9 | Un avenir dévié


Point de vue Avery
Nous marchions à contre-sens de notre avenir, nous le dévions.


Il y a des jours où j'aimerai disparaître. Pouvoir m'envoler de ce monde qui n'est plus le mien. Et tout simplement oublier.

C'est actuellement ce que je ressens quand cet étudiant se lève. Ce sont ces mêmes cheveux sombres, cette même peau halée et ces mêmes yeux obscurs que je retrouve. Les yeux fermés, j'attends quelques secondes, comme si tout allait s'évanouir. Mais au fond, je sais. Je suis consciente que hier soir je ne me suis pas inscrite, je n'ai pas taché de noir le papier blanc mis à ma disposition. Et à vrai dire, je m'en veux terriblement.

Tremblante, je prends appuis sur mes pieds et je tends enfin les jambes pour me lever. Je suis à la vue de tout le monde, tout ces regards rivés sur moi semblent me consumer le corps. Encore une fois, je panique, mes mains ne cessent de danser ensemble tandis que je tente de maîtriser ma respiration. J'ai là, une sensation inconnue, comme si j'étais au bord du vide et qu'on cherchait à m'y pousser.

— J'ai pas toute l'heure... ronchonne Serena. Venez-ici. 

C'est à ce moment-là que je me décide enfin à poser les yeux vers mon futur coéquipier. Je le regrette aussitôt quand j'aperçois son regard destructeur sur moi, il semble aussi inquiet qu'hésitant. Ses pupilles semblent se noyer dans la couleur chocolat. Armé d'un couteau, j'ai l'impression qu'il me chatouille le dos quand je me retourne pour faire face à Serena.

Celle-ci attend impatiemment, les bras croisés et le menton levé. Son regard glacial accroche le mien et je ne peux que baisser la tête. Je remarque du coin de l'œil qu'il se place à côté de moi, devant mon professeur. Mon coeur rate un battement quand je croise le regard de la dizaine d'élèves présents dans la salle. Dos aux élèves, nous attendons que Serena nous tendent les papiers.

—Très bien, maintenant prenez appui sur le piano et remplissez-moi ça. Pendant ce temps, nous allons approfondir le sujet avec vos camarades, annonce-t-elle. 

Elle nous tend un stylo que je récupère rapidement. Mon partenaire s'empresse de récupérer les deux feuilles et se dirige à grande enjambées vers le fond de la salle. D'un pas non assuré, je le suis sous l'œil avisé des étudiants. Parmi eux, je reconnais Beryl qui glousse en me regardant. À côté, d'elle, se tient Cole. Ses yeux bleus croisent les miens un court instant mais je brise ce contact aussi vite qu'il n'est apparu. Mon regard se repose sur le jeune homme devant moi. Il enjambe les élèves sans leur prêter attention, ses gestes se font rapides et maîtrisés quand à moi, c'est tout le contraire. À l'opposé, les étudiants ne s'écartent pas quand je tente d'avancer. Bien évidement, je n'ose pas leur dire de dégager, alors je prends la deuxième option. Hâtivement, je contourne le groupe pour rejoindre le piano.

Là-bas, l'étudiant m'attend. Au fur et à mesure que j'avance, ses yeux m'épie de haut en large. Le coude appuyé sur l'instrument à queue, il m'étudie. Son regard idiot se promène sur mon visage pour finir sur mes pieds. Je mentirai si je disais que cela ne me dérange pas. Arrivée à son hauteur, je me rend vite compte de qui j'ai à faire. Du haut de mon mètre soixante-dix, je suis quand même contrainte de lever la tête pour le regarder dans les yeux.

Ses lèvres pulpeuses se pincent quand je me racle maladroitement la gorge.

— Le stylo s'il te plaît, me demande-t-il. 

Timidement, je remonte ma paume à hauteur de son buste et ouvre mon poing. Ses doigts agiles viennent chercher avec délicatesse l'objet au creux de ma main. Un fois de plus, son corps rentre en contact avec le mien et cette fois-ci, aucun tissu ne me protège. Je peux directement sentir la chaleur qu'il émane, ses ongles me frôlent et déclenchent de légers frissons. Il a dû certainement ressentir la gêne entre nous puisqu'il se retourne sans un mot vers les papiers déposés sur le bois vernis du piano. Son regard chocolaté se balade entre les lignes et vient s'attarder à quelques endroits. Curieuse, je m'avance vers lui, toujours en silence. Les poings serrés par la nervosité, je me poste à ses côté et le regarde écrire.

Quand mes yeux se posent sur sa main, ses doigts se contractent jusqu'à en devenir blanchâtre. Je l'ignore et me concentre plutôt sur ce qu'il écrit.

Cayden Bryant.

— Quoi, il y a un problème avec mon prénom ?

Je lève les yeux vers lui et regrette aussitôt mon geste. J'y trouve un sourire joueur et des yeux luisants de défi. C'est à ce moment là que ma voix se bloque, un instant j'aurai cru pouvoir lui répondre un simple "non" mais tout s'est arrêté.

Impatient, cet inconnu au nom de Cayden hausse les sourcils face à mon indifférence. Il s'attendait sûrement à un réponse de ma part..

— Je parle à la fille qui ne sait qu'écrire. Celle qui a perdu sa langue. 

À cet instant, j'aimerai lui répondre, l'envoyer balader. Comme une idiote, je ne trouve rien de mieux que de hocher la tête. Les lèvres de Cayden s'élargissent un instant quand mon regard se pose sur celles-ci mais son expression change brutalement quand il reporte son attention sur le formulaire sous ses mains. Ses doigts s'affairent encore un fois à faire glisser l'encre noir sur le papier. Bien trop préoccupé par ce garçon, je me retourne et observe la salle du coin de l'œil. Les étudiants sont tous à l'écoute de Serena qui ne cesse de parler. Bizarrement, sa voix me semble lointaine et différente d'autrefois.

Merde. Voilà que maintenant, il me tend le stylo. Son bras se tend vers moi en me pointant avec le stylo. Maladroitement, je l'arrache de sa main. Cayden écarquille tout d'abord les yeux, sûrement surpris de ma volonté mais quand il remarque mes légers tremblements, je l'entends soupirer.

— Tu veux que j'écrive ? J'irai plus vite, demande-t-il. 

Étrangement, sa voix habituellement calme mais piqueuse laisse place à de la douceur. Je n'irai pas jusqu'à parler d'un soudain changement mais il a modifié légèrement son ton en quelque chose de plus bienveillant. Au même moment, je me rends compte que les propos antérieurs de Cayden n'ont rien de méchant. La façon dont il étire gracieusement sa bouche à chaque fin de phrase me confirme qu'il ne veut en aucun cas me vexer. Comme si lui aussi, voulait faire disparaître sa nervosité. Je me reconnais quelque part dans son comportement alors je hoche lentement la tête pour l'inviter à reprendre le stylo.

Sans un mot, il s'empare de l'objet en prenant soin d'éviter mon épiderme. Toujours avec son sourire charmeur, il reprend en main les feuilles et choisit celle qui m'appartient.

— Prénom ? 

Ça y'est, ce mot suffit pour me faire paniquer. Je me retrouve face à une impasse. Cette fois-ci, je n'ai pas de quoi lui écrire, je ne peux pas me dissimuler derrière une simple feuille. Alors, je prends mon courage à deux mains. Malgré les yeux insistants de Cayden, j'entre-ouvre les lèvres :

— Avery.

Comme si je pouvais disparaître, je tente de fermer les yeux pour ne pas avoir à supporter ses prunelles. Mais malheureusement, j'en suis incapable. Je ne pourrai décrire le regard qu'il porte maintenant sur moi. Ce n'est en aucun cas de la moquerie face à mes bégaiements. Au lieu d'afficher son éternel sourire, il se mord la lèvre inférieur et ne porte aucune attention sur le mien. Au fond de moi, je ressens pour la première fois depuis ma rencontre avec Cayden, de la fierté. Malgré mon anxiété, j'ai essayé et j'ai parlé, peu importe ce qu'il pense.

— Curieux prénom... Ton nom ? »

C'est repartit... Je lève les yeux vers Cayden. Ses iris sombres rencontrent les miennes un court instant et je ne peux ignorer cette étrange sensation qui s'empare de moi. Seulement, je ne peux pas fermer les yeux sur la confusion dans son attitude. Précipitamment, ma respiration s'accélère. Comme si il avait deviné mes envies, Cayden s'empresse de me tendre la feuille d'inscription. Je le remercie de la tête toujours aussi nerveusement et attrape le stylo qu'il dépose sur le piano, évitant tout contact.

Inconsciemment, je me penche vers l'instruments et remplit le formulaire. De là où je suis, son regard insistant ne cesse de me brûler le ventre. À travers mes doubles couches, il réussit à me déshabiller du regard. Bêtement pendant que j'indique le nom de mon partenaire sur ma fiche d'inscription, je fais l'erreur de tourner légèrement la tête pour croiser son regard. Et bien évidemment, avant que je ne me retourne furtivement, c'est ce même sourire que je retrouve.


☆★☆


Le vent me fouette le visage tandis que j'avance discrètement vers le parking de l'école, le visage emmitouflé dans mon écharpe. Le sac sur les épaules, j'ai pris soin de partir avant tout le monde, surtout avant Cayden. Depuis qu'il a posé son regard sucré sur moi, j'ai l'étrange sensation de regretter. C'est comme si j'avais peur, non de lui mais plutôt de moi. J'ai l'impression de craindre mes gestes et mon attitude. Un court instant, quand son sourire s'est élargit, j'ai eu honte. Honte de moi-même et de mon renfermement. Bien évidemment, ce sentiment s'est échappé aussi vite qu'il n'est arrivé.

Des éclats de voix me ramène à la triste réalité et le temps nuageux n'arrange rien. Quand je pénètre dans la voiture étincelante de Nora, j'ai l'impression de revivre. Tous les bruits qui m'entouraient disparaissent alors que je souffle bruyamment. C'est à ce moment là, en fixant d'un air rêveur les gouttes qui commencent à s'écraser sur le pare-brise que je remarque un groupe d'étudiant. Devant eux, Beryl se dandine au rythme de ses bottines sur le bitume, rapidement suivit de Cole. Ses cheveux blonds se balancent de droite à gauche pendant que ses yeux bleus épient tout ce qui bouge. Derrière lui, je remarque la même fille qui était venu voir Cayden à la fête, ses longs cheveux bruns sont attachés en queue de cheval. Tous les trois discutent, le sourire aux lèvre.

— Putain la bête.

C'est alors que je remarque deux personnes derrière eux. Je discerne tout d'abord deux paires de chaussures et quand j'arrive enfin à trouver le visage de leurs propriétaires, je manque de m'étouffer avec ma propre salive. Cayden se tient à quelques mètres de la voiture, accompagné d'un autre garçon.

— Le grand brun avec le sweat noir ?, je la questionne. 

Les lèvres pincées, j'observe Cayden. De là où je suis, je distingue clairement sa silhouette athlétique et ses cheveux presque noir. Son allure assurée me fascine de plus en plus et je ne pourrai décrire cette attitude qu'il aborde. Mon amie ne prend pas la peine de me répondre, elle continue à baver. Après un long silence de gêne, elle se décide enfin :

— Non, celui d'à côté, ce musclé tatoué. Il est super sexy, tu trouves pas ? 

Je mets la main sur un jeune homme aux allures sombres. Bizarrement, tout chez lui me rappelle l'attitude de Cole. Ses cheveux sont plaqués sur son crâne avec du gel. Du peu de peau que je peux observer, j'arrive à discerner des tatouages montant jusque dans son cou.

— Grosse erreur, crié-je à travers l'habitacle de la voiture.

— Et pourquoi ?

— 

Nora daigne enfin à tourner la tête dans ma direction. Mais au fond, ses yeux luisants sont toujours entrain de rêver de cette peau couverte d'encre noire. 

— Un mois ça me va, déjà trois semaines avec Teddy et je suis au bord de la crise.

— Mais Teddy est adorable ! 

Nora fronce les sourcils.

— Je te le refile si tu veux. Il est beaucoup trop collant et attentionné, ça en devient saoulant.

— Garde ton Teddy, j'en veux pas

— C'est sûre que tu préfère tes chaussons, ils savent se taire eux. 

La dureté de ses propos m'assaille mais je ne laisse rien paraître.

— Attends tu insinues que Teddy parle trop ? rigolé-je.

— Ouais, des fois j'aimerais qu'il t'en donne un peu. Ce serait bien.

— Même si je parlais, les gens n'y prêteraient pas tellement attention.

Ses yeux rencontrent à nouveaux les miens sans jamais me laisser découvrir les sentiments qu'ils traduisent.

— Oh merde, il tourne la tête vers nous, s'exclame Nora en observant à nouveau le jeune homme. 

— Il ne nous regarde pas.

— Comment ça ?

— Il regarde la voiture de derrière, dommage pour toi. 

En effet, il s'empresse de rejoindre une berline noire flambant neuve, juste derrière celle de Nora.

— Si tu as l'occasion de lui parler un jour, tu pourras lui dire que je suis la fille qu'il lui faut ? me demande Tessa, le sourire aux lèvres. 

 Je laisse sa question en suspend. Irritée, Nora démarre à toute vitesse. Dans son élan, je me cramponne au siège et me murmure à moi-même, le regard vide :

 — Dans tes rêves. 



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