20 | Ses beaux mots


Point de vue Avery

Son idée était peut être futile mais rien n'aurait pu être aussi beau sans ses mots.


J'ai l'impression de voler. Comme si des ailes légères et douces m'emportaient au dessus de tous mes problèmes. Une espace paisible et silencieux se profile devant moi et j'oublie tout. J'oublie la fuite de ma sœur Lindsay, j'écarte les moments difficiles pour ne laisser que le bonheur imprégner ma peau.

Déterminée, j'enchaîne les pirouettes. Cole qui se tient près de moi, il maintient ma taille alors que les pans de mon costumes virevolte tout autour de nous. La costumière de l'école a toujours fait les bons choix. Elle réussi, seulement avec un tissu, à nous transporter dans un autre monde.

L'univers féerique de notre représentation de noël est tout simplement magnifique. La représentation a lieu dans moins d'une semaine et tout le monde répète pour chercher la perfection dans ses gestes. Et là, dans le studio, tout y est. Les rayons du soleil couchant viennent s'écraser sur le parquet chauffant et inondent la pièce. L'atmosphère aérée et lumineuse m'emporte une nouvelle fois. Avec la musique classique diffusée en fond sonore, je souris. J'aimerais pouvoir figer le temps, accentuer le plaisir de ce moment et le garder à vie. Danser n'est pas une passion, c'est comme ma raison de vivre. Quand je danse, j'ai cette bouffée d'air qui remplie mes poumons et qui renouvèle. Cette sensation de pureté et de puissance que je ressens.

Les percussions du morceau marquent la fin du duo. Avec grâce, Cole s'écarte du centre de la salle sous l'œil du groupe. Nous ne sommes qu'une vingtaine à participer à la représentation de noël, le reste de l'école est bien trop occupée à préparer les sélections de fin d'années, celle qui détermineront quels élèves de dernière année intègreront les différentes compagnies d'Amérique.

— Avery, c'est à toi.

Dottie est mon professeur à temps partiels. Aujourd'hui, elle s'occupe de la répétition générale.

Je hoche la tête et me positionne au fond. Cole s'assis à côté de Beryl et tous deux m'observent. Le regard de Beryl n'est rien d'autre que déstabilisant et elle le sait. Étant une très bonne danseuse, elle est simplement déçue de ne pas avoir eu le solo. Quant à Cole, son regard se veut rassurant. Il me lance un clin d'œil que je fais semblant d'ignorer.

— Prête ?

Je me place en sixième et baisse la tête vers mes pointes en levant mes bras avec élégance. Dottie sourit et lance la musique.

À la première note, je monte sur mes pointes. À la deuxième, j'ai déjà quitté ce monde. La musique imposante et dramatique semble me tendre la main, comme si elle m'emmenait en son intérieur, là où réside magie et obscurité. À chaque coup de percussion, je me dresse avec ardeur sur mes pointes pour accentuer la détermination de mon personnage. Progressivement, je me positionne au centre de la pièce en réalisant les figures imposées.

Ce que je préfère en danse, c'est improviser. Savoir que nous sommes le seul maître de nos faits et gestes et réaliser à notre manière est la meilleure des choses pour un danseur. Se laisser guider par la musique et inspirer cette nouveauté est tout simplement magique.

— Piqué !

Malheureusement, la réalité n'est jamais loin.

Dottie s'est installée dans un coin et m'épie. Ses yeux fixent mes moindres faits et gestes, prête à tout pour corriger. Je lui obéis et pique d'une façon agressive ce qui la fait sourire. Les bruits de mes pointes sur le parquet font tellement du bruit que je me demande si tout le monde entend encore la musique. Sans plus réfléchir, j'enchaîne la suite. Mes bras ondulent tout autour de moi et mon costume sombre semble m'engloutir dans les ténèbres.

La salle silencieuse scrute l'oiseau noir devant elle. Malgré la lumière étincelante, ce monstre se faufile sur le parquet en déployant ses ailes. Les yeux noirs par la rage qu'il ressent, il se laisse guider par les mouvements.

Pourquoi je danse ? Parce que pendant ces quelques minutes j'ai l'impression d'être héroïque, comme si j'écrivais ma propre histoire et qu'elle grandissait en moi jusqu'à devenir une partie de moi-même. Quand je danse, je suis comme la chorégraphie, une poésie muette. Les vers s'enchaînent à la vitesse de mes battements de cœur et s'imprègnent de mes émotions. Chaque mouvement est un mot et rime avec l'autre, ils s'assemblent pour ne former plus qu'un. A ce moment-là c'est ce que je ressens, je ne m'autorise pas de regard en arrière. Je tends mon cou avec grâce et enchaîne la valse de mes sentiments.

Je réalise plusieurs ballonnés, un saut qui part de coupé derrière, je pose le pied de derrière en sautant tandis que ma jambe de devant se tend puis revient en coupé lorsque je touche à nouveau le sol. Je n'ai pas le temps d'appréhender que vient le tour de la prochaine figure. J'enchaîne rapidement et tout en délicatesse quelques pirouettes fouettées et me place vers le fond de la pièce. Je lance un dernier regard en direction du groupe mais mon regard s'arrête quelques instants sur le reflet du miroir juste derrière eux. J'y vois une jeune femme sûre d'elle quand elle danse, déterminée. Mes cheveux blonds ne sont exceptionnellement pas attachés en chignon. Dottie m'a autorisé à les laisser lâches pour la répétition. Mais ce que je remarque le plus c'est mon visage, j'aborde une expression indéchiffrable. Mes sourcils sont froncés par la peur et mes yeux brillent, je joue mon personnage.

Mais mon souffle se coupe lorsque je remarque deux ombres se profiler devant la porte. Je pense d'abord à deux élèves venus regarder la répétition mais lorsque je remarque le haut chignon de Serena, je me raidis. J'ignore qui est à côté d'elle mais je n'ai pas le temps d'y songer, je dois sauter. Je place mon pied droit et observe rapidement ma pointe. Mon pied à l'intérieur commence à me faire souffrir après plusieurs heures d'entraînement.

Dottie s'apprête à me rappeler à l'ordre mais je n'attends pas une seule seconde de plus. Je m'apprête à réaliser une cabriole arrière. Au dernier moment, je tourne le dos au miroir et prends mon élan pour sauter. Une jambe part en l'air, la deuxième la rejoint et la frappe. Comme stoppé en haut, le long tissu de mon costume m'enveloppe. Il s'élargit et s'envole tout autour de moi. 

Là haut, je me sens invincible. Lors de ces millièmes de secondes où je quitte le sol pour atterrir aussi légère qu'une plume, j'ai l'impression de reprendre mon souffle. Je me meus dans un espace plus calme, serein. 

Lorsque j'atterris légèrement sur le parquet luisant et ciré, je relève les yeux au ciel. Je chasse sur le côté et monte dangereusement sur mes pointes au son des percussions. A partir de ce moment, lorsque je dépasse la moitié de ma chorégraphie, j'y mets toute mon énergie. Le souffle court mais le dos droit, je me dépense.

Quand la musique touche à sa fin, je me dresse et tends ma jambe droite devant moi pour poser. Le menton vers le ciel et les yeux lorgnants sur les élèves, je reprends mon souffle sous les quelques applaudissements. Du coin de l'œil, j'observe Cole me regarder avec intérêt et Beryl avec perplexité.

—Ça, c'est ce que j'appelle de la danse !

Je me retourne pour faire fasse à Serena, je l'avais complètement oubliée. Seulement, elle n'est pas seule et je manque de m'étaler quand je reconnais Cayden. Mon partenaire a les mains dans les poches et ne semble plus savoir où regarder. Ses yeux font des allers et venues entre les élèves, la salle, Dottie et... moi. Son regard est tellement perçant que je détourne aussitôt le mien. C'était lui la deuxième personne que j'ai aperçue alors que j'allais sauter. Cela veut dire qu'il m'a vue danser...

— Dottie, les répétitions de ce soir sont terminées ?

La jeune femme hoche la tête en intimant aux élèves restants de rejoindre les vestiaires. Pour ma part, je me dandine sur un pied et l'autre, la gorge nouée. J'appréhende ce que fait Cayden ici, une demie heure avant le début des cours préparatoires. Mais comme d'habitude je ne trouve pas le courage de lui demander, encore moins devant Serena.

— Ce jeune homme tient à te dire quelque chose, peu importe l'heure apparemment...

Serena lui jette un regard coupable. Elle attend sûrement une réponse de ma part mais je me contente simplement de hausser les épaules. Cayden quant à lui, il continu de me fixer. Son regard me démange, il m'impressionne.

— Je vous laisse. Dottie fermera derrière-vous. A tout à l'heure.

Je m'autorise un léger « merci » destiné à mon professeur. Elle me sourit et salut Dottie restée dans le coin de la pièce. Je détourne mon regard de mes pointes pour observer Cayden. Il reste toujours aussi silencieux et a les yeux scotchés sur moi. Je m'apprête à rassembler tout mon courage pour lui demander de la voix la plus normale possible ce qu'il fait ici mais il dévie les yeux pour observer la salle. J'en profite rapidement pour me baisser et défaire les nœuds de mes pointes sous le regard brûlant de Dottie qui me supplie de me dépêcher. D'une main tremblante, je tire sur le ruban. Mais à peine me suis-je attaquée au deuxième chausson que Cayden me rejoins au sol. Il replie ses bras autour de ses jambes sans jamais détacher son regard de moi. Je me raidis lorsqu'il prononce d'une voix suave l'idée la plus futile et magnifique :

— Putain, apprends-moi à danser.


☆★☆


Je suis comme paralysée. Cela fait plus de dix minutes que je suis assise sur cette chaise, Cayden à mes côtés. Le cour préparatoire vient tout juste de commencer mais je n'écoute absolument rien. Je n'arrête pas de penser à la proposition de Cayden. Son idée est tout simplement magnifique, lui apprendre la danse serait à la fois un plaisir pour moi mais aussi un calvaire. La danse est un monde compliqué et si nous nous y aventurons, j'ai bien peur que nous n'en sortions jamais. Danser ce n'est pas seulement un art, ça s'apprend. Et je ne suis pas sûre que Cayden pourrait tenir le coup. C'est vrai, ce serait génial pour notre rendu au concours, moi qui danse, lui aussi et comme fond sonore, sa chanson. Mais c'est bien trop compliqué. D'une part, je doute de mon niveau et de l'autre, je suis terrorisée. Apeurée de faire découvrir ma passion à un inconnu et de l'emmener dans la partie la plus intime de ma vie. Car oui, c'est comme si je rompais le lien qui m'unit dans ce monde, comme si j'accueillais un nouvel habitant.

Mais à cet instant, je me sens ridicule de ma réaction tout bonnement égoïste. J'ai l'impression de ne penser qu'à moi et non à l'enjeu que l'idée de Cayden pourrait représenter pour le concours. De plus, son regard insistant n'arrange rien.

De là où je suis, j'entends les ronchonnements d'Hunter et je me dis que j'ai de la chance d'avoir un partenaire aussi calme. D'ailleurs à l'arrivée de Serena, j'ai sentis Cayden se raidir. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé avant qu'il n'arrive dans le studio et je ne préfère pas savoir par quels moyens il est entré dans les couloirs sans l'autorisation de Suzana...

Lorsque Serena reprend la parole pour la énième fois, je me force à l'écouter, cette fois-ci :

— Pour cette séance, la classe va être divisée en deux groupes. D'un côté, une partie des élèves qui ont déjà une idée pour leur projet vont venir l'élaborer avec moi en salle de danse. L'autre partie restera avec monsieur Boyd pour débloquer un peu ceux qui ont du mal à trouver l'inspiration.

— Bordel, on va se taper le vieux, j'entends râler Hunter. Tout ça, c'est à cause de toi.

En guise de réponse, Cole souffle. De notre côté, Cayden se retourne immédiatement vers moi et semble me supplier mentalement. Il fronce les sourcils et se mordant la lèvre et je ne peux que le trouver craquant. L'aura qu'il dégage est surprenante.

— Quels groupes pensent être prêts pour venir avec moi ?

Je remarque aussitôt le groupe de Beryl qui lève la main et je me dégonfle. L'amie de Cayden aux cheveux roux, Wren, se hâte à lever la main et plusieurs groupes l'imitent. Je jette un regard en direction de Cayden qui semble attendre mon accord pour lever la main et je suis étonnée de la détermination dont il fait preuve. Ma respiration s'accélère quand je comprends que la décision repose sur mes épaules et je déteste ça.

Le regard de mon partenaire me brûle l'estomac. En croisant ses yeux marron, j'ai l'impression de me noyer dans l'immensité du doute. Je crains de ma décision et de la suite de l'aventure si j'accepte sa proposition. J'ai peur de rater, je suis effrayée à l'idée de ruiner notre projet et d'éliminer Cayden du concours. Mais quelque chose au fond de moi me pousse à lui faire confiance. Ce garçon qui m'a aidée lors de la fête, qui ne cesse de me sourire depuis notre rencontre mais qui semble tout aussi distant sait dans quoi il s'embarque. Il veut apprendre à danser, il veut découvrir cet univers, peu importe les conséquences.

C'est certainement pour cela que je prends mon courage à deux mains et que je lève la main.



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