19 b | Aveux (suite)
Je suis au fond du trou. L'absence de Toumi me pèse, je sais qu'il a raison de prendre de la distance mais j'ai du mal à supporter d'être loin de lui. Heureusement, Gugu a le cœur d'une mère.
Elle est toujours en colère, malgré tout, elle continue de prendre soin de moi. Il faut dire que je ne suis pas au top de ma forme ces derniers temps. J'ai honte de moi... Je m'en veux de lui avoir causer tant de peine. Je ne cesse de lui dire que je suis désolée, Gugu ferme les yeux et réponds paisiblement : « Il faut assumer maintenant Gabriella. T'en vouloir n'arrangera pas les choses, et puis toi tu ne crains pas grand-chose... Pense à Toumi ».
Je sais qu'elle a raison, celui qui a le plus à perdre dans tout ça, c'est lui. Je me rends compte que mon drôle de caractère nuit fortement à mon entourage.
À croire que ma passion pour lui a brûlé toutes mes neurones !
Par chance, Johnny est pris par son travail en ce moment, et il n'a pas le temps de s'attarder sur les petits détails du quotidien. Je crois surtout qu'il s'imagine toujours qu'il y a un « nous » possible pour lui et moi. Pour l'instant, il me laisse respirer, mais pour combien de temps encore ? Toute cette situation me rend nerveuse et j'ai du mal à revenir à la surface. Je sais pourtant que je dois faire un effort, ne serait-ce que pour le petit être qui vit en moi. De deux choses l'une, soit je reprends du poil de la bête, soit je mourrai aigrie et malheureuse au fond de mon lit.
Il faut que je me bouge ! Je le dois à cet enfant. Je le dois à Toumi et à Gugu aussi. Alors pour une fois dans ma vie, je fais taire mon instinct. J'accepte d'aller parler à mon père comme mon homme me l'a demandé, mais en toute honnêteté, je ne suis pas convaincue de la nécessité de cette action. En plus, cela me demande un effort considérable parce qu'entre Papa et moi, la communication n'a jamais été fluide.
C'est aujourd'hui ou jamais !
Je file sous la douche et enfile ma plus jolie robe. La plus large aussi, parce que mon petit locataire est particulièrement indiscret ces derniers temps. Une fois prête, je demande à Sipho de m'accompagner. Ce dernier, bougonne comme d'habitude, mais il ne me laisse pas tomber.
Il sort mon véhicule – Toujours aussi neuf car très peu utilisé – et il se gare devant la propriété. Résignée mais déterminée, je le rejoints et ouvre la portière côté passager. Sipho, m'adresse un regard interrogateur. Je lui souris et m'assieds à l'avant.
— Ah non ! râle Sipho, ce n'est pas vot' place ici Miss Gaby !
— Je suis au bon endroit mon cher ami, et je n'en bougerai pas.
— Je vous en prie Miss Gaby...
— Je suis bien à l'avant Sipho. Emmène-moi à la plantation, veux-tu ?
— Bon sang ! C'que vou'zêt têtue, souffle-t-il dépité.
Il n'en rajoute pas car il sait qu'à ce jeu-là, je le bats à plate couture. Sipho démarre, un peu stressé, je sais que ma présence à l'avant lui file des sueurs. Ça ne se fait pas par ici : Une femme blanche assise près d'un homme qui n'est pas son époux, et qui plus est, est noir : c'est très inconvenant !
Malgré tout, je ne le lui laisse pas le choix car ma condition de femme enceinte ne m'apporte pas que du bonheur. Mes nausées sont de plus en plus nombreuses et elles décuplent lorsque je suis installée à l'arrière du véhicule.
J'ai l'impression de faire du roulis-tangage sur un navire géant !
Près d'une demi-heure après notre départ, nous arrivons enfin aux abords du domaine familial. Je suis épuisée par la chaleur et j'actionne nerveusement la poignée pour baisser la vitre.
— Miss Gaby ça va ?
— Hmm, fais-je simplement en me concentrant sur la route.
— Ben ça a pas l'air quand même...
Mon silence inquiète mon chauffeur qui ralentit avant de se garer sur le bas-côté.
— Miss Gaby, j'peux vous aider ? vous m'inquiétez là !
— Non, non, n'arrête pas Sipho, poursuit veux-tu ? Nous sommes presque arrivés, je tiens le coup.
— Bon... Très bien.
Alors qu'il redémarre, mon estomac gigote dans tous les sens. Je suis sur le point de défaillir. Je tente de concentrer tout ce qu'il me reste d'énergie, pour atteindre la plantation sans vomir. D'ailleurs plus on approche, plus mon cœur bat comme tambour de guerre. Cela fait plusieurs mois que je n'ai pas mis les pieds chez mon père et me retrouver devant la demeure de mon enfance me procure une drôle d'émotion. Je m'y sens mal à l'aise – Certainement parce que Maman n'y est plus.
Sipho sort et fait le tour du véhicule par l'arrière pour m'ouvrir. Je suis blême ! Si ce petit trajet a eu raison de moi, alors je ne veux même pas imaginer le retour.
— Venez par-là Miss Gaby, je vous tiens. Vous inquiétez pas.
D'un regard appuyé, je remercie Sipho de sa sollicitude. Il sonne au grand portail et Honorine rapplique en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
— Oh Miss Gaby que vous arrive-t-il, questionne-t-elle en même temps qu'elle aide mon chauffeur à me soutenir.
— Rien, juste un coup de chaud, je parviens à répondre.
— Allez, venez ! Je vais vous donner de quoi vous requinquer.
Nous entrons dans la maison et la fraîcheur du climatiseur me soulage instantanément. Honorine me sert un grand verre d'eau glacé et je pousse un soupir de soulagement. Les deux domestiques m'observent avec inquiétude, alors que je peine à reprendre des couleurs :
— Miss Gaby, vous allez bien ? m'interroge à nouveau Sipho.
— Mieux.
— Oh bon sang, vous m'avez fait peur ! souffle-t-il mal à l'aise.
— Ça va Sipho, t'inquiète pas ! Dis Honorine, Papa est là ?
— Oui Miss Gaby, il est dans son bureau, voulez-vous que j'aille le chercher ?
— Non merci, je vais lui faire la surprise. Par contre, avant d'y aller, je veux bien un autre verre d'eau fraîche s'il te plait.
— Mais bien sûr, tout ce que vous voudrez !
Je bois mon verre d'une traite et file rejoindre Papa, pendant que Sipho reste discuter avec Honorine. J'avance dans le couloir la boule au ventre, je ne sais même pas comment aborder les choses... Que dois-je dire en premier ? Va-t-il me chasser ou bien va-t-il accepter de m'aider comme l'espère Toumi ? Et d'ailleurs, Que va-t-il penser de Toumi Je suis perdue...
Je secoue la tête pour chasser les idées sombres qui s'immiscent en moi au fur et à mesure que j'approche de son bureau – Seigneur Dieu ! Viens à mon secours... – C'est tout ce que j'arrive à formuler avant de frapper à sa porte qui est déjà ouverte. Papa lève la tête est un large sourire s'installe sur son visage :
— Voyez-vous ça, Gabriella Du Quesne Van Bruchem !
— Bonjour Papa !
— Bonjour ma fille ! Approche que je vois comme tu es belle... Hmm... Tu as une petite mine tout de même. Es-tu sûre que tout va bien ?
— Mais oui, je vais bien !
— Si tu le dis, acquiesce Papa en avançant vers moi.
Papa me serre affectueusement dans ses bras. Je profite de ses quelques secondes d'accalmie parce que je sais que ce que vais lui annoncer va attiser sa colère et inverser ses sentiments.
— Tu as l'air très pâlotte tout de même. Tu vas bien, c'est promis ?
— Oui ça va pas Papa, c'est juste la chaleur qui m'assomme plus que d'habitude...
— Tu es l'exacte réplique de ta mère. Cette pauvre Julie, supportait mal la chaleur elle aussi. Ah ! Expire-t-il avec nostalgie. Bon... J'imagine que ta visite, n'est pas une visite de courtoisie enchaîne Papa toujours pragmatique, que me vaut l'honneur de ta présence ?
— Papa... C'est assez long à expliquer... Pourrions-nous nous assoir s'il te plait ?
— Hmm, le ton que tu prends ne me dis rien qui vaille... Je t'écoute Gaby, qu'il y a-t-il de si important ? demande mon père en se rasseyant dans son imposant fauteuil en cuir gris.
— Tu ne vas pas aimer ce que je vais te dire, mais sache que je suis responsable de tout ce qui arrive. Personne d'autre que moi n'est à blâmer. J'insiste parce que je veux en assumer pleinement les conséquences.
— Mais de quoi parles-tu enfin ?
— Papa, je suis enceinte !
— Mais c'est la meilleure nouvelle du monde ! Gaby... C'est formidable, dit-il avec une joie non contenue.
— Papa, je suis enceinte... Mais ce n'est pas de Johhny.
Mon annonce est brutale et en une micro-seconde, le regard de Yohan Du Quesne Van Bruchem s'affaisse, son sourire disparaît et la joie laisse place à la sidération. Je n'ai encore rien dit et quand je vois sa réaction, ça n'augure rien de bon pour la suite.
Mon enveloppe cardiaque manque de se déchirer alors que je tente d'expliquer pourquoi nous en sommes là aujourd'hui. Papa me laisse parler et m'écoute religieusement. Et lorsque enfin j'évoque Toumi, son sourcil droit s'arque de colère et il laisse échapper quelques jurons.
— Je rêvais d'une fille comme les autres, et voilà ce à quoi j'ai droit...
— Papa je n'ai pas terminé, peux-tu m'écouter jusqu'au bout s'il te plait. Ensuite tu feras et diras ce que bon te semble.
— Je ne te comprends pas Gabriella, qu'ai-je fait pour mériter cela ? Me détestes-tu à ce point ?
— Papa, il ne s'agit pas de toi... Et puis ce n'est pas de ta faute si j'aime Toumi... C'est comme ça !
Mon père prend son visage dans les mains et secoue énergiquement sa tête, comme pour conjurer le sort. Lorsqu'il lève à nouveau la tête vers moi, je peux y lire toute l'affliction du monde. Ses yeux sont rougis et sa colère ne demande qu'à me sauter à la gorge. Pourtant, il ne dit rien d'insultant ou de choquant. Il se lève, fait le tout de son bureau et se poste devant moi :
— Depuis quand es-tu enceinte Gaby ?
— Cinq mois Papa.
— Est-il encore possible d'inverser la tendance ?
— C'est-à-dire ?
— Peut-on mettre fin à cette grossesse ?
— Non mais ça ne va pas !
Je suis outrée par sa proposition. Comment ose-t-il imaginer une seconde que je pourrai mettre fin à cette grossesse ?
— Gabriella je t'en supplie, ne rend pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont. Ton mari a accepté un enfant dont il ne connait pas l'origine. Penses-tu que ça ne se verra pas ? Ton bébé est à moitié noir, je te rappelle.
— Et alors ? C'est d'un être humain dont on parle, c'est de ta descendance dont il s'agit.
— Ma descendance ? Oh ça jamais Gabriella, si cet enfant né, je le renierai. Je le renierai de toutes mes forces, je te le promets !
— Où est passé le bon paroissien, qui prie tous les dimanches à l'église, Hmm ? Tu veux commettre un meurtre maintenant ?
— Ce n'est pas un meurtre. Je te sauve la vie ma chère enfant. Une fois que cette histoire s'ébruitera, les lois de l'apartheid broieront ta vie, celle de ton nègre et la mienne par la même occasion.
— Mais Papa...
— Et il est hors de question que cela arrive, et je ne permettrai pas que ma vie tout entière vole en éclat à cause de l'inconscience de ma fille unique. Nous allons nous débarrasser de cet enfant.
— Jamais ! J'aime Toumi et j'aime déjà mon enfant. Si seulement tu avais eu la sagesse de m'écouter lorsque je t'ai dit ne pas vouloir de Johnny dans ma vie, nous n'en serions...
— Tais-toi ! m'ordonne Papa sans me laisser terminer ma phrase. Tu ne sais pas ce que tu dis. Tu es en train d'empirer les choses en t'entêtant. Je vais t'aider à réparer ce que tu as volontairement cassé.
— Alors aide-moi autrement, par ce que je refuse cette solution.
— Non seulement ton attitude irresponsable va éclabousser l'honneur de notre famille, mais celle de ton époux aussi. Te rends-tu comptes un peu ? Ahhh ! Quand les gens vont savoir ça...
— Moi je m'en fiche des gens. Ce que je veux, c'est mettre au monde mon enfant et vivre heureuse avec Toumi.
— Je crois que tu n'as pas compris. Ce que tu demandes est impossible. Personne ne te laissera vivre paisiblement avec un homme noir. Pour le bébé nous trouverons une solution, nous le donnerons à Gugu, je suis sûre qu'elle s'en accoutumer, après-tout c'est sa chair et son sang mais pour le reste... Laisse-moi faire Gaby !
— Quel est ton projet ?
— Laisse-moi faire, je te dis. Tu n'as pas idée de la guerre que tu es en train de provoquer... Oh mon Dieu ! Gabriella... Tu as fait assez de bêtise comme ça, déclare-t-il préoccupé. Laisse-moi arranger tout ça !
***
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