4 | Résignation
« Dans la vie, on a toujours le choix : aimer ou détester, assumer ou fuir, avouer ou mentir, être soi-même ou faire semblant. »
Nelson Mandela
Cette nuit je n'ai eu aucun répit. J'ai rêvé tour à tour de Maman et de Toumi. Cela m'arrive très souvent sans même que je n'y songe volontairement. En ce qui concerne Toumi, mon inconscient parle trop fort à mon coeur et mon sommeil s'en trouve perturbé.
Quant à Maman, je donnerai tout pour la serrer une dernière fois dans mes bras et sentir son odeur fleurie jusqu'à m'enivrer. Elle me manque tellement que parfois, j'ai le sentiment que je vais la voir débarquer.
Je suis malheureuse mais je n'arrive toujours pas à la pleurer. C'est comme si j'avais un fardeau immense sur le coeur qui bloquait mes larmes. Je veux rester forte comme elle me l'a appris mais c'est encore trop difficile. Surtout avec l'attitude exécrable que Papa affiche envers moi.
Ce dernier fait des choses inadmissibles, comme par exemple appeler le Dr Khöl et exiger de lui une embauche à l'hôpital général mais surtout pas dans son dispensaire de SoWeTo. Et comme si cela ne suffisait pas, il exige en plus que je l'accompagne à l'Église ce matin. En réalité, je sais qu'il compte m'exposer comme un trophée de chasse et ça m'angoisse.
D'ailleurs, je ne comprends pas que toute cette bourgeoisie blanche s'empresse d'aller écouter de longs sermons, qu'ils n'appliquent jamais dans leur quotidien. La vérité c'est que médisance, orgueil, préjugés et hypocrisie sont leurs traits de caractère communs. Il s'agit là de paraître le plus beau, le plus fort, le plus riche, mais jamais d'être le plus juste ou le plus sympathique. Toute cette mesquinerie collective me débecte au plus haut point. Je suis épuisée d'avance de la comédie que je vais devoir jouer, pour respecter le rang social de mon cher père.
Et pour ne rien arranger, c'est mon premier dimanche depuis mon retour ici. Je sais déjà que toute la paroisse va chercher à savoir comment je vais; « et bien je vais bien merci. Passez votre chemin ! »
Alors que je râle à haute voix devant mon miroir, Papa frappe à ma porte. Je suis certaine qu'il m'a entendu dire toutes ses vacheries sur ces pieux amis, mais je m'en fiche complètement.
— Es-tu prête Gaby ?
— Je n'ai pas envie d'y aller Papa.
— Je ne te demande pas ton avis. Dépêche-toi s'il-te-plaît !
Papa ne prête aucune attention à mes sentiments. Tout ce qui l'intéresse, c'est de se pavaner devant le monde entier avec sa fille blonde et médecin à son bras.
— Gaby, nous devons y aller à présent !
J'hésite un moment avant de déverrouiller la porte de ma chambre. Je m'engage dans les escaliers et Papa me regarde impatient :
— Tu vas te dépêcher, oui ? Nous sommes presque en retard, dit-il en tapotant sur le cadran de sa montre.
— Désolée, je dis sans conviction.
— Ta robe est très jolie. Tu vas avoir du succès. Quel jeune homme ne rêverait pas d'avoir de jolis enfants bien blancs avec une femme pareille ?
— Tu m'emmènes prier, ou tu veux me vendre à tes candidats au futur poste de gendre ?
— Je n'aime pas le ton que tu emploies Gabriella !
— Et moi, je n'aime pas tes méthodes Papa.
Son sourcil droit vacille, il souffle nerveusement et active le pas vers la Mercedes beige qu'il a déjà sortie du garage. Je m'installe dans l'habitacle et je ne dis plus rien jusqu'à notre arrivée à l'Église.
*
Le sermon du Révérend Woodward est long et redondant. J'ai l'impression que ce cher pasteur a épuisé tout sont stock de sujets Bibliques. La seule chose qui retient mon attention sont les voix chevrotantes de ses vieilles choristes calvinistes.
Une véritable catastrophe !
Je glousse et rattrape de justesse un éclat de rire, lorsque je rencontre le regard réprobateur de mon père. Je révise immédiatement mon attitude. Heureusement, la fin du culte arrive enfin et les paroissiens se précipitent sur le parvis du temple pour se saluer.
Papa ne manque pas l'occasion de me présenter à Marc et Luc, les jumeaux du pharmacien, à Adrian, le fils d'un grand négociant aurifère de la région, puis à Johnny Van der Noot que je connais déjà. Ce dernier me salue et me livre un sourire franc qui laisse apparaître des dents bien blanches et parfaitement alignées
My God ! Que ce gars est beau !
Il a embelli depuis l'époque du lycée. Je ne l'avouerait jamais en public, mais si je devais être forcé de l'épouser, ce ne serait pas si grave que ça.
Évidemment, je ne l'épouserai jamais !
Nous échangeons facilement quelques banalités, jusqu'à ce que nos pères et sa mère viennent nous interrompre.
— Alors les jeunes, ces retrouvailles ? Engage Papa.
— Bien très bien et si vous êtes d'accord M. Du Quesne j'aimerai inviter Gabriella à déjeuner mercredi prochain.
— Oh mais je ne peux qu'être d'accord; qu'en penses-tu Gabriella ?
— Pourquoi pas, je dis sans emballement.
— Et bien, Johnny pourrait venir la chercher pour l'heure du déjeuner. Il est véhiculé ajoute sa mère.
Quel complot ! Ils vont tous s'y mettre.
À cet instant précis, j'aimerai fuir ou les envoyer balader, mais je n'en trouve pas le courage et je capitule. De toute façon, je n'ai le choix de rien. J'ai honte de ne pas savoir défendre la liberté que je chérie tant.
— Formidable dit Papa. Tu sais où est située la plantation, n'est-ce pas Johnny ?
— Oui Monsieur Du Quesne. Alors à mercredi Gabriella.
— À mercredi Johnny !
Les Van der Noot nous quitte et nous rejoignons notre voiture. Papa me sert un discours dithyrambique sur son potentiel « futur » gendre, qui est médecin et spécialiste en chirurgie orthopédique. Il est heureux comme un pape et il m'épuise. Si je dois être honnête, je dirais que Johnny est moins benêt qu'il ne l'était lorsque nous étions au lycée, il est même intéressant. Cependant, ce n'est pas lui que je veux. Celui que je veux, moi, s'appelle Toumi. Je donnerai tout pour le revoir rien qu'une fois.
*
C'est mon troisième jour à l'hôpital général. Le Dr Khöl m'a accueillie avec beaucoup de bienveillance et d'élégance. Il m'a affecté au service des urgences, j'aurai préféré la pédiatrie, mais pour l'instant je m'en contente.
Aujourd'hui, l'activité a été régulière jusqu'à ce que les ambulances nous livrent les premiers blessés d'une émeute qui a éclaté en début d'après-midi. Nous sommes très vite débordés !
Des policiers blancs ont brutalisé des manifestants issus des Townships et visiblement, ces derniers ne se sont pas laisser faire. Un jeune policier est atteint sévèrement. De sa cuisse déchiquetée gicle un épais filet de sang. L'infirmière stagiaire à mes côtés semble tourner de l'oeil, je suis obligée de prendre le relais pour stopper l'hémorragie.
« Saleté de Nègre de merde » hurle-t-il lorsque je tente de le recoudre.
— Cessez donc de bouger Monsieur l'agent!
« Ses fils de chiens vont le payer ! Ce pays est à nous », scande-t-il alors que la douleur le pousse à grogner.
La situation est en train de dégénérée.
Tous les jours, c'est un peu plus la guerre civile au centre ville. Les pro apartheid sont de plus en plus virulents, et la réponse en face ne l'est pas moins pour autant. L'Afrique du Sud est sur le point de sombrer.
*
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