Chapitre 3 : Par où l'histoire se poursuit
Tréville est concentré devant un amas de documents variés. Athos a frappé mais n'entendant pas de réponse il s'est permis de pousser la porte du logis du capitaine. Il a besoin de ses conseils, de son avis qui est toujours juste et posé. Il hésite devant l'homme affairé et s'arrête un instant.
- « Une minute, je dois absolument terminer cette lecture, sinon, je devrais tout reprendre ! »
Athos recule d'un pas, laissant le capitaine se concentrer. Il n'envie pas sa place et préfère de loin être simple mousquetaire, même s'il sait qu'aux yeux du capitaine il est plus que cela. Cette paperasse l'ennuie, cela lui rappelle trop quand il gérait son domaine et devait sans cesse tout surveiller. Trop fastidieux pour lui ; c'est un homme de terrain, il a besoin de mouvement, d'action. C'est nettement plus confortable. Un ordre, une mission et le voilà sur les routes, chevauchant avec ses compagnons.
A propos de compagnons.
Il revient d'un regard sur le capitaine qui, à ce moment précis, lève le nez de ses papiers, repousse le tout d'un geste et l'observe.
- « Que voulez-vous me dire ? Vous semblez marcher sur des braises chaudes ! »
Tréville s'amuse de le voir ainsi, maladroit, malaisé, mais cela l'interroge dans le même temps car Athos n'est pas coutumier des hésitations et tergiversations. C'est un homme qu'il apprécie par-dessus tout car il est droit, carré, franc. Pas toujours de bonne compagnie, avouons-le, car parfois grognon voire franchement de mauvais poil, mais c'est net, cela se sait de suite et il ne s'en cache pas. C'est un homme qui a un passé douloureux. Tréville le connaît, du moins pour l'essentiel, il connaissait bien la famille.
- « Vous avez incorporé le jeune d'Artagnan aux cadets, mais je voudrais m'entretenir avec vous à son propos. Pensez-vous que cela soit une bonne idée ? » Athos va fermer la porte du logis et s'assied en face de Tréville. « Vous me connaissez, je n'ai pas pour habitude d'hésiter mais là, je ne sais pas par quel bout prendre les choses ! »
Tréville va pour répondre vertement. Depuis quand son jugement est remis en question ? Il est capitaine des mousquetaires et son expérience parle pour lui. Athos est certes le meilleur épéiste qu'il ait vu depuis longtemps et un homme de valeur, mais de quel droit se permet-il de le contredire ? Il sent cependant qu'Athos est ailleurs, il préfère l'inviter à parler, s'il le rabroue, Athos va - comme toujours - se renfrogner et se taire. Ce qui ne serait pas une bonne chose car il n'aurait pas réglé ce qui le préoccupe or l'affaire qu'il souhaite lui confier, à lui et ses hommes, requiert toute son attention.
- « Je n'ai pas coutume de demander leur avis aux hommes pour choisir mes mousquetaires. Mais passons. Dites et nous verrons bien ce que nous pourrons faire pour vous ôter cette épine du pied. Vous m'avez l'air bien plus maussade que d'habitude.
Pourtant vous devriez vous réjouir d'avoir été innocenté par vos amis dont ce jeune cadet et la compagnie semble avoir gagné un homme de valeur dans cette affaire. »
Tréville songe à d'Artagnan, il se souvient de ce bambin qu'il avait croisé rapidement mais sans y prêter plus attention et même s'il avait reçu un courrier d'Alexandre lui demandant si son fils pouvait intégrer la jeune compagnie, il ne s'était pas attendu à le voir débarquer ainsi à l'hôtel des mousquetaires.
Il avait été le premier surpris en un sens, mais doutait qu'Athos se souvienne véritablement de lui.
- « Oui, justement, c'est de cela que je voulais m'entretenir avec vous. Je me suis souvenu de cet été, il y a plus de 10 ans, quand je vous avais accompagné avec mes parents et que nous nous étions arrêtés à Lupiac. J'ai passé un peu plus d'une semaine dans cette famille et j'ai appris à connaître Charles. »
Tréville l'interrompt.
- « Mais c'était encore un gamin ! »
- « Oui et non. Certes il était très jeune mais j'ai découvert qu'il était déjà passionné par l'escrime et qu'il savait manier une arme. Je l'ai pris sous mon aile et lui ai appris à s'en servir efficacement. Il apprenait vite. Il était doué déjà malgré son jeune âge et il voulait tellement apprendre. J'ai guidé ses premiers pas mais ensuite j'ai dû rentrer et je ne l'avais jamais revu. Je n'y pensais même plus et voilà qu'il me tombe dessus ! »
- « J'ai bien conscience que cela vous a surpris Athos, mais qu'envisagez-vous ? »
- « Justement je ne sais pas et c'est ce qui m'amène à vous demander conseil. Je me souviens de cet été, et je me souviens d'une promesse faite, mais dois-je lui en parler ? Pensez-vous que cela soit une bonne idée ? Il vient de perdre son père, il est déboussolé, et il est jeune encore. »
- « Il me semble qu'il n'a pas attendu pour vous chercher ! Et querelle qui plus est. Je pense que lui ne se souvient pas, laissez-lui le temps dans ce cas. Voyez comment il réagit et quel homme il est devenu réellement. Il me semble encore très inexpérimenté et a bien besoin d'apprendre. Avec vous trois, si vous ne faites pas n'importe quoi, il aura de bons conseils. Mais méfiez-vous, ne vous laissez pas attendrir. Le cardinal ne cessera jamais de nous mettre des bâtons dans les roues ! »
Athos entend les conseils de Tréville mais cela le dérange, il a l'impression d'être malhonnête envers Charles. Il a fait une promesse et quand bien même ils étaient enfants tous deux, cette promesse existe. Elle doit être honorée, il y va de sa parole. Et il n'est pas homme à se dédire. Il se promet donc, encore une fois, de veiller sur ce jeune homme. Il va le suivre, lui apprendre et ne lui fera pas de fleur, les temps ne s'y prêtent guère. Tréville a raison, le cardinal se charge de leur pourrir l'existence. Il fera tout pour écraser la compagnie. Or Athos y a trouvé une famille, plus accueillante que celle qui fut la sienne. Charles et les siens ont été une parenthèse bien agréable et douce dans sa mémoire, et il n'a rien oublié.
Mais il n'était pas temps de se laisser attendrir. Il avait sa réponse, mieux valait attendre en effet.
- « Je vous remercie. Je vais suivre votre conseil, cela me semble plus raisonnable. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il est encore bien inexpérimenté. Il arrive à peine de sa province et déjà le voici engagé aux mousquetaires. »
- « Il a été à bonne école, je connaissais son père et le savais homme de valeur et de principes. De même, j'avais conseillé Alexandre concernant son maître d'armes. Je ne doute pas que notre jeune ami aura su apprendre les meilleures leçons auprès de lui. Et de toute façon, il a signé comme cadet. Vous ne pouvez rien y faire, c'est un gascon, il est entêté ! »
Athos s'apprête à sortir, conforté par les propos de son capitaine. Mais ce dernier le rappelle alors qu'il est près de la porte.
- « Appelez vos hommes, nous avons une mission de la plus haute importance à traiter d'urgence. »
Intrigué, Athos se dirige vers la porte, et de la rambarde va appeler Aramis et Porthos quand il aperçoit d'Artagnan enfin arrivé. Il les appelle à le rejoindre d'emblée.
Un attentat semble menacer le roi et son épouse. Pour déjouer le plan de ces malandrins, Tréville cherche une solution avec ses mousquetaires.
Une idée a été proposée par d'Artagnan, qui semble judicieuse mais terriblement risquée car elle tient sur la capacité de Charles à se faire passer pour ce qu'il n'est pas. Saurait-il se faire passer pour un traitre ?
Athos ne dit pas grand-chose, il a écouté mais semble contrarié.
Aramis s'amuse de ce plan qui lui parait adroit, malin. Porthos lui commence à jauger celui qui les a rejoints et observe le jeune homme avec circonspection.
Et comment se retrouver emprisonné sans que cela n'éveille les soupçons de cet ennemi qu'est Vadim ?
C'est un homme méfiant et d'autant plus que son projet est dramatique.
Aramis propose l'idée d'un duel avec un garde rouge, sachant ces derniers interdits, rien ne serait plus simple que d'éventer le projet et de voir les soldats du cardinal se précipiter sur place pour arrêter les duellistes. Et tout le monde sait la haine viscérale et réciproque des mousquetaires et des gardes rouges.
Mais eux trois sont trop connus dans la ville, ils ne peuvent aisément se faire passer pour un traitre, seul d'Artagnan le pourrait. Il est assez fougueux et bagarreur pour en arriver-là et personne ne sait encore qu'il appartient à la compagnie.
Cela serait rendu d'autant plus crédible que le cardinal était pour une fois de leur côté car il s'agit d'une affaire d'Etat.
D'Artagnan a bel et bien été arrêté alors que le duel touchait à sa fin. Il importait que ses amis le lâchent. Quand bien même cela leur coûtait d'agir avec lâcheté. Du moins apparence.
Après que les trois hommes furent largement vilipendés devant toute la compagnie rassemblée dans la cour de l'hôtel des mousquetaires, Tréville les réunit dans son logis pour faire avancer le projet.
Athos s'éloigne de ses amis, il reste en retrait, inquiet.
Tréville rappelle les enjeux de cette affaire. Il sait que le jeune homme risque sa vie dans cette affaire mais la vie du roi en dépend.
Il vient d'annoncer que les trois hommes seront au Châtelet pour accompagner la reine venue gracier quelques prisonniers et qu'ils pourront donc agir, comme convenu.
Athos décide alors de leur parler, il sait que Tréville est au courant, mais appuyé par le capitaine il se sent de révéler le secret qui le mine à propos de d'Artagnan.
Ils comprendront. Il sort de sa réserve naturelle et prend alors la parole devant ses amis. Observant chacun tour à tour, l'annonce a de quoi étonner.
- « J'ai quelque chose à ajouter à cette affaire. Le capitaine sait, mais vous non, or il me semble utile que vous sachiez désormais. » Athos marque une pause, laissant le temps à ses amis de se faire à l'idée qu'il va leur révéler un secret. « Je connais d'Artagnan. »
Les deux hommes sont surpris. Porthos s'appuie contre le mur, prêt à entendre ce qu'Athos veut leur dire, Aramis prend un siège et attend.
- « Il y a des années, quand j'étais encore bien jeune, je me suis rendu en Gascogne. J'y ai fait la connaissance de d'Artagnan. Ce n'était qu'un gamin, mais nous avons passé suffisamment de temps ensemble pour que cela nous lie. Et je lui ai fait la promesse de veiller sur lui, toujours. »
-Ah ! Et tu ne nous as jamais pensés dignes d'être informés plus tôt ? Quand as-tu su qu'il venait à Paris ? Pourquoi l'as-tu laissé se battre contre toi ? »
- « Ohla, tout doux ! J'ignorais qu'il venait ici et qu'il espérait entrer chez les mousquetaires, même si je pensais bien qu'un jour cela arriverait. Mais cela fait des années et je n'avais aucune nouvelle. Et pour répondre à ta question, quand il m'a lancé ce défi, j'ignorais qui il était. Ce n'était qu'un gamin de 5 ans quand je l'ai connu. Ce n'est qu'ensuite, plus tard, que j'ai compris et me suis rappelé. Je vous demande donc de veiller sur lui comme sur un frère. Il l'est pour moi. »
Porthos se redresse et regarde Athos, étonné, il est mécontent.
- « On peut dire que tu caches bien ton jeu. Un frère toi ? Mais pourquoi attends-tu maintenant seulement pour nous en parler ? Cela fait des semaines qu'il est parmi nous. Et vous, capitaine, dit-il en se tournant vers Tréville, vous saviez tout cela ?»
- « Je vous l'ai dit, je ne me suis rappelé de tout cela que récemment. Je voulais être sûr de lui mais là, j'ai peur qu'il ne se mette en danger. J'ai besoin d'être sûr que vous êtes avec moi pour le surveiller et éviter qu'il ne fasse quelque chose d'irréparable. Il est passionné mais trop téméraire, encore irréfléchi. Dans cette affaire, cela peut l'aider car il sera convaincant mais cela peut lui coûter la vie s'il se trompe ou s'il ne parvient pas à dissimuler qui il est vraiment. »
Tréville prend la parole, pour calmer les deux hommes qui bouillonnent de colère.
- « Je savais mais je respectais le silence d'Athos. Je connaissais son père. C'est un homme de bien. Je suis certain qu'il a élevé son fils dans ce sens et que nous ferons quelque chose de d'Artagnan. Il semble qu'il apprenne vite et pourrait bien nous étonner tous. »
- « Et en as-tu parlé avec lui ? Il n'a rien dit ! Le garnement ! »
- « Non, je ne lui ai pas encore parlé. Je crains qu'il ait oublié ou n'ait pas envie de se rappeler. Je n'en sais rien. Peu importe pour l'heure. Ce n'est pas la question. Je lui en parlerai, plus tard, quand le moment sera venu. »
Tréville rappelle ses hommes à leurs devoirs, il est temps de cesser ces questions, ils auront le temps, plus tard, autour d'un verre sans doute, quand tout sera achevé.
- « Allons maintenant vous devez vous concentrer sur la mission. Elle seule compte et le roi compte sur nous. »
- « En espérant que Charles se tienne tranquille. »
A plusieurs reprises Athos craint d'avoir perdu Charles, s'est inquiété pour lui. Le plan l'inquiète car il dépend trop du hasard. Il faut que Vadim croit le jeune homme, qu'il s'imagine pouvoir lui faire confiance et surtout ce plan tient en la capacité dans la duplicité de Charles or il en est dépourvu, c'est un jeune homme trop droit.
Tréville est resté froid quand ils ont trouvé du sang dans la cache de Vadim et ses hommes et que tous ont pensé à d'Artagnan. Athos enrageait, mais le capitaine avait raison. Il serait toujours temps de s'en occuper plus tard et si besoin de le venger. Ses amis l'ont suivi, mais ils pensaient comme lui qu'ils auraient à venger ce jeune homme s'il était tombé dans le piège de Vadim. Et ça, le brigand le sentirait passer. Ils se montreraient inflexibles.
Ils étaient surtout inquiets pour Athos. Comment allait-il prendre la mort de son jeune ami ? N'allait-il pas perdre raison et se montrer trop empressé ?
Par chance, Athos est un homme solide, vif d'esprit et dont l'intelligence sait rester froide. Il comprend le plan de Vadim et guide ses amis vers le palais. Là ils retrouvent non seulement Vadim mais également d'Artagnan, certes blessé mais en vie. C'est la seule chose qui compte.
La mission est réussie. Vadim est mort, mortellement blessé par d'Artagnan. Et ce dernier semble avoir une chance de tous les diables.
Les quatre hommes se retrouvent dans cette auberge devenue leur quartier général quand ils veulent passer un moment loin de l'hôtel des mousquetaires. Ils célèbrent leur victoire. Athos semble soucieux, mais qu'importe, ils ont été victorieux et cela a tout de même certainement agacé profondément le cardinal, ce qui a le don de mettre les hommes en joie, une raison de plus de célébrer l'événement.
Porthos surveille Athos du coin de l'œil, mais ce dernier ne semble pas décidé à parler avec le gascon. Qu'attend-il ? Il n'en sait rien et ne comprend pas bien pourquoi son ami tarde tant. Il a failli le perdre cette fois. La prochaine fois pourrait être celle de trop.
Les manigances du cardinal, l'ingéniosité des adversaires, tout se ligue contre leurs vies à tous. Chaque jour apporte son lot de dangers et chaque danger peut conduire l'un d'entre eux à la mort.
Certes d'Artagnan semble chanceux et il sait manier l'épée mais pour autant, nul n'est à l'abri d'un mauvais coup de mousquet ou de pistolet.
S'il avait s'agit de lui, il aurait parlé depuis longtemps mais il n'est pas homme patient. Il le sait.
Aramis regarde chacun, tour à tour, essayant de déceler qui craquera en premier. Porthos semble fulminer intérieurement, mais il se contient encore. Athos est, quant à lui, trop secret, il n'arrive pas à voir ce qui l'anime ou plutôt ce qui le retient. D'Artagnan, lui, ne cache pas sa joie. Plus tôt il était sombre, la mort d'un homme lui a pesée. C'était normal, il est jeune encore. Avec le temps, il s'y fera. Mais là, il avait retrouvé sa bonne humeur et s'amusait de leurs présences à ses côtés. Aramis appréciait le jeune homme, toujours enjoué, toujours partant, un peu trop impatient parfois. Son caractère lui plaisait. Il comprenait ce qui avait conduit Athos à l'apprécier autrefois, il était plaisant d'être son ami.
- « Boirons-nous au cardinal ce soir ? Aramis fait mine de lever son verre. Il sourit. Amusé. Ou plutôt à l'amitié ! »
Athos le fusille du regard. Mais ses yeux, bien vite, pétillent, il est heureux car son ami de toujours est bien vivant. Fou, mais vivant. Parviendra-t-il un jour à calmer cette ardeur qui brûle en lui ? Il en doute. Il est ainsi fait. C'est ce qui le rend si agréable mais il doit lui apprendre à se canaliser pourtant. Sinon, il ne vivra pas bien vieux. Sa fougue pourrait le perdre.
- « A l'amitié » disent-ils en chœur.
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