38 | Chant du cœur
Point de vue Avery
❝ Ce jour-là, celui où l'avenir sourira, mon cœur chantera. ❞
L'esprit chamboulé, je m'empresse de regarder Cayden à travers la vitre au fur et à mesure que la voiture s'en éloigne. J'observe son doux regard, celui qui me rassure et me rappelle à la fois cette nuit où je l'ai réconforté sous ce ciel étoilé, là où nous avons trouvé nos étoiles et que nos secrets les plus enfouis se sont libérés.
Danser ce matin avec lui a été la meilleure des idées. Entre ses bras, j'ai retrouvé ce même sentiment que je me suis empressé d'admirer. Et si Tessa et Hunter n'avaient pas été là, j'ose imaginer que mes lèvres se seraient à nouveau posées sur les siennes.
Mais maintenant que je suis dans cette voiture, Tessa au volant, je n'en ai plus l'opportunité. Je dois me contenter d'essayer de faire disparaître ce sourire niais, en vain. Les minutes passent et le paysage défile devant mes yeux. Au rythme de la musique s'échappant de la radio, je me laisse porter par ces émotions qui me poursuivent depuis quelques jours. Du coin de l'œil, j'observe ma colocataire qui ne peut s'empêcher de m'épier discrètement.
Ce n'est que lorsque nous sommes à quelques rues de l'appartement qu'elle s'autorise à ouvrir la bouche :
— Vous allez gagner.
Étonnée, je me tourne vers elle.
— Il y a pas mal de concurrence.
— Avery, ne fais pas l'idiote. Serena dirait la même chose que moi, s'exclame Tessa en me bousculant l'épaule sans quitter la route des yeux.
— N'oublie pas qu'il reste la deuxième partie.
Elle me tire la langue et je lui répond pas un sourire forcé.
— D'ailleurs, où est-ce que Cayden t'as emmené hier soir ?
Face à ses propos, je me fige instantanément et le regard de Tessa redouble de curiosité.
— On est allés au parc.
— Celui en centre ville ?
Je hoche la tête.
— Si tu penses pouvoir t'arrêter là, tu rêves.
Ma tête se tourne vers la vitre comme pour échapper à cette interrogation. Des flashs de cette soirée me reviennent, notamment la sensation à la fois douce et avide des lèvres de Cayden. Je frissonne en repensant à l'air glacial qui nous enveloppait, l'ombre inquiétante des arbres sur le sol et la beauté des astres.
— On s'est assis sur un module et on a parlé, mentis-je à moitié.
À ce moment-là, lorsque Tessa ose abandonner la route pour mes yeux, je sais qu'elle ne me croit pas. Il suffit d'observer son expression et le sourire malicieux au coin de se bouche pour me savoir vaincue.
— J'en étais sûre, murmure-t-elle.
Mon regard fuit le sien, m'attendant au pire.
— Vous deux, vous..., m'interroge-t-elle, attendant que je finisse sa phrase.
Mais Tessa n'est pas comme ça, elle n'a pas besoin de mots pour comprendre la situation. C'est certainement pour cela qu'à l'instant où mon sourire m'échappe, même si ce n'est que pendant quelques secondes, elle saisit l'intégralité de mes pensées et ses cris énergiques résonnent dans l'habitacle tandis qu'elle augmente, avec joie, le volume de la musique.
☆★☆
Le lendemain, le temps se fait plus maussade. Le vent souffle avec violence contre ma bicyclette et agite mes cheveux. Je m'engouffre maladroitement dans la circulation citadine d'une fin d'après-midi. De façon à clôturer les cours préparatoires, Serena et Paul ont décidé d'avancer le cours de samedi à aujourd'hui, c'est à dire vendredi, et gagner ainsi plus de temps.
Je ravale cette même appréhension qui refait face lorsque je m'apprête à revoir Cayden. Devant moi, l'école de danse se profile et mes coups de pédales accélèrent inconsciemment. Plusieurs élèves sont déjà entrain de discuter, m'obligeant à déposer mon vélo un peu plus loin. Mon sac sur l'épaule, je me dirige maladroitement vers l'entrée. Alors que j'allais pousser la porte, Serena apparaît soudainement à ma droite. Elle me gratifie de son plus beau sourire tout en me saluant. Maintenant que la représentation est passée, le stress redescend, notamment chez les professeurs.
— Mercredi soir, tu es parties si vite, s'exclame-t-elle en posant sa main sur mon bras. Je n'ai pas eu le temps de te féliciter.
La culpabilité d'être partie avec Cayden avant d'avoir pu remercier mes professeurs me revient en pleine figure. Je baisse alors les yeux, consciente d'être fautive.
— Sur scène, tu m'as confirmé ce que je pensais de toi, Avery. Tu es une merveilleuse élève, que ce soit sur des pointes ou non.
Les compliments de Serena me vont droit au cœur. Ils me prouvent que ce début d'année a été prometteur. Les nombreuses heures durant lesquelles j'ai travaillé ou même angoissé, n'ont pas servi à rien et d'un certain côté, ont même réussi à m'éloigner de Lindsay. Avec la danse et ce concours artistique, j'ai pu penser à autre chose.
— Merci, Serena.
Ma voix est faible mais étrangement, elle témoigne ma reconnaissance envers mon professeur. Celle-ci ne peut s'empêcher de me sourire à nouveau.
— Tu me remerciera à la fin de l'année, m'informe-t-elle. Quand tu seras demandée par d'autres écoles.
C'est ainsi qu'elle s'éloigne gaiement, les lèvres fièrement étirées. Je reste un moment seule dans le couloir, le pas lent et l'esprit encombré. Étonnée de ne pas avoir croisé Cayden et les autres, je me résigne à rentrer directement dans la salle. Les quelques étudiants déjà présents s'autorisent à lever les yeux vers moi et seulement un se contente de me saluer. Assis au fond de la salle, Cole me fait un signe de tête que je prends plaisir à ignorer tout en m'asseyant à l'opposé. Les minutes passent et toujours aucun signe de Cayden. Anxieuse à l'idée qu'il ait pu oublier le cours de cette après-midi, je vérifie mon téléphone à la recherche d'un quelconque message.
Beryl fait son entrée peu de temps après, toujours aussi théâtrale. Elle rejoint Cole en déposant ses lèvres rosées sur la joue du jeune homme. L'intéressé rougit instantanément et je me surprend à penser qu'ils formeraient le couple le plus écœurant de l'école.
— Bonjour à tous.
Nos deux professeurs, Serena et Paul, s'installent derrière le bureau. Du coin de l'œil, j'observe Serena me lancer un clin d'œil. Son regard dérive rapidement à côté de moi, sur la chaise vide.
— Vous le savez tous, commence Paul, c'est la dernière fois qu'on se voit avant la deuxième étape. C'est donc pour cela que nous voulons impérativement que tous les projets soient bouclés dans la soirée.
Il jette un coup d'œil à Serena qui prend la paroles :
— Effectivement, chaque groupe devra nous remettre son oeuvre avant demain. Que ce soit par mail, papier, clé USB, tout nous convient.
— Et exceptionnellement, puisque l'école de danse n'a pas donné de cours aujourd'hui, vous aurez une salle pour deux, s'exclame Paul.
Plusieurs élèves montrent leur enjouement et cela fait sourire les deux adultes. Certains s'acharnent à poser des questions tandis que Paul distribue les salles. Il appelle chaque groupe pour lui remettre une clé. Après plusieurs minutes, quand j'entends Paul m'appeler, je me lève sous l'œil avisé du professeur.
— Cayden n'est pas là, murmurai-je.
Alors que je m'attends à ce que Paul m'ordonne d'attendre dans un coin l'arrivée de mon partenaire, il dépose délicatement dans ma paume la clé de la salle en me précisant son numéro.
— Va s'y, il te rejoindra.
Et c'est ce que je fais. Après l'avoir remercié et souris à Serena qui se tenait à côté de lui, je m'échappe en vitesse de la pièce. Dans le couloir, mes pas sont lents, comme pour me retarder et laisser un peu plus de temps à Cayden. Vidées de ses danseurs, certaines salles, seulement séparées du couloir par une épaisse vitre en verre, prennent une allure fantomatique. Lorsque je trouve celle que Paul nous a attribué, mon espoir de voir Cayden apparaître diminue peu à peu. J'allume la lumière et la porte se referme derrière moi, me laissant son écho comme seule compagnie.
Je reste de longues minutes à contempler mon reflet dans le miroir. Face à l'immensité de cet espace, ma silhouette se montre fragile, presque écrasée. Mes cheveux soigneusement détachés s'échouent avec douceur sur mes épaules tandis que mes yeux me paraissent bien moins troublants de là où ils sont. Le dos droit, je laisse mes jambes, malgré mon jean, se soulever gracieusement. Celle de droite se plie pendant que la gauche reste férocement ancrée sur le sol de façon à faire tournoyer mon corps. Intérieurement, j'imagine une agréable mélodie, douce et enivrante. C'est alors que ma voix s'élève et mes yeux se ferment. La magie se fait d'elle-même. Les gestes se multiplient à l'improviste, certains me surprennent même par leur ingéniosité. Je laisse mes bras s'émouvoir alors que mes jambes divaguent entre elles. J'oublie alors le bruit de mes chaussures contre le parquet, les lumières aveuglantes qui m'entourent ou encore la chaleur étouffante. Mon esprit ne se concentre que sur la parole de mon âme, celle qui dicte les mouvements que j'entreprends.
Ce n'est que lorsque la porte s'ouvre à nouveau, quelques minutes plus tard, que mes pieds se stoppent. Déséquilibrée, je me stabilise et mon regard se pose sur le reflet que me renvoie le miroir.
Derrière moi, Cayden s'avance dans un silence surprenant. Attrayant dans son sweat noir, je l'observe approcher. Ses cheveux décoiffés et ses joues rosies par le froid m'égarent dans une contemplation sans fin. Je reste immobile, ne sachant comment réagir. Au moment où il s'arrête à mes côtés, sa main frôle accidentellement la mienne. C'est ce que semble vouloir dire son regard, aucun de nous deux ne résistera.
Cayden se tourne ainsi vers moi, le corps si proche du mien qu'il m'est impossible de faire le moindre mouvement si ce n'est de lever les yeux vers ses iris renversantes.
— Pardonne-moi pour le retard, on était au skate parc avec la bande et...
Je le fait taire en posant ma tête contre son épaule. Ses bras rejoignent ma taille et je savoure une fois de plus ce contact. Depuis notre baiser c'est comme si nos étreintes avaient changées. Ce n'est plus les mêmes sentiments que nous nous transmettons, ceux-ci sont bien plus développés. Nous n'avons pas reparlé de ce qui c'est passé au parc, ni même si nous voulions recommencer.
Avec douceur, je me détache de Cayden.
— On doit s'enregistrer, murmuré-je.
Il acquiesce en se dirigeant vers le piano que je n'avais jusque là pas remarqué et je remercie intérieurement Serena et Paul d'avoir pris soin de faire attention à ce détail en choisissant cette salle. Cayden sort de son sac à dos un micro de petite taille assez orignal.
— Ça devrait faire l'affaire, s'exclame-t-il. Il suffit juste qu'on chante pendant que ce truc nous enregistre, il désigne le micro, ensuite je transférerai le fichier audio sur la vidéo de hier.
— Tu es sûre de vouloir faire le montage seul ?
Son sourire s'élargit et le clin d'œil qu'il me donne réussit à me convaincre de le laisser gérer le montage. Rapidement, il m'intime de prendre place face à lui pour revoir les paroles pendant qu'il entame des exercices d'échauffements sur les touches de l'instrument.
Quelques minutes après, Cayden me fait faire des exercices à deux pour réveiller ma voix. Il la fait monter progressivement dans les aigus et lorsqu'elle atteint son maximum en se cassant maladroitement, il retient son rire.
— Ce n'est pas la peine de se presser, on aura le temps de recommencer plusieurs fois.
Je hoche la tête et avant qu'il ne laisse ses doigts danser sur le piano, ceux-ci viennent effleurer les miens. Ses mains s'entrelacent délicatement aux miennes et me rassurent. Son regard est là, envoûtant, et je m'y perd à nouveau.
Sans me quitter des yeux, il retire, à mon plus grand malheur, ses mains et les notes se succèdent instantanément. À cet instant-là, la mélodie qui s'en échappe s'immisce entre nous deux et Cayden me fait un signe de tête. Au début, j'ai du mal à la faire sortir, cette voix. Pourtant le début est simple, je n'ai qu'à fredonner un air assez court. Rapidement, Cayden prend le relais. Tout en jouant cette fabuleuse musique, sa voix s'intensifie tandis que les paroles qu'il chante m'émeuvent. Je ne peux m'empêcher de le contempler. Ses yeux fermés me permettent de me concentrer sur les mouvements de ses lèvres et l'expression qui s'en dégage. Je lui découvre un tout nouveau visage, celui qui est passionné. J'aime l'admirer de cette nouvelle manière, aussi vulnérable et éloigné de la réalité.
Lorsque le refrain arrive, Cayden ouvre les yeux. Son regard s'impose brutalement au mien et mon épiderme frémit. Ma voix rejoint alors la sienne tandis que nos iris ne se quittent plus. Les lèvres bougeant en rythme, nous nous observons. Puis, au moment où j'entends sa voix par dessus la mienne, je m'arrête progressivement de chanter. Cayden ne fait pas tout de suite attention ce qui me permet d'apprécier plus librement sa beauté. À la fois suave et vibrante, cette voix me fait frissonner. Je découvre cet art bien différent du mien à travers ce jeune homme, attirant et destructeur d'une grande partie de ce que je m'étais ordonné de ne plus éprouver depuis bien trop longtemps.
Cayden baisse d'intensité quand il comprend que je me suis arrêtée de chanter pour le dévisager. Ses sourcils se soulèvent comme pour m'interroger et le coin de ma bouche s'étire en un sourire. Oui, c'est ce que j'ai réellement envie de faire. Lui sourire pour lui montrer qu'une partie de moi s'émerveille en sa présence et le désir qui me ronge quand il me regarde avec autant d'intensité, les lèvres penchées inconsciemment vers moi.
C'est pour toutes ses raisons que, lorsqu'il s'arrête de jouer du piano, je contourne l'instrument de façon à glisser mes mains derrière son cou tout en collant son corps contre le mien. Pour la deuxième fois, je dépose mes lèvres sur les siennes.
☆★☆
C'est le sourire au lèvres que j'ouvre la porte de l'appartement. Tout en fredonnant à nouveau la musique que Cayden et moi avons chanté, j'enlève mes chaussures. Le moment où je l'ai à nouveau embrassé me fait aussitôt rougir et je tente de me ressaisir en me servant un grand verre d'eau froide, sûrement pour éteindre le feu qui se propage en moi.
— J'en connais une qui a passé une bonne après-midi.
Surprise, la voix de Tessa me fait sursauter et le sol manque de peu l'inondation. Je la fusille du regard. Assise sur le canapé, elle me lance un regard moqueur.
— Vous vous êtes encore mangé la bouche ? m'interroge-t-elle, la tête entre les mains.
— Ça ne te regarde pas, marmonné-je.
Je la rejoins et m'assoie face à elle, sans jamais la quitter des yeux.
— Vous vous êtes mangé la bouche, en conclut Tessa.
J'étouffe mon cri dans un coussin et ma colocataire ne peut s'empêcher de trouver le moment idéal pour me ridiculiser. Elle profite de mon état pour s'amuser de la situation, me qualifiant . Au début, j'essaye de me défendre mais lorsque je comprends que je n'aurais aucune chance face à l'humour de Tessa, j'abandonne.
— Vous formerez un beau petit couple, me taquine-t-elle.
Je grimace à l'entente de ses propos. Est-ce vraiment ce que je souhaite ? M'engager dans une relation ? Cela fait des années que j'ai arrêté de m'y intéresser. Au lycée, cela me paraissait bien plus simple. Et maintenant, tout semble différent.
— Tais-toi et ne presse pas les choses.
— T'as intérêt à faire de moi ta témoin pour votre mariage, me menace-t-elle. Sinon, tu peux dire adieu à ton vélo tout pourri.
— Non, pas ma bicyclette !
Nous éclatons toutes les deux de rire. Peu de temps après, Tessa me balance un coussin dans la figure.
— Tu veux jouer à ça, grogné-je.
Agressivement, elle se craque les articulations de doigts en poussant un cri rauque. Je ne peux retenir mon ricanement, consciente de l'absurdité de la situation.
Tessa s'écrase brusquement sur moi et mes plaintes résonnent dans tout l'appartement. Je la supplie de me laisser tranquille mais elle s'acharne à me chatouiller le cou et mes ricanements redoublent d'intensité. Au moment où j'allais déclarer forfait, son téléphone posé sur la table basse émet une sonnerie. Intrigué, Tessa se déconcentre et j'en profite pour prendre le dessus. De façon à la mettre en rogne, j'attrape l'appareil en l'agitant en l'air.
— Un admirateur secret ?
Comme toute réponse, elle m'attrape férocement le bras. Je réussis à me libérer de son emprise malgré son acharnement et me réfugier rapidement sur une chaise, en hauteur. Tandis qu'elle s'époumone à me faire descendre, j'en profite pour regarder l'expéditeur de ce message.
Au moment où je lis sur l'écran ce prénom, tout s'effondre. Pendant une seconde, mes jambes me trahissent et, avec chance, Tessa est là pour me rattraper à temps. Ma vision se trouble au fur et à mesure que les émotions me submergent et que les premières larmes s'échouent sur mes joues.
La dernière chose que je vois, c'est ce regard, celui de Tessa. Emplit de remords, il tente d'attraper le mien, abattu.
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