8 | Ce sourire qui nous est confié


Point de vue Cayden

❝ Être seul au monde n'est qu'une impression, il y aura toujours cette personne qui vous sourira. 


Mes jambes battent l'air, elles dansent dans le vide. Mon corps tout entier semble flotter dans l'immensité qui m'entoure. Dans celle-ci, pas un oiseau, pas un mouvement, seulement moi et ce vide aussi sombre que mon esprit. Sans réelle conviction je tends le bras à la recherche d'aide, comme si une main tendue pourrait me rattraper. Seulement, rien ne vient, tout s'immobilise. Je ne sais pas combien de temps je reste comme ça, perdu et l'esprit égaré, peut être des minutes, ou des heures. Ce que je sais, c'est que j'ai arrêté de compter quand le creux obscur m'a emporté avec lui, que les monstres sont venus me chercher.

Alerté par les cognements incessants de mon cœur contre ma cage thoracique, je reviens à moi. Je me relève brusquement de mon lit blanc faisant contraste avec ma silhouette. Des mèches rebelles sont collées à mon front immaculé de sueur, avec délicatesse je viens les relever. Ma respiration se fait saccadée au fur et à mesure que mon rêve se reconstruit dans ma tête. Je me revois dans ce trou béant, les bras en l'air, les jambes affolées et les yeux fermés...

Calme-toi Cayden, murmuré-je à moi-même.

Les mains encore tremblantes, j'attrape ma guitare encore fourrée dans un coin de ma chambre. Je n'attends pas plus, je la positionne sur mes genoux. Au contact du bois froid, mes poils s'hérissent.

Rythmé par les pulsations, j'oubli ce qui m'entoure. Lentement je m'évade dans ce seul recoin encore vierge de mon cerveau. La fumée qui d'habitude m'étouffe, se dissipe tout autour de moi alors que les premières notes s'évadent. Le son n'est pas dans ma guitare, il est entre mes doigts. J'apprivoise comme à chaque fois cette facette de moi-même, celle à qui j'aimerai ressembler.

Les paupières fermées, j'analyse mes pensées. Au fur et à mesure que mes doigts glissent sur les cordes, la réflexion prend le dessus. En jouant, les événements de la semaine me reviennent, je repense au sourire diabolique d'Hunter, à la gentillesse d'Emy ou encore à ce concours artistique qui ne me plaît guère. Mais ce que je revois par dessus tout, c'est le visage de cette fille. C'est comme si ses yeux bleus étaient devant moi, qu'ils me défiaient.

Avery.

C'est ce que cette professeur de danse a crié hier soir quand elle s'est effondrée, quand son océan s'est refermé. Les vagues se sont arrêtées, l'écume a disparue et le vide de ses paupières est apparu. Ce n'est qu'en repensant à mes mains dans son cou et sur ses épaules qu'une vague de chaleur m'envahit. Etrangement, je ressens une certaine gêne envers cette inconnue, sentiment que je ne connais pas vraiment.

A ce moment là, mes notes sonnent plates et manquent de vie, comme si le vide s'emparait à nouveau de moi. Ma façon d'attaquer la note avec le doigt est trop agressive, ou trop douce, je ne sais pas. J'étouffe légèrement la corde par moments, ne lui laissant pas la possibilité de vibrer librement. Ces éléments que je maitrise d'habitudes semblent en vouloir faire des leurs. L'improvisation que je m'étais alors imposé s'envole pour laisser place au manque d'inspiration.

Besoin d'aide ?


☆★☆


C'est ça, maintenant relâche doucement pour laisser résonner la note.

Je souffle bruyamment en tentant de cacher mon énervement derrière le masque que j'utilise jours et nuits.

— Surtout, ne balance pas la guitare à l'autre bout de la pièce Cayden, chuchote Nelson »

Quand j'ai vu mon frère aîné débarquer dans ma chambre une heure plus tôt, j'ai sauté au plafond. Le revoir fait naître à chaque fois en moi une boule d'énergie qui m'incite à continuer ma route. Quand Nelson est là, il reprend en main mon volant et m'empêche de finir dans le fossé de mes souvenirs. Alors quand il ouvre la bouche, je ne peux contenir un rire.

Les parents me tueraient si je détruisais leurs fins de mois, je réponds.

Tu les connais, tout se mérite maintenant.

Tous deux savons qu'étant jeunes, nous n'étions pas des enfants innocents. En pleine crise d'adolescence, il nous arrivait souvent de sortir le soir au skate parc en bas de la rue. Là-bas, nous y retrouvions nos camarades de lycée pour se vider les tripes et tirer une latte en cachette. C'était devenue la meilleure période lorsque j'ai rencontré Mallory, une fille aussi silencieuse que destructrice, comme une clope. Mais cette période est vite devenue la pire de ma vie quand j'ai pris conscience de mes actes, que je les ai regretté.

Rapidement, j'essaye tant bien que mal de retrouver le sourire que j'avais perdu sous l'œil avisé de Neslon. Pour briser ce silence gênant qui fait renaître en nous de mauvais souvenirs, mon frère s'exclame le premier, à mon plus grand bonheur :

Mais dis-moi, un samedi après-midi à ton âge tu ne devrais pas être entrain de vagabonder avec tes potes ?

Parle pour toi Nel, on dirait que t'as quarante piges. Je te rappelle que t'en as seulement vingt-trois !

Neslon me souris en relevant la tête vers moi. Ses yeux on une lueur d'amusement, de défi.

T'approche de tes dix-neuf ans alors fais pas le jeune, dans quelques années tu regretteras d'être resté sur ce lit à jouer de la guitare avec ton grand frère.

Et si j'aime ça ? Et si je m'en foutais royalement de ne pas être avec les seuls amis qui me restent ?

Neslon lève les mains au dessus de sa tête, vaincu.

D'accord... J'abandonne.

J'ai à peine le temps d'esquiver un sourire que ma mère débarque dans l'encadrement de la porte, le visage tordu par l'inquiétude. Ses ongles tapent nerveusement sur la tasse cuivrée qu'elle tient dans ses mains.

Dépêchez-vous de descendre prendre le thé avec votre père et moi. Ça fait dix minutes qu'on vous appelle.

Son bras se lève et pointe en direction du couloir seulement éclairé par les bougies parfumées. Un instant, j'ai l'impression de retourner cinq ans en arrière, lorsque ma mère élevait la voix pour me faire comprendre que j'avais fais une connerie. Mais il faut croire que maintenant, je m'y suis habitué.

J'aime pas ce truc c'est dégueulasse, râlé-je.

Les yeux ronds de ma mère me font vite comprendre que je n'ai pas le choix. Elle est comme ça, sévère mais tout le monde sait que c'est pour se donner une image, se rassurer sois-même.

Je souffle bruyamment et suivi de mon frère, je sors de ma chambre. Alors que je déambule, Nelson sur mes talons, je m'empresse de crier pour que tous les occupants de la maison m'entendent :

De toute façon, je ne reste pas longtemps ! J'ai cours cette aprèm.

Près de moi, j'entends Nelson marmonner dans sa barbe.

Sérieux ? Depuis que j'ai quitté cette baraque, je me souviens pas de cet emploi du temps aussi chargé.

Non c'est exceptionnel. J'ai quatre heures de cours en plus par semaine maintenant.

Curieux, Nelson s'arrête net alors que j'entame la descente des escaliers. Les mains sur les hanches, il fronce les sourcils.

— Putain ces profs... Et en quel honneur ?

Je me souviens encore du jour où j'ai annoncé à mes parents que je voulais vivre de la musique. Je revois mon frère, encore lycéen, adossé contre la porte de la cuisine, son sourire en coin et ses yeux remplis d'admiration. Ce souvenir ne peut que m'arracher un sourire et me faire comprendre que j'ai de la chance, j'étudie le métier de mes rêves. Tout à coup ce projet artistique ne représente pas plus qu'une petite miette qui ne demande qu'à être. À ce moment-là, mes poings se serrent et un sourire sadique s'étend sur mes lèvres.

— Juste un concours régional, rien de plus.


☆★☆


Irrité, je fais tournoyer mes clés de voiture autour de mon doigt. À travers le pare brise, j'observe les danseurs un à un, dans leur tenue extrêmement moulante, se précipiter vers l'entrée. Agacé d'être là au lieu de tenir compagnie à mon lit, je souffle bruyamment en déviant mon regard un peu plus loin.

Je ne la reconnais pas tout de suite. Au début, sa silhouette fine et élancée me paraît banale mais quand ses petites mains s'accrochent fermement à un poteau pour se retenir de tomber, ses cheveux blonds m'alertent. Cette fois-ci, il sont relevés en un chignon beaucoup trop bien réussit. Quelque part, je regrette de ne pas les voir se soulever à chacun de ses pas non rassurés. Mais ce qui retient le plus mon attention, ce sont ces yeux. De là où je suis, je peux nettement discerner les cernes qui trônent en dessous de son regard bleu. Celui-ci semble absent, vidé de toute émotions. À en voir la couleur pâle de son visage, cette certaine Avery n'a pas pris la peine de se tartiner une couche orangée sur la peau ce matin.

Encore perdu dans ma réflexion, je n'entends pas tout de suite Emy toquer à la vitre. Lentement, je l'abaisse pour laisser entrevoir son visage radieux. Je mettrai ma main à couper que c'est à cause de ma dispute avec Hunter. Emy ne l'apprécie pas vraiment et quand je ne traîne pas avec lui, elle est plus qu'heureuse.

Salut ! s'écrit-elle en penchant sa tête vers moi pour déposer ses lèvres sur ma joue.

Un instant, ses longs cheveux bruns me chatouillent le visage, et je pourrais presque en redemander. Après lui avoir répondu, je me glisse rapidement hors de la voiture en prenant bien soin de fermer la vitre et l'habitacle par la mêle occasion. Mon sac sur les épaules, j'enroule mon bras autour des épaules de mon amie, par pure amitié. Celle-ci se raidie par mon contact mais ne me repousse pas. Ensemble, nous entrons dans l'école de danse pour ce premier cours en binôme. J'essaye de cacher mon anxiété et laisse paraître ma mine comédienne. À mon plus grand soulagement, Emy lève la tête vers moi mais ne remarque rien. Ses lèvres s'étirent en un sourire charmeur.

Dis-moi, ça sera toujours ici les cours préparatoires ? Parce que rien que mettre un pied ici, j'ai envie de gerber.

Non le lundi et mardi soir c'est dans notre école, le jeudi et samedi aprèm, c'est ici. C'est normal tu sais, il y a plus de place ici pour les danseurs que dans nos salles remplies d'instruments ou de peinture...

Ses yeux se posent une nouvelle fois sur les miens et j'affiche une mine interloquée. J'ai l'impression qu'elle récite une réplique sur le bout des doigts.

Quoi ? demande-t-elle.

Je secoue la tête.

Rien. Il me tarde de partir d'ici, ça pue la perfection à trois kilomètre !

Emy rigole mais s'arrête net quand nous pénétrons dans la même salle que la première fois où j'ai posé les pieds ici. Mon regard se pose automatiquement sur le piano qui trône toujours dans le coin. Cette fois-ci, personne ne fait parcourir ses doigts dessus.

Ah, voilà nos retardataires !

À ma gauche, Serena se tient fermement à la barre d'exercice pendant que ses yeux nous épient, Emy et moi. À ses pieds, les élèves chuchotent des choses incompréhensibles à l'oreille de leur camarade. Parmi eux, je reconnais des étudiants de mon école mais par dessus tout Hunter... Étrangement, son regard n'est pas sur moi mais plutôt sur mon amie. Il fait parcourir ses yeux le long d'Emy avec son regard pervers et à vrai dire, je me retiens de lui envoyer mon poing.

Excusez-nous, murmure Emy en me lançant un regard suppliant accompagné d'un coup de coude.

Je suis tout d'abord ébranlé que mon amie puisse se faire aussi facilement manipuler par cette femme. Nous ne somme rentrés qu'une petite minute après Avery. Je le sais puisque je n'ai pas arrêté de l'observer le long du chemin. La réalité me rappelle vite à l'ordre. C'est vrai, c'est du Emy tout craché.

Mmmm, j'articule en réponse.

Serena hoche la tête et repose son attention sur les autres étudiants.

Maintenant on passe aux choses sérieuses, son regard se transforme en braises, le jeudi et samedi après-midi, c'est moi qui m'occuperai de vous. Je vous observerai et conseillerai pour sortir le meilleur de vous-même. Et le lundi et mardi, c'est Paul qui prendra la relève.

À la mention de mon professeur, ses yeux se lèvent au ciel accompagnés d'un haussement de sourcils.

Vous l'aurez compris, nous cherchons à rendre votre travail parfait pour peut être avoir une chance d'être sélectionné pour la suite du concours.

Enfin assis, je me penche vers Emy pour lui murmurer à l'oreille :

Tu vois.... La perfection, toujours ce mot en bouche.

Un faible sourire éclaire son visage mais disparait aussi vite qu'il n'est apparut quand Serena reprend son discours.

Pour revenir aux inscriptions, je suis contente de vous. Hier soir, j'ai reçus presque le nombre de binôme que j'attendais. Vous avez bien joué le jeu en faisant équipe avec un élève de l'école opposée, je vous en félicite.

Serena semble déformer son visage, certainement un sourire. Quelques exclamations se font entendre dans la pièce. Les gens sourient entre eux. Ce n'est que lorsque que je veux me retourner vers mon amie, que je remarque qu'elle est partie rejoindre sa coéquipière, une certaine brune aux cheveux coupés courts...

De mon côté, ma respiration s'accélère quand Serena perd son sourire pour poser son regard sur moi. La suite, je la connais :

— Cependant, je suis déçue de deux élèves qui n'ont pas fait l'effort de s'impliquer dans ce premier exercice de ma part.

Son regard passe du mien vers un autre élève. Je n'ai pas le temps de regarder dans sa direction que son attention revient vers moi.

J'ai pris donc la décision de les mettre ensemble. Peut être qu'ils pourront nous rendre un beau travail, qui sait ? Levez-vous tous les deux et venez remplir les papiers.

Les élèves rient à ses propos mais moi, tout ce que je remarque, c'est le sourire hypocrite d'Hunter quand je me lève. Lentement je fais glisser mon regard vers le centre de la salle. Étrangement, j'ai cette sensation d'insécurité, savoir tous ces regards sur moi me donne la chair de poule.

Alors que je m'attends à ce que mon ami se lève à son tour, quelqu'un le devance, une silhouette que j'aurai voulu éviter.

Plus tard, mon cœur s'en voudra.



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