12 | Compromis

" Les compromis sont indispensables ... C'est avec les adversaires qu'on fait des compromis, pas avec les amis."
Nelson Mandela.


Tante Edna a le chic pour retourner la situation à son avantage. Il faut que je retienne la leçon cette fois-ci, parce qu'à chaque fois que je l'appelle au secours, elle me trouve une solution qui l'arrange plus qu'elle ne m'arrange.

À vrai dire, elle est bien la soeur de mon père et aussi, la digne héritière de ses feus parents. Chez les Duquesne Van Bruchem ils sont de « la trempe de ceux qui ne perdent jamais » et à la façon dont ma vie évolue, on peut clairement imaginer que j'ai été adoptée.

Parlons-en de ma vie d'ailleurs !

C'est une énorme cacophonie; Je me suis mise d'un un pétrin sans nom. Je regrette de ne pas avoir assez de courage pour tout envoyer valser.

Cette fois-ci, c'est grave parce que je me suis compromise moi-même dans ce compromis. J'ai finalement accepté d'épouser Johnny. À contre-coeur certes, mais j'ai accepté quand même.

Tante Edna est une adversaire redoutable !

Je ne sais pas comment ce pauvre type parvient à envisager la vie avec une femme, qui ne l'aime pas. Johnny est sur un nuage tandis que moi, je suis au quarantième dessous. Il m'a dit l'autre jour qu'il mettrait tout en oeuvre pour que jamais, je n'ai à regretter mon choix.

Bon courage l'ami ! Ça ne va pas être simple pour toi.

Quant à mon père, il est gai comme un pinson. Il est persuadé que c'est par amour pour lui que j'ai accepté tout cela.

Si seulement il savait, il en mourrait avant que je finisse de lui dire la vérité !

Tout le monde autour de nous se réjouit et l'annonce de nos fiançailles, ce dimanche à l'église, n'a fait qu'aggraver la fierté de mon père. J'ai tellement pleuré ce jour-là ! Les gens ont certainement pensé que c'était de joie alors qu'en réalité, je me suis sentie furieuse et emprisonnée. Je savais qu'en acceptant ce compromis ce serait difficile pour moi, mais je n'imaginais pas à quel point !

Cela fait deux jours que j'ai donné ma réponse à Johnny et cela fait deux jours que je pleure toutes les larmes de mon corps. Vu l'état dans lequel je suis, il m'est impossible d'aller travailler.

Alors que je tente de me reprendre un peu, Honorine frappe à ma porte pour m'apporter mon repas. Je me lève et vais m'assoir près du guéridon sur lequel elle a déposé mon plateau-repas. Tout ça a l'air très bon mais, comme c'est le cas depuis quarante-huit heures, je n'y touche presque pas. Mon désespoir est si profond que j'en ai l'appétit coupé.

Une bonne demi heure après, cette dernière vient pour débarrasser la table, elle me regarde hésitante, avant de lâcher :

— Vous devriez manger encore un peu Miss Gabriella. À ce rythme, vous allez disparaître !

J'ignore son commentaire et retourne aussitôt me morfondre dans le creux de mes draps.

— Je n'aime pas vous voir comme ça Miss...
—...
— Bon... Faites-moi savoir si jamais vous avez besoin de moi. À plus tard !

Honorine referme la porte derrière elle, et les sanglots que j'ai retenu trop longtemps affluent dans ma gorge pour s'échapper bruyamment.

Comment faire maintenant que la machine est lancée ?

Je ne veux pas épouser Johnny ! Je ne peux pas épouser Johnny !


*


Cela fait une semaine que je n'ai pas quitté ma chambre. J'ai besoin de faire le point et surtout, j'ai besoin de digérer mon futur engagement. Papa a fini par s'inquiéter de me voir en si piteux état.

C'est vrai, que physiquement, je me suis dégradée. Mon manque d'appétit m'a fait perdre du poids et mon teint, déjà pâle d'ordinaire, est presque translucide. Je suis moche, moche et remoche ! Mes yeux rougis confirment que je ne partage toujours pas l'enthousiasme de mon cher fiancé.

Ne sachant plus quoi faire pour que je redevienne « comme avant », mon père dont l'optimisme est en berne (depuis qu'il a compris que Johnny et moi ce n'était pas encore gagné) a fait appel à sa soeur.

Tante Edna débarque chez nous et je l'entends discuter avec son frère à mon sujet, je crois que tous les deux pensent que je suis une midinette fragile de seize ans.

Je trouve cela d'un ridicule !

Ma tante finit par monter dans ma chambre, d'un pas militaire. Elle frappe à ma porte, l'entrouvre et passe sa tête rousse à l'intérieur, et fait semblant de demander l'autorisation d'entrer. Je n'ai pas vraiment envie de bavarder avec elle mais, je la laisse faire :

— Vas-tu cesser ton cinéma ?
— ...
— Tu joues l'enfant gâtée et ce n'est pas beau à voir.
— ...
— Vas-tu me répondre un jour, Gabriella ?
— Je ne peux pas épouser Johnny, j'ose dire faiblement.

Elle me coupe aussitôt la parole et me menace de son index :

— Écoute-moi bien jeune fille : tu es fiancée à Johnny Van Der Noot, l'un des meilleurs partis de tous le pays. Tu ne peux plus changer... Et ça ne doit pas changer, vois-tu ? Tout est engagé entre ton père et ses parents.
— Je sais tout ça, mais je ne peux pas épouser Johnny.
— Oh Gabriella Duquesne Van Bruchem ! souffle-t-elle en tentant de maîtriser la colère qui la consume, je croyais que nous avions un arrangement ? J'ai déjà respecté ma part du contrat, à ton tour à présent !
— Je voudrais tellement, mais rien qu'à l'idée de vivre avec lui, j'ai la nausée.
— Tu exagères ! C'est un beau garçon et intelligent avec ça, je ne vois pas ce qui chez lui te rebute à ce point.
— Ce n'est pas tant lui le problème, ma tante...
— Qu'est-ce dont alors ?
— J'en aime un autre !

Elle reste interdite quelques instants, puis se laisse tomber sur le bord de mon lit.

— Gabriella nous avions un arrangement. Tu voulais pouvoir travailler dans ce Township délabré et soigner ces nègres que tu affectionnes tant. J'ai fait en sorte que ce soit possible. N'étais-ce pas là un bon compromis ?
— Aucun arrangement ne vaut la peine de compromettre l'amour véritable.
— Mais que veux tu de plus ? Bon sang !
— Ce que je veux de plus ?
— Oui, quoi donc ?
— Et bien je veux Igugulethu. Je veux qu'elle obtienne un pass', je veux qu'on lui rétablisse son autorisation de travailler et je veux qu'elle revienne chez moi.
— Mais c'est impossible Gabriella, aucune marche arrière n'est possible ! Ton père n'acceptera jamais.
— Alors je n'accepterai pas Johnny. Je ne l'épouserai pas !
— Bon... Bon... Je vais voir ce que je peux faire, mais sache je n'ai toujours pas de baguette magique.
— Autre chose, je veux mon indépendance, ce qui signifie vivre loin de Papa et de la plantation. Je veux ma propre maison.
— C'est tout ? Je trouve que là, tu exagères !
— Non je ne trouve pas et ce n'est pas fini.

Tante Edna est à deux doigts de craquer, elle se retient de m'envoyer balader mais pour une rare fois, je parviens à prendre le contrôle de la situation alors j'en profite.

— Tu plaisantes j'espère !
— Pas du tout. Je veux aussi choisir mes domestiques et d'ailleurs, j'emmène Sipho avec moi.
— Le chauffeur ?
— Oui, le chauffeur ! Et...
— Non Gabriella ! Ça suffit maintenant. Tu ne veux pas qu'on supporte son salaire pour toi aussi, non ?
— Maman est partie en me laissant un héritage important, et avec ma paye de médecin, je m'en sors très bien. Par conséquent, ce ne sera pas nécessaire de financer quoi que ce soit pour moi.

Tante Edna est consternée par mon attitude et par mon propos. Visiblement, elle n'avait jamais envisagé la remise en question notre arrangement.

Elle ne peut pas gagner à chaque fois !

Après tout, c'est à moi que ce mariage coûte le plus cher ! Eux n'y voient que les bons côtés. Moi, j'y vois un compromis calamiteux et mal négocié. J'essaie donc de tourner les choses à mon avantage.

Agacée par mes demandes qu'elles jugent farfelues, ma tante explose et je subis de plein fouet son courroux. Elle me passe un savon monumental et je me mets à pleurer comme une collégienne prise en défaut, tant ses mots sont durs.

Elle finit par se calmer quelques minutes plus tard. Le son de sa voix redevient régulier. Je lui indique que j'épouserai Johnny (malgré moi) et uniquement si toutes les « nouvelles » conditions sont réunies.

Elle redescend contrariée et raconte notre entretien à mon père, qui crache quelques jurons. Ils n'ont plus le choix s'ils veulent sauver leur honneur.

Finalement, quelques jours plus tard et après d'âpres négociations, Papa et Tante Edna acceptent les nouvelles conditions de notre arrangement et répondent à toutes mes demandes. Seulement, pour être bien sûr que je ne change plus d'avis, ils avancent le mariage de trois mois.

S'il y a un Dieu quelque part, qu'il se manifeste et me sorte de ce cauchemar !

En réalité, toute cette mascarade ne change rien à mes sentiments. Compromis ou pas j'aime Toumi. Je l'aime profondément et malgré tout ce qu'il m'arrive, je ne parviens pas l'extraire de mes pensées.

C'est lui que je devrais épouser et personne d'autre...

C'est étrange mais bien que tous les signes soient contraires, j'ai cette certitude qu'il est l'homme de ma vie !






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