32 | Consolé par le crépuscule
Point de vue Cayden
❝ Pour mieux alléger l'esquisse d'un chagrin, la tombée du jour s'empare de mon être, désirant cette lueur qui lui ouvrira un jour ses bras. ❞
J'ai longtemps considéré la nuit comme un réconfort. Lorsque le monde tant redouté se plonge dans l'obscurité et que le silence règne, c'est comme si j'étais à ma place. Au crépuscule, je peux enfin rejoindre Mallory. Il me suffit de lever les yeux pour la contempler, brillante et étincelante. Seulement ce soir, les nuages m'en empêchent. Avery est partie et la tempête menace de se lever sur ma sinistre existence.
Indécis, je regarde cette masse de cheveux blonds s'éloigner sous ce ciel étoilé, emportant avec elle le peu de courage qu'il me restait. Avant qu'elle ne s'enfuit, son regard a croisé le mien et je ne pourrai le décrire. J'y ai lu une si grande peur que mon souffle, abattu, s'est muselé, les mots sont restés prisonniers de ma gorge. Avery détient ce pouvoir, celui qui fait vibrer l'esprit abandonné qui rôde en moi.
— Tu lui cours pas après ?
Je me retourne vers Nora, Hunter et Rhett la maintiennent toujours en place. Cette fille a voulu effrayer Avery en prétendant divulguer ce que ma partenaire s'efforce à dissimuler. Mais Avery ignore que nous avons eu le temps de faire taire Nora, avant qu'elle ne déclenche l'irréparable. Et maintenant que ma partenaire n'est plus là, Nora n'a plus aucun intérêt à ouvrir la bouche.
Je m'avance vers elle et intime à Hunter et Rhett de la lâcher. Il ne se font pas prier et brusquement, la jeune femme tombe au sol dans un bruit sourd. Les genoux contre le bitume, elle lève la tête et je suis étonné d'encore trouver de la détermination dans son regard. Ses cheveux sont ébouriffés et son allure n'est pas aussi soignée que la première fois où nous nous sommes rencontrés.
— Tu sais ce qu'il te reste à faire, murmuré-je péniblement.
Je n'ai pas besoin de me répéter. Sans me quitter des yeux, elle récupère son sac tombé au sol. Son regard est vif, il brille d'un sentiment victorieux. Nora sait qu'elle a gagné la partie, elle a semé le doute autour d'elle. Dans son coin, Avery culpabilise d'elle-même et sa maladresse alarmante. J'ai promis à Tessa que je ne laisserai pas les choses se passer ainsi. Nous voulons tous les deux qu'Avery se pardonne, qu'elle retrouve la confiance qu'elle a depuis longtemps délaissé dans ses souvenirs.
Le bruit des talons de Nora qui martèlent le sol me ramènent à la réalité. Les autres s'avancent à mes côtés. Nous l'observons, chacun à notre tour, disparaître dans sa voiture et démarrer en trombe.
— Cette fille est tarée, il faut qu'elle aille se faire consulter, s'énerve Wren.
— Pour une fois qu'on pense la même chose, chérie.
Wren réagit au quart de tour. Irritée par les propos d'Hunter, elle s'arme de son sourire le plus machiavélique avant de lui donner un coup de pied dans le tibia.
— On ne pourra jamais penser la même chose, crétin. Je ne suis pas encore assez attardée pour te ressembler.
— Attention, tu oublies belle, souffle-t-il en mimant une grimace.
Pour toute réponse, elle lui montre son majeur et il ne peut s'empêcher de sourire. Silencieux, Rhett se retourne vers moi et déclare d'une voix inquiète :
— Et si elle avait raison, Avery a peut être fait quelque chose de grave.
Je grogne d'agacement.
— Il faudrait être assez abruti pour croire Nora.
— T'es du côté de cette vielle folle, Rhett ? s'exclame Wren.
Il souffle d'exaspération et nous fusille chacun du regard. Ses poings énergiquement fermés blanchissent ses articulations. Il nous bouscule soudainement et s'éloigne vers le parking. Rejoignant le parking et agacé, Wren tente de le rattraper mais il la repousse en criant :
— Putain, j'en ai ma dose de toutes ses conneries. Emy s'est cassée sans explication, on se tartine cette enflure de Beryl avec son mec à deux balles et on vient d'éviter une bataille sanglante à coup d'ongles manucurés.
Le ricanement d'Hunter résonne derrière moi et je le fusille du regard.
— Il a raison, affirme Wren.
— On va arranger les choses, lancé-je.
J'essaye d'y croire une seule seconde mais les mots qui sortent de ma bouche résonnent faussement et me persuade du contraire. Avery occupe bien trop mes pensées pour que je puisse songer à une quelconque solution. La voix qui règne en moi me pousse à la rejoindre et lui faire savoir qu'elle ne sera jamais seule dans ce monde infidèle, Tessa et moi sommes là.
Alors que Wren s'abandonne à suivre Rhett en nous saluant, je fonce jusque ma voiture. L'impatience s'empare de mon être jusqu'à m'en démanger les mains. Lentement mais sûrement, cette sensation se reconstruit là où le verre s'était langoureusement brisé. Elle se propage dans les plus sombres recoins tout en éclairant les morceaux égarés par la peine d'une joie désirée.
Alors que je m'apprête à ouvrir la portière, je m'autorise un dernier coup d'œil vers Hunter. Seul dans la rue, il m'observe. Ses yeux traduisent son amusement alors qu'il hurle gaiement à mon attention :
— La cinglée avait raison, va rejoindre ta princesse, preux chevalier !
Ce n'est que lorsque je démarre en jetant un coup dans le rétroviseur que ses mains s'agitent et que ses traits se transforment. Il comprend alors que ce soir, il devra rentrer à pied.
☆★☆
À la seconde où j'ouvre la portière, l'air glacial s'engouffre dans l'habitacle et je frissonne. Le bruit de mes pas contre l'asphalte résonne dans la rue au fur et à mesure que j'approche de l'immeuble. Les mains rougies par le froid, je sonne à l'interphone. La voix endormie et rocailleuse de Tessa me répond tardivement :
— Quel est l'imbécile qui ose me déranger pendant ma sieste ?
— Il est dix-neuf heure.
Je l'entends souffler, irritée.
— Cayden ?
— Le prince charmant en personne.
Il n'en faut pas plus à Tessa pour comprendre. Elle m'ouvre la porte et je m'élance à toute vitesse dans les escaliers. Lorsque j'arrive devant la porte, ma respiration s'accélère et j'avale difficilement ma salive. À la simple idée qu'Avery soit derrière ce mur, je m'égare dans mes propres pensées à la fois funestes et florissantes.
Alors que je m'apprête à toquer, la porte s'ouvre à la volée et une Tessa en pyjama me fait face. Ses cheveux bruns sont remontés en un chignon et si son regard pouvait me tuer, je ne serai déjà plus de ce monde.
— Tessa ?
Je reconnais la voix frêle d'Avery, timide et enrouée, comme si elle avait pleuré. Tessa sursaute à l'entente de cette douce mélodie qu'est cet appel et semble enfin prendre conscience de la situation. Ses yeux s'écarquillent et elle me ferme la porte au nez.
— Tessa !
Avant que je ne puisse forcer sur la poignée, j'entends la clé tourner de l'autre côté. Je distingue sa voix étouffée me murmurer depuis l'autre côté de la porte :
— Elle ne veut pas te voir.
— Mais j'ai besoin de lui parler.
Ma voix est suppliante.
— T'es un mec chiant, tu le sais ça ?
— Juste quelques minutes.
La porte s'ouvre à nouveau et un sourire illumine mon visage. Tessa me fait signe d'entrer en se maudissant de me faire entrer sans l'autorisation de sa colocataire.
— Je te préviens, si elle pleure une fois de plus, je t'étrangles. Elle s'est enfermée dans sa chambre, la première à droite.
Je hoche la tête et alors que je me faufile silencieusement vers le couloir, Tessa m'interpelle une dernière fois, un sourire amusé sur les lèvres :
— Bonne chance.
Le bruit de mes pas couvre les battements de mon cœur qui, j'en suis sûre, s'entendent à des kilomètres à la ronde. Les mains moites et l'esprit encombré, je fais face à cette fameuse porte. Derrière laquelle Avery se cache, là où elle laisse la tristesse et certainement ses mauvais songes la dominer. Je baisse la tête, découragé. Pour la première fois depuis ma rencontre avec Mallory, j'ai l'impression de revivre un étrange sentiment dont j'ai longtemps négligé l'existence. Plus le temps passe, plus la compagnie d'Avery m'est inévitable. D'un seul battement de cil, elle réussi à remettre en cause mes décisions et la nostalgie d'une amie perdue à jamais. Cette puissance qu'elle exerce involontairement sur moi, j'aimerai pouvoir la faire taire. La situation deviendrait tout à coup moins compliquée.
La main suspendue au dessus de la poignée, j'hésite. Si j'entre dans cette chambre, je suis conscient que j'en ressortirais différent. Peut être que des choses auront changées, que le chemin sera à nouveau éclairé.
— Tu comptes y rester la journée ?
Adossé contre le mur, au bout du couloir, Tessa m'observe. Ses sourcils haussés et les bras repliés contre son torse confirment son exaspération. Elle s'avance vers moi, le regard rempli d'un jugement à mon égard que je m'abstiens de déchiffrer. Je m'attends à un réplique sanglante de sa part mais à mon plus grand étonnement, elle se place dos à la porte et ne me quitte pas des yeux. En une fraction de seconde, sans me laisser le temps de réagir ou encore de la stopper, elle appuie sur la poignée avec la main qu'elle avait cachée dans son dos. La porte s'ouvre et le temps que je jette un coup d'œil à l'intérieur, Tessa s'enfuie à tire-d'aile.
Seul dans le couloir, je laisse mon corps s'engouffrer dans la chambre, l'antre qui abrite mes émotions effrénées.
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