2 | Gabriella
« Il n'y a rien de mieux que de retourner dans un endroit resté inchangé
pour comprendre à quel point vous avez changé. »
Nelson Mandela
Cette matinée chez Marla m'a conforté dans l'idée que je n'ai rien à voir, avec les blancs de mon pays. J'ai du mal à accepter la façon dont elle se comporte avec ses domestiques.
Plus d'une fois, j'ai eu envie de bondir de mon siège pour la remettre à sa place. Ces pauvres gens ne méritent d'être traités comme cela. Quant à son discours à l'égard des populations noires... Insupportable ! Je ne la reconnais pas.
Quand est-elle devenue un monstre plein de mépris ?
La dernière fois que nous nous sommes vues, c'était en France, aux obsèques de Maman. Elle avait fait le voyage depuis le Cap où elle réside à présent, pour venir me soutenir.
Nous étions pourtant comme des sœurs elle et moi. Et là, plus je l'observe, plus je me questionne.
— Tu m'as l'air ailleurs Gaby, tout va bien ?
— Oui, je suis désolée, je crois que le décalage horaire m'assomme encore.
— Je vois, dit Marla en continuant à donner des ordres aux deux bonnes qui l'aident à boucler ses bagages. Je suis donc honorée que tu aies pris le temps de venir me voir avant que je m'en aille, poursuit-elle.
— C'est bien normal, je te l'avais promis.
En réalité, je m'ennuie à mourir, notre discussion est sans intérêt. Écouter Marla parler chiffons, garçons et négrillons ne me captive pas. Je ne sais pas comment cela est possible, mais elle et moi n'avons plus grand-chose en commun.
Prétextant un rendez-vous, je décline son invitation à rester déjeuner, et au bout d'une heure je décide de m'en aller. J'embrasse mon amie, et je lui souhaite un bon retour au Cap.
Ses yeux rieurs et sa bonne humeur m'accompagnent jusqu'au portail de la grande propriété que possède ses parents. Je lance mon bras en l'air, comme dans un dernier au revoir, et le gardien noir referme derrière moi.
Là, Sipho le chauffeur de Papa, m'ouvre la portière du véhicule et je m'installe à l'arrière. Je souffle de soulagement, en même temps que j'essuie mon front de mon mouchoir en tissu blanc. Papa a bien fait d'insister pour que Sipho m'accompagne, la chaleur est écrasante, mon teint rouge pivoine en témoigne.
— Où va-t-on Miss Gabriella ? Me demande-t-il en m'observant depuis le rétroviseur.
— Chez nous, s'il-te-plaît.
— Très bien Miss. Je vous ramène.
À travers les rues que nous empruntons pour rentrer au domaine, j'observe ma ville et réalise que tout ici est différent de la France. La vie est organisée de sorte que jamais les peuples ne puissent s'assimiler les uns aux autres. Ici tout est séparé, comme si les gens vivaient dans des dimensions parallèles. Il n'y a qu'à voir le nombre de panneaux « réservés aux blancs », « réservés aux noirs»...
Impressionnant !
Johannesburg est sous tension et jusqu'alors, je ne l'avais jamais remarqué. La faute aux décisions politiques peu enclines au « vivre ensemble » et au partage.
Depuis le moment où je suis sortie du luxueux domaine paternel jusqu'à ce que j'arrive chez Marla, je n'ai vu que L'apartheid comme disent les Afrikaans.
Je trouve étrange qu'ils ne jurent tous que par cela, alors que nous les blancs, sommes minoritaires !
Je regrette parfois la France où malgré toutes les difficultés que la différence culturelle impose, il y a une certaine mixité.
Je me souviens encore d'Abdoulaye, brillant étudiant sénégalais avec qui je partageais les bancs de la fac de médecine de Montpellier. Il nous coiffait tous au poteau, lorsqu'il s'agissait d'établir un diagnostic médical fiable. Je me souviens aussi de mon amie Ivoirienne Akissi, avec laquelle je partais danser, une fois la période examens terminées.
Notre amitié ne connaît aucune barrière ! Je me rends compte que ma vie en France, et les gens que j'y côtoyaient, m'ont davantage ouvert l'esprit à la diversité.
Maman m'a laissé grandir avec l'idée que chaque être humain a de la valeur, quelle que soit son origine sociale ou la couleur de sa peau. Dommage qu'en Afrique du Sud, peu de monde partage sa vision.
De retour au domaine, je parcoure les quelques mètres qui séparent le garage de l'entrée principale de la maison. C'est avec bonheur que j'accueille la fraîcheur du hall d'entrée, la moiteur de la ville a eu raison de moi.
Je file prendre une douche et une fois à l'aise, je m'affale dans le fauteuil posé face à la fenêtre. J'aperçois mon reflet dans le miroir de la grande armoire en bois qui meuble ma chambre.
J'ai l'impression d'y voir Maman. Les traits de mon visage, à quelques détails près, sont identiques à ce qu'elle était. La seule différence vient de mes yeux verts clairs, les siens étaient noisette.
Dieu ce qu'elle me manque !
Ma Gugu aussi me manque, et cette grande maison semble vide sans elles-deux. Je me dis que si je voulais bien m'en donner la peine, je pourrais au moins retrouver ma Gugu. Et puis chaque jour un peu plus, je repense à son petit-fils, Toumi.
J'avais promis que nous resterions en contact, mais la distance a fait que je n'ai pas su tenir ma promesse. J'ai honte maintenant, qu'a-t-il dû penser de moi ?
Je me souviens du dernier baiser échangé avant mon départ pour la France... C'était intense ! La passion, c'est tout ce qu'il y avait entre lui et moi, parce que si cela avait été de l'amour, nous serions toujours en contact. Enfin, j'imagine. Si seulement Papa avait gardé Gugu, je saurais où le trouver...
Mais qu'aurions nous fait de tout cela ?
Il est aussi noir que je suis blonde et cela n'aurait abouti à rien... Il n'empêche que je pense à lui sans arrêt.
Peut-être que lui aussi pense encore à moi ?
Enfin... Je l'espère...
Honorine tape à la porte et interrompt mon introspection. Je l'invite à entrer, puis elle dépose sur le guéridon un plateau qui contient un verre, une bouteille d'eau fraîche et un sandwich avocat-poulet épicé, dont elle seule a le secret.
Je la gratifie d'un sourire reconnaissant, et lui demande :
— Sais-tu si le Dr Khöl est toujours à l'hôpital général ?
— Oui Miss Gabriella. Il y fait encore quelques consultations. Mais depuis qu'il a ouvert son dispensaire à SoWeTo, il y est moins souvent.
— SoWeTo tu dis ? Je ne le savais pas. Pourrais-tu m'indiquer où se trouve ce dispensaire ?
— Oh Miss Gabriella, Monsieur votre père me chasserait d'ici, si je faisais ça.
— Mais il n'en saura jamais rien enfin !
— Non Miss Gabriella. Je refuse !
— Allez ! Je te promets que je ne lui dirais jamais que tu m'as renseigné.
— Non Miss. Et de toute façon, vous n'avez rien à faire là-bas. Ce n'est pas un coin pour vous ça ! s'indigne-t-elle.
— Et pourquoi pas ?
— Parce que... Je ne vous en dirais pas plus.
— Très bien. Je comprends... Merci Honorine.
Je mens. Je ne comprends pas la panique dans ses yeux. Si le très grand Dr Khöl met les pieds à SoWeTo, moi aussi je le peux.
Milka monte sur mes genoux et miaule alors que je le caresse frénétiquement. Pendant que mon chat ronronne, une idée germe dans ma tête.
Cela risque de ne pas plaire à Papa. Puisqu'il tient à discuter avec moi ce soir, nous allons discuter.
***
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