29 | Leurs secrets prisonniers




Point de vue Avery

Ce jour-là, nos secrets sont restés emprisonnés, détenus par nos regrets.

L'air glacial qui s'abat sur mon visage contrarié fait parcourir tout le long de mon corps d'étranges frissons. Mes cheveux entament une valse inattendue au fil des sons de cette brise tardive. Seulement, plus les minutes défilent, plus mon pouls s'accélère.

Après une journée de cours intensifs, je suis restée m'entraîner après les cours de façon à améliorer la chorégraphie. Néanmoins, la réalité m'a vite rattrapée. Cayden ne pourra jamais atteindre un bon niveau, il faudrait plus de temps, beaucoup plus. Pourtant ce qui me terrifie n'est pas de devoir continuer à coacher Cayden, non, c'est plutôt la confiance qui quitte peu à peu mon corps chaque jour. Cela depuis cette fameuse étreinte, chose que j'ai aimé plus qu'il ne le faudrait.

Avec le gala d'hiver dans deux jours, c'en est trop. Je ne sais plus où donner de la tête. Les jours passent et à chaque fois que je réalise que je vais devoir monter seule sur scène pour la première fois, que tous les regards seront rivés sur moi, je n'arrive plus à contenir mon anxiété. Dans ces moments-là, j'aimerais faire une pause, tout abandonner. Et puis, Lindsay choisit ce moment pour réapparaître dans mon esprit. Le travail que j'ai accompli pour en arriver là me revient en tête, je ne peux pas tout gâcher. Pas une deuxième fois.

En cette fin d'après-midi, la nuit tombe vite. Seattle est presque plongée dans le noir, les première décorations lumineuses pour les fêtes de fin d'année prennent vie lorsque la lune remplace le soleil. J'essaye de pédaler le plus vite possible mais l'incident sur le parking de l'autre fois me fait automatiquement ralentir. Surtout qu'aujourd'hui, Cayden ne sera pas là pour me rattraper.

Cayden.

Tessa ne cesse de me répéter qu'il faut que sois plus attentive avec lui, plus démonstrative. Pourtant, ce n'est pas si simple. Elle affirme que si je continue à la repousser, Cayden finira par abandonner et je perdrais la seul personne qui semble apprécier ma présence dans cette école. Malgré cela, dès qu'un rapprochement a lieu, je me contente de fuir lâchement. Je ne veux pas le perdre, il est un ami sur qui je peux compter, à qui je peux faire confiance, même si l'autre moitié de son cœur semble emprisonné derrière un curieux voile noir.

Je sais qu'il n'a pas pu vaincre les larmes qu'il retenaient l'autre soir, après le repas, j'étais à la fenêtre à ce moment-là. Cayden cache de sombres secrets, des choses dont lui seul est au courant et qui le torturent. Même si c'est difficile de l'admettre, Nora avait raison la fois où elle m'a ordonné de parler à quelqu'un. Se confier à une personne qui ne vous juge pas et qui comprend votre douleur est sûrement la meilleure chose à faire. Je n'en ai pas pris tout de suite conscience lorsque j'ai tout révélé à Tessa, ce n'est qu'après que j'ai compris que cela m'avait soulagé. C'est ce que Cayden devrait faire : s'ouvrir. Il devrait tout dévoiler à la personne qu'il estime à la hauteur, celle qui saura le comprendre.

Lorsque j'arrive devant l'école de musique, je suis soulagée de voir que les élèves attendent encore dehors, moi qui pensais être en retard. À mon plus grand bonheur, personne ne semble prendre la peine de remarquer la présence. Ce n'est que lorsque j'ose enfin lever la tête vers la droite que mon sang se glace.

Inutile de préciser que les yeux qui m'épient ne sont autres que le groupe d'amis de Cayden ainsi que les deux danseurs les plus exécrables que je connaisse. Cependant, s'il y a un regard que j'aurais voulu éviter, c'est bien celui de Cayden. J'oublie un instant les remarques de Beryl, le lourd regard de Cole, le rictus provocateur d'Hunter, les yeux charbonneux de Wren ou encore l'allure impassible de l'imposant Rhett, seul les yeux attendris de Cayden savent comment me déstabiliser. Lui et ses sombres cheveux qui lui tombent sur le front, ses vans et son éternel bonnet. Son éternel regard est tellement déroutant qu'il m'est impossible d'aligner deux mots. Je me contente simplement de les observer en attendant que l'un d'eux finisse par briser le silence.

— Salut la muette.

Contre toute attente, Hunter m'offre un sourire sincère. Cramponnée à son bras, Beryl se contente d'un signe de tête. Peut être a-t-elle enfin compris l'avertissement de Cayden.

— Viens.

Je n'ai pas le temps de saluer les autres que Cayden m'attrape par le bras et m'éloigne. Ma respiration se bloque et ce n'est que lorsque nous sommes à l'abris des regards que je relâche tout l'air que j'avais jusque là gardé. Adossé contre le mur, il m'observe. Ses yeux semblent détailler chaque parcelle de mon visage avant de s'arrêter sur mes yeux. La scène dans le salon me revient en tête et en observant ses bras emmitouflées dans sa veste, je me souviens combien j'avais savouré leur chaleur et leur force lorsqu'ils étaient autour de moi. Les paroles de Tessa résonnent dans ma tête en boucle, il faut que je fasse des efforts. Je ne dois plus fuir Cayden.

Et à cet instant, je crois que je fais la chose la plus gênante de mon existence. Alors que Cayden s'apprête à parler, je n'attends plus une seconde de plus. Je l'étreint avec force, mes bras s'enroulent autour de son cou et je me presse contre lui. Je me détends automatiquement lorsque les siens s'enroulent autour de ma taille et qu'il répond à mon étreinte. Même sous notre étreinte, notre détresse respective se fait ressentir. La tristesse est toujours en moi mais c'est comme si elle s'était éloignée de quelques pas.

— Est-ce que j'ai le droit à une explication ?

Sa voix grave me parvient aux oreilles et son souffle s'échoue délicatement dans mes cheveux.

— Ne me fais pas regretter, s'il te plaît.

Je me cache à l'aide de son épaule, rouge de honte.

— Jamais.

Mon cœur rate un battement. Est-il conscient de ce qu'il vient de dire ? Moi qui craignait qu'il n'apprécie pas, voilà qu'il m'invite inconsciemment à recommencer. Ce n'est sûrement qu'un enlacement aux yeux des autres et peut être même pour Cayden aussi mais pour moi, c'est une fierté singulière. J'ai fais le premier pas et Cayden ne m'a pas repoussé. Contre son torse, c'est comme si nos corps parlaient entre eux.

Nous avions découvert un tout autre langage.


☆★☆


— S'il te plaît, Paul.

L'intéressé lève une nouvelle fois les yeux vers Cayden et moi, dubitatif. Nous voilà devant son bureau à le supplier de nous laisser utiliser une salle pour danser.

— Et comment être sûr que vous n'allez pas faire de cochonneries sur les tables ?

Seigneur.

Alors que Cayden ne peut s'empêcher de ricaner, j'écarquille les yeux et si je pouvais disparaître je le ferai sans hésiter. Paul, de son coté, ne défronce pas pour autant les sourcils.

— Sérieux Paul, à ce point là ?

Notre professeur hoche lentement la tête mais quelques secondes plus tard, son air renfrogné se change en un sourire affectueux.

— C'est d'accord, les jeunes.

Cayden crie victoire en me tapant dans la main et je me surprends à rigoler.

— Je veux retrouver la salle comme elle l'était !

On ne l'écoute déjà plus, Cayden m'entraîne par le bras à travers les couloirs. Les murs sont étrangement sombres et dépourvus de toute décoration, tout semble vide et mort. Mais lorsque Cayden m'ouvre la porte et que je pénètre dans la salle de classe, mon opinion change radicalement. Cette classe de musique est impressionnante, beaucoup plus chaleureuse que celles de danse. Les murs sont blancs mais tellement orné de photos qu'on n'en voit presque plus la peinture originale. Les chaises sont disposées en cercle et le long des murs, d'innombrables instruments n'attendent qu'à être utilisés. Du bouts de doigts, je m'amuse avec les touches d'un piano avant de me faufiler jusqu'à une guitare et glisser,mes doigts le long des cordes. Dans mon dos, Cayden reste muet et se contente de m'observer. Je décide de rompre, pour une fois, le silence :

— Cette salle est géniale.

— Je sais.

— Tu joues de quels instruments ?

— Du piano et de la guitare, un peu comme tout le monde ici.

Dos à lui, sa voix suave m'indique qu'il est encore adossé contre la porte.

— Il y a un instrument que tu aimerais jouer en plus des deux autres ?

— Je compte apprendre la basse en troisième année, et toi ?

Je m'approche d'un violon et la peau de mes doigts semble glisser d'elle-même sur la surface lisse et douce.

— J'ai toujours trouvé le violon magnifique.

Le bruit des pas de Cayden dans mon dos m'alertent et je me retourne automatiquement vers lui. Je louche sur son torse et lève les yeux vers lui pour croiser son regard bienveillant.

— Tu as raison, c'est un très bel instrument.

Son regard dérive une fraction de seconde sur mes lèvres avant que je ne me retourne pour continuer à examiner les instruments. Les minutes défilent et plus le temps passe, plus je redoute ce qui va suivre. Nous sommes ici pour avancer la chorégraphie et danser veut aussi dire proximité. L'envie ne manque pas pourtant j'ai terriblement peur de que tout cela signifie. Il y a quelques minutes nous étions dans les bras de l'autre pour une toute autre raison.

— Avery ?

Je ne l'ai pas vu approcher. Cayden écarte doucement ma main des instruments et ma peau réagit automatiquement au contact de la sienne. Je frissonne en retirant mes doigts des siens avant qu'il ne remarque leur moiteur.

— Il faut qu'on bosse, murmure-t-il.

Je hoche la tête et m'apprête à retirer mes chaussures mais Cayden me stoppe dans mon élan.

— Non pas ça, dit-il en pointant mes pieds. On va chanter aujourd'hui.

Mon sang se glace et ma respiration s'accélère. Il manquait plus que ça. Depuis la fois où on en avait parlé, je pensais qu'il avait abandonné l'idée.

— Cayden, c'est une très mauvaise idée.

— C'est comme la danse, ça s'apprend.

Ses yeux noisettes s'encrent aux miens.

— Je ne suis pas né avec cette voix, Avery. J'ai longtemps travaillé pour l'améliorer jusqu'à obtenir un niveau satisfaisant. Rare sont ceux qui ne prennent pas de cours de chants.

— Vraiment, je ne peux pas.

Il souffle en baissant la tête et j'insiste :

— Je n'en ai pas envie.

Ces simples mots le font relever les yeux vers moi. Il se rapproche d'un pas et pose ses mains sur mes épaules.

— Tu penses vraiment que j'avais envie de danser ?

Sa voix monte en puissance, comme pour tenter de me réveiller. Je triture le bas de mon pull.

— Bordel, qu'est-ce qu'il se passe ?

Le son suave de sa voix va me faire craquer. À ce moment-là, j'ai envie de tout lui dire. J'aimerais affronter son regard perçant et lui faire découvrir tout ce que je tente de cacher depuis des années. Mais ma raison l'emporte, toutes ces années à essayer d'oublier seraient anéanties.

— Pas maintenant, Cayden.

Étonnamment, son regard s'adoucit et il baisse les bras, vaincu. Le regard posé sur mes pieds, je lance :

— Je sais que tu cache des choses, toi aussi.

Ma voix tremble, je ne suis plus sûre d'avoir le courage d'assumer mes propos. Je n'ai pas mon mot à dire, c'est ses choix et non les miens.

— Et comment en es-tu sûre ?

Complètement perdue, je fais de tout mon possible pour ne pas croiser ses iris et ignore le fait que sa voix a chancelé.

— Je... Laisse tomber, Cayden.

Son regard n'est plus même, il est vide comme si quelque chose l'avait déserté.

— Oui c'est ce qu'on va faire. Tu gardes tes secrets et je garde les miens, de toute façon cela ne ferait qu'empirer les choses, pas vrai ?

À l'instant même où ces mots s'échappent de sa bouche, quelque chose se brise. Le verre contenant tous nos efforts vacille avant d'éclater en mille morceaux sur l'obscur sol de nos regrets partagés.

L'atmosphère s'est refroidie et les sombres nuages de nos non dits se sont réveillés.





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