23 | Livrer sa vérité




Point de vue Avery 

 Ce soir-là, j'ai confié ma vérité  


J'ai l'impression d'avoir lâché une bombe à retardement. Le souffle court, j'observe Tessa en face de moi au moindre signe de dégoût. Néanmoins, celle-ci ne cille pas. Elle reste là, assisse en buvant son latte devant moi. Le mien est resté sur la table, j'ai perdu l'appétit. En seulement une demi heure, Tessa vient de découvrir ma vie cachée. Tout au long de mon récit, elle ne m'a pas lâché des yeux une seule fois. Elle s'est contentée de m'écouter en fronçant les sourcils à quelques moments. Et maintenant, j'appréhende. J'ai peur qu'elle m'abandonne ou qu'elle me craigne. L'imaginer me hurler de déguerpir d'ici me donne la chair de poule.

— Je...

— Avery, j'apprécie que tu te sois confiée à moi.

Son regard est puissant, il me fait tourner la tête.

— Tu ne m'en veux pas ?

— Pourquoi ? Tu ne m'as rien fait. Jamais je ne pourrai t'en vouloir.

Je souffle tout l'air que j'avais retenu jusque là et souris à ma colocataire. Elle prend  mes mains entre les siennes et me lance un regard qui se veut rassurant.

— Mais tu...

— Chut. (Elle m'implore le silence en faisant les gros yeux) Jamais je n'aurais pensé que la fille que tu étais avant me ressemblait autant mais ne fous pas ta vie en l'air pour ça, s'il te plaît. Tu as fait une erreur, plusieurs même, mais j'estime que tu l'as assez payé. Maintenant, va de l'avant et oublie tout ça.

— C'est pas si facile. J'essaye mais je n'y arrive pas. Je... je m'en veux terriblement tu sais ?

Ça y'est, je pleure. Il n'a fallut que quelques pensées pour que les larmes ruissellent sur mes joues et inondent mon champ de vision. Tessa se lève rapidement et vient s'asseoir sur la banquette, à côté de moi. Elle me prend à nouveau dans ses bras et embrasse le haut de mon crâne en me caressant les cheveux.

— Je sais ma belle, mais tu vas bien finir par y arriver. On va y arriver.

On. Ce que Tessa ne sait pas, c'est qu'elle ne pourra pas réparer mes erreurs. C'est à moi de reconstruire.

Elle était comme toi.

Contre moi, je sens Tessa se raidir. Les minutes passent sans qu'elle ne me réponde. Le temps défile et m'engloutis. Je ferme les yeux pour retrouver ma sœur, dans mes souvenirs. Je la revois affalée sur son lit, la tête dans l'oreiller pour cacher ses larmes. Et puis, je me remémore ce moment. Celui où j'ai ouvert cette lettre en entrant dans sa chambre vide.

Lorsque Tessa se dégage délicatement, je la supplie du regard. Avec toutes ces émotions je n'ai qu'une envie : rentrer chez moi et pleurer toutes les larmes de mon cœur sur mon pauvre oreiller. Mais ça, Tessa ne le saura jamais. Je préfère souffrir en silence pour ne pas la contrarier.

— On rentre ?

Je la remercie silencieusement et récupère mon manteau. À peine l'ai-je enfilé que ma colocataire a déjà payé et je mettrais ma main à coupée qu'elle a laissé un pourboire au vendeur. Celui-ci me sourit poliment quand je passe devant lui et fait un signe de la main à Tessa. Dehors, le vent fouette mon visage. Je plonge mes mains dans les poches de mon manteau et rejoins la voiture sous l'œil avisé de mon amie. Amie. Finalement c'est ce que nous sommes, Tessa et moi. 

Lorsque je m'engouffre dans la voiture, je suis à deux doigts de craquer à nouveaux. Mes lèvres tremblent à cause du froid mais pas seulement... La gorge nouée, j'observe Tessa démarrer le moteur. Contrairement à ce qu'on dit, je n'ai pas l'impression d'être libérée. J'ai toujours cette boule au ventre et les mains tremblantes. Je pose ma tête contre la vitre et observe les immeubles défiler sous mes yeux.

Seulement, un vibrement provenant de mon téléphone me fait sursauter. Je le cherche à taton dans mon sac et lorsque ce prénom, qui me tourmente depuis quelques semaines s'affiche sur mon écran d'accueil, je manque de m'étouffer.

— Tessa ?

Elle se tourne vers moi. Vu la situation, mon attitude la surprend mais elle hoche la tête en se concentrant sur la route. Cette fois-ci, je sais que le moment est mal choisis. Je suis encore plongée dans mes souvenirs et Tessa sous le choc, pourtant je ne peux m'empêcher d'ouvrir le message.

"Tu es libre dimanche ? On pourrait peut être commencer à bosser ma technique de danse.
Cayden"

Mon cœur flanche et mon pouls s'accélère. Rapidement, Tessa ralentit et je lui lis à voix haute les mots de Cayden, non sans buter à quelques endroits.

— Tu vas lui répondre quoi ? s'enthousiasme ma colocataire.

— J'ai pas trop la tête à ce genre de chose avec tout ce qu'il s'est passé ce soir et puis les cours préparatoires sont faits pour ça, pas la peine de s'inviter.

La vérité ? Je meurs de trouille de me retrouver une nouvelle fois toute seule en compagnie de Cayden, surtout de lui donner des cours de danse.

Avant même que je puisse rajouter quelque chose, Tessa freine brusquement et se gare sur le bas côté. Elle se retourne rapidement vers moi et me fusille des yeux.

— Tu déconnes ?

— Mais qu'est-ce que tu fais ? Continue de rouler !

Elle ignore totalement mes propos et lève les mains du volant sans me lâcher des yeux. Nous voilà, au bord de la route en plein centre de Seattle, deux roues sur le trottoir. Affolée, je vérifie dans le rétroviseur qu'aucune voiture ne nous fonce dessus.

— Je m'en fous, tu devrais aller chez ce Cayden.

Elle hausse la voix sur le "ce" et me sourit hypocritement, je déteste quand elle fait ça.

— Après ce que je viens de te révéler, tu m'oblige à faire ça ?

Ma propre voix m'étonne, elle est grave et accusatrice. Je n'ai pas envie de me prendre la tête avec elle pour un garçon, encore moins après cette soirée riche en émotions.

— Je n'oublie pas tout ça (elle dépose deux doigts sur mes tempes, mes souvenirs) j'encourage ça (ses doigts se déplacent sur ma poitrine, sur mon cœur), ce garçon m'a l'air sympa et il pourrait devenir ton ami.

— Tu ne le connais même pas.

Le coin de ses lèvres se soulève et elle lâche un soupir.

— Avery, tu n'as que Nora et moi. Il serait peut être temps que tu ailles au delà.

Ses paroles me blessent puisque c'est la pure et simple vérité. Je ne sais pas si Nora fait toujours partie des personnes que j'aime le plus mais elle l'était, tout comme Tessa.

— Je ne vois pas en quoi Cayden pourrait changer les choses.

— Il n'arrangera rien mais ce garçon t'apprécie Avery, il t'a invitée chez lui et je suis sûre qu'aucun groupe ne l'a encore fait.

Cayden ne peut pas m'aimer, il ne veut pas être mon ami, c'est impossible.

— C'est sa mère qui l'a forcé à m'inviter.

— Et ça ?

Tessa pointe mon téléphone, plus précisément le message.

— Il veut simplement gagner le concours, dis-je.

Ma colocataire secoue la tête pour me faire comprendre que j'ai tort et ça m'agace. Elle ne peut pas savoir ce que veut Cayden, elle ne l'a jamais vu ou même entendu.

— Tu sais, ce n'est pas parce que j'ai vingt-trois ans que je suis vouée à devenir célibataire toute ma vie. J'ai de l'expérience, se vante-t-elle.

Elle lève un sourcil en rigolant et je ne peux m'empêcher de l'imiter, les nerfs à vifs.

— N'importe quoi. Je n'ai jamais vu de garçons à l'appartement depuis que je suis ici.

— Je ne te parle pas de petit copain mais d'ami.

Tessa est du genre à ne jamais ramener d'amis à la maison, elle se contente des soirées pour profiter. Je ne sais pas comment se passe ses études à l'Université mais ce que je devine, c'est qu'elle se la joue solitaire.

— Maintenant, tu vas réponde à ce pauvre garçon.

Elle désigne mon téléphone et je souffle car je sais que je n'aurai aucun échappatoire. Pathétique.

— Dépêche-toi, il doit certainement se languir de recevoir une réponse.

Je souffle et récupère mon téléphone déposé sur mes genoux. Mes mains sont moites et tremblent lorsque je tape la seule réponse qui me vient en tête :

"Comment tu as eu mon numéro ?"

— Je vais te tuer ! C'est la réponse la plus débile que j'ai jamais lue...

Elle se prend la tête entre les mains et je me fige, honteuse. Pourtant, je n'ai pas pu m'empêcher d'écrire et d'envoyer, c'est venu tout seul.

— Rattrape-toi !

La voix de Tessa me parvient aux oreilles mais je n'y prête pas attention. J'ai les yeux rivés sur l'écran et impossible de les détacher. Voyant que je l'ignore, Tessa se penche pour observer mon téléphone.

"Si je te le disais, tu me tuerais..."

— Oh seigneur... En plus, il est mystérieux, réponds-lui !

— Oui mais quoi ?

Cette fois-ci, je suis perdue et j'ai peur de faire n'importe quoi.

— Dis-lui que ce serait avec plaisir si vous vous invitiez.

Je glousse devant ces paroles niaises.

"Autant rester en vie si tu veux danser."

Je montre mon message à Tessa et à la vue de son sourire, j'appuie sur "envoyer".  La réponse de Cayden ne tarde pas à venir.

"Je prends ça pour un oui ?"

"Oui."

Il me répond directement, comme si il s'y était préparé.

"Génial. Par contre, je ne suis pas sûre que chez moi soit le meilleur endroit. Chez toi ?"

Voyant que je gère plus au moins la situation, Tessa démarre la voiture et s'engage sur la route. J'incline mon écran un peu plus vers moi pour qu'elle ne voit pas ma réponse :

"Et moi je ne suis pas sûre que ma colocataire soit d'accord pour nous prêter le salon."

"Je peux peut être la dissuader..."

Sa réponse me fait sourire. Tessa tourne alors la tête vers moi.

— Qu'est-ce que tu lui as écrit ? Tu souris comme si il venait de te demander en mariage.

— Tessa !

Elle se lance dans un fou rire sans quitter la route des yeux. Pourtant, quand je lui énonce ce que je lui ai envoyé, elle se décompose.

— Bordel mais t'es sérieuse ? Bien sûre que je vous laisserai le salon pour réviser !

— Alors je dis quoi ?

Elle sourit et s'arrête à nouveau en s'emparant de mon téléphone.

— Tessa, la route !

— En s'en fout y'a personne.

Son audace m'étonnera toujours. Mais ce qui me dérange, outre le fait que nous soyons arrêtées en plein milieu de la route, c'est le message qu'elle rédige. Ses doigts parcourent l'écran à une vitesse hallucinante et j'ai du mal à suivre. Ce n'est que lorsqu'elle me redonne mon téléphone que j'ai envie de disparaître.

— Tu lui as donné notre adresse !

— Oui et l'horaire à laquelle il peut venir, ricane-t-elle.

Je me retiens de lui crier à nouveau dessus et serre les poings. Cayden va venir chez moi, il va découvrir mon univers. Il va explorer deux choses importantes dans ma vie, la danse et mon chez moi. Ne surtout pas paniquer.

Ça y'est, je panique.

De son côté, Tessa affiche une mine victorieuse et appuie sur l'accélérateur. Elle me lance de temps à autre des coups d'œil que je tente d'ignorer, en vain. Plus les minutes passent et plus mon esprit est encombré de souvenirs avec Cayden qu'avec Lindsay. Je revois la première fois où nous nous sommes rencontrés, le jour où je suis allée chez lui, ou encore la discussion de ce soir.

— C'est bizarre, lancé-je à Tessa.

— Tu t'es calmée ?

J'ignore sa question et laisse mon regard divaguer sur Seattle et ses lumières, l'esprit ailleurs.

— Tout le temps qu'on a passé à répondre à Cayden, je n'ai pas pensé à elle.

Tessa se contente de sourire, fière d'elle.




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