14 | Destinée contrôlée


Point de vue Cayden

Contrôlé et oublié, tel est ma destinée.


L'hypocrisie est l'art de cacher ses intentions ou de tricher sur ses sentiments, ses pensées. Elle est toujours négative, contrairement au mensonge qui peut parfois être pour une bonne cause. Avoir une attitude hypocrite, c'est avoir un comportement lâche et malhonnête. Seulement je ne pense pas qu'Avery soit renfermée. Quand elle s'isole, certes elle dissimule ses sentiments mais elle n'a pas goût à supporter l'hypocrisie des autres. Cette fille a compris quelque chose. Avery sait que parfois la solitude est le prix de la liberté.

— Si vous voulez produire quelque chose, dépêchez-vous. On a qu'une heure.

Je souris intérieurement aux paroles de Paul. Il a toujours été comme ça, impatient. Son regard divague entre tous les élèves. Du fond de la classe, j'aperçois tous les binômes. La plupart afiche un sourire compétiteur. Du coin de l'œil, j'observe toutes ces têtes à la recherche d'une ou deux familières. Au premier rang, je repère Rhett, concentré sur le silence qui règne dans la classe tandis que Paul avale une gorgée de son café. Non loin de lui, Wren est fidèle à son poste, immobile, la jeune femme épie du regard la fille qui se tient à côté d'elle.

— Pour commencer, présentez-vous à votre binôme.

La majorité des élèves rigolent de notre professeur. Personnellement, je me fais un malin plaisir à jeter un regard vers Avery. Celle-ci est toujours figée en direction de la fenêtre, sa paume retient sa tête d'un air rêveur tandis que ses yeux fixent avec attention la mère nature.

— Faîtes de simples présentations comme vous savez si bien le faire !

Une fille à la coupe carré et brune lève aussitôt le bras, prête à intervenir. Comme à son habitude, Paul souffle et croise ses bras sur sa poitrine en laissant un regard désapprobateur à l'intéressée. Sans attendre, elle prend ça pour un oui :

— Ça sert à quoi au juste ? Je veux dire, on s'est déjà présentés lors de la soirée.

A côté de moi, Avery se raidie.

— A faire parler les curieuses comme toi. Maintenant, trêve de bavardages, faites-le avec votre binôme et rapide, comme ça on enchaîne avec la suite.

Personne n'insiste, tout le monde se tourne vers son camarade et entame les présentations. Lentement, je déplace mes jambes de l'autre côté de la chaise de façon à croiser cet océan qui me fait frémir. A chaque fois c'est la même chose, quand les yeux azurs d'Avery croisent les miens, j'ai envie de me recroqueviller sous la table. Ils ont la force de me faire chavirer comme cette bouée abandonnée. Je disparais, j'élimine cette partie de moi-même derrière l'illusion.

— Alors ?

Avery se retourne vers moi en sursautant. Si ses yeux pouvaient me tuer sur place, ils le feraient.

— Quoi ?

Eberlué par l'assurance présente dans sa voix, je fixe un moment le visage angélique qui me fait face. Avery ne se fait pas prier pour faire de même. Son regard s'égard sur mon front, ma bouche et chaque parcelle de mon visage. J'arrête de compter le secondes qui défilent lorsque je sens mes joues s'enflammer. Un sourire triste erre sur le visage d'Avery tandis qu'elle s'empresse de détourner les yeux. Ses mains qui semblent moites rejoignent le bas de son pull couleur caramel et la silhouette d'Emy s'encre automatiquement dans mon esprit.

Aussitôt dit, je me retourne vers le centre la salle de façon à observer les élèves. Je remarque immédiatement cette paire de cheveux bruns. Assise en retrait, Emy fixe un point indéfinissable dans la pièce. Ses épaules sont affaissés sûrement dû à la discussion d'hier dans le parc. J'avais ce sentiment incontrôlable et négatif. J'étais sûrement jaloux, envieux du regard qu'elle avait porté à ce garçon. Jamais elle ne me regarderait comme ça. Emy est cette personne que j'appelle Mallory. Elle l'est tout entière. D'abord timide et renfermée, elle deviendra forte et déterminée. Et ça, j'en ai peur. Je crains de perdre le contrôle de la situation.

J'ai cette boule au ventre qui remue mes sentiments. Elle les manient à m'en brûler la raison. Aujourd'hui, je la nomme passé.

— Alors elle aime bien parler ta copine ?

Hunter ricane à sa propre réplique en prenant soin de me taper l'épaule. Avery souffle mais n'ose pas se retourner. De mon côté, je le fais. Je fusille du regard Hunter en lui faisant comprendre que ce n'est pas comme ça qu'elle réussira à sortir de sa timidité et ignore le garçon à ses côtés. A en voir son attitude assurée et déterminée, c'est un danseur. Les gars comme lui, j'en vois tous les jours et bizarrement il me rappelle Hunter. L'idée qu'il puisse embêter Avery pour frimer ne m'étonnerait pas...

— C'est quoi ton nom ?

L'intéressé lève la tête vers moi comme si il me remarquait pour la première fois. 

— Cole, crache-t-il, une once de mépris dans le regard.

Hunter ne me laisse pas le temps de finir et s'interpose dans la conversation.

— Il paraît qu'il est bon, c'est pour ça que je l'ai pris. Sinon j'aurai pris la meuf.

— Elle s'appelle Beryl et elle est mon amie.

Un seul regard entre Hunter et moi suffit à nous faire exploser de rire. Le dénommé Cole se renfrogne sur sa chaise en jurant. De mon côté, tout en rigolant, j'observe Avery qui semble se retenir de sourire. Ses lèvres se pincent en formant une ligne de tir. Ses yeux croisent les miens une fraction de seconde avant de s'égarer sur ceux d'Hunter. Je ne saurais décrire le feu qui s'embrase en moi.

— Cayden, il faut travailler...

Sa voix presque inaudible me secoue une nouvelle fois avant que je ne m'appuie sur la table, prêt à l'écouter. Seulement, un silence de plomb s'installe entre nous. J'entends toujours Hunter pouffer derrière moi mais la plupart des autres élèves chuchotent. Le malaise s'installe en moi et je sais d'avance que je ne pourrai pas le stopper. Avery a fait du silence son arme redoutable. Avec, elle créer cette ambiance menaçante qui me dérange. En étant renfermée et distante, elle semble me faire redécouvrir des réactions qui ne m'étaient pas arrivées depuis bien longtemps.

— Vas-y je t'écoute.

Avery écarquille les yeux, certainement parce qu'elle s'attendait à ce que j'entame les présentations. Ses doigts viennent avec maladresse écarter une mèche blonde de son visage, alors que je m'attendais à ce qu'elle repousse l'invitation, elle repose ses yeux sur les miens. Sa voix se fait plus grave mais toujours aussi tremblante :

— Je m'appelle Avery Millers, j'ai dix-huit ans et j'étudie la danse depuis mes onze ans. J'ai intégré l'école de danse de Seattle il y a quelques mois.

Je me laisse bercer quelques instants par cette voix, écartant tout ce qui m'entoure. 

— Ma famille vit à Paris. Mes parents sont tous les deux ingénieurs et ne me consacrent du temps que pendant les vacances. Il n'y a pas grand chose à raconter sur moi. 

C'est à ce moment là que je comprends, cette accent qu'elle a quand elle parle anglais, c'est son accent français. 

— Pourquoi Seattle ? A Paris il y a l'Opéra et les écoles sont bien plus réputées qu'ici.

Ses yeux trahissent l'expression qu'elle tente de cacher.

— Je suis trop jeune et mon niveau est beaucoup trop bas, argument-elle.

J'aurais pu la croire, j'aurais pu passer à autre chose, ignorer la pression présente dans sa voix et ses tremblements. Seulement, je sais qu'elle ne me dit pas tout. A force de trahir ma propre vérité, je sais débusquer celle des autres. Et en l'occurrence, cette fille ne me dit pas tout. C'est plus facile de mentir que de dire la vérité. C'est plus facile de trahir que de rester fidèle. Plus facile de fuir que de faire face, d'oublier que de s'engager ; cette fille a choisi la facilité et d'autres ont compris que le bonheur se gagne dans la difficulté.

Malgré les années je ne fais toujours pas partie de cette deuxième catégorie.


☆★☆


Je ne sais plus depuis combien de temps j'ai les fesses collées à cette chaise plus qu'inconfortable. Après avoir fait les présentations, Paul a tenu à nos imposer une séance petite séance de lecture. "Vous documenter un peu plus sur le concours ne vous fera pas de mal" a-t-il dit. Alors voilà comment j'en suis arrivé là, les yeux rivées sur cette page recto verso et gorgée d'encre noire. A côté de moi, Avery paraît s'impatienter aussi. Son regard semble s'étaler entre deux ligne et disparaître dans l'antre de ses pensées.

Pourquoi ai-je l'impression d'imaginer chaque chose qui m'entoure ? J'ai toujours cette partie de moi-même qui tente de dessiner la réalité qui me comprime. J'essaye de lui donner des contours, net et précis. Mais quelqu'un m'efforce à abandonner. Cette personne reprend les rennes. Elle aspire le peu de confiance que je garde, elle fait disparaître les morceaux encore intact de mon cœur.

Un jour, mes lèvres s'éteindront. Elles se fermeront jusqu'à abandonner le sourire sincère que je tente de reconstruire. 



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