5 | L'inconnu à l'ombre mystérieuse


Point de vue Avery

❝ Il était l'ombre mystérieuse de mon espoir.  


Les rayons qui filtrent à travers les stores attaquent mes yeux d'un rayon chaud et lumineux. Alors que je tente d'émerger, mon regard encore amorphe se pose sur les feuilles éparpillées autour de moi. L'écran de veille de mon ordinateur portable semble m'hypnotiser des ses couleurs vives qui bougent dans tous les sens. À peine ai-je le temps de reprendre désespérément mes esprits que la réalité me rattrape à grands pas.

Trois jours sont passés depuis l'annonce du concours régional organisé par les écoles des alentours et il faut dire que je ne m'en suis toujours pas remise. À chaque fois que mes pensées s'y dirigent, un mélange d'excitation et d'appréhension gagne mon estomac. Je redoute les travaux en binôme, je n'aime pas cette complicité que nous devons obligatoirement avoir avec nôtre partenaire. 

Maintenant, je me retrouve ici, assise sur mon lit, perdue dans l'immensité de mon anxiété. Avec des gestes lents, je me lève à contre cœur du matelas où je reposais pour laisser entrer la lumière dans la pièce encore sombre. L'air frais de mi-octobre s'écrase alors sur mon visage inerte et me rappelle la fin de journée. L'après-midi touche bientôt à sa fin et je n'ai eu le temps de faire qu'une chose, rejoindre les bras de Morphée. 

Rapidement, je m'active à rassembler les papiers qui trônent un peu partout dans ma chambre. En ce moment, le temps m'échappe bien trop souvent. Le soir quand je rentre, je n'ai même pas le temps de me poser qu'il est déjà l'heure de rejoindre mon lit ou alors, consacrer la majeure partie de mon temps à rechercher de nouveaux échauffements sur internet. Mais aujourd'hui, c'était différent. J'ai passé ma matinée à chercher des informations sur l'école d'art. Quand ils sont tous rentrés dans la pièce, j'ai vu des adolescents emplis de confiance, déterminés. Un sentiment de curiosité est né en moi. À l'heure actuelle,  j'essaye tant bien que mal de l'effacer. 

Dire que ce soir, je vais me retrouver coincée entre toutes ces personnes, assise sur une chaise en plastique à les regarder danser et discuter. je n'ai pas le choix, Serena me l'a bien fait comprendre lors des cours de ces trois derniers jours, ses regards noirs quand je m'écartais du groupe ou alors sa fâcheuse manie de faire des échauffements en duo. Elle tente par tous les moyens de m'intégrer et jusqu'à présent, elle ne semble pas comprendre que c'est peine perdue. 

Tandis que je m'affaire à fouiller dans mon armoire, à la recherche d'une tenue convenable pour la soirée d'ouverture, la porte s'ouvre en grand sur une Tessa radieuse et souriante pour changer.

Enfin réveillée  ?

Qu'est-ce que tu viens faire là ?

Du calme, je suis venue en paix.

Vraiment, Tessa venir en paix ? Impensable. Ma colocataire n'est pas ce genre de fille introvertie et calme. Non, elle est plutôt turbulente et agressive. 

Tu fais quoi ?

Elle dit cela en s'affalant sur mon lit double tout en prenant soin d'ignorer les feuilles qu'elle est entrain d'écraser. Malgré notre grande tranche d'âge, Tessa est toujours aussi immature, que ce soit dans ses propos ou ses faits.

Dégage de ma chambre Tessa, grognai-je.

Un sourire espiègle s'affiche sur son visage.

Laisse-moi réfléchir, dit-elle en mimant la réflexion. Non.

Et pourquoi ça ?

Parce que j'ai pas envie.

À chaque fois, c'est la même chose. J'ai l'impression de revivre des scènes toutes semblables aux autres. Tessa qui fait la maligne, moi qui m'emporte et la porte qui claque.

Dis-moi d'abord ce que tu faisais la tête perdue entre tes habits complètement démodés.

Ma colocataire se dirige précipitamment vers mon armoire. Elle passe rapidement ses doigts entre les tissus divers. Quand ses doigts s'arrêtent net entre deux jupes dépareillées, mon sang se glace et je redoute ce qu'elle a déniché. 

Tu vas mettre ça !

Ce n'est que lorsque qu'elle brandit une robe bleue que je souffle de soulagement. 

Ce soir ? Hors de question, c'est beaucoup trop habillé.

Sérieux Avery, tu penses réellement que Selena va venir en salopette et polo rose ?

La réalité me frappe. Jusqu'à là, je n'avais pas pensé à m'habiller de cette manière, je pensais pouvoir mettre un jean et un t-shirt pour que le tour soit joué et il faut croire que je me suis trompée.

C'est vrai, mais pas besoin de mettre cette robe, marmonné-je. Elle... Elle est trop courte.

Tessa ne semble distinguer la tonalité finale de ma phrase, brisée et presque inaudible. Cette robe est bien la dernière que je mettrai. Non pas pour sa longueur, qui au passage est parfaite, mais parce qu'elle lui appartenait. Sa couleur bleue me rappelle le paysage qui se trouvait autrefois devant moi, cet air pur que je respirais à pleine bouffée, ou encore cette brise d'été qui enroulait mes cheveux. Perdue dans mes pensées je ne remarque pas tout de suite la main de Tessa s'agiter devant mes yeux.

Si tu ne veux pas mettre cette robe, tu vas mettre laquelle ?

Instantanément, je me mords la lèvre inférieure. Je sais dores et déjà que ma réponse ne va pas lui plaire. Absolument pas. 


☆★☆


Merci.

Je remercie le chauffeur en lui tendant un billet. Il hoche la tête et m'incite à sortir de sa voiture toute délabrée. Vivant en plein centre de Seattle, je n'ai pas accès à une voiture, ce serait trop compliqué de circuler. Alors je me déplace avec les moyens du bord, un taxi, rien de plus banal. Pourtant en pleine journée quand je dois aller en cours, j'utilise ma bicyclette. Pourtant ce soir, face à cette obscurité profonde et inconnue, je ne me suis pas aventurée. 

Quand un vent glacial s'abat sur mes jambes découvertes et mon visage, je regrette aussitôt d'avoir écouté Tessa. Celle-ci a voulu épargner le fait que je puisse mettre une veste plus chaude qu'un simple gilet. Alors me voilà, seule sur le trottoir, frigorifiée et avec comme seul réchauffement, la faible chaleur du lampadaire. Maintenant, il ne me reste plus qu'à rejoindre la soirée — qui doit déjà battre son plein au vu de mon retard — et espérer que quelqu'un y mette le feu pour repartir le plus vite possible.

C'est ainsi qu'un vibrement provenant de mon téléphone me stoppe et je sais alors pertinemment de qui il s'agit.

« Alors, pas trop dure l'ambiance ? Personne ne doit te mater vu la tenue que TU as voulu porter. »

Je tape frénétiquement une réponse malgré mes doigts endormis par le froid. La Tessa provocatrice est de retour.

« La tenue que J'AI choisie, est très bien. Et pour info, je n'y suis pas encore. N'oublie pas de venir me chercher quand je t'appelle. »

Je ne prends pas la peine de lire sa réponse car je sais d'avance qu'elle viendra me chercher, elle n'a pas le choix. Pourtant, au fond, j'ai envie de retourner sur mes pas et pouvoir passer une soirée tranquille avec elle pour oublier tous nos problèmes le temps d'un film. J'aimerais profiter d'une Tessa souriante et facile d'approche, et pas d'un fauve qui ne demande qu'à mordre.

Des éclats de voix masculines provenant d'une fenêtre se font entendre à travers ce silence tant réconfortant. Alors que je m'élance une dernière fois dans le quartier récent de la ville, la crainte semble me pousser des ailes. Elle tente de reprendre contact avec mes souvenirs. Je soupire d'exaspération et me concentre sur mon objectif : la soirée, et rien d'autre. Je marche seule dans les rues sombres de la ville, profitant de ce moment de tranquillité et de solitude. Seul le bruit de mes talons qui claquent contre le trottoir me lie avec la réalité. L'autre partie de mon âme s'envole dans des pensées lointaines. J'oublie un instant tout ce qui m'entoure, j'efface les immeubles, les voitures et les lumières, je ne laisse que la noirceur de cette nuit comme seul repère. Après tout, depuis qu'elle m'a laissée, je n'ai que ça à m'attacher. Du bout des doigts, je me cramponne à la seule part d'elle-même qu'il me reste. La vie est connue pour, qu'un jour ou l'autre, tout s'envole. Et c'est tristement que j'attends ce jour et arrêter de tout recommencer. 

Ce n'est que lorsque je fais face à la porte principale du bâtiment que tout s'évanouit. Mes peurs, mes angoisses, tout disparaît quand la sûreté de la danse m'envahit. Le fond sonore silencieux de la nuit est vite remplacé par le rythme de la musique venant du premier étage. J'arpente à la hâte les couloirs faiblement éclairés de l'école et m'empresse de gravir les marches jaunies par le temps. Sur le chemin, je reconnais quelques danseurs. Tous m'ignorent alors je trace ma route. 

La chaleur m'envahit d'une traite quand je pénètre dans la salle de représentation. Située au dernier étage, c'est ici que nous représentons notre travail devant un public minime. Mais ce soir, elle est tellement différente que j'en perds mes marques. Tous les sièges ont disparus pour laisser place à une piste de danse où seuls les étudiants les plus courageux s'y aventurent. Tout autour, traînent de longues tables abritant de nombreuses gourmandises. Et pour finir, je remarque la table d'inscriptions — qu'avait bien prit le temps d'expliquer Serena lors de la réunion — dans un coin reculé de la salle. De part et d'autre, plusieurs personnes s'affairent à remplir leur bulletin d'inscription en précisant de ce fait, son partenaire.

À cet instant-là, la panique me gagne. Jusque là, je n'avais pas réellement songé à l'identité de mon coéquipier. Pendant de ces derniers jours, j'essayais à chaque fois de repousser cette pensée dans le coin le plus inaccessible de mon cerveau. Mais il faut croire que la réalité a toujours eu la mauvaise intention de me rattraper.

Avery, quelle belle soirée !

Une Serena tirée à quatre épingles se dresse devant moi. Comme à son habitude, ses cheveux bruns sont relevés en chignon et ses yeux toujours aussi colorés illuminent son teint. Tout à coup, je me sens ridicule dans ma jupe en jean et ma blouse blanche. Peut être que finalement Tessa avait raison, j'aurai dû mettre la robe bleue, si seulement si j'en avais été capable.

Mon regard divague alors entre tous les artistes et je peux sentir mes joues rosir de honte. Chacun a opté pour une tenue aussi élégante que décontractée, les garçons portent des chemises et quant aux filles, la plupart arborent des robes plus belles les unes que les autres.

Alors, dis-moi, tu sais déjà quel sera l'heureux ou l'heureuse élue qui t'accompagnera lors du concours ?

Mon attention se remporte sur mon professeur où je décerne dans le regard de l'empathie. 

— Pas vraiment. Je n'y ai pas réfléchi, avoué-je.

Et bien, il faudrait commencer à s'y soucier, jeune fille. Les inscriptions seront closes à la fin de la soirée !

Oui je sais, dis-je en baissant la tête, confuse.

— J'espère que nos écoles respectives seront bien représentées. Vous le savez certainement mais Boyd et moi comptons sur vous.

Alors que je m'apprête à lui répondre, je suis vite coupée. Serena semble me murmurer quelque chose mais avec la musique, je ne retiens que "dois", "aller", "bonne soirée". Je me contente simplement de hocher la tête et d'accepter que je viens tout juste de perdre la seule personne avec qui je pouvais discuter. Je l'observe se faufiler entre les élèves qui discutent pour rejoindre la sale tête de Boyd un peu plus loin. J'ai longtemps considéré Serena comme une deuxième mère. À seulement dix huit ans, l'année dernière, j'ai été contrainte de quitter la France. Non pas que l'Amérique ne me donnait envie, mais l'école de danse était moins chère qu'en France. Évidemment, je n'étudie pas à Juilliard School, ici à Seattle le niveau est différent. Seulement, venant d'une famille plutôt en difficulté financièrement, j'ai du voir mon rêve d'intégrer l'Opéra de Paris s'effondrer sous mes yeux. Pourtant, je ne regrette rien. Seattle est une ville magnifique, les habitants y sont agréables et serviables. J'aime étudier la danse, même si je dois pour cela supporter certaines personnes.

Ennuyée et déboussolée, je me dirige vers le buffet et bois tout ce qui m'est à portée de main, tout sauf de l'alcool, ce n'est pas étonnant. J'engloutis les petites confiseries mises à disposition en ignorant les regards indiscrets de gauche à droite. Me retournant vers la piste de danse, je bouge la tête au rythme de la musique en observant les étudiants qui gesticulent devant moi. J'évite le regard à maintes reprise de Beryl et Cole. Dès que je rencontre leurs yeux, un énorme poids semble s'affaler sur moi. Cette soirée est à la hauteur de mes attentes. Moi qui ne voulais pas venir, je suis servie.

Les minutes qui passent sont acides et pourtant la soirée ne fait que commencer. Après réflexion, alors que le nombre d'élèves présents sur la piste de danse ne cesse d'augmenter, je décide d'aller m'asseoir dans un coin de la pièce pour me morfondre sur mon sort en toute tranquillité. Je traverse rapidement la salle à grandes enjambées.

Une fois assise, seule et tranquille, je peux enfin souffler. Mais c'est ainsi peu dire lorsqu'un mouvement à ma droite me signale la présence d'un inconnu à mes côtés dont l'ombre énigmatique semble vouloir s'accrocher à mon regard.

La plus mystérieuse des ombres, celle à jamais gravée dans mon esprit. 


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