré. Même pas un mot désagréable pour les repousser, rien.

- « Allez, viens, il est temps de laisser ces bouteilles et d'aller ailleurs ! » suggère d'Artagnan.

Porthos l'aide à se redresser et tous trois quittent le Roitelet. Athos, suit le mouvement, mécaniquement. Mais il semble bel et bien être allé trop loin cette fois.

Les hommes avaient convenu, sur le chemin qui les menaient au Roitelet de le conduire jusqu'à cet ancien château, en ruines, qu'ils avaient découvert lorsqu'ils cherchaient Dauget. D'Artagnan ne s'était pas attardé, raccompagnant alors Constance chez elle, mais Porthos et Aramis avaient fait le tour des lieux et découvert un donjon encore en état. C'étaient là qu'ils comptaient emmener leur ami. Il y serait tranquille, pas de voisin et eux seraient sereins car personne n'y venait jamais.

Ils n'avaient pas informé le capitaine de leur départ, mais ils savaient qu'il n'ignorait rien. Il comprendrait et surtout cela leur évitait de voir leur ami jeté du régiment. Car, et cela aucun ne l'ignorait, si c'en était fini pour lui, cela le serait aussi pour eux.

Le lieu était donc tout trouvé et il avait en plus le privilège de ne pas être trop loin car même si le cheval d'Athos était un animal confiant et qui aimait profondément son cavalier, se montrant particulièrement doux et tranquille quand ses amis l'aidèrent à le monter, il n'était pas certain qu'Athos parvienne à garder sa selle bien longtemps. Ils ne pouvaient que parcourir la distance au pas, ce qui la rallongeait suffisamment.

Lentement, avec précaution, ils conduisaient leur ami. Ce dernier maugréait, mais personne ne savait vraiment à qui il s'adressait. De toute façon, rien n'était clair dans ce qu'il disait.

Sur place, l'installation était sommaire. Un donjon, quelques vieilles pierres ici et là, formant un muret qui s'usait avec le temps. Mais ce qui les intéressait le plus était cette tour qui tenait encore bon face aux éléments. En bonnes pierres, elle était solide. Et ne disposait que d'une seule entrée. Aucune sortie, aucune échappatoire possible. C'était bien assez pour ce qu'ils comptaient faire. Et leur ami pourrait y passer le temps nécessaire. Pour se retrouver.

Ils accompagnent Athos dans la tour et ce dernier cherche des yeux où ils le conduisent. Il ne comprend pas.

Bourru, il s'en prend à eux.

- « Quelle est votre idée, là ? Vous cherchez quoi ? »

- « On va se poser là, cette nuit. La suite, tu verras. »

Il n'est pas question de lui dire quoi que ce soit. Il serait capable du pire.

D'Artagnan a choisi de veiller le premier, il s'installe donc pendant que ses deux amis vont s'occuper des chevaux restés dehors. Il faut leur trouver un abri pour la nuit. Et ensuite, trouver un endroit pour eux, ce qui n'est pas évident dans ce lieu à l'abandon. Mais ils ont l'habitude des nuits à la belle étoile après tout.

Athos ne comprend pas et cela l'exaspère. Il veut savoir le fin mot de cette histoire. Que font-ils ici ? Pourquoi être partis de nuit ? Pourquoi Charles est-il resté avec lui ? Il se trame quelque chose mais il n'en voit pas la raison. Il tente d'interroger d'Artagnan, mais systématiquement celui-ci évite de le regarder et de lui répondre. Il commence à se méfier. Il cherche à se souvenir tout en tournant en rond dans ce donjon.

Alors qu'il veut sortir et met la main sur la poignée, d'Artagnan l'arrête.

Enfin, il semble réagir. Mais pourquoi l'arrêter ?

- « Qu'est-ce qu'il se passe ? Dis-moi bon sang ! » crie-t-il

- « Tu as besoin de t'éloigner de Paris. Et nous aussi. Un peu de changement nous fera du bien. Nous devenons tous fous à rester sans rien faire. Et le roi n'a pas besoin de nous pour le moment. Il est bien trop occupé avec le cardinal. Nous partons donc quelques jours. »

- « C'est Tréville qui vous l'a demandé ? Que veut-il ? »

« Non. C'est nous. Mais Tréville sera du même avis, c'est »

- « Sera ? Il n'est pas au courant ? Il va nous prendre pour des déserteurs » l'interrompt-il

- « Ne t'inquiètes pas. Nous l'informerons. De toute façon, je ne doute pas qu'il sait déjà, tu sais qu'il est toujours informé de tout ! »

D'Artagnan l'observe, il voit que son ami se pose mille questions. Et soudain, il réalise qu'ils n'ont pas pensé à lui retirer ses armes.

- « Tu devrais me donner tes armes, d'ailleurs. Ce serait plus malin dans ton état ! »

- « Mon état ? Quel état ? J'ai bu, d'accord. Mais ce n'est pas la première fois. Et je sais encore ce que je fais ! »

- « Si, tout de même, plus qu'habituellement. Disons, un peu trop. Et comme nous sommes en sécurité ici, tu peux déposer ton épée et on pistolet. Sans oublier ta dague, bien sûr » lance-t-il avec un sourire contrit.

Il se défait lui-même de son épée et de tout son attirail, comme pour montrer le mouvement à Athos. Le tranquilliser un peu et puis parce qu'après tout, si jamais l'idée venait à Athos de s'en emparer, cela compliquerait bien les choses. Inutilement.

Il rassemble le tout dans un coin, près de la porte.

- « Voilà, c'est fait. Plus léger maintenant. Je vais pouvoir me poser un peu. »

Et d'Artagnan se pose un peu plus loin, à même le sol, jambes tendues. Comme pour une nuit paisible.

Athos reste surpris, ce n'est pas dans leurs habitudes de se séparer de leurs armes. Et si quelqu'un venait ?

Puis il se rappelle ses amis, dehors. Il dépose, à son tour, ses armes. A côté de celles de d'Artagnan.

Et va s'asseoir. Plus loin. Il reste sur le qui-vive. On ne se refait pas. Soldat un jour, soldat toujours. D'Artagnan est trop confiant.

- « Tu penses toujours que rien ne va nous arriver et à chaque fois, il nous tombe une histoire sur le dos. Tu sais, le cardinal a encore des ressources pour nous gâcher la vie ! Il n'a pas dit son dernier mot. Vous espérez que Tréville va donner son aval pour notre escapade nocturne ? »

- « Il sera bien temps, demain ou un autre jour, de se préoccuper du cardinal et de ses affaires ! Pour le moment, celui qui me préoccupe, c'est toi ! »

- « Moi ? Et pourquoi ? »

- « Parce que toi tu ne vas pas bien. Depuis ce fameux jour où tu as laissé partir Milady. Pourtant tu as eu raison, j'en suis convaincu. »

- « Ne me parle plus jamais d'elle. Je veux l'oublier ! »

Le regard d'Athos se fait noir, il ne supporte plus d'entendre ce nom. Il ne sait plus s'il a bien fait ou non de l'épargner. Il pensait, par ce geste, se sauver lui-même, mais il n'en n'est plus sûr. Cela le travaille, jour et nuit. Il ne cesse de penser à tout ce qu'elle a commis et s'en veut. Il aurait dû l'exécuter lui-même à l'époque. Mais pourquoi fallait-il que Charles lui reparle d'elle ? Il avait presque réussi à ... non, il n'y parvenait jamais totalement.

Furieux, il se lève et s'approche de Charles. Il le toise.

- « Tu m'entends ? Je ne t'autorise pas à me parler d'elle ! Tu ne sais rien. D'elle. De moi ! »

D'Artagnan lève les yeux vers lui, voit sa fureur et lui jette, à son tour, un regard sombre.

- « Parce que tu crois être le seul à souffrir ? »

- « Mais je ne vous ai rien demandé ! A aucun de vous ! »

- « Tu détruis notre groupe, Athos ! Ton comportement ces derniers temps nous conduit à la chute. Tous ! »

- « Qu'est-ce que vous me voulez à la fin ? »

Le ton monte entre les deux hommes. Cela inquiète Aramis et Porthos qui se sont appuyés sur le mur extérieur du donjon et entendent leurs amis se disputer. D'un seul homme, ils décident d'entrer à leur tour. Prudents, ils ouvrent la porte, prêts à intervenir. Ils voient Athos penché au-dessus de d'Artagnan, ce dernier semble vouloir se lever mais hésiter à le faire, pour en pas provoquer davantage. Ils sont furieux tous les deux, ce qui n'est pas la meilleure façon d'amener le sujet dont ils veulent parler et qui va forcément provoquer la colère d'Athos. Mais il est déjà en colère. Et cela ne va pas aller en s'améliorant. Ils se regardent.

Porthos, qui garde l'esprit pratique, repère les armes posées au sol et s'en empare. Il vaut mieux se montrer prudent, étant donné l'état de leur ami.

Aramis s'approche, doucement.

- « Eh ! Doucement ! Vous allez faire peur aux chevaux avec vos cris ! »

Les deux hommes se font toujours face, d'Artagnan préfère se lever. Rester assis, à attendre, ne lui convient pas.

- « Tu n'as pas encore compris ? Tu n'es plus dans ton état normal Athos ! I faut que tu arrêtes ! Maintenant »

Charles est debout, face à Athos. Ils n'ont même pas vu ni entendu les deux hommes qui sont entrés. Il n'y a plus qu'eux deux dans cette pièce. Et le monde s'est réduit à ce que leurs yeux entrevoient entre la colère et la nuit. La rage prend Athos, et il frappe, sans réfléchir. Il a besoin d'évacuer sa haine et son ressentiment. Il les a gardés trop longtemps au fond de lui. Le visage déformé par toute cette rage qu'il retenait. Il frappe encore.

Charles ne se défend pas. Il laisse Athos s'exprimer. C'est plus fort que lui, il veut aider son frère.

Les poings sont serrés, ils frappent. Fort. Il veut faire mal, mais c'est à lui-même qu'Athos s'en prend. Il ne voit plus le visage de Charles, il ne voit que son reflet. Il se déteste.

Porthos qui est revenu, après avoir placé les armes en sécurité, trouve son ami interloqué, qui regarde ces deux hommes. Les coups pleuvent.

- « Aramis ! Allons-y ! »

Et tous deux se jettent sur Athos, l'empoignent et tentent de le maîtriser. Mais la colère est plus forte encore.

- « D'Artagnan, sors ! » cris Aramis.

Il hésite, est-ce trop tôt ? Mais il va forcément répondre à son frère à un moment, il ne va pas pouvoir le laisser le frapper ainsi. Il a le cœur brisé de le voir dans cet état de rage folle.

Le visage tuméfié, il finit par sortir. Laissant libre cours à la hargne d'Athos, entre les mains d'Aramis et Porthos.

Puis Aramis, à son tour, le rejoint. Il va chercher une gourde d'eau pour mouiller un linge qu'il passe à d'Artagnan.

Porthos arrive enfin, il ferme la porte et la bloque. Il ne vaut mieux pas qu'Athos sorte, enragé comme il est.

Derrière les murs, Athos crie. Furieux. Fou. Il ne sait plus à qui il parle, peut-être à personne, peut-être à tout le monde.

- « Il vaut mieux le laisser seul pour le moment » rassure Aramis.

- « Sauf si tu as envie de prendre d'autres coups ! Ça va lui passer. Il faut juste attendre. »

- « Attendre ? Mais jusqu'à quand ? » s'inquiète d'Artagnan.

- « Ça peut durer un moment. Là, il ne sait plus qui nous sommes. Et ce n'est que le début. D'après ce que j'en sais, cela peut durer des jours ! »

- « Il va falloir informer le capitaine. Il sera furieux de notre départ. »

Porthos soupire.

- « Quoi qu'il en soit, il sera furieux. Pas grand-chose de différent mais il a bien vu dans quel état se mettait Athos ces derniers jours. Il comprendra. »

- « J'irai le prévenir demain ! »

- « Avec la tête que tu vas avoir demain ? Tu ferais peur à un mort. J'irai plutôt. » s'amuse Aramis.

D'Artagnan grimace. Heureusement qu'il n'a personne à voir en effet. Demain, il risque d'avoir du mal à ouvrir l'œil. Il attrape une gourde et boit un coup.

- « Laisse-nous faire cette nuit. Je crois que c'est mieux ! » précise Aramis.

- « Oui, je vais aller me coucher. Mais réveillez-moi si besoin. »

D'Artagnan s'éloigne pour aller chercher son couchage et revient s'installer près du feu que ses amis ont préparé. La nuit va être longue encore. Athos est toujours à crier, seul, dans son donjon. Il s'époumone mais il est encore très énergique.

Aramis va se poser contre le mur du donjon. Non loin de la porte. Prêt à intervenir si nécessaire. Porthos reste près du feu pour le moment. Mais l'œil est vif, et l'oreille tendue. Il guette.

D'Artagnan s'endort. Le sommeil est lourd mais agité. La fatigue l'a gagnée. Athos n'a pas eu la main légère, il frappait pour faire mal et il a réussi. Mais d'Artagnan sait qu'il ne le frappait pas lui. Il s'en veut de l'avoir laissé faire et surtout, par-dessus tout, il s'en veut d'avoir autant tardé à intervenir. Ils auraient dû l'arrêter avant. Ils l'avaient tous vu, ils savaient. Mais ils n'ont pas bougé. Il espère que ce n'est pas trop tard.

Peut-être auraient-ils dû en parler à Tréville. Le capitaine devait certainement avoir déjà connu ce genre de situation. Toutes ces pensées tournaient dans sa tête et l'empêchaient de trouver un sommeil réparateur. Il se tourne sur sa couche.

Finalement il a sombré, mais un grand fracas le réveille brutalement. Athos frappe contre la porte, tenant de l'ouvrir. Il n'y parvient pas, mais Porthos et Aramis sont debout, contre elle et surveillent. S'il parvenait à s'échapper, Dieu seul sait ce qu'il pourrait faire dans l'état où il se trouve.

D'Artagnan s'assied. Il a perdu le sommeil mais son visage le brûle. Son œil reste à demi-fermé. Il a gagné à provoquer Athos. Il était en colère lui-même, pas contre Athos, mais contre lui-même et contre Constance. Il aurait voulu être face à elle et lui dire ce qu'il avait sur le cœur. Il ne parvenait pas à s'y résoudre. Depuis la colère montait en lui. Il l'avait sentie. Injuste ; Sourde. Athos éprouvait les mêmes sentiments. Mais depuis bien plus longtemps que lui. Ce qui expliquait sûrement qu'il en soit arrivé là. Anne lui rendait la vie impossible. Charles ne comprenait pas le plaisir qu'elle prenait à chercher toujours son mari, pourquoi elle ne s'était simplement pas enfuie, loin. Mais il entendait son frère qui hurlait sa rage maintenant. Il était furieux contre ses amis à qui il criait d'ouvrir. Il valait mieux éviter. Par moment, il frappait. De toutes ses forces. Mais en vain. La porte était solide et bien calée. Il valait mieux pour retenir Athos.

Il n'avait certes pas la force colossale de Porthos mais porté par la rage, il en devenait véritablement dangereux.

Au fur et à mesure que les heures défilaient et que la nuit commençait à laisser place au jour, Athos enrageait.

Bientôt la rogne laisserait place à la colère froide et là il vaudrait mieux se trouver loin de lui. Mais avant, il aurait fort à faire encore. Les heures qui suivraient seraient essentielles pour tous. Athos accepterait-il son sort ? Ses démons prendraient-ils le dessus ?

Le jour se lève enfin, sur la petite troupe. Le visage de d'Artagnan portait les stigmates de la veille. Aramis vient le voir pour admirer l'œuvre des poings d'Athos.

- « Te voilà avec une belle figure ! Tu vas pouvoir rester ici quelques temps avant que tout n'ait disparu. »

D'Artagnan s'agace.

- « Vas t'occuper de prévenir le capitaine avant qu'il n'envoie la troupe ! »

- « Je pars de suite. Tu vas réussir à ne pas provoquer Athos en attendant mon retour ? Ou je dois prévoir ma trousse ? »

- « Que te faut-il ? Une promesse ? Je reste avec Porthos, je ne bouge pas d'ici. Est-ce que cela te suffit ? »

Rassuré par un d'Artagnan calmé, Aramis peut quitter provisoirement ses amis et se rendre à l'hôtel des mousquetaires. Il se doute que l'accueil du capitaine ne sera pas des plus plaisants mais il ne peut y couper.

En effet, à son arrivée, le capitaine l'attend sur sa rambarde et le convoque immédiatement en son logis.

Quatre à quatre, Aramis monte. Lui non plus ne veut pas perdre son temps, il préfèrerait être avec ses amis, mais il a besoin de l'aide du capitaine. Athos ne pourra pas rester éloigné du régiment sans son aval.

- « Où êtes-vous allé vous réfugier ? Que vous est-il passé par la tête de partir ainsi ? »

- « Athos avait besoin de nous. Monsieur. Et maintenant nous sommes cloîtrés avec lui, dans l'ancien fort. A la sortie est de Paris. »

- « Je vois. Et comment s'en sort-il ? »

- « Plutôt bien, mais le pire reste à venir. Du moins je le crains. »

- « Vous ne serez pas trop de trois pour le retenir. Cela va être difficile. Attendez-vous au pire effectivement. Il ne va pas se laisser faire. Vous pouvez compter sur Athos pour vous compliquer la tâche ! Prenez le temps qu'il vous faut. Mais dites-vous que la partie n'est pas gagnée ! »

- « Vous savez où nous trouver capitaine si vous aviez quelque affaire à nous transmettre. »

Tréville s'assied à son bureau et griffonne quelques mots sur un billet qu'il remet à Aramis.

- « Un billet à ordre, si vous aviez besoin de quitter Paris. Ce qui ne manquera sûrement pas d'arriver ! »

- « Merci capitaine. Nous ne manquerons pas de vous tenir informé. Dès que possible. »

- « J'y compte bien. Une chance que le cardinal soit occupé ! »

Aramis s'en retourne après avoir chargé quelques provisions. Les jours qui vont suivre risquent de trop les tenir éloignés. Mais Serge veillé sur eux et préparé ce qu'il fallait. Comme ils s'y attendaient tous, Tréville avait compris, sans un mot de leur part, ce qui se tramait dans son dos. Il ne faisait aucun reproche, il saisissait parfaitement le projet des trois amis et les soutenait. Sans rien en laisser paraître au premier abord. Il avait toujours veillé sur ses hommes, comme un père pour chacun. Il les avait choisis, il les guidait et les surveillait. Il était bien plus qu'un capitaine pour la plupart.

Avant de repartir pour le fort, Aramis passe prendre sa bible qu'il a laissée dans son logement. Le temps allait s'écouler et la lecture était toujours une saine occupation.

De retour au fort, Aramis trouve ses amis assis, discutant, et Athos visiblement silencieux. Du moins, aucun bruit ne sort plus du donjon.

Pour le moment. Le rai de lumière dispensé par la seule meurtrière doit lui indiquer qu'il fait plein jour. Mais cela lui importe-t-il réellement ?

- « Alors ? Comment le capitaine a-t-il pris la nouvelle ? » s'inquiète d'Artagnan. « Sommes-nous considérés comme déserteurs ? »

- « Non. Du tout. Il se doutait de notre plan et s'est plutôt montré affable. Il nous accorde quelques jours pour le remettre en forme. Il estime que c'est le bon moment. Au final, cela a été plutôt facile. »

- « Et tu nous rapportes quoi dans tes sacoches ? »

- « Des provisions de la part de Serge ! Il savait que tu ne tiendrais pas longtemps sinon, Porthos ! »

- « Alors allons vider ces sacoches. J'ai faim ! » se réjouit le mousquetaire.

Mais Athos en a décidé autrement. Il se remet à frapper sur la porte, comme un damné.

- « Porthos, fais-moi sortir ! invective-t-il de toutes ses forces. Maintenant ! »

Porthos regarde d'Artagnan puis Aramis. S'il s'écoutait, il irait, de suite, voir Athos mais il sait que ce serait une erreur. Il n'était pas prêt encore. Pas maintenant. Pas encore.

- « Foutus mousquetaires ! continue l'homme, vous savez que je vais vous tuer quand je sortirais de là ! Vous ne pourrez me retenir éternellement ! »

Les menaces sont sérieuses, ils le savent tous. Mais ne pas abandonner la partie est plus important que l'irascibilité d'Athos. Elle passerait.

- « D'Artagnan, traitre ! »

Le « traitre » fait grise mine cet après-midi. Il a mal à la tête et s'en veut encore tellement. Il n'aurait jamais dû...

- « Tu as bien fait, d'Artagnan, dit Aramis en posant une main sur son épaule. Tu as bien fait ! Mais c'est maintenant que cela va être compliqué pour lui. Et forcément, il dira des choses qu'il ne pense pas, pensera des choses qu'il ne veut pas. Ce ne sera pas lui. Pas vraiment. »

- « Je sais. Mais ça reste difficile. Le voir ainsi ! Nous aurions dû intervenir plus tôt ! J'aurai dû »

- « Rien du tout. C'est lui qui s'est mis là, il va devoir en sortir. Seul. Mais pas tout à fait. Allons. N'y pense plus, ce qui est fait est fait et nous ne regretterons rien demain ! »

- « Peut-être, mais en attendant, ça me fait mal au cœur de le voir comme il est. Il va devenir fou là-dedans ! »

- « Non, il va nous en vouloir. Mais pas aussi longtemps que nous nous en serions voulus de ne pas être intervenus. »

- « Peut-être devrions-nous lui porter quelque chose à manger, non ? »

- « Attendons un peu. Il ne semble pas en état pour qu'on ouvre la porte encore. »

Porthos se lève, va jeter un œil depuis la meurtrière, voir s'il peut trouver Athos et jauger de son état. Mais à peine a-t-il regardé, qu'Athos se jette face à lui. Heureusement les murs son épais. Il ressemble à un fou. Les cheveux en bataille, les yeux exorbités par la rage qui l'habite. Il le regarde mais ne le voit pas.

En plein délire, Athos parle. A qui ? Nul ne sait. Mais visiblement il répond à quelqu'un qui lui parle. I est pourtant bien seul dans ce donjon.

Il invective son interlocuteur imaginaire. Porthos entend ces mots :

- « Ne vous aies-je jamais rendu fier ? »

A qui peut-il parler ? D'un signe de la main, Porthos appelle ses amis qui se précipitent à ses côtés. Ils tendent l'oreille.

- « Toujours des reproches ! Jamais une parole d'encouragement. Je sais que vous préfériez Thomas. Et alors ? »

Les trois hommes comprennent. Athos parle avec son père. Du moins l'idée qu'il se fait de son père. Le nom de Thomas, Charles l'a entendu, quand ils étaient à Pinon. Le frère d'Athos.

Mais le voilà, maintenant, aux prises avec un ou une autre :

- « Je vous aimais, vous m'avez trahie ! » Sa voix gronde, Athos tremble face à celle qu'il imagine. Il voudrait la tuer, mais n'y parvient pas.

Cette fois, il s'adressait à Anne. Son seul et unique amour. Cette femme à cause de qui il était là, avec eux. A côté d'eux. Mais si loin.

- « Athos ! Athos, calme-toi ! Il n'y a personne. » Tente de dire d'Artagnan.

- « Charles, j'aurai voulu ne jamais t'avoir connu ! Pourquoi es-tu venu ici ? »

Blessé Charles recule. Instinctivement. Aramis et Porthos se tournent vers lui, le regard triste.

- « Il ne le pense pas. Sois-en sûr ! » dit gentiment Porthos.

Mais Charles a pris ce coup en pleine figure. Il le blesse plus que les coups de poings d'hier soir. Son amitié avec Athos lui importe plus que tout et se sentir rejeté par lui le heurte effroyablement. Bine plus qu'il ne voudrait le montrer. Mais Charles ne sait pas dissimuler.

Il s'éloigne. Choqué. Affecté. Ses amis le laissent partir mais le suivent du regard. Ils ont compris. Porthos sent la colère monter en lui, il estime Athos injuste avec celui dont il dit qu'il est son frère et qui lui doit la vie, comme chacun d'eux ici. Car d'Artagnan n'a jamais compté sa peine pour les sortir des guêpiers dans lesquels ils s'étaient fourrés.

- « Non Porthos. Ce n'est pas ce qu'il voulait dire. Je vous ai prévenus. Il va chercher à nous faire du mal, parce qu'il souffre lui-même ».

- « Il a réussi ! Regarde le gamin, il ne s'en remettra jamais. »

Porthos grogne, il voudrait attraper Athos et lui faire ravaler ses mots. Mais Aramis le retient.

- « Ce n'est plus un gamin. Et il s'en remettra. Il oubliera. Du moins je l'espère. Mieux ferions-nous de nous éloigner, nous ne servons à rien là. Il délire complètement. Et cela risque de durer encore toute la nuit. »

Les deux hommes s'éloignent mais laissent d'Artagnan seul. L'un fait mine de ramasser du bois pour leur feu et l'autre de s'occuper des chevaux.

D'Artagnan, le cœur au bord des lèvres voudrait pleurer. Mais il ne se le permettre. Il prend sa tête entre ses mains, tente de penser à autre chose, mais les mots d'Athos résonnent encore.

Plus jamais il ne serait Charles, il ne garderait que d'Artagnan. Charles était mort. Athos l'avait voué aux gémonies. Mais Aramis avait raison, ce n'était pas Athos. Pas leur ami du moins. Pas celui auprès de qui il était depuis presque deux ans maintenant.

Il se lève et va marcher. Il a besoin d'être seul. Un petit moment. Puis une idée naît dans sa tête. Mais il verra tout à l'heure, avec ses amis.

Aramis s'installe près du feu, il prend sa bible et lis, tranquillement. Mais en réalité, il n'en n'est rien. Il ne lit pas, pas vraiment. Il réfléchit. Porthos, lui, préfère râler sur le feu qui a décidé de ne pas prendre ce soir et qui tarde à s'allumer. Cela lui évite d'aller cogner alors qu'il en meurt d'envie.

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