11 | Johnny

« Prenez sur vous, où que vous viviez, de donner de la joie et de l'espoir autour de vous. »
Nelson Mandela


Parfois j'aimerais être comme mon chat. Milka n'a aucun souci dans la vie, il se balade comme il veut, quand il veut, et où il veut, sans que jamais personne ne l'importune. Mon chat ronronne, quémande quelques caresses et traîne ci et là dans le domaine. Sa vie est simple, pas comme la mienne qui prend un tournant inédit avec ce pot-de-colle de Johnny Van Der Noot !

Ce type me fait halluciner, je lui dis clairement que je ne l'aime et il me fait une déclaration d'amour incroyable devant tante Edna.

Comme si j'avais besoin de ça !

De toute façon, si ma tante m'oblige encore à le revoir lors d'un dîner organisé... Hmm... Je n'irai pas ! Je me cacherai quelque part dans SoWeTo, où je sais qu'on ne me retrouvera pas. Et si on m'oblige à l'épouser, parce ce clairement, c'est ce qui se profil, je retournerai illico en France et ne mettrai plus jamais un orteil ici.

Je dis tout ça mais, tout au fond de moi, je sais que j'en suis incapable. Et même si Johnny mérite que je disparaisse en lui brisant le cœur en mille morceaux, je n'en ferai rien. Je ne supporterai plus de vivre loin d'ici. Ahh ! Je veux seulement qu'on me laisse vivre en paix parce que, ça devient lassant d'expliquer aux uns et aux autres que je ne suis pas amoureuse du beau blond.

Oui il est intelligent, oui il est charmant, oui il est gentil, oui c'est un bon parti, mais à un moment donné, ça ne suffit pas.

En quelle langue faut-il que je le dise pour être comprise ?

Et d'ailleurs, il n'est pas si gentil que ça le Johnny. La semaine dernière au dîner de tante Edna, il a osé dire des choses infâmes sur les personnes de couleurs. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans sa tête mais, lui qui disait être de mon avis concernant l'apartheid, a tout simplement retourné sa veste devant sa marraine. Il a dit des choses...

Il aurait mérité mon coup de pied là où je pense.

En ce moment, je me sens acculée et je n'aime pas ce sentiment qui me fait sentir à l'étroit à cause des projections d'autrui. C'est de moi seule dont il s'agit, et j'aimerai pouvoir choisir et organiser ma vie comme je l'entends. Johnny ne fait pas partie de mes plans mais, il faut croire qu'il a une armée de supporters qui l'encourage à ne rien lâcher.

Je sais que ce sera difficile pour moi de me libérer de tout ça.

Le pire, c'est que je n'arrive pas à comprendre pourquoi il insiste tant. Déjà lorsque nous étions au lycée, il y avait des rumeurs qui courraient sur lui et moi. À l'époque, on l'appelait Johnny John. Il était un blondinet, gringalet, hyper boutonneux et surtout inintéressant ! Aux antipodes de ce qu'il est aujourd'hui.

Bref ! Ce n'est pas le sujet...

En pensant à tout cela, j'ai un mouvement d'humeur et Milka me file entre les doigts. Il s'échappe de la chambre par la terrasse et il a bien raison, il fait meilleur à l'extérieur mais pour l'instant, je préfère l'intimité de ma chambre.

Je profite de cet instant de solitude pour allumer la radio, on dirait bien que dans ce pays, les nouvelles ne soient jamais bonnes. Je n'ai pas le moral à écouter le discours raciste et inapproprié des journalistes, alors je change immédiatement de station, pour tenter de me détendre avec un peu de musique. « Imagine » de John Lennon défile sur les ondes et remplit ma chambre de ses notes douces. J'aime bien cette chanson, elle me rappelle Maman. Mon interlude mélodique s'interrompt lorsque papa frappe à ma porte.

— Puis-je entrer ?
— Tu es déjà là, il me semble ?
— Écoute Gabriella, je suis lassée de cette guerre... Je voudrais retrouver ma fille.
— ...
— Ta mère serait horrifiée de voir qu'on ne se parle plus.
— À qui la faute ?
— Gabriella... Je... Je suis désolé pour tout
— Pour tout quoi ?
— Écoute, je suis sincèrement désolé. Je sais que tout est difficile pour toi depuis que Julie n'est plus là. Ça l'est pour moi aussi... Je veux juste qu'on arrange les choses... Enfin si tu veux bien.
— Arranger les choses ? Mais comment veux-tu qu'on arrange les choses, si tu choisis tout pour moi ? Je ne veux pas d'une vie où je suis obligée de vivre par tes yeux.
— Gaby...
— Et n'ose pas me dire que tu fais ça pour mon bien. Ça ne me fait aucun bien, vois-tu ?
— Je sais que je suis dur avec toi, mais crois-moi, un jour tu me remercieras.
— Te remercier ? Ah ben ça alors !
— Je ne te demande une seule chose, une seule et je te promets que pour le reste de ta vie je ne t'imposerai plus rien.
— Voyez-vous ça ? Dis toujours...
— Épouse Johnny Van der Noot.
— Pardon ? Je questionne absourdie.
— Il m'a fait sa demande et il compte te poser la fameuse question prochainement...
— Ah donc voilà la raison de ta présence ici. Je me disais bien que ça ne pouvait pas être aussi simple.
— Je t'en prie Gaby, c'est important.
— Que puis-je dire maintenant que tu as accepté, il aurait fallu me demander avant de lui dire oui ?
— J'ai accepté parce que c'est un chouette gars. Il t'apprécie vraiment Gaby; il est fait pour toi.
— Doux Jésus ! Il est fait pour moi, dis-je en levant les bras au ciel ? Mais tout va bien alors !
— Je veux que tu sois à l'abris, Johnny saura prendre de soin de toi, j'en suis certain.
—....
— Penses-y en tout cas... Ne dis pas non sans l'écouter... Bon... Je vais te laisser.

« Penses-y». Non mais c'est la meilleure !

Je roule les yeux au ciel tant je suis dépitée. Je suis furieuse que Papa lui ai accordé ma main sans même me consulter. Il savait pourtant que je ne veux pas de Johnny pour mari. Mince à la fin ! Moi, celui que j'aime s'appelle Toumi.

C'est incroyable qu'en 1976 je sois encore obligée de passer par mon père pour savoir qui je dois épouser. C'est dingue ce manque d'autonomie et de considération. C'est fou de me réduire à si peu de chose. Nous ne sommes plus au moyen-âge tout de même !

« Johnny saura prendre de soin de toi. »

Cette phrase raisonne en moi et torture mon âme tout entière. Je ne veux pas qu'il prenne soin de moi. Je ne l'aime pas, en tout cas pas comme ils s'y attendent tous. Je dois à tout prix trouver une solution, il est hors de question que j'épouse « Johnny John ! ».

*

Assise dans le joli salon de thé que Miss Harper tient dans la rue principale, j'attends impatiemment l'arrivée de tante Edna. Pour une fois, je suis au rendez-vous avant elle, c'est assez rare pour être souligné.

Trois minutes plus tard, ma tante laisse apparaître sa frêle silhouette. Je me lève pour l'accueillir. Elle est habillé de sa robe rouge préférée, celle qui matche parfaitement avec la couleur feu de ses cheveux et ses grands yeux verts. Elle m'embrasse chaleureusement et s'assois face à moi.
— Alors qu'il y a-t-il de si urgent, pour que tu me convoques à pareille heure ?
— Ton filleul m'a demandé en mariage hier soir. Je sortais du travail, il a proposé de me raccompagner, par politesse j'ai accepté et je me retrouve avec une saleté de demande en mariage dans les pattes.
— Et alors ? c'est parfait. C'est tout ce dont je rêvais.
— Tante Edna, je ne l'aime pas. Je te l'ai dit, je l'ai dit à papa, je le lui ai dit... Quelqu'un va-t-il enfin tenir compte de mon avis ?  C'est du jamais vu ça tout de même !!
— Qu'as-tu répondu ?
— Rien. Je me suis mise à pleurer et je me suis enfouie en courant.
— Gabriella, tu es d'une totale incorrection... C'est à peine croyable.
— Que voulais-tu que je fasse ?
— Quand grandiras-tu ?
— Je grandirai quand on ne m'obligera pas à épouser un homme dont je ne veux pas. Je ne peux pas Tante Edna !
— Pourquoi ça ? Il est beau comme un Dieu, il est intelligent, il a de la conversation et beaucoup d'humour aussi... Vraiment je ne te comprends pas Gabriella. Ne fais pas la même erreur que moi, ou tu vas finir seule.

Elle se trompe. Je ne finirai jamais comme elle !

—...
— Si je pouvais revenir en arrière, j'accepterais les demandes qui m'ont été faites à l'époque. J'ai préféré vivre mon veuvage jusqu'au bout, mais regarde le résultat aujourd'hui... Je vis avec mes deux chats et mes domestiques. Tu crois que c'est une vie ça ?

Je lâche un rire sonore qui m'étonne autant qu'elle.

— je suis confuse ma tante, je ne voulais me moquer, je dis en cachant mes lèvres souriantes avec ma main droite.
— Tu vois, je provoque l'hilarité des jeunes filles en fleurs... Ah ! souffle-t-elle faussement de désespoir.

Je ris parce que ce qu'elle dit est drôlement vrai. Cependant, tante Edna a vraiment l'air affectée et, c'est bien la première fois qu'elle évoque son célibat comme étant une erreur.

Il y aurait-il finalement un cœur romantique qui bat au fond de son poitrail ?

Que tante Edna me supplie ne changera rien. Je ne veux pas épouser Johnny Van der Noot ! Elle connaît ma position et sait que je ne changerai pas de position. Pourtant, c'est à ce moment là qu'elle joue son va-tout, en me faisant une proposition « malhonnête » qui va être difficile à refuser.

Encore une fois, Edna m'a piégé !

— Alors quand dis-tu ? C'est un bon compromis non ?
— Difficile ! Cette proposition c'est tout au rien, et je ne suis pas certaine d'y gagner au change.
— C'est un bon compromis Gabriella. Réfléchis-y.
— Pff ! C'est du chantage Tatie, pas un compromis.
— C'est pour ton bien Gaby.

Je dois faire attention, car je risque de me retrouver marier à M. Van der Noot sans m'en rendre compte. Si je ne la connaissais pas, je dirais que tante Edna me déteste. Je ne sais à quel jeu elle joue, mais en tout cas, elle y joue très bien.

Je suis coincée !



***


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